Depuis le début des années 90, près de mille voyageurs sans papiers, cachés sur des navires, tentèrent de rallier « lEldorado » canadien pour y obtenir lasile. Avant de réaliser leur long métrage, au réalisme nullement surfait, le Québécois Denis Chouinard et le Genevois Nicolas Wadimoff interrogèrent des dizaines de courageux qui avaient effectué le long trajet depuis lAfrique ou lEurope. Dans Clandestins, six étrangers, qui ont acheté à un passeur leur ticket vers un ailleurs moins misérable, végètent durant trois semaines dans 25 mètres carrés dun des nombreux containers arrimés sur un cargo en partance du Havre pour Halifax. Alors quils espéraient atteindre leur destination en huit jours, une panne immobilise lembarcation au milieu de locéan. La lutte pour la survie dans une atmosphère poisseuse et une promiscuité où la dignité individuelle reste, elle aussi, en rade, exacerbe les tensions. Cette cohabitation forcée dans un contexte qui, contrairement aux a priori « politiquement corrects », nincline pas obligatoirement à de chaleureux élans de solidarité, se meut rapidement en un affrontement physique entre certains protagonistes. Walid (Moussa Maaskri), grièvement blessé après un pugilat dune brutalité extrême avec Roman (Anton Kouznetsov), succombera du tétanos. En échange de quelque nourriture, Dora (Simone Maicanescu) livre passivement son corps aux assauts du primaire Russe. Demblée, celui-ci ne se gêna pas de se sustenter sans partager avec ses compagnons dinfortune, rapidement à court de vivres. Les raisons précises de la fuite demeureront obscures, mais le désarroi se lit sur les visages, souvent montrés en plans rapprochés, ou perce au détour dune phrase. Lorsque Walid précise à Halimi (Hanane Rahman) quil compte obtenir le statut de réfugié politique, elle lui rétorque : « Pour ça, il faut avoir un passé ». Les deux cinéastes ménagent le suspense. à lescale de Liverpool, un homme en uniforme précise à Kolia (Miroslaw Baka), le capitaine, quil risque une inspection en raison du délabrement du bateau. Transporte-t-il des marchandises de contrebande ? Là encore le mystère persistera. Léquipage repère finalement les passagers. Kolia, qui sait que les autorités canadiennes lui réclameront 5 000 dollars par tête, fait mettre Roman et les deux femmes à la mer dans un canot pneumatique. Swetlana (Christelle Sabas), la fille de Dora, et Sandu (Ovidiu Balan), dont un matelot avait repéré lempreinte entre le pont et les cuisines, regardent les côtes canadiennes
Pour Nicolas Wadimoff, « limmigration est un phénomène irrémédiable, qui amène une plus-value culturelle dans nos sociétés » (1). Il y a sans doute plus de Suisses quon ne le croit qui partagent ce point de vue
(1) Interview au magazine LHebdo du 15 janvier 1998