À en croire le pouvoir, lAlgérie serait « le seul pays du monde arabe qui possède une presse libre ». Rien nest plus éloigné de la réalité. Après le coup dÉtat de 1992 et la mise hors la loi du FIS, les marges de liberté conquises par la presse à la fin des années 80 se sont réduites comme peau de chagrin. Depuis lélection à la présidence de Zeroual, en 1995, cette tendance sest encore nettement aggravée. En Algérie, « quiconque publie ou diffuse délibérément des informations erronées ou tendancieuses, de nature à porter atteinte à la sécurité de lÉtat et à lunité nationale, est puni de cinq à dix ans de réclusion ». Depuis six ans, on comptabilise une soixantaine de mesures de saisie, de suspension ou dinterdiction de journaux, mais aussi lincarcération de quelque vingt-cinq journalistes et linterpellation dune quarantaine dautres. La trace dau moins deux dentre eux, « disparus », se perd après leur arrestation par les forces de sécurité. Linformation relevant du domaine sécuritaire est sciemment manipulée par le pouvoir. Il est courant dentendre dire que ce sont les femmes, les intellectuels ou les journalistes qui sont les principales victimes de cette guerre. En réalité, en juin 1996, on estimait à 70 000 le nombre de morts dont 400 femmes et 50 journalistes (1).
Le régime instrumentalise des massacres atroces pour justifier sa politique de continuation de la guerre et de répression sans limites. La plupart des victimes sont anonymes, sans visages. Ce sont des jeunes dont la mort nest pas exploitable politiquement, des jeunes utilisés comme chair à canon à la fois par les islamistes armés et par les militaires, pour un seul enjeu : semparer du pouvoir ou le garder à nimporte quel prix. Ces jeunes des cités algériennes, sous haute surveillance militaire quand les quartiers résidentiels sont eux sous haute protection, à qui lon dénie tout droit et qui nont dautre alternative que de choisir leur guerre : rejoindre les groupes armés ou les forces de sécurité : armée, police, milices ou gardes communaux.
(1) cf. Louisa Hanoune, « Une autre voix pour lAlgérie », p.21, La Découverte, 1996.