Lundi 5 janvier 1998, Limoux, capitale de la blanquette, devient « Limoux la matraque ». En effet, comme cela a pu être relaté par les médias traditionnels, à lépoque où le mouvement les intéressait, les chômeurs et précaires en lutte étaient les premiers de France et de lannée à se faire évacuer à la matraque, des locaux de lA.S.S.E.D.I.C. par les hommes à Chevènement.
Lexistence et la pratique du Collectif des chômeurs et précaires limouxins sinscrit dans une longue tradition libertaire audoise.
Sans trop sétendre sur les événements du siècle dernier, il faut rappeler quen 1871, le drapeau rouge flotta sur lhôtel de ville de Narbonne. Barricades et insurrections ne furent pas lexclusivité parisienne. À noter que le porte-parole des insurgés de la « Comuna de Narbona », Émile Digeon était limouxin. Dautre part, Esperaza, petite ville ouvrière voisine de Limoux, comptait dans ses rangs militants des représentants à la première Internationale aux côtés de Marx et de Bakounine. Le Midi méritait bien son qualificatif de midi rouge.
1907 confirme la radicalisation du peuple de cette région dOccitanie. La crise viticole affame les languedociens. Le peuple demande du pain, on lui donne du plomb, lidée de sauto-gouverner ne tarde pas à samplifier. Mais une fois de plus, lÉtat eu raison du peuple comme dans le reste de la France.
La guerre 14-18 prélèvera une très grande quantité de chair à canon chez les hommes de la région, loin dêtre tous convaincus de la nécessité dune telle guerre. Linfluence du mouvement socialiste dans son ensemble était grande. Ceci expliquant les positions contradictoires des travailleurs face à la guerre. Il faut aussi savoir quà la fin du XIXe siècle, des vagues dimmigration successives influencèrent fortement lévolution de la lutte des classes en Occitanie. Ces réfugiés arrivaient de Catalogne, et étaient membres de la Fédération ouvrière régionale, cible de la répression monarchiste espagnole
1936, lEspagne est en révolution. 1939, les réfugiés affluent en grand nombre, parqués sans ménagement, bien au contraire, dans des camps de concentration, de ce côté-ci de la frontière. Une fois sortis de ces camps, les réfugiés restent sous contrôle policier. 1940, ces antifascistes venus dEspagne, dont un très fort pourcentage danarcho-syndicalistes participent au mouvement de libération de lEurope, rejoignant les rangs de la Résistance. Fin de la guerre, comme dans dautres départements du sud de la France, des militants de la C.N.T., du P.S.O.E., de lU.G.T. et du P.O.U.M. sont froidement liquidés par les tueurs de lUnion Nationale Espagnole (stalinienne). Tout cela en toute impunité, en territoire français (1)
Cela nempêche toutefois pas les libertaires de se regrouper dans lexil, et de créer de nombreuses unions locales de la Confédération Nationale du Travail dans lAude.
Années 1960, premières interventions des vignerons radicalisés contre les importations de vin étranger, à Cépie, juste à côté de Limoux, notamment. Dans la même période, un mouvement occitaniste commence à se structurer, de même quapparaissent les Comités dAction Viticole, où lon retrouve un peu toutes les sensibilités politiques Laction directe de ses groupes fait trembler lÉtat français.
Limoux néchappe pas au « printemps de 1968 », et en mai, la ville sagite sous la pression de la C.G.T., notamment de lE.D.F. ; de la C.F.D.T., qui pour les usines Myrys comptent des représentants libertaires. Pas moins de 3 groupes libertaires sont organisés sur la ville (12 000 habitants). De nombreux journaux anarchistes sont édités et diffusés sur le département. Linfluence des libertaires est grande, pour preuve, limportance du mouvement dinsoumission à larmée des années 1970 sur Limoux et ses environs. En parallèle, les vignerons continuent de lutter dur.
1976, les viticulteurs affrontent les forces de répression de lÉtat à Montredon, à côté de Narbonne. Un tué de part et dautre. Le mouvement de colère des vignerons connaît un fort soutien populaire. Une grande partie de la gauche, lextrême-gauche, le mouvement occitaniste et les libertaires soutiennent la lutte. Rappelons que dans la première partie du siècle, les vignerons sétaient groupés en coopératives, sous linfluence du mouvement socialiste de lépoque. Le vocabulaire reste le même, le contenu, non ! Les chômeurs et précaires nen doutent plus.
