Fils de pub

Les dernières pubs Kookai, qui s'étalent en grand forrnat sur les murs ou qui sautent à la tronche dans tous les magazines " branchés ", représentent :

  1. un gros plan d’une bouche de femme, ouverte, avec un ptit bonhomme traversant la langue, style " Gulliver au pays des percings "
  2. un gros plan sur un corps féminin, avec cuisses entrouvertes, photo centré sur le maillot : cette-fois-ci le bonhomme-morpion, armé d’une tondeuse à sa tallle, épile la " bande-maillot "
  3. encore un corps tronqué, où la chute des nains voit surfer le même parasite…

Format, couleurs et cadrages, sont assez agressifs pour que les automobilistes s’arrêtent au milieu d’un rond-point pour mieux mater ce qu’ils n’ont fait qu’aperçevoir.

J’espère que les créateurs-trices ont été chaleureusement felicités pour la force de l’impact visuel, car l’opération marketing semble parfaitement réussie : on en cause…

L’agressivité, c’est " the " qualité d’une pub branchée… Quant à l’originalité, y’a du boulot.

Les corps, découpés, de femmes déshabillées, aux sexes, aux bouches… implicitement offerts, ça vous rappelle rien ? Vous savez les magazines colorés tout en haut du rayon, et les jolies affiches où les femmes sont souvent à genoux, ou à quatre pattes, quelquefois aussi elles sont menottées ou baillonnées… vous savez le genre : 36 15 Mon cul est vendre ? Pornographie, voilà, c’est le mot que je cherchais.

Je fais un blocage sur ce mot-là ; parce qu'à chaque fois qu’une femme veut l’employer, il y a au moins un type, habituellement gentil garçon bien élevé, qui se met à beugler : puritaine ! D’autres, pédagogues, essaient de lui expliquer les nouvelles tendances de la photo artistique… Quand on n’a pas droit à un couplet sur la liberté d’expression, on s’estime heureuse.

La pornographie, distingué(e)s lecteurs et lectrices, nous prouve par sa racine grecque " pornê " sa proche parenté avec le mot prostitution… Aujourd'hui que l’ordre capitaliste s'épanouit dans la société du spectacle, on vend toujours les corps des femmes, mais à plus grande échelle. et on se fait beaucoup plus de fric : les minitels roses et cie se portent fort bien, merci pour eux.

Poser un bonhomme habillé sur un corps de femme denudé non plus cher " concepteur-trice ", c’est pas très neuf. Il a beau être liliputien, c’est bien lui qui est représenté comme être social, culturel. Qui plus est, on l’envisage comme être complet, quand la femme peut se résumer a une partie du corps…

Desespérement classique aussi, est la " perfection " plastique de ces corps ou l’on guettera en vain la cellulite ou le poil superflu de la bonne marchandise messieurs-dames, c’est pas Kookai qui va faire disparaitre les douces épilations à la cire chaude… Christophe Lambert, P.D.G de C. L M/B.B.D.O. nous précise que le personnage est pensé comme " tout heureux " de faire cette épilation. Comme Robert sera " tout heureux " d’offrir une fringue Kookaï a sa meuf, pour l’aider à ressembler à Barbie… ou sera plus simplement " tout heureux " de se rincer l'œil sans frais, pour revigorer sa libido de salarié fatigués…

Mais Lambert, ce grand sociologue, ne s’arrête pas là, et nous informe que " C’est déjà fini l'époque de l'homme-jouet humilié ! Nous en sommes à l'étape suivante, à celle de l’aliénation acceptée… avant la révolte. " C’est beau comme du Séguéla. C’est fou ce qu’on peut être distraites, on l’a pas vue passer l'époque de l'homme humilié…

On devait être bêtement occupées à défendre le droit à l’avortement, à la contraception, l'égalité des salaires… Occupées à lutter contre… l'humiliation des femmes, récurrente, dans la sphère privée comme dans la sphère publique.

Ce discours sur une supposée période de " domination féminine ", dont la société serait désormais fatiguée, rappelle nettement celui tenu par les politicien(ne)s du libéralisme quand ils-elles causent avenir… La société de demain doit selon eux se " débarrasser des discours archaïques " sur une lutte des classes qui, bien-sûr, n’a plus de raison d'être… On essaie de masquer l’oppression pour anesthésier toute possible rebellion… alors que, plus que jamais, le capitalisme écrase dans le sang et la misère tout à qui pourrait s’opposer à ses intérêts, alors que la vie et les droits des femmes sont, partout dans le mondel de plus en plus menaces… Ce Gulliver-Kookaï d’aujourd'hui, revendiquant régression infantile et voyeurisme, est tout aussi glauque qu'était " naturellement " misogyne le Swift du XVIIIe…

C’est donc peu dire que la fine analyse d’un(e) journaliste de Libération (1), voyant dans ces nouvelles pubs (Lee, Kookaï, Rech) I’arrivée d’une " domination féminine " nous semble peu pertinente. Les représentations machistes s’accommodent fort bien du voyeurisme et du sadomasochisme. qui semblent très " tendance " cette année…

Un apparent " malentendu " est à éclaircir : ce n’est pas un " renversement de situations " que nous réclamons, où les dominées deviendraient dominantes, mais la suppression de ces rapports d’oppression. Quand on met en scène une femme armée, qui menace un homme en lui demandant de se deshabiller, (comme dans une récente pub), l’inversion des rôles n’enlève rien au sordide de l’incitation au viol… Qui plus est, la société étant ce qu’elle est, c’est-à-dire férocement patriarcale, ce fut encore une fois des femmes qui se sentirent agressées et beaucoup d'hommes qui goûtèrent ce prétendu clin d'œil…

Les femmes ne sont ni à vendre, ni à prendre, il nous semblait l’avoir déjà dit.

Jeanne - commission femmes

(1) Libé du 28 septembre