Au début de la conférence de Rambouillet les données
initiales des principaux acteurs étaient les suivantes
: Pour lEurope, les Etats-Unis et la Russie,
réunis dans le groupe de contact, il sagit de
parvenir à un accord politique qui entraîne la fin
du conflit armé et favoriser le déploiement dune
force internationale dont le principe avoué est de
permettre un statut dautonomie du Kosovo. Celui
ci pour une période intérimaire de trois ans au cours
de laquelle, un gouvernement et un parlement élu assumeraient
un pouvoir local assez étendu. Les Serbes et la Fédération
yougoslave conserveraient leur prérogative de souveraineté.
Mais la priorité absolue des Serbes est dinterdire à jamais tout espoir dindépendance du Kosovo. Une autonomie imposée et le déploiement dune force militaire étrangère, constitue déjà en soi une atteinte à leur intégrité nationale. En effet dans la fédération yougoslave, la Serbie en plus du problème Kosovar se trouve face à la crainte de perdre le Monténégro qui constitue le seul débouché sur les ports de lAdriatique. Et sa perte entraînerait la chute dune économie serbe déjà bien affaiblie. Lélection à sa présidence de Milo Djukanovic, adversaire de Slobodan Milosevic, renforce les risques dindépendance dun pays qui a été pénalisé par les embargos internationaux en même temps que la Serbie. En effet, Podgorica suit avec attention lévolution du conflit du Kosovo qui menace un tête-à-tête avec Belgrade de plus en plus conflictuel. Lautre motif dinquiétude de la Serbie est la province du Sandjak qui se situe entre ces deux républiques. Sa majorité musulmane, dont la répression policière serbe a pu contenir laspiration dautonomie qui sétait manifestée à la fin des années 80, se retrouve réactivée par la souffrance des albanais musulmans du Kosovo.
A linverse, pour les Albanais, le placement sous tutelle internationale et pour une durée indéterminée du Kosovo semblait a priori positif puisquil les protège des serbes. Mais le chaos qui règne dans ce pays ne permet pas disoler une position claire (1). Le fief montagneux au nord du pays, de lex-président Sali Berisha, qui joue sur la fibre nationaliste pour reconquérir le pouvoir, sert de base arrière à lUCK. Les maquisards de cette armée ne sont pas prêts daccepter facilement un désarmement.
Les organisateurs de la conférence de Rambouillet nont pas eu le temps de se réjouir sur le succès quils avaient remporté en réunissant, pour des pourparlers, les deux parties belligérantes. En rappelant dès le début, avec insistance, que cette négociation partait du principe déjà adopté par la communauté internationale de lautonomie substantielle du Kosovo, les diplomates se sont heurtés à lobstination agressive et au repli des deux interlocuteurs en conflit. La conférence sest donc terminée le mardi 23 février, sur une conclusion provisoire qui signifie en réalité une guerre larvée qui ne veut pas dire son nom. Le rejet du plan par les Kosovars a compromis la stratégie des Américains dont le vu étaient un bras de fer ultime contre Milosevic, qui aurait été désigné à lopinion publique internationale comme le seul obstacle de la paix. Ils nont pas renoncé à convaincre les Kosovars de faire du président serbe un nouveau Saddam. Tour à tour disputé, contesté puis rejeté, le projet dautonomie du Kosovo a buté sur les capacités de nuisance procédurière des serbes et sur lintransigeance des Albanais à réclamer un référendum à la fin dune période intérimaire de trois ans. Le seul progrès réalisé est que ce projet, principal acquis politique de Rambouillet, reste sur la table. Retour à la case départ !
Le volet militaire, en revanche, sest heurté jusquà la dernière minute du mardi, au refus des serbes qui ne veulent pas entendre parler dune force internationale si elle est placée sous la bannière de lOtan, et à celui des Kosovars, qui ne veulent pas se couper de leur base en acceptant de désarmer les maquisards de lUCK. À Rambouillet lOTAN a opté pour une négociation contre la montre et le temps imparti a été trop court. Les négociations reprennent le 15 mars et pendant ce temps la situation sur le terrain sest aggravée.
Les deux formes dintervention militaire préparées au quartier général de lOtan en Belgique sont, une fois de plus, apparemment vaines (2). La première baptisée Kfor, Force pour le Kosovo aurait pour principale mission la séparation effective des combattants, la surveillance des dépôts darmes, puis la sécurisation des agglomérations et des voies de communications. Son inconvénient cest quelle dépend dun accord politique entre les belligérants puisquelle a pour but de garantir lapplication de ce dernier. Il nest pas question de rétablir la paix par la force. Son avantage cest, en cas daccord, de permettre la participation de la Russie et laccord du conseil de sécurité de lONU.
Les autres opérations planifiées par lOtan sont les frappes aériennes contre des objectifs militaires en Serbie. Sur le plan politique, les conséquences dune opération de guerre de ce type sont très incertaines. En effet, en frappant pour la première fois de son histoire un pays qui na ni envahi, ni menacé des territoires extérieurs, lOTAN risque de créer un précédent difficile à justifier, avec des conséquences multiples et dangereuses. Par exemple pourquoi ne pas faire la même chose avec les Kurdes ? Ce peuple est acculé à une ligne dure, avec un Öcalan dont limage correspond à une caricature de chef détat totalitaire. À présent il est en prison et les Kurdes continueront à se radicaliser parce quils nont aucun espoir, ni soutien face à la Turquie et lIrak.
