Cela se passe un 31 décembre. Pour beaucoup de monde, on prépare un réveillon entre amis et en famille. Alors que les festivités débutent, quelques dizaines de personnes siégeant à lAssemblée nationale ont voté un soir dans " lorgie " dun réveillon une loi dun triste non : la loi de 70. Loi connue de millions de personnes et qui en 28 ans a envoyé près de 1 000 000 personnes devant les tribunaux. La loi de 1970 est unique puisque, pour la première fois aussi explicitement dans la législation française, la loi se permet dentrer dans le domaine de la vie privée. L'État a très largement légiférer les relations entre individus afin de protéger les biens et le pouvoir face aux conflits, aux tensions engendrés par linégalité, la misère Mais la loi de 1970 entre de plain-pied dans le domaine privé en se permettant, non dapporter une aide à des personnes en besoin, mais de condamner une pratique strictement individuelle. Larticle L 628 affirme que " Seront punis dun emprisonnement de deux mois à un an tous ceux qui auront fait usage de lune des substances ou plantes classées comme stupéfiants ". Larticle L 630 quant à lui interdit à la presse, à des associations de présenter une quelconque substance illicite sous un jour favorable.
Cette politique répressive est efficace puisquen 1997, 75 000 usagers ont été interpellés dont 55 000 consommateurs de cannabis, trois procès auront été rudement menés contre le C.I.R.C. et Act-up.
Contrairement à une idée reçue, la prohibition ne détruit pas le commerce mais lentretient, le stimule. Linterdiction empêche tout contrôle des prix et légitime aux yeux des usagers une marge financière énorme. Selon les chiffres de la DEA (Service américain des drogues) de 1995, le marché de la drogue pèse des millions de dollars par jour. Alors que la drogue a été distribuée pendant des millénaires soit par échange soit par lintermédiaire dun capitalisme rudimentaire, linterdiction et le développement du capitalisme ont transformé ces échanges en un commerce juteux incontrôlable. Et les années de répression nont jamais réussi à rendre absent un produit du marché intérieur, à détruire ce fabuleux commerce. Non seulement la répression créer des marges supérieures à 90 %, mais les politiques répressives locales nont quasiment aucune conséquence sur la présence des produits. Prenons lexemple où la police décide daccentuer son contrôle sur une ville. Il existe pour les patrons de ce marché plusieurs solutions qui vont compenser financièrement les interpellations des vendeurs :
La répression si elle a donc des conséquences sur les usagers qui en font régulièrement les frais, est un stimulant pour ce marché organisé dans une structure pyramidale qui peut faire rêver le C.N.P.F. et les ultra-libéraux. Imaginez : vous embauchez des vendeurs au pourcentage sans aucun contrat, aucune sécurité de lemploi, que vous pouvez sacrifier sous prétexte de sécurité Mais la conséquence la plus néfaste de la prohibition est à chercher du côté sanitaire.
Linterdiction empêche tout contrôle sur la qualité de produits. À titre dexemple, lopération Tchernobyl du C.I.R.C. (1) en 1991 est intéressante. Après avoir récolté plusieurs barrettes de shit en France et les avoir fait analysé en laboratoire, on y a trouvé des produits encore plus dangereux : du cirage, du plomb et même du mercure !
De même A.S.U.D. (2) à plusieurs reprises a interpellé les usagers parce que l'héroïne vendue dans la rue contenait de la caféine, de la strychnine, de la procaïne très dommageable pour la santé. Dans cette même logique il faut bien comprendre que loverdose est une conséquence de limpossibilité de contrôler la qualité des produits et donc des concentrations.
De plus linterdiction enfonce les usagers dans la clandestinité et la marginalité. La situation des consommateurs d'héroïne est catastrophique. Pourchassés, désocialisés, les toxicomanes sont devenus dans les années 80 des cibles désignées de l'épidémie du sida à cause du partage des seringues. Et lautorisation de distribution des seringues est une mesure insuffisante, comme les programmes de substitution diffusée au compte-gouttes. La marginalisation est dautant plus dramatique que pour se fournir, les usagers ont des besoins financiers tels que lon force les gens à la " délinquance " : revendeurs, prostitution, braquages
Lexemple de la prohibition, au début du siècle, de lalcool aux États-Unis illustre bien cette réalité : 500 000 personnes poursuivies en justice, 30 000 morts, 100 000 aveugles pour cause dalcool frelaté. La répression, que lon constate, est toujours ciblée. Les gros bonnets ne sont que rarement réprimés et des milliards circulent en toute légitimité par lintermédiaire des banques, casinos Que lon ne nous fasse pas croire que des milliers de milliards de francs disparaissent tous les ans sans que lon sache où ils se trouvent ! Par contre dans lapplication de cette politique sécuritaire, on cible non pas les boites bourgeoises parisiennes où circulent la cocaïne mais les quartiers " chauds ".
