Le Havre, Ivry, Créteil, Nanterre, Bobigny la liste des lieux occupés par les sans-papiers sallonge. Plus la date du 30 avril approche et plus la tension monte autour des sans-papiers. Et le pouvoir ny est pas pour rien, lui qui tente par tous les moyens de discréditer ce mouvement et ceux qui le soutiennent. Au 31 mars, le ministère affirmait avoir fourni 40 000 titres de séjour et plus de 30 000 refus sur les 150 000 demandes de régularisation déposées dans les préfectures. A quinze jours de la clôture prévue du traitement des dossiers, il est de plus en plus clair que les choses n'évolueront plus beaucoup.
Dès lannonce de la circulaire Chevènement du 24 juin 1997, nous avions dénoncé dans ces colonnes les graves insuffisances dun texte qui était censé régulariser des sans-papiers tout en étant strictement inscrit dans le cadre de la loi de l'époque (Pasqua-Debré) : critères de régularisation restrictifs, contradictoires et ubuesques ; discrimination des célibataires et des déboutés du droit dasile ; arbitraire administratif Il nous apparaissait clairement à l'époque que cette annonce pour le moins spectaculaire ne préparait que " quelques régularisations et beaucoup dexpulsions ", comme nous avions titré alors. Il était évident que la gauche ne pourrait pas tenir éternellement deux discours incompatibles : " l'humanisme " et le contrôle " responsable " des flux migratoires.
Aujourd'hui les masques tombent. Les administrations en charge de la régularisation ne laissent guère dillusions aux sans-papiers : " certains continuent à être convoqués plusieurs fois, dautres qui sont toujours sous le régime de multiples convocations, sont même envoyés au bureau 105 (de la préfecture) qui soccupe des mesures d'éloignement " rapporte le comité des sans-papiers de Lille qui poursuit : " Nous tenons à dénoncer le fait que certains dont les dossiers ne posent aucun problème, même au vu de la lecture de la circulaire, lecture pourtant restrictive, sont sous le régime de convocations multiples, comme si M. le préfet, en conformité avec la tactique gouvernementale des quotas préfectoraux et "ethniques", attend le 30 avril pour présenter un nombre important de régularisation à opposer à un nombre important de refus. Ainsi la règle arbitraire des quotas (50 % - 50 %) que le ministère de lIntérieur annonce périodiquement dans les journaux est la politique décidée par Jospin-Chevènement. [ ] Au fur et à mesure que lon se rapproche de l'échéance du 30 avril, le gouvernement après s'être engagé à réparer les injustices causées aux sans-papiers, se dénie en poursuivant une politique de fabrication de nouveaux sans-papiers avec lamendement 21 et tente dacheter à 4 500 F lexpulsion de ceux-ci. "
Les provocations gouvernementales se poursuivent. Le week-end du 29 mars, des passagers dun vol Air France s'étaient opposés à lexpulsion de seize sans-papiers, tandis que des manifestants dans laéroport protestaient contre ces expulsions de personnes menottées et scotchées, méthodes qui ne diffèrent en aucun point de celles employées par les illustres prédécesseurs de Chevènement. Mais ce dernier a innové dans la démagogie, le caporalisme et la répression. Tous les manifestants, passagers compris, furent arrêtés dans le cadre du plan Vigipirate pour trouble à lordre public. Chevènement, dans une superbe envolée pasquaïenne fustigea alors ces " fauteurs de troubles " à " lincivisme fondamental ", dénonçant " une organisation trotskiste dorigine britannique " et " un certain nombre de passagers qui se sont interposés et qui ont empêché le décollage de lappareil ". Et le sinistre Fouquier-Tinville dannoncer quil va, grâce aux accords de Schengen, faire interdire de séjour en France les opposants aux expulsions ! Une telle provocation aurait dû entraîner une levée de bouclier à gauche : pourquoi ce qui était digne, humain et responsable contre les méthodes Pasqua et Debré - la désobéissance civile - serait-il aujourd'hui selon Chevènement une contribution " à bafouer les lois, à la perte des repères dont la République à besoin pour faire front contre lextrême droite " ? Au moment même où un Papon se faisait condamner par la " justice de la République " pour avoir appliqué sans sourciller des ordres et des lois scélérates !
Certes, les réactions commencent à se multiplier : syndicalistes des aéroports, cinéastes relançant une troisième pétition, syndicats, associations sur les aéroports. La contestation sest à nouveau levée au sujet de la nouvelle mouture de larticle 21 de lordonnance de 1945 dans la loi Chevènement qui renforce le délit de solidarité en se proposant de faire dresser une liste dassociations " à but humanitaire " autorisées par le ministère de lIntérieur, à lexclusion de toute autre personne ou mouvement, à aider les sans-papiers (et nous espérons bien ne jamais faire partie dune liste aussi infamante !).
Il y a de quoi être à bout de patience : voilà un gouvernement et en particulier un ministre qui depuis des mois multiplie les provocations démagogiques, bras grands ouvert aux idées dexclusion, renforçant le racisme institutionnel et législatif, multipliant les références à la nation quil faudrait défendre, jouant en permanence sur les amalgames entre chômage et immigration (voir certaines déclarations de Chevènement concernant le trou de la sécu que creuserait une régularisation massive ). Tous ces gens qui se réclament de la gauche plurielle ou de la " gauche de la gauche ", ces politiques qui participent au gouvernement ou à la majorité auraient dû se lever avec un seul mot dordre : " Chevènement démission ! " Et quen est-il ? Des paroles, des cris dindignation, quelques actes de résistance contredits par la volonté indéboulonnable de conserver quelque strapontin ministériel ou parlementaire ! " Nous ne quitterons jamais le gouvernement " (Alain Bocquet, député du Nord, leader du groupe communiste à lAssemblée) ; " Un ministre [Voynet ], ça louvre mais ça reste " (Noël Mamère, député Vert) Minable.
Et après ? Le 30 avril est un cap, mais ce nest quun cap. Cette tension qui monte chez les sans-papiers va se poursuivre. Dautres collectifs vont sans doute débuter de nouvelles occupations (1). Le 30 avril, la coordination nationale des sans-papiers appelle à des manifestations dans toute la France pour " lenterrement de la circulaire Chevènement " de sinistre mémoire. Suivra le Premier mai, où lon espère sans-papiers, chômeurs et salariés se retrouveront. Le 16 mai est la date fixée dune manifestation nationale des sans-papiers à Paris qui doit être la plus massive possible. Le boulet de Chevènement et Jospin quest la permanence de sans-papiers organisés, de chômeurs et de mouvements qui les soutiennent nest pas prêt de disparaître ! Il leur aurait pourtant été si simple de régulariser
(1) Occupation d'églises appartenant à l'Église pour les premières dentre elles, pour des raisons de sécurité des personnes, raisons sans doute compréhensibles au regard de la répression féroce exercée par Chevènement (115 arrestations lors dactions à Paris il y a trois semaines )