Depuis le temps quon lattendait Les différentes équipes nationales sont arrivées, il y a quelques jours, chacune avec leurs lots de scandales. Bien évidemment les médias jouent leur rôle de filtrage, de désinformation afin de ne pas gâcher le plus grand spectacle mondial de cette fin de siècle.
Parmi ces scandales, le plus choquant nous vient des États islamiques. L'équipe dIran, au cours de sa phase de préparation en Bretagne, a réussi à imposer la loi coranique dans plusieurs lieux qui les accueillaient. Dans les hôtels, ce sont des hommes qui doivent servir à table, les femmes quant à elles sont en cuisine ou dans les chambres ! À Pornic (50 km de Nantes) les habitants apprécient de moins en moins la venue de l'équipe des États-Unis et de ses services secrets. Pendant quatre jours (du 21 au 25 juin), on annonce quune ou deux plages seront interdites au public. Les habitants seront munis de laissez-passer avec pour certaines rues avant et après le passage de l'équipe des inaccessibilités. Quant au staff technique, il lui a semblé que le terrain était trop petit de 20 cm, les travaux ont été réalisés au frais des contribuables ! LAngleterre pour la détente de ses joueurs a, quant à elle, réclamé la construction dune piscine privée au coût de 700 millions de francs Les footballeurs arrivent comme des rois en " pays " conquis. Cette conquête du capitalisme footballistique mondial saccompagne très logiquement dun redéploiement des forces de lordre, beaucoup plus sensibles dans les villes daccueils. Depuis deux à trois semaines les militaires ont pris pied dans les gares et expulsent les quelques SDF qui gâchent le paysage. Au-delà dune revigorification du plan Vigipirate, cest aussi des services tels que le R.A.I.D., le G.I.G.N. qui vont être mobilisés. Dans chaque département accueillant la coupe du monde, un juge est nommé afin dintervenir par comparution directe en cas dincidents. Même le maire de Lens dénonce ce phénomène : " Nous ne ferons pas la fête dans une ville en état de siège. " (1) Des cellules de détention existent aux abords de tous les stades. Le message dans la presse est clair : limage de la France est en jeu ! On craint le hooliganisme alors que celui-ci ne fait quexprimer le dilemme, la contradiction qui existe entre des groupes sociaux en bas de l'échelle sociale et condamnés à y rester et la culture sportive qui exalte le succès. La dramatisation, la théâtralisation du match de football fonctionne souvent sur le symbolique (" À mort larbitre " ) mais peut passer à tout moment à lacte
À côté de cette forme de militarisation, les médias quasiment dans leur intégralité, maintiennent une véritable chape de plomb. À peine quelques syndicats, très (et trop) catégoriellement, menacent dune intervention pendant la coupe que cest un tollé général dans la presse qui crie avec tous les libéraux au scandale. On ne peut pas nuire à cet événement : du P.C.F. qui publie un numéro spécial de l'Humanité dinformations sur la coupe au F.N. qui a toujours soutenu lidéologie réactionnaire et inégalitaire du sport de compétition.
À travers cette coupe, les capitalistes savent très bien où ils vont. Dans un premier temps la commercialisation de ce spectacle à l'échelle de la planète répond à deux objectifs :
Les chiffres parlent deux-mêmes. La F.I.F.A. pèse 1200 milliards et lobjectif, dans les huit années à venir, est de triplé ce chiffre daffaire. Mais les chiffres les plus gros nous viennent du privé. Le sport, par exemple, explique en partie la réussite dune multinationale comme Coca-Cola : cette marque est plus connue en France que Chirac lui-même. Cet événement est donc une aubaine. Les chambres de commerces sont sur le pied de guerre : " Cest une opportunité extraordinaire et les responsables sportifs cherchent donc à organiser la concurrence, à structurer la compétition pour créer le maximum dincertitude afin que les spectateurs soient toujours aussi nombreux et aussi présents dans les stades " (2).
