Qui dit coordination suppose lajustement du particulier et du collectif, chacun ayant une place bien définie et acceptée par tous ceux qui adhèrent à lorganisation.
Maurice Joyeux
Ce texte a paru pour la première fois en 1979, dans le numéro 27 de la revue La Rue, aujourd'hui défunte et publiée naguère par le groupe Louise-Michel de la Fédération anarchiste, dont lauteur fut précisément lun des piliers. Il nous est proposé cette fois sous forme de brochure dans la collection éditée par le groupe Maurice-Joyeux (1).
La question de lorganisation demeure, dans le mouvement anarchiste français en particulier, un problème quasi permanent qui na cessé de le ronger de lintérieur, de décourager nombre de bonnes volontés lassées par des conflits continuels, dempoisonner quelques uns de ses congrès, lempêchant bien souvent de se livrer à une analyse sérieuse et approfondie de la société dans laquelle il sinscrit et de réfléchir plus avant aux moyens à mettre en uvre, à partir de principes intangibles, pour la transformer radicalement et de manière durable.
Maurice Joyeux se penche donc ici à son tour sur la question. Après avoir demblée réglé son compte à un anarchisme éthéré, qui amène ses partisans à se placer en dehors de la communauté, avec pour idéal datteindre à une sorte de " perfection humaine à partir de la béatitude ", rejoignant en cela les mystiques sans Église, lauteur avance deux raisons primordiales, en les développant, qui empêchent selon lui lanarchisme d'être crédible. La première dentre elles lamène à une réflexion pleine de bon sens sur cet " homme moyen ", " pivot de routes les révolutions ", plutôt enclin à reculer devant toute proposition de bouleversement profond mais quil faut pourtant convaincre de la justesse et de la validité des propositions constructives de la philosophie libertaire.
La seconde raison, le comportement des anarchistes eux-mêmes, porte Maurice Joyeux à dénoncer de manière vigoureuse ce quil appelle le paroxysme. Dans ce chapitre, il sen prend avec virulence à cette frange de lindividualisme anarchiste perdue dans des " rêveries humanitaires " et essentiellement préoccupée de " sentiments nobles " noyés dans une " métaphysique vaseuse ". Sa plume ne connaît ici aucune pitié et son humour se fait des plus ravageurs. Bien sûr, le propos est daté et perd aujourd'hui un peu de sa pertinence, car les personnages évoqués ont depuis longtemps disparu de la scène et, au-delà deux-mêmes, la présence de cette tendance en tant que telle nest guère plus en vérité quun souvenir. On peut aussi penser quil y a comme une sorte dinjustice à épingler si durement les travers dun courant particulier sans évoquer ceux des autres, dont les conséquences seront elles aussi parfois dune extrême gravité. Maurice Joyeux le fera dans un autre écrit sur lequel nous reviendrons prochainement.
Outre cet humanisme ronronnant, lexaltation de la violence gratuite et de lexhibitionnisme provocateur passe également et fort heureusement à la moulinette. Sur ce sujet, observé avec acuité et une salutaire absence de démagogie envers le " jeunessisme " qui excuse tout, on se rangera sans déplaisir à lavis de lauteur lorsquil note : " Il existe chez le rebelle, le pirate, linsoumis, len-dehors aurait dit Armand, une sombre complaisance de sa condition en marge, une volupté et se mirer dans limage quon donne de lui. un orgueil morbide à être rejeté par tous ! "
Après un bref rappel historique lié aux difficultés rencontrées par le mouvement anarchiste français face à la question de lorganisation, Maurice Joyeux en vient au sujet lui-même. Et lui qui fut un partisan déclaré non seulement de sa nécessité mais aussi de labsolu besoin dun minimum structure et qui règle ici ses comptes avec ses adversaires résolus, principalement individualistes, ne sombre toutefois pas dans le délire sectaire des adeptes des structures bétonnées, invariablement présentées par eux comme le remède miracle à tous les maux de linefficacité militante. Lucide, il renvoie dos à dos " individualistes " et " communistes ", toujours prompts à répéter les mêmes éternels conflits. Il s'écarte à la fois des tenants dune " synthèse " accueillante, certes, mais propice aux compromis qui font les " justes milieux " stériles et sans caractère, et des disciples dune " plate-forme " rigoriste cherchant à palier les échecs mais sombrant dans une discipline de caserne. Rejetant donc le faux débat entre mollesse et rigidité tactiques, Maurice Joyeux développe alors lidée centrale de son écrit, qui situe l'échec des organisations anarchistes dans leur " impossibilité [ ], et quelles que soient leurs structures, à établir des rapports convenables, normaux, entre elles et les militants ".
Le tableau quil dresse du mouvement libertaire au moment où est réédité ce texte portera peu à lenthousiasme si lon précise que les choses nont guère changé aujourd'hui. Pourtant, il convient de ne pas se voiler la face et daffirmer que la demande de Maurice Joyeux formulée alors, den finir avec lattitude suicidaire d'hommes et de femmes " incapables dassumer la liberté quils revendiquent " et confortant parmi la population cette idée désastreuse dune " impossibilité de sorganiser dans la liberté ", demeure en partie dactualité.
La réflexion de Maurice Joyeux nest pas seulement pertinente par le fait quelle se distingue de celles des habituels commentaires sur le sujet, mais surtout parce quelle invite à considérer la question non plus seulement à partir des seuls changements de statuts ou de structures, toujours inopérants, et aussi par une réflexion sur l'état desprit du militant et la nature de son engagement, " si on ne veut pas que les temps futurs parlent des anarchistes comme on parle des stoïciens ou des épicuriens, cest-à-dire des gens qui inventèrent une philosophie non pour transformer le monde, mais pour saider à le supporter ".
(1) Les anarchistes et lorganisation. Maurice Joyeux. Éditions du groupe Maurice-Joyeux. En vente à la librairie du Monde libertaire, 25 F