Souvenez-vous. Le battage a commencé au cours de lannée 1997 et sest poursuivi des mois durant. De France-Culture au Figaro littéraire, de L'Humanité au Monde des livres, de Marianne à tout ce qui fait du vent, on célébrait, dans une touchante et servile unanimité, linfamie politique et littéraire en la personne dAragon. Jusque dans les couloirs du métro parisien, entre contrôleurs cégétistes et odeurs durine, il n'était pas sans quelques-uns des poémes du procureur sinistre des lettres françaises à safficher sur les murs.
Dans cette ode à lignominie, dans ce chant damour au paillassonisme entonné par une armée de paillassons, dans cet indécent festival de lèche-aragon, pas une fausse note, pas une voix discordante. Pour respirer enfin un grand bol dair frais, loin de cette atmosphère viciée, il fallut que paraissent, ici même, deux articles de Louis Janover, remarquebles de finesse, de rappels historiques accablants pour le mort célèbre et célébré, de justice rendue à la mémoire, dironie féroce et bien venue envers les embaumeurs de ce cadavre pas vraiment exquis (1).
À l'époque, nous fûmes plusieurs à regretter que ne soit pas réédité ladmirable pamphlet de Jean Malaquais publié pour la première fois en 1947 aux éditions Spartacus, dans la collection " Lintelligence servile ", en un temps, donc, où le valet de plume de Moscou exerçait avec rage ses talents de grands inquisiteur des lettres. Cest chose faite aujourd'hui (2), et cest avec un rare délice quon se plongera dans la lecture de ce court texte où lauteur règle son compte avec force et talent à celui dont il est important de dire à présent, avec Louis Janover paraphrasant André Breton, qui évoquait lui-même Anatole France, quil ne faut pas que mort cet homme fasse de la poussière ".
L'éditeur a eu la bonne idée de faire précéder cet écrit de Malaquais dune " présentation " fort utile de Gérard Roche, qui permet de bien comprendre dans quelles conditions est né ce pamphlet, comme réponse aux appels au meutre répétés lancés par le fou du Guépéou contre André Gide, coupable davoir exprimé sur lURSS une opinion toute personnelle et peu conforme à la version officielle autorisée par le PC. Une courte biographie de lauteur ainsi que sa bibliographie, un petit florilège de citations dAragon et des extraits de textes écrits par des surréalistes dans les années 50 et 60 complètent avec bonheur cette petite et savoureuse publication.
Jean Malaquais est mort il y a quelques semaines. Dans les articles nécrologiques le concernant, parus dans Le Monde et Le Figaro, leurs auteurs ont tous deux " oublié " de signaler, dans la bibliographie de cet homme disparu, cet ouvrage à présent réédité. On ne peut à la fois célébrer les auteurs littéraires et ceux qui dévoilent leur sinistre habit de commissaire.
(1) On retrouvera, parmi dautres, tout aussi percutants, ces deux articles intitulés " Le surnom dinfâme leur va comme un gant " et " Louis Aragon, cent ans de servitude ", dans un ouvrage de Louis Janover absolument indispensable sur ce sujet, lui-même intitulé Cent ans de servitude. Aragon et les siens, dont il fut question dans ce journal il y a quelques temps, hélas trop brièvement (éditions Sulliver, en vente à la librairie du Monde libertaire, 90 F, + 10 % de port).
(2) Le nommé Louis Aragon ou le patriote professionnel, de Jean Malaquais. Editions Syllepse. En vente à la librairie du Monde libertaire, 40 F (+ 10 % de port).