Sommes-nous dans une mauvaise passe ? Est-ce seulement une série de coïncidences ? Ou bien sagit-il plutôt dune évolution durable, dune tendance lourde comme disent les spécialistes en communication ? Le Monde libertaire en est à son troisième procès en lespace de deux ans. De son côté Radio libertaire est aussi visée par lintermédiaire de la mise en examen de lanimatrice de lémission Ras-les-murs, elle aussi au prétexte de diffamation. Il est vrai quen loccurrence, cest lexercice de la Justice elle-même qui fut mis en cause par la lettre dun détenu lue à lantenne (1).
Il y a quelques semaines, un journal, « Le chat noir », feuille libertaire minuscule et confidentielle, fut, pour un prétexte dérisoire, condamnée à près de 27000 F damende (2). On se souvient aussi de ce livre de Gaudino qui valu à son éditeur une condamnation à payer 100 000 F par exemplaire vendu
Nicole, animatrice de lémission Ras-les-murs a lu à lantenne une lettre dénonçant de façon précise les conditions dexploitation des détenus dans les ateliers de la prison de Bois dArcy (78) : main duvre à très bon marché, salaires de misère sur lesquels sont prélevés des frais énormes dentretien des vêtements de travail, cadences infernales, etc. Cette lettre évoquait aussi les conditions dencadrement des ateliers, les pratiques plus ou moins honnêtes de certains personnels dencadrement et la complicité de responsables. Un surveillant était cité nommément. Celui-ci a donc déposé une plainte.
Quant à M. Pajon, maire de Noisy-le-Grand, il lui a déplu que lon ait pu écrire dans le Monde libertaire que : « La première apparition publique [du collectif noiséen de vigilance antifasciste] sera de recouvrir les inscriptions racistes qui souillent la ville et que le maire refuse de faire nettoyer par ses services. » Cela laissait supposer effectivement quil ne faisait pas son travail Il nétait en revanche pas dérangé par le fait que lon puisse écrire quil accorde un permis de construire à une église intégriste, secte fasciste, alors quil en refuse un à la secte des Témoins de Jehova. Il nétait pas davantage incommodé que lon fasse état de la censure quil exerçait dans le bulletin municipal.
Concernant le socialiste Michel Pajon, on sait quil a une conception très personnelle de la liberté dexpression. Ainsi, le bulletin municipal de Noisy-le-Grand comporte une page de tribunes libres, ouverte aux formations politiques de lopposition municipale. Dernièrement, en lieu et place du texte du R.P.R. : rien ; en revanche le F.N. navait pas quant à lui à subir la censure du maire. Pourtant son propos était tout simplement xénophobe. Le feuillet du R.P.R. était-il pire ?Les Noiséens le sauront-il un jour ?
Concernant le maton accusé dindélicatesse, le ministère de la Justice en prendra lui-même la défense. La Justice, qui sera donc à la fois juge et partie, va-t-elle se débouter ?
On a bien vu venir, il y a quelques années, la vogue du « politiquement correct » et ses conséquences judiciaires. Est-il politiquement correct de réclamer 130 000 F à un hebdomadaire militant, bien évidemment sans publicité, et qui a du mal à équilibrer ses comptes ? Non ! Mais les anarchistes ne sont pas « politiquement corrects ». Ils revendiquent lirrespect chaque fois quil est mérité ; ils revendiquent la caricature au nom de la liberté dinterpeller et de plaisanter et ils peuvent aussi revendiquer la mise au jour des petites magouilles politiciennes de droite ou de gauche dont la révélation est forcément diffamante, mais tellement salutaire.
Derrière le recours à la Justice au motif de diffamation, il ny a pas toujours une volonté de se défendre, mais il y a fréquemment une volonté de faire taire. Le moyen est simplement la réclamation dune amende démesurée, létranglement économique. Cela est bien sûr fort peu honorable pour qui en a linitiative.
La censure a une histoire maintenant fort ancienne, elle fait partie de lhistoire du pouvoir. Il y a pourtant des fluctuations au fil du temps. Si nous constatons aujourdhui un retour de lordre moral, ce nest pas seulement à lécoute de la propagande de certains politiciens ou religieux mais aussi au regard de la relative apathie face à lavancée de cette terreur intellectuelle et physique. La question des sans-papiers, la « politique de la famille », la non-réponse au problème du chômage sont autant dindices dun consensus gauche-droite au moment même où les passerelles entre les partis traditionnels et lextrême droite sont de plus en plus visibles.
À lheure où Bruno Mégret prend explicitement la défense dun meurtrier raciste ; à lheure où de plus en plus délus de la droite et du centre entrent dans la voie de la collaboration, la liberté dexpression doit faire lobjet dune défense active et solidaire de la part de tous ceux qui souhaitent un avenir meilleur que celui vers lequel beaucoups voudraient nous entraîner.
(1) Une présence nombreuse le mercredi 1er juillet à 14 heures au Tribunal de Versailles sera une expression tangible de solidarité. La solidarité financière est elle aussi nécessaire. Chèques à lordre de M. Boury, mention « Procès Radio libertaire » à envoyer à la librairie du Monde libertaire, 145, rue Amelot 75011 Paris
(2) Le Chat Noir, c/o EGREGORE, B.P. 1213, 51058 Reims cedex