Larticle paru dans le Monde libertaire n°1107 et intitulé " Le XXIe siècle sera transgénique ", à coté d'éléments et de réflexions très intéressants, contient un certain nombre dapproximations scientifiques. Lauteur, cherchant fort justement à exposer les enjeux de la recherche en biotechnologie, tombe dans la paranoïa technophobique Pour continuer le débat qui est maintenant lancé, il nous semble intéressant de corriger certains points par trop erronés, et den préciser dautres.
Dabord, quest ce que le génie génétique ? Si lauteur le définit correctement comme étant " lensemble des techniques permettant lisolation de gènes, leur étude, puis leur copie et/ou leur transfert depuis leur organisme dorigine dans un autre ", il se plante complètement en le disant " fondé sur la recombinaison génétique ". La recombinaison génétique, cest-à-dire le brassage d'éléments génétiques originaires de génomes différents, est une activité à laquelle se livre tous les organismes vivants depuis lapparition de la reproduction sexuée. Le clonage, un des sujets clés de larticle, est un exemple parfait de génie génétique sans aucune recombinaison, puisque par définition il sagit de reproduire un organisme en tout point conforme à loriginal.
Même si lauteur se défend de faire du " catastrophisme par principe ", sa vision des Organismes génétiquement modifiés (O.G.M.) est plus que pessimiste : " aucun A.D.N., humain ou non, nest désormais à labri dune intrusion transgénique, volontaire ou non ", " la question de la nourriture pour tous seraient réglées. Flore et faune résisteraient à la pollution, on serait nécessairement toujours en bonne santé : bref, demain on rase gratis " Or rien de ce quil annonce comme nouveau ne lest réellement. Les rétrovirus, dont le H.I.V., modifient notre code génétique depuis quils existent. Et le capitalisme na pas attendu les O.G.M. pour croiser des organismes afin de produire des variétés plus résistantes, plus rentables. Le génie génétique est plutôt la rationalisation de ces processus de croisement successive. En effet, au lieu de mélanger empiriquement deux tas de gênes pour essayer dobtenir un mélange avantageux, on se contente dinjecter uniquement les gênes porteurs de ces avantages. Il est sûr quentre croiser deux vaches, et injecter un gêne bactérien à du colza, il semble y avoir un fossé. Mais si les végétaux supérieurs sont capables de photosynthèse, cest parce quils ont " absorbé " des bactéries entières, génome y compris, dans leur cellules. Ce nest pas le capitalisme, cest la sélection naturelle qui en est responsable. Le " bidouillage " génétique ne date donc pas d'hier.
Lattaque contre un projet de recherche comme Bactocéan, dont lauteur doute de lutilité au vu de lintitulé (étude complète biochimique et génétique des bactéries océaniques) nous laisse par ailleurs perplexe. Le propre de la recherche fondamentale, cest justement de ne pas avoir un objectif utilitariste, au sens de rentable économiquement, mais de viser à lamélioration des connaissances générales, indispensables au progrès humain, plus quau portefeuille des actionnaires. Cest donc bien une recherche qui ne peut être que du ressort dun service public de recherche, donc financé par largent public. Le discours de lauteur ressemble beaucoup au discours libéral ambiant : le C.N.R.S. ne produit pas de brevets ? Il ny a que le fermer !
Enfin, retenir de notre précédent article " Faut-il avoir peur du clonage ? " (1) que nous approuvions le clonage parce que l'église sy oppose, cest pour le moins rapide
La recherche à seule fin daugmenter les rendements nest pas forcément du seul fait du capitalisme cherchant à multiplier ses gains. Lamélioration de la production peut être aussi un progrès social à condition d'être maître de cette production ! Les anarchistes espagnols avaient eux aussi fondé un laboratoire dagronomie pendant la révolution. Auraient-ils refusé les O.G.M. si le génie génétique avait été mis à leur disposition ? Vu le prestige de la science parmi eux à l'époque [voir par exemple les passages pro-eugéniste de la motion sur le communisme libertaire du congrès confédéral de 1936 (2), on peut en douter Dans le cas des plantes transgéniques, cest précisément la conception capitaliste et productiviste de lagriculture qui est à mettre en cause. Si toutes les précautions étaient prises, ce qui nest vraiment pas le cas aujourd'hui, quel mal y aurait-il à produire des plantes résistantes au gel ou à la sécheresse ? Le problème cest que ce sont des maïs résistants aux pesticides qui sont mis sur le marché. On voit ça dici : " Cramons ce champ, nayons pas peur de la surdose, nos semences sont résistantes ! " Et en avant pour le surépandage de produits toxiques, qui se retrouverons dans notre assiette Pour aller plus loin, le véritable Technofascisme est, à notre sens, l'édification de barrières techno-économiques qui empêchent laccès de la plus grande partie de l'humanité à un progrès technique. Nous dénoncions, dans notre article précédent, le fait que les recherches actuelles pointent vers la mise au point danimaux surproducteurs stériles. Ceci conduirait tous les éleveurs à être dépendants des laboratoires hi-tech pour la reproduction de leur cheptel. Inutile de sortir de lE.N.A. pour imaginer l'évolution des cours mondiaux de la viande si les seuls producteurs occidentaux voyaient doubler leurs rendements.
