Lécole retransmet des savoirs, reproduit des comportements, pérennise une morale sociale. A une société marginalisant des millions de personnes correspond un système scolaire figé, inadapté aux aspirations des adultes, des adolescents et des enfants qui le subissent. Instruire ou éduquer. Participer ou respecter des règles de vie. Pour lheure aucune corrélation ne se fait entre ces différentes missions éducatives. Les liens sociaux se détériorent. Des repères tels le travail, la vie de quartier, considérés immuables et valorisants disparaissent. La surveillance des chômeurs et précaires sexacerbe à travers les stages de formation ou dinsertion. Trop souvent le collège, le L.E.P. sont perçus par de nombreux jeunes soumis à lobligation scolaire comme des lieux de garde, despaces de rencontres volées aux interstices institutionnels. Son objectif principal nétant pas daider la personne à se construire mais à retransmettre des savoirs, létablissement scolaire régit des rapports interpersonnels de plus en plus contradictoires. Le code répressif et moral masque mal lautoritarisme institutionnel (1). Il a pour but de conserver auprès des usagers de lécole un consensus maximum de survie collective.
Le vide scolaire, culturel et social emplit la cité. Les derniers mouvements sociaux (défense des services publics, mobilisation des chômeurs et des précaires) ne posent pas uniquement le problème de lintégration sociale par lactivité salarial ou le partage du travail mais bien celui du sujet social. La redistribution des richesses liée à la création de prestations de services, dactivités sociales en dehors du cadre salarial transforment fondamentalement les besoins éducatifs. Lintégration sociale, une capacité dadaptation à des situations diverses et variées, la créativité collective et individuelle comptent autant que laccumulation de savoirs formels ou savoir-faire professionnels.
La complexité du processus éducatif, la diversité des actions culturelles dépassent largement le cadre du service publique et conduisent à lélaboration dun service social déducation mutuellisant lensemble des outils culturels. Cette création dun mouvement socio-éducatif harmoniserait les initiatives, les réflexions dorganisations figées par des réflexes corporatistes, technocratiques ou professionnels. Ce choix de la coordination éducative en terme de processus agit non sur la forme en stratifiant les organismes existants mais sur les espaces communs, lunicité de la personne à travers son action sociale. Cette sphéricité des espaces éducatifs lie lautonomie des personnes et des groupes en terme dauteurs culturels et dacteurs sociaux. Son champ daction franchit largement les frontières actuelles dun service public scolaire.
Le système scolaire nest pas satisfaisante en terme de service public ! lÉtat finance directement ou indirectement par le biais des prélèvements obligatoires lécole patronale ou privée confessionnelle. Il impose une régulation de lutilisation des moyens déducation sur le principe de la déréglementation et de la rentabilité économique à court ou moyen terme. lÉtat répond mal aux besoins déducation de la population. Il a toujours exclu des établissements scolaires les personnes dérangeantes et a maintenu un haut niveau dencadrement pour les grandes écoles (2). Le retour de lordre moral dissimule maladroitement ces choix politiques et cette austérité économique. Lécole renforce même à lheure actuelle les différences culturelles et par conséquent économique des personnes dont elle a la tutelle (3). En ne prenant pas suffisamment en compte les disparités culturelles, les difficultés de vie des élèves, en se contentant de reproduire le système social elle augmente les inégalités de classe.
Un service public déducation sadresse sur la base de légalité des chances et des régions à lensemble de la population. Ce principe demeure un vu pieu dans la mesure où lÉducation Nationale se contente de garder, dencadrer la jeunesse dans les limites fixées par la politique économique. Cette revendication dune école publique au service de tous coupée dun projet de transformation sociale est le cur de lidéologie social-démocrate actuelle. Elle ne sert quà humaniser en le rendant supportable pour le plus grand nombre un système scolaire sclérosé. Aujourdhui cette idée de services publics en matière déducation, de services sociaux, de logement etc. représente pour les usagers et les salariés un moteur de mobilisation. Suffira-t-elle à faire éclore une éducation populaire ? Permettra-t-elle lémergence de la créativité des personnes ? Loin de là, en uniformisant les besoins et les compétences, lécole publique ne participe pas à la construction dune société dacteurs et dauteurs. Elle abandonne ce pan éducatif majeur à lextérieur de lécole (la famille, les aides socioculturelles). Cette démission renforce les difficultés des uns, augmente les performances des autres, creuse les écarts culturels. Elle garantit une éducation de classes même dans le cadre dune stricte égalité de tous devant lécole. Ces compétences socioculturelles sont évaluées par le système scolaire. Cet apprendre à apprendre, cet éveil à la curiosité, cette adaptation au groupe, nest pas accessible au plus grand nombre dans lécole publique actuelle. Si le système scolaire ne gomme pas les différences socioculturelles nécessaires à lémancipation de chacun il revient à un mouvement social déducation populaire de sy atteler.
