La presse a révélé récemment limportance de la capacité de mobilisation des orthodoxes religieux en Israël. Pour certains il sagit là dune révélation si on peut dire mais la puissance politique et sociale des religieux dans ce pays nest pas un fait récent. Pour expliquer ce phénomène, nous empruntons quelques passages du livre de notre camarade René Berthier, Israël-Palestine, Mondialisation et micronationalismes (aux éditions Acratie).Lhistorien Elie Barnavi définit Israël comme " une démocratie parlementaire moderne à substrat biblique " (1). Lambiguïté de la situation réside dans le fait que, dune part, le projet sioniste, dessence fondamentalement laïque, auquel les religieux se sont farouchement opposés, a été porté par des pionniers socialistes et athées, mais que dautre part lÉtat dIsraël se veut lÉtat des Juifs. Cest la création même de lÉtat qui a transformé le judaïsme en Église et les rabbins en fonctionnaires. " Et cest lexistence de lÉtat qui a posé lensemble du problème de lidentité nationale juive en termes neufs ", dit E. Barnavi.
Les ultra-orthodoxes affirment que lÉtat na aucune légitimité : la loi divine, exprimée il va de soi par les rabbins, est seule légitime. Ils condamnent la " "morale" molle de la culture occidentale " (2). Leur projet est de créer, par les implantations de colons dans les territoires occupés, " un modèle réduit dIsraël tel quil devrait être " (3). Ces rabbins expliquent aux jeunes quils forment que lÉtat et larmée laïques se décomposent. Ils font un véritable travail dinfiltration dans larmée.
Ils lancent des " prescriptions ", ou décrets, appelant à la désobéissance civile. Parmi ces prescriptions, les colons sont invités à préférer la mort plutôt que dévacuer une colonie ; concernant le commandement " tu ne tueras point ", il convient également de distinguer entre le " sang juif " et le " sang goy " ; labsolution est donnée à tout Juif ayant porté atteinte aux biens dun Arabe ; les meurtriers de Palestiniens, qualifiés d" oppresseurs ", seront purifiés ; il est interdit, le jour du Shabbat, de prodiguer des secours médicaux à un Palestinien, etc. (4). [ ]
La dernière trouvaille de certains Israéliens est la constitution de trois États : lun pour les Palestiniens, un autre pour les Juifs laïcs et un troisième pour les ultra-religieux. Ils sappuient sur un précédent historique, quand les héritiers de David et de Salomon, ne pouvant se mettre daccord, ont créé les royaumes juifs dIsraël et de Judée et ont partagé la terre sainte avec les Philistins. La revendication émane aujourdhui non pas des religieux, mais des laïcs " qui en ont assez de la violence et de lintolérance de leurs frères orthodoxes (5) ".
Yoram Peri dans Davar (25 mars 1994) écrit qu " un sérieux danger existe que la division entre deux cultures politiques juives israéliennes irréconciliables puisse se développer en une cassure avec une exaspération mutuelle suffisante pour susciter une petite guerre civile. Cette guerre civile opposera "Israël" et la "Judée" ". [ ]
Un rabbin, Ovadia Yossef, déclara que ceux qui désacralisent le sabbat, en conduisant une voiture, par exemple, " seront tués ". Des fan clubs de Baruch Goldstein, lhomme qui a massacré vingt-neuf musulmans dans une mosquée, et de Yigal Amir, celui qui a assassiné Rabin, se sont constitués dans des écoles religieuses. Un sondage a révélé en décembre 1997 que 47 % des Israéliens pensent que lopposition entre laïcs et religieux conduira à la guerre civile
La tension entre laïcs et religieux sest accrue avec la publication, en janvier 1998, par lInstitut de Jérusalem pour les études sur Israël, dune étude socio-économique qui révèle que 60 % des hommes ultra-orthodoxes ne travaillent pas et ne cherchent pas demploi, contre 10 % dans le reste de la population et que la plupart, même les plus vieux, se font passer pour " étudiants religieux " dans les pays musulmans on appelle cela des talibans et bénéficient dallocations publiques.
Lantagonisme entre laïcs et orthodoxes sest considérablement accru avec larrivée au pouvoir de Netanyahou. Un nombre croissant de jeunes ultra-orthodoxes échappent au service militaire, révèle le ministère de la défense. Les trois partis religieux tiennent entre leurs mains la survie même du gouvernement et imposent leurs volontés pour financer leurs institutions. Léducation publique est contrôlée par un ministre ultra-orthodoxe, le logement public est dirigé par un vice-ministre ultra-orthodoxe. La coercition religieuse saccroît avec la " police du Shabbat " qui distribue de fortes amendes aux commerçants juifs qui restent ouverts le samedi.
Les perspectives sont sombres et, en Israël ou dans les territoires occupés, une évolution identique se dessine. Les méthodes dimplantation des fondamentalistes juifs et celles de Hamas sont étrangement identiques, et consistent à élargir leur base sociale et leur influence idéologique par des services sociaux et éducatifs que les autorités civiles sont incapables dassurer ou refusent dassurer, néolibéralisme aidant. Alors que le gouvernement et les autorités locales comme partout ailleurs réduisent les crédits sociaux et suppriment les repas chauds pour les enfants pauvres dans les écoles publiques, les écoles des fondamentalistes assurent ce service aux enfants, leur offrent des cours supplémentaires et des transports. Ainsi le nombre décoles religieuses grandit constamment et celles-ci attirent même les enfants de familles laïques. On constate dans la population un retour à la foi qui prend des proportions considérables.
Israël Shahak écrivait en avril 1994 : " Il est symptomatique de leffroyablement pauvre qualité de linformation rapportée sur les affaires israéliennes (encore plus pauvre que celle concernant les Territoires), quaucun des faits discutés dans ce rapport ["Linfluence des idéologies xénophobes sur les Juifs israéliens"] ou dans le rapport 136 ["Va-t-il y avoir une guerre civile entre Juifs israéliens ?"], nait filtré jusquà présent jusquaux " experts en affaires israéliennes " ou jusquaux médias, y compris la presse de qualité. Au lieu de cela, aussi bien les experts que les médias ne se préoccupent que des banalités diplomatiques sur le " processus de paix ". Je réaffirme que pour les Israéliens (mais aussi pour tous les Moyen-Orientaux) rien ne peut être plus important que le conflit qui sannonce entre partisans et adversaires juifs de lintégrisme religieux. "
(1) Elie Barnavi, Une histoire moderne dIsraël, Champs, Flammarion.
(2) Nadav Shagraï, du journal Haaretz de Tel-Aviv, mentionne larticle dAziël Ariel, " LArgoudat Israël [mouvement des ultra-orthodoxes non sionistes] avait-elle raison ? ", paru dans Neqoudah, revue des colons religieux nationalistes. Cité par Courrier international, 5-9 mars 1994.
(3) Ibid.
(4) Ibid.
(5) Time, 20 janvier 1997, p. 25.