Dans les années 1980, un nouveau groupe apparaît, le Groupe communiste-anarchiste occitan qui intervient sur Limoux et ses environs. Proche des positions de lex-Fédération anarcho-communiste dOccitanie, le groupe entretient des relations avec le groupe Poble dOc, lui-même libertaire (2). De même quil soutient les premières grandes luttes de Myrys, le groupe (3) pratique laction directe contre le colonialisme, doù quil vienne. Le groupe disparaîtra avec le reste du mouvement occitan militant. Par contre, une présence de la C.N.T., mais aussi de la Fédération anarchiste, plus ou moins discrète suivant les époques reste constante. Ceci expliquant certainement la rapidité avec laquelle le Collectif des chômeurs de Limoux sest rendu efficace. La maladresse du pouvoir et de ses larbins nous y a bien aidé aussi.
Mi-décembre 1997, une petite poignée de précaires, plus ou moins militants, décide de se réunir et demande le prêt dune salle à une association subventionnée par le Conseil général de lAude (socialiste). Première erreur, chantage aux subventions pour leur interdire de nous laisser la salle. Nous le faisons savoir et nous nous réunissons ailleurs. Une trentaine de personnes pour un début. Des représentants de la C.G.T., dAC! et divers militants et non militants participent à la création du Collectif Action Justice Sociale de Limoux. A la majorité, nous décidons de rester autonomes mais toujours en excellente relation avec les travailleurs limouxins, notamment ceux de la C.G.T.-Myrys toujours en lutte face aux mesures de licenciement massives qui planent sur eux. De nombreuses actions se sont faites en commun avec eux, mais aussi avec la Confédération Paysanne, la C.N.T., la F.S.U., S.U.D. Dans un premier temps, nous intervenons à lA.N.P.E., à la C.A.F. et dans la rue. Interventions efficaces au cas par cas, puisque nous arrivons à rassembler rapidement 50 personnes, dans une ville qui maintenant compte moins de 10 000 habitants. Des actions de tous les jours sur Limoux et les environs.
5 janvier 1998, deuxième erreur du pouvoir, qui envoie la police pour nous sortir de lA.S.S.E.D.I.C., police qui, ce jour-là, menace les chiens de garde du Capital que sont les journalistes, tant de France 3 que de la presse locale. Ce qui nous valut les unes de ces mêmes médias. Ce qui nous aida bien pour la promotion de nos idées et de notre fonctionnement. Lorientation du Collectif devint à ce jour majoritairement anticapitaliste et anti-autoritaire. La présence de militants anarchistes ou anarcho-syndicalistes dans nos rangs restait appréciée, tant par leur discrétion que par leur efficacité. Par solidarité face à la répression, de nouveaux groupes de précaires se créent dans la région. Avec le concours des « Myrys », nous obtenons de la mairie un local et une ligne téléphonique indispensables pour plus defficacité. De notre côté, nous restons solidaires de la lutte des ouvriers de la chaussure. La C.N.T. aussi. Soutien quapprécient les travailleurs, un peu moins les traditionnels anti-organisationnels qui parasitent régulièrement les mouvements anticapitalistes et constructifs. La volonté davancer fut déterminante, ce qui nous permit dapparaître à la manif du 1er Mai aux côtés des copains de la F.A, de la C.N.T. et des sympathisants. Nous formions à nous tous un tiers (noir et rouge) de cette manif qui se déroulait à Carcassonne et qui avait retrouvé enfin une atmosphère de combat. Les actions continent tous les jours et le mouvement se fédère plus clairement. Le 7 juin encore, à lappel des copains de Perpignan, nous déboulions pour lutter contre une tentative dexpulsion. Forte présence cénétiste appréciée par tous, de même que la présence des copains de la F.A.
Les média nous boycottent, cest logique, mais nous sommes toujours plus forts et continuerons de nous battre jusquau bout.
(1) 1944, les dossiers noirs dune certaine résistance (Infos et analyses libertaires
(2) Schéma pour une révolution occitane (Poble dOc)
(3) Myrys, usine occupée (Ateliers du Gué, Terre dAude)