Mais, en ce qui concerne le règlement du conflit du Kosovo, rien nassure que ces frappes aériennes aboutissent à une situation préconisée par les européens et les américains. En dépit du rôle de provocateur et de va-t-en-guerre joué par Milosevic, personne ne souhaite véritablement leffondrement de la Serbie et une situation balkanique à haut risque.
Les Occidentaux mettent en garde Belgrade. Le président américain, Bill Clinton, et le secrétaire général de lOTAN, ont adressé des mise en garde contre Belgrade, vendredi 26 février, alors que se poursuivaient des mouvements de troupes yougoslaves et que des affrontements sporadiques éclataient dans différentes régions du Kosovo. Il a rappelé que lOTAN était prête à intervenir si la Yougoslavie lance des opérations militaires avant le 15 mars. Les dirigeants de lunion européenne, réunis le même jour à Petersberg (Allemagne) ont également appelé Serbes et Kosovars à sabstenir de toute provocation. Le 28 février, cétait au tour de Jacques Chirac en visite aux forces dextraction stationnées en Macédoine.
Aujourdhui lUCK est devenue une véritable force militaire (3). Son représentant politique, Adem Demaqi, affirme quelle compte 35 000 combattants. Un chiffre exagéré selon les services de renseignements occidentaux qui lestiment à 10 000 hommes. Mais lUCK grandit vite comme le prouve le numéro de janvier de lhebdomadaire britannique spécialisé Janes Intelligence Review qui affirme que dans quelques mois « elle sera sans doute capable de rassembler une force de 50 000 à 70 000 combattants, tous entraînés ou expérimentés ». LUCK présente à Rambouillet, na plus rien à voir avec larmée clandestine de ses débuts.
Lannonce, mercredi 24 février, de la formation dun gouvernement provisoire par les dirigeants albanais présents à Rambouillet a mis en lumière des divisions au sein de lUCK. En effet, ce nouveau gouvernement est destiné à remplacer celui élu en 91 et en exil à Genève et à Bonn. Le porte-parole de lUCK en France, Jakup Krasniqi, était pressenti pour en assurer la direction. Cette décision entérine le fait que les modérés de la Ligue Démocratique du Kosovo (LDK) dIbrahim Rugova passe le relais a lUCK, dans loptique de travailler ensemble. Mais la délégation Albanaise et une partie de lUCK ne sont plus sur la même longueur donde et la fronde est menée par Adem Demaqi. Cet ancien prisonnier politique est un nationaliste radical qui refuse tout pourparler. Il a donc décidé de ne pas participer à Rambouillet. Néanmoins, il navait pas réussi à convaincre lensemble de lUCK à le suivre. Les combattants avaient finalement mandaté cinq de leurs membres avec Hashim Thaqi, âgé de vingt-neuf ans comme coordonateur de la délégation kosovare en France. Ces représentants de lUCK ont échafaudé ce projet de gouvernement à Rambouillet avec les représentants de la LDK de M. Rugova et du Mouvement démocratique unifié de Rexhep Qosja. Cette initiative est perçue par la communauté internationale comme un geste constructif. De plus Rugova le président officieux du Kosovo à demandé, vendredi 26, que le projet daccord mis au point à Rambouillet soit signé et les troupes de lOtan déployées « le plus rapidement possible ».
Mais Adem Demaqi, fort de son image de héros forgée pendant trente ans de détention dans les geôle communistes, dispose dune incontestable légitimité comme représentant politique de lUCK et dune intransigeance à toute épreuve. Il sélève « contre les pressions internationales qui veulent nous imposer une fausse autonomie qui maintiendrait les Albanais en esclavage ». Il a qualifié le gouvernement provisoire « dillégitime ». Il a également une influence sur certains commandants locaux de lUCK qui lont choisi comme représentant politique en juillet. Sur les plateaux de la Drenica, lUCK dispose dun nouveau commandant en chef, Suleiman Silemi, Vingt-neuf ans dit « le Sultan » qui a été nommé le mercredi 24 par Demaqi. À Likovc, quartier général de lUCK dans la Drenica, lensemble des commandants locaux soutient la politique de Demaqi.
Le gouvernement de Tirana soutient la création dun gouvernement provisoire des Albanais du Kosovo, et demande à Adem Demaqi de rester uni avec les autres leaders Kosovars. Le porte-parole du gouvernement Albanais espère pouvoir discuter entre Albanais des futurs pourparlers sur le Kosovo.
Les divergences de vues au sein de lUCK sont apparues au grand jour à la suite de la conférence de Rambouillet avec une radicalisation des nationalistes Kosovars. Si elles persistent, elles risquent de compromettre la négociation sur le processus de paix, qui doit se poursuivre le 15 mars.
(1) voir larticle « Le Kosovo dans le Nud gordien Balkanique », le Monde Libertaire n°1147 p.6.
(2) Ibid
(3) Ibid