Dans un contexte de luttes (chômeurs, sans papiers ) on peut comprendre la faiblesse des réaction contre la coupe, même si on le regrette. Quelques associations se sont crées (COBOF, la coupe est pleine ) sans représenter une force suffisante pour imposer un réel débat. Mais malgré la " pensée unique " qui règne sur la coupe, les organisateurs du CFO (Comité français dorganisation) sont inquiets. Guy Drut, ancien ministre de la Jeunesse et des Sports, exprime cette inquiétude : " [ ] La vente des billets est un succès, mais il ny a pas cette fierté daccueillir des étrangers et de leur montrer notre pays, que lon serait en droit dattendre. " (3) Linquiétude saccentue quand on envisage une défaite rapide de l'équipe de France : limage populaire du football français face aux caméras du monde risque d'être ternie. La mobilisation générale autour du slogan " Bienvenue au monde " décrétée autant par Chirac que par Jospin risque de devenir un pétard mouillé par rapports aux ambitions énoncées.
Néanmoins nous devons profiter de cette manifestation pour avancer quelques axes critiques :
Au-delà de ces trois axes fondamentaux que nous devons mettre en avant pendant un mois, nous ne pouvons éviter daborder la collusion étroite qui existe entre le sport de compétition et lidéologie libérale et réactionnaire. Le Pen par ces propos illustre ce lien : " Notre monde égalitaire naime pas la philosophie même du sport, cest l'émulation, cest le classement, cest la hiérarchie du résultat, cest la volonté de vaincre " (4). Quel que soit le plaisir que lon peut prendre en regardant ou en participant à un sport de compétition, on doit reconnaître que le sport nest pas neutre politiquement. Il faut se distancier de lattache sentimentale que lon peut avoir pour regarder de plus près ce qui se trame dans le sport. Ce regard peut être facilité si lon aborde le sujet par l'histoire. Or le premier constat que lon fait, cest la jeunesse du sport de compétition qui avant le développement du capitalisme existe à peine. Avant le XIXe siècle le sport a une fonction principalement militaire ou relève du pari. Au cours du XVIIe siècle, on parie sur des chevaux, on parie sur des courses à pied. Naissent les fondements du sport moderne : records, mesure et compétition. Laristocratie voit dans cette pratique sportive une possibilité de sauver sa morale et sa vision du monde : " Le sport produit une élite plus ouverte avec des valeurs hiérarchiques proches de laristocratie " (Pierre Coubertin). Le sport a une vocation éducative : enseigner la discipline, les valeurs de leffort, de la souffrance Mais le sport moderne (de spectacle et de compétition) se développe réellement avec la société industrielle et capitaliste. Le football apparaît en France en 1897, en Allemagne en 1900, en Suède en 1904, en Angleterre en 1863 Le début du XXe siècle va connaître un affrontement entre les aristocrates, les partisans dune morale sportive et les capitalistes défendant un sport spectacle. Les premiers présents dans lolympisme défendent la pureté de lacte sportif : " Le spectateur est devenue une plaie, il abaisse le niveau moral du sport man " (5). Les capitalistes voient dans la construction du sport spectacle deux intérêts :
Ce nest pas un hasard si les groupes industriels ont construit de nombreux stades au côté des usines en recrutant dans un premier temps des joueurs ouvriers : de Liverpool à Manchester à la fin du XIXe siècle, de Peugeot à Sochaux, des Houillères à Lens, du textile à Lille dans la première moitié du XXe siècle. Si le patronat investit toujours dans ce domaine, cest par rapport à limage que le sport de compétition véhicule : lesprit dentreprise. Grâce en partie au sport, lentreprise et sa direction reflète lemblème de la réussite, de lefficacité, de lenvie de vaincre. Car le sport véhicule dans son système et son fonctionnement les valeurs de lidéologie libérale : compétition, classement, rendement, le corps au service du groupe et de la productivité Et à loccasion de cette coupe du monde, nous ne pouvons pas éviter cette critique. Comme le titre la brochure " Ras la coupe ! " (6) : " Le sport est essentiellement anti-égalitaire, le sport est hiérarchie, sélection, discipline et aristocratie. " Le sport reflète de par son mode de fonctionnement le productivisme : on utilise le corps, on le presse, voire on le dope, et une fois utilisée on le jette !
(1) Télérama du 27/05/1998
(2) Manière de voir, n°39
(3) Idem
(4) LEquipe du 15/02/1986
(5) Revue Olympique du CIO (Comité International Olympique)
(6) groupe FA de Nantes, Ras la coupe ! Ed du Monde libertarie, 20 F