La loi de 1970 au cours du temps sest intégré dans larsenal législatif permettant de mettre en place une politique sécuritaire, dans une politique de contrôle des populations les plus dangereuses (ouvriers, immigrés ). Comme le rappelle Alain Labrousse (3) " Le thème de la guerre à la drogue est avant utilisé comme un prétexte sécuritaire. " Si la répression fonctionne, ce nest pas tant pour protéger la société de maux imaginaires (si le toxicomane représente un danger, cest avant tout pour lui-même ) que pour affirmer les valeurs de la société et rassurer le " peuple " sur le fait que leurs gardiens font bien leur travail.
Comme on le voit, la politique prohibitionniste est un échec par rapport i ses objectifs officiels : elle na ni enrayé le marché ni la consommation. La prohibition a montré à la fois son inefficacité, son immoralité et son côté pervers devenant un instrument de pouvoir et de contrôle, un instrument de destruction sanitaire. Par cette analyse politique datant de plus de trente ans, le débat ouvre donc la voie de la légalisation. Et ne mettons pas en avant le faux débat dépénalisation ou légalisation. On ne demande pas aux législateurs de faire une nouvelle loi mais de supprimer la loi de 1970 suite à quoi on applique comme aux Pays-Bas une politique de tolérance. Aux Pays-Bas, le cannabis nest pas légalisé, il est seulement toléré, donc dépénalisé !
Néanmoins, il a semblé à plusieurs libertaires et sympathisants, particulièrement au sein du C.I.R.C., que lon devait poser la question de la légalisation afin de pouvoir dans ce débat dégager des pistes de revendications. Car même dans le mouvement antiprohibitionnistes, toutes les tendances existent.
Récemment, Madelin, par souci d'économie (la répression coûte cher à l'État) réclamait une légalisation de certains stupéfiants, et proposait une production et distribution libérale. Dautres, avec Callabero et le M.L.C. (4) proposent une légalisation contrôlée cest-à-dire un contrôle du marché, mais aussi des usagers (sous des prétextes sanitaires) par l'État. Libertaires, nous avons une position en partie critique vis-à-vis des drogues et favorable à une dépénalisation, mais pas sous nimporte quelle forme. au-delà de nos revendications, nous ne devons jamais oublier le risque inhérant (et inégal selon les produits) daliénation qui peut sexprimer dans la fuite permanente et la dépendance irréversible. Cette conséquence engendre trop souvent une atomisation de lindividu qui l'écarte de toute conscience critique et globale. Dans ce débat nous proposons deux axes de revendications : par rapport aux usagers et aux producteurs. Question importante à laquelle les libertaires, et le mouvement coopératif dans une moindre mesure, ont du trouver des éléments de réponse. Qui décide de la production ? Le producteur ou le consommateur ? La coopérative permet aux producteurs et consommateurs dune part de sessayer à lautogestion dautre part davoir un regard sur son usage et sa production. Malgré un environnement difficile (lautogestion dans le cadre capitaliste impose toujours des comportements contradictoires), ce type de fonctionnement permettrait de contrôler les prix et la qualité ! Ce type de fonctionnement serait le seul qui puisse se donner les moyens de ramener les drogues à autre chose quun commerce.
Nous ne pourrons nier que sociologiquement le besoin de produits psychotropes existe. Alors, autant les produire en maîtrisant leurs coûts et leurs qualités, les distribuer dans des lieux indépendants avec un accompagnement (prévention sur tous les stupéfiants y compris lalcool, le tabac, les neuroleptiques, médicaments ). Cette prévention serait efficace car elle ne serait pas moraliste, contrainte de justifier une loi irrationnelle. Elle serait objective et efficace dans la mesure où pourrait sy associer des usagers ou ex-usagers. Elle permettrait un suivi sanitaire (quitte à consommer autant le faire dans des conditions de santé maximum) Cette idée de coopération de production et de distribution a été particulièrement discutée au sein du C.I.R.C. dans la mesure où le cannabis relève dune caractéristique qui gênera en permanence l'État. Le cannabis a un pouvoir particulier à lopposé de toutes les autres drogues (tabac, alcool, cocaïne, héroïne) : elle est facile à auto-produire. Nous le savons bien, même en France des ouvrages circulent sous la manche sur lauto-production en appartements Et le C.I.R.C. en toute logique sest emparée de cette réalité pour parler dautoproduction, moyen de réellement maîtriser le coût et surtout la qualité.
Au-delà de ces revendications autour la coopérative des usagers, sur la nécessité dun contrôle des usagers sur ce quils consomment (dans le contexte géopolitique cest plus dur avec les producteurs pour des questions de liens ou de distances ) et vu le rapport de forces que nous pouvons mettre en place, tactiquement cest bien une dépénalisation quil faut défendre. La dépénalisation est une revendication minimum mais qui a au moins le mérite de répondre à une urgence :
(1) Collectif dinformations et de recherches cannabiques
(2) Auto Support des Usagers de Drogues
(3) membre de lInstitut Géopolitique des drogues
(4) Mouvement de Légalisation Contrôlée