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La lutte des classes au shtetl

L’ouvrage dont il est ici question était paru il y a quatre ans chez un éditeur aujourd'hui défunt. Il vient d'être réédité (1). L’auteur, ancien collaborateur du journal anarchiste juif new-yorkais Di Freie Arbeiter Shtime, propose la première étude d’ensemble sur ce mouvement socialiste connu sous le nom de Bund.

Né dans la clandestinité à la fin du siècle dernier, le Bund, ou Union générale des ouvriers juifs de Russie, Pologne et Lituanie, a proposé un développement original pour le socialisme et une approche particulière de la question nationale. À la fois parti et syndicat, le Bund animait les grèves dans les confins de l’ancienne Russie. Henri Minczeles nous donne à lire des récits de grèves et de luttes bien souvent méconnues. Parallèlement, une fois la phase terroriste achevée, le Bund a, en effet, été proche des nihilistes russes, et il lui a fallu faire face aux exactions antisémites et aux pogromes. Pour lutter, des groupes d’autodéfense furent crées. Dans les débats qui animaient le mouvement ouvrier en Europe centrale et orientale, ce parti occupa une place particulière.

En effet, contre les tenants de la social-démocratie et du bolchevisme, il défendit la notion d’autonomie culturelle. En cela, il partageait les positions des groupes anarchistes juifs.

Si la révolution de février avait laissé penser que de nouveaux espoirs étaient permis, la prise du pouvoir par Lénine et les bolcheviks vint vite les enterrer. Le Bund, lui aussi, fut démantelé et ses responsables emprisonnés. Reste que ce mouvement continua d’exister en Pologne. En butte à la répression et à l’antisémitisme latent, ce parti constitua la colonne vertébrale du mouvement ouvrier juif polonais, avant de disparaître, victime de la politique d’extermination des nazis.L'histoire du Bund est à elle seule un résumé des drames de ce siècle. Deux de ses leaders, Henry Herlich et Victor Alter, meurent assassinés sur ordre de Staline en 1942.

Marek Edelman dirige l’insurrection du ghetto de Varsovie et, ce représentant du Bund en exil à Londres se suicide lors de l'écrasement du ghetto de Varsovie, écrivant : " Par ma mort, je voudrais une dernière fois protester contre la passivité d’un monde qui admet et assiste à l’extermination du peuple juif. "

Le Bund est aujourd'hui défunt, victime de la haine successive et parfois conjuguée d'Hitler et de Staline. Il n’en demeure pas moins que pendant près d’un demi-siècle ce mouvement a tenté de faire cohabiter la liberté et le socialisme, et de résoudre le problème national par une approche fédérative. Un mouvement original, donc, et un livre particulièrement intéressant.

Thomas Colin

(1) Histoire générale du Bund, un mouvement révolutionnaire juif, d'Henri Minczeles, Denoël, 1999, 446 pages. En vente à librairie du Monde libertaire, 165 F (+ 181 F port compris).