Sang contaminé : de l’exclusion à la logique marchande

Même si nous ne faisons aucune confiance à un procès où même les victimes n’ont pas le droit à la parole, nous n’irons pas pleurer avec les tenants du bon sens et du " politiquement correct ". Pendant trois semaines, nous allons régulièrement entendre ces plaintes : " nous ne savions pas ", " nous ne sommes pas des médecins ", " nous ne sommes que des gens moyens. "…

La logique du profitresponsable et coupable

Dufoix, Fabius et Hervé ont confiance en la justice Or même si nous ne pouvons pas donner de sens à la décision de cette cours d’exception, même si nous ne nous faisons aucune illusion sur la portée politique de ce procès, profitons de cette actualité pour rappeler quelques faits majeurs. Car le scandale du sang contaminé et du sida en général, s’est construit sur deux phénomènes parallèles qui se sont imbriqués.Dans un premier temps, l'épidémie se propage principalement dans le milieu homosexuel et toxicomane. Ces populations n’existent pas socialement et le gouvernement avec le milieu médical dans son ensemble ignorent cette population, d’où l’inaction pendant des années…

Avec l’arrivée de Fabius à la tête du gouvernement en 1984, on connaît un renforcement de la logique libérale et de la rentabilité aussi bien dans le domaine privé que public.

Cette politique pousse à une logique de rentabilisation des entreprises publiques avec une marchandisation excessive des services. Le dernier procès du sang contaminé (1992) avait mis particulièrement sur les devants de la scène Garretta alors qu’il ne faisait qu’appliquer cette logique au sein de son entreprise (CNTS-Centre National de Transfusion Sanguine). C’est ainsi que le sang, tout comme la santé en général, est une marchandise et logiquement on en arrive à retarder en toute conscience le réchauffement du sang et on distribue des stocks de sang contaminé… En ce sens Fabius est coupable, coupable de défendre le capitalisme, système qui priorise le profit sur l’individu. Et les deux autres ministres incriminés sont du même acabit. Edmond Hervé, pendant cette période, a une seule obsession : calculer les coûts financiers de cette nouvelle épidémie. Et il quittera son poste en 1986, après la victoire de la droite au législative, sans avoir mis aucune campagne de prévention en place. Quant à Georgina Dufoix, sa situation est encore plus grave. De nombreux séropositifs sont découragés, un certain nombre se retournent vers des domaines paramédicaux, vers le charlatanisme… Act Up (1) a dénoncé clairement la collision étroite entre ce ministre et ce milieu : " Au premier rang de ces groupes, se trouve la bande crypto-chrétienne (Invitation à la Vie Intense) animée par Mme Yvonne Trubert. Ce groupe a compté parmi ses membres des personnalités tel que Georgina Dufoix… ". Cette secte repose sur la trilogie suivante : prier, aimer, guérir… Elle soutiendra aussi au cours de son poste ministériel Rika Zaria qui au nom de la médecine naturelle défendait l’idée que certaines plantes pouvaient guérir le cancer ou le sida. Entre l’ignorance, le tabou chrétien et la casse du service public, le scandale du sang contaminé n’est pas un accident imprévisible mais bien un crime organisé.

Un toxicomane,c’est moins médiatique qu’un hémophile

Alors que l’on souriait, dans certains milieux, du sida car cette maladie touchait surtout les homosexuels et les toxicos (une punition de Dieu ?), les usagers de drogues connaissent toujours et encore l’exclusion. Les toxicomanes partage(ai)ent régulièrement leurs seringues et cette réalité a été prolongée volontairement par la politique sanitaire des gouvernements successifs. Jusqu’en 1987, les seringues sont interdites à la vente. Quand Michèle Barzac signe un décret donnant l’autorisation de vente, cela ne se fera pas sans difficulté. Le ministère de l’intérieur met des bâtons dans les roues (la police surveille les bus d'échange de seringues de Médecins du Monde…), 30 % des pharmaciens refusent d’appliquer ce décret… et le maintien de la loi de 70 (prohibition) interdit toute campagne de prévention. À titre d’exemple malgré le décret Barzac, Pasqua déclare en Mai 1987 " il faut une certaine naïveté pour imaginer que les toxicomanes soient accessibles aux règles d'hygiène que l’on voudrait bien leur faire observer ". Alors que tout le monde savait, alors que l’on ne pouvait invoquer aucune incertitude scientifique, pendant des années on a sacrifié des êtres humains. ASUD (2) déposait une plainte le 3 mai 1995 auprès de la cours supérieure de la république pour " coups et blessures par imprudence " contre plusieurs ministres avec une argumentation juridique similaire à la plainte des hémophiles… Depuis, le silence des médias est quasiment total. Depuis les problèmes restent. On peut en citer pour illustrer la problématique : les bus d'échanges de seringues ont connus des problèmes. À Montpellier il est déclaré indésirable, à Toulouse il est déplacé devant le Palais de Justice… avec les conséquences sanitaires que l’on peut imaginer.Mais cette plainte sera classée sans aucune justification… Étonnant non ?

Régis B.

(1) Act Up " Le sida combien de divisions ? "

(2) ASUD : association d’usagers et ex-usagers de drogues