Les rapports entre les anarchistes et léducation (ou lacte de formation) ont été on oserait dire évidemment permanents. De P.J. Proudhon à lexpérience de Bonaventure, textes théoriques, débats, discussions, réalisations se succèdent depuis un siècle et demi.
Pour préciser son approche de la notion déducation, Proudhon invente (ou redécouvre) un mot : démopédie, lenseignement du peuple. Aucun dictionnaire contemporain na, à ma connaissance, retenu ce vocable. Cest dommage, car il résume parfaitement son propos : léducation populaire, par le peuple, pour le peuple. Et à travers quelques unes de ses uvres (en particulier La Justice) il donne quelques principes, et essentiellement celui de lapprentissage polytechnique (1). Rien à voir avec lécole du même nom !
Dans la décennie suivante, Michel Bakounine va prolonger la réflexion proudhonnienne et lessentiel de ses propositions se trouve résumé dans une page célèbre de Dieu et lÉtat (voir encadré).
Une fois lancé, ce mouvement de pensée ne va plus sarrêter. Des noms connus jalonnent cette recherche intellectuelle et pédagogique : Kropotkine, Louise Michel, Robin, Ferrer, Pelloutier, Besnard, et les autres (4).
De la théorie, un certain nombre de compagnes et de compagnons vont passer à la pratique et ceci dès 1880 avec lexpérience de lorphelinat de Cempuis. Mais comment résumer en quelques lignes 120 années de réalisations ? Tâche impossible ! Surtout que des ouvrages récents sont parus qui, soit comblent une lacune documentaire, soit apportent des éléments nouveaux par rapport à des études anciennes. Aussi je ne peux mieux faire que conseiller de consulter la liste des ouvrages (81 titres !) parue dans le catalogue de la librairie du Monde libertaire, avec mention spéciale pour le Cempuis de Nathalie Brémand, les livres de (et sur) Ferrer, Sébastien Faure, Freinet, Bonaventure, etc.
De toutes ces expériences (de la Ruche à Bonaventure), on peut tirer quelques leçons. La première consiste à noter lextrême difficulté à faire vivre une expérience pédagogique en dehors de linstitution officielle, la survie nétant possible quavec le concours du mouvement social (syndicats, coopératives, mutuelles, organisations spécifiques).
La deuxième consiste à noter également lextrême difficulté de la pénétration des propositions pédagogiques libertaires au sein de linstitution officielle. Mais ceci est un autre sujet, traité dans les colonnes voisines.
Et jaimerai conclure en rappelant de mémoire cette phrase de Sébastien Faure : « Lécole dhier, cest lécole de lÉglise, lécole daujourdhui, cest lécole de lÉtat, lécole de demain, cest lécole libertaire ».
(1) On peut sur ce sujet consulter les actes du colloque de novembre 1994 de la société Proudhon consacré à ce sujet. Léducation : Proudhon, proudhonnisme (XIXe, XXe siècles), 70 F
(2) Réédité dans la collection Volonté anarchiste. 40 F
(3) On peut noter avec une relative malice quun des plus proches amis de Michel Bakounine, et membre de la première Internationale Buisson va être un des fondateurs de lécole publique de la IIIe République, en tant que collaborateur de Jules Ferry. Et jusquen 1905, le secrétaire de Jules Ferry est un certain James Guillaume Il pourrait être intéressant pour un historien contemporain de déterminer si, grâce à ces hommes quelques semences de propositions libertaires ont germé au sein de lInstruction publique, dont le moins quon puisse dire est quelle est loin de nos idées
(4) Pour approfondir cette question, on peut consulter entre autres le livre de Jean-Marc Raynaud Tare ta gueule à la révo !, Edition du Monde libertaire
(5) Sur Freinet, les opinions divergent. Na-t-il pas été membre du P.C. jusquen 1952 ? Les mauvaises langues suggèrent que ses sympathies naturelles le conduisaient vers le mouvement libertaire, mais il semble que Elise ait joué auprès de Célestin le même rôle quElsa auprès de Louis (Aragon) : lancrage au P.C.