Le service social déducation tient compte des différences culturelles ou économiques. Il sessaye à valoriser la personne et par conséquent le milieu culturel de celle-ci (vie quotidienne, habitat, loisir etc.). Lapprentissage de la citoyenneté en termes dactions directes sur lenvironnement immédiat, la découverte de soit par et pour le groupe, la valorisation des compétences par et pour le groupe, lélaboration de projets permettent à la personne de globaliser les différents moments de sa vie. Cette transversalité des savoirs et leur connexion à des projets sociaux induisent une unité dactions inhérente à toute liberté sociale. Donner sens à ses apprentissages, savoir-faire ou entreprises par la participation à la gestion de linstitution ou lélaboration de règles de vie réintègrent lécole dans la cité. Cette pédagogie de lentraide, de lélaboration de projets est loin dêtre neutre, elle symbolise ce quest une communauté dapprenants. Marquer les oppositions, les intersections de ces différents systèmes éducatifs revient à tracer les grandes lignes dune organisation culturelle alternative.
La transformation du système éducatif ne suffira pas à inverser les cartes des libertés individuelles ou à créer les fondations dune société plus égalitaire. La structure même du système scolaire actuel est un rempart à une telle vision de léducation. Le service social déducation sincorpore à une alternative sociale. La prise en compte des différences de classe, des difficultés de vie quelles induisent les transforment en richesses socioculturelles. Cet élargissement du champ éducatif casse avec la spirale de la reproduction sociale, de la technicité vidée de sens et du corporatisme fractionnant la fonction enseignante. Ce postulat entraîne des modifications profondes du secteur socio-éducatif. La coordination entre les différents champs éducatifs offre à lensemble de la communauté scolaire des assises sociales. La mise en place de pédagogies et de relations éducatives valorisantes gomment les différences de classes. Cette corrélation entre projets et techniques éducatives cimente un service social déducation. En tentant dans la mesure de ses moyens de devenir à la fois un laboratoire dexpérimentations culturelles, un réseau de compétences sociales un tel processus éducatif supprime la hiérarchie des savoirs. Nous ne parlons plus déducation populaire mais dun faisceau dinitiatives plurielles. Cette mutualisation des expériences augmente nos capacités danalyses (et donc de création de nouveaux modes daction), donne sens aux entreprises multiples.
Prenons le temps danalyser nos pratiques, dutiliser les savoir-faire des établissements expérimentaux, des équipes éducatives, des associations culturelles, de tout ce qui bouge et imagine dans le champ socioculturel. Chercher ce qui est commun ou voisin. Sil ny a plus de modèle scolaire, ne laissons pas le vide occuper nos vies. Il ne sagit pas délaborer une énième école unique mais de créer des espaces de libertés, dautogestion suffisamment efficaces et éloquent pour tendre à
Lintégration des expériences in et hors système scolaire actuelle à un réseau représente une alternative réelle et non une simple addition de solutions parcellaires. Par ce biais nous avons les moyens théoriques et pratiques de tracer des grandes lignes fédératrices en terme de citoyenneté, dauto-formation, de valorisation de la personne dun service social déducation. Les oppositions structurelles entre écoles dÉtat, expériences éducatives, secteur socioculturel ne suffisent pas à expliquer la solidité du mur de Berlin qui scinde lensemble du milieu éducatif. Lopposition traditionnelle du dire et de lagir, du syndicalisme et de la pratique pédagogique, de lexpérimentation et de la norme nest pas une fatalité. Une éducation populaire plurielle peut sortir des limbes de lutopie si nous ne nous satisfaisons pas du présent. Et avec un tel présent pourquoi ne pas dès maintenant construire quelque chose ?
(1) Il est à noter que juriquement deux institutions étatiques sont à la fois juge et partie dans lélaboration de la loi et lappréciation de son application : la justice pénitentiaire et lEducation nationale. Cette dernière a inclus au cur de son système la notation : enseignant-enseigné, administration-salarié. Le prof est à la fois juge et partie. Il ny a aucun contrôle des utilisateurs tant sur le plan cognitif quinstitutionnel de lélaboration des programmes ou des règles de vie
(2) La moyenne du taux dencadrement de lÉcole normale supérieure est dun enseignant pour un élève
(3) cf. Éducation et équité. O.C.D.E. Les écarts scolaires se créent essentiellement à lextérieur de lécole par le biais des familiales et culturelles en matière de soutien scolaire et dapport méthodologique. En nen tenant pas compte au mieux, elle cautionne au pire elle les utilise