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Chronique bibliographique

« Psychanalyse et anarchie » par Roger Dadoun, Jacques Lesage de La Haye et Philippe Garnier

éditions ACL, 30 FF
Le jeudi 19 octobre 1995.

Aux premiers « abords », il pourrait paraître quelque peu paradoxal de vouloir rapprocher la psychanalyse de l’anarchisme, ou l’anarchisme de la psychanalyse. Pour certains, même le titre de la brochure parue à l’Atelier de création libertaire (ACL) sonne comme une véritable provocation. Cependant, ce sentiment ne peut qu’émaner d’une certaine méconnaissance du sujet, méconnaissance que cette brochure comblera sûrement !

Si l’on s’arrête à la psychanalyse comme étant une « science bourgeoise », réservée aux « nantis » et aux « intellos », et/ou comme une technique normative, réadaptive, inscrite dans des rapports sociaux déterminés, il est vrai qu’une telle entreprise de réhabilitation [1] est alors vouée à l’échec.

Mais « la psychanalyse, qu’elle soit freudienne, lacanienne ou reichienne, dépasse de beaucoup les techniques auxquelles on la réduit parfois. » C’est alors qu’apparaissent les « points de nouages et de débat » entre les deux démarches. De fait, les régimes totalitaires ont souvent assimilé la psychanalyse à l’anarchie. Mais c’est surtout parce qu’elle représente une grille explicative, une façon de lire le monde, originale dans laquelle existent véritablement des « passerelles » avec cette autre grille qu’est l’anarchisme que cette approche prend tout son sens.

Ce sont ces « passerelles » que nous présentent, tout au long de cette brochure, les auteurs Roger Dadoun, Jacques Lesage de La Haye et Philippe Garnier. Une relation existe du fait même que la psychanalyse s’est placée sous le signe de la révolution — révolution qui remet en cause la domination du Moi à l’intérieur du psychisme (annihilant de fait la notion judéo-chrétienne de libre-arbitre) — et du fait de l’existence d’une pulsion d’emprise appelée aussi pulsion de pouvoir (Roger Dadoun) ! Cela ne peut que nous interpeller quelque part…

D’autant plus que le milieu libertaire (lui-même oserai-je dire ?) n’est pas exempt d’exemples du type « guerre des chefs ». Ce qui fait dire très justement à