Mercredi 8 avril, les députés ont définitivement adopté la loi Chevènement. Intervenant après le grand recul de la loi Pasqua, les quelques avancées quelle contient sont très relatives. Citons quelques exemples : de nouveaux titres de séjour spécifiques pourront être délivrés aux scientifiques et aux grands malades, les consulats devront motiver les refus de visa pour certaines catégories d'étrangers, une " attestation daccueil " se substitue au certificat d'hébergement.
La grande presse sest largement étendue sur toutes ces " innovations ". Seule lune dentre elles est passée totalement inaperçue : le minimum vieillesse et lallocation aux adultes handicapés (A.A.H.) seront dorénavant étendus aux étrangers en situation régulière. Vous avez bien lu. Le Front national na jamais été au pouvoir mais l'État français appliquait en toute impunité la préférence nationale sur le dos de dizaine de milliers dimmigrés. Le constat quune telle entorse aux " principes républicains " ait pu ainsi perdurer pendant des années, sous des gouvernements de
Réaffirmant la légitimité du contrôle des flux migratoires, la loi Chevènement ne remet pas en cause la logique de la législation antérieure. Pour améliorer lefficacité de la machine à expulser, elle allonge même la durée maximum de la rétention administrative qui passe de dix à douze jours. Sur le fond, cest bien la pérennisation de cette logique qui pose problème.
En France, depuis plus de vingt ans, la " maîtrise des flux migratoires " est devenue lobsession de tous les gouvernements. Tout dabord, les contrôles aux frontières ont été renforcé en multipliant les conditions nécessaires à lentrée sur le territoire. Les visas ont été rétablis, instruction étant donné aux consulats de ne les délivrer quavec parcimonie. Dans ce domaine, la règle est la suivante : plus une personne a de raisons de se rendre en France, moins il est conseillé de lui délivrer un visa. La première liberté à laquelle la fermeture des frontières porte atteinte, cest la liberté de circulation.
Parallèlement, pour traquer les étrangers indésirables, l'État a multiplié les contrôles didentité massifs tout en érigeant le séjour irrégulier en délit passible de sanctions toujours plus lourdes. Lobsession du verrouillage sest accompagnée de lobsession de la fraude. Tout immigré est ainsi soupçonné d'être un faux étudiant, un faux réfugié, un faux touriste ou un conjoint de complaisance.
Sous couvert de lutte contre limmigration clandestine, les gouvernements successifs ont progressivement mis en place un système de fichage et de contrôle social, un système répressif et policier dont nous subissons tous les conséquences liberticides.
A gauche, laction et les propos du ministre de lintérieur ne font pas consensus mais la contestation, fragile et trop politicienne, nengage pas le débat sur les racines du problème : la nécessaire remise en cause du principe de " maîtrise des flux migratoires ", xénophobe dans ses conséquences pratiques et de toute façon inapplicable.
Les Verts sagitent aujourd'hui mais rappelons-leur que Voynet déclarait, en septembre dernier, pour justifier la non-abrogation des lois Pasqua-Debré, que l'" on ne fait pas de la politique avec des mots ".
Pendant que Braouezec, député-maire de Saint-Denis, sengage aux côtés des sans-papiers, dautres députés communistes préfèrent aujourd'hui se taire. Ils étaient plus loquaces il y a quelques mois. En octobre 1997, Patrice Carvalho, député P.C.F. de lOise, sinterrogeait alors en ces termes : " Comment peut-on accepter des étrangers qui vivent comme des sectes, alors que les sectes sont interdites en France ? Des Roumains en caravane qui viennent pour recevoir le R.M.I., ce nest pas logique. "
Au-delà même de ses scores électoraux, la victoire politique fondamentale qua remporté le Front national est davoir réussi à rendre légitime un débat public centré sur l'équation : " immigrés = menace pour lidentité nationale ". Affronter Le Pen sur son terrain, celui du nationalisme, signifie accepter sa problématique.
Cest pourtant ce que prétend faire Chevènement, enfermé dans sa logique, un drapeau à la place du cerveau. Volontiers donneur de leçon, il évoque " la bête qui prospère lorsque les forces du progrès laissent en jachère lidée de nation ".
Sur ce terrain glissant, son vieux complice Max Gallo sest aventuré sans retenue. Allant jusqu'à affirmer que, par-delà les clivages politiques et sociaux, seule lentité " nation française " importe réellement. Ainsi, il en vient à déclarer : " Jassume Thiers, Céline et Brasillach " (1). Défendre le boucher de la Commune de Paris et deux écrivains antisémites, serait-ce la perspective antifasciste que nous propose Chevènement ?
(1) Le Monde, 15/02/97