La contraception hormonale est applaudie comme un progrès social, un pas vers l'émancipation des femmes. Pourtant, il sagit bien de modifier son métabolisme à partir d'hormones de synthèse, ce qui est encore plus artificiel que de faire produire naturellement à un organisme des protéines à partir dun gêne " étranger " Là aussi, il y a (moins aujourd'hui) des effets secondaires sur la santé. Et lusage qui est fait de la contraception et de lavortement en Chine ne sont pas forcément des progrès sociaux Pourquoi le clonage, issu également du même domaine de recherche, celui de la biologie du développement, serait-il une horreur absolue ? Les applications-fantasmes de celui-ci relèvent encore de la science-fiction : cloner un être humain revient à fabriquer une cellule initiale identique à une de son modèle, ce qui ne dispense pas dune gestation de neuf mois, et du développement normal de lorganisme Larmée de clones nest pas encore au programme [tiens! au fait, que Dolly soit vraiment un clone est toujours sujet à controverse (3). Il nest dailleurs pas dit quun clone ressemble comme un jumeau à son " original ". En effet, deux vrais jumeaux (monozygotes) partagent non seulement le même patrimoine génétique, mais aussi la même histoire embryonnaire (par définition identique). Linfluence du milieu sur lexpression des gènes imposerait de reproduire exactement les conditions de gestation de " loriginal " pour obtenir un clone lui ressemblant.
Notre propos nest pas ici, et ne l'était pas non plus dans notre article précédent, de chanter les louanges du clonage, du génie génétique, des biotechnologies ou encore de la recherche technologique en général. Simplement de les remettre à leur place, alors que larticle de Sensor les présentait comme lapocalypse millénariste. Un poulet génétiquement modifié est-il tellement pire quun poulet gonflé aux hormones de croissance de synthèse ? Les O.G.M. contaminent leur environnement, cest vrai, car on ne maîtrise pas encore correctement les phénomènes de dispersion génétique. Comme on ne réalisait pas les risques encourus en utilisant des variétés hybrides plus productives mais toutes identiques lorsquune pathologie les affecte. Les apprentis-sorciers ne datent pas d'hier, et surtout pas du génie génétique, et ils existeront tant que le capitalisme et les profits financiers dirigeront la planète. Que les laboratoires de lU.S. Army fassent effectivement joujou avec le virus de la grippe espagnole, à partir de cadavres datant des années 20 nempêche pas que dautres tentent de mettre au point un vaccin contre le virus Ebola, à côté duquel le H.I.V. fait figure de blague de potache. Ce ne sont pas les biotechnologies quil faut mettre en cause, cest lU.S. Army (et les autres, bien entendu).
Notre propos nest pas non plus de daffirmer que la science serait neutre, et que seules ses applications seraient mauvaises ou bonnes. Dune part, lattrait du bizarre a toujours fasciné beaucoup de scientifiques : J. Testard, raconte quaussitôt mise au point la fécondation in vitro, il fut atterré de voir le nombre de propositions de recherche visant à réaliser une grossesse chez un homme (4) ! Et dautre part, la recherche rapporte de largent, beaucoup dargent, et les biotechnologies en particulier, parce que derrière il y a le contrôle des marchés de lagriculture, de l'élevage, de la santé, et aussi celui de larmement.
Mais vouloir faire un tri aussi grossier entre disciplines scientifiques " utiles " et disciplines scientifiques " nuisibles", cest un peu simpliste. Pour notre part, nous avons tenté de faire le tri entre dune part les problèmes réels, en terme d'écologie, de santé publique et d'économie, et dautre part les fantasmes liés à lirruption du génie biologique dans notre quotidien. Nous pensons que le rationalisme et le recours à démarche scientifique pour appréhender le monde sont à la base de toute pensée progressiste (a fortiori de toute pensée libertaire). Que le capitalisme détourne à son profit les avancées scientifiques (toutes les avancées intellectuelles en fait) ne doit pas nous conduire à poser un regard irrationnel sur le monde, sous peine de fournir un soutient involontaire aux tenants de lobscurantisme et de la pensée magique. Nattaquons pas le curé avec les arguments du vicaire ! Il est vrai qu'étant tous deux des acteurs de la recherche scientifique, il est possible que cela nous conduise à des positions par trop " scientistes ". Mais nous avons vu trop souvent des scientifiques, ou prétendus tels (souvenons-nous de la catastrophe de Tchernobyl !), sengouffrer dans les failles du discours de leurs détracteurs pour décrédibiliser lensemble de leurs objections. Nous soupçonnons même certains dentre eux dentretenir des ambiguïtés propices aux fantasmes afin de mieux dissimuler les dangers réels des produits de leur activité. Ne faisons pas comme le " toro bravo " dans larène, dédaignons le chiffon rouge et chargeons directement le toréador !
(1) Le Monde libertaire n°1079, 10 avril 1997
(2) Communisme libertaire, éditions C.N.T. Région parisienne
(3) La Recherche, mars 1998, " Dolly, clone de qui ? "
(4) J. Testard, L'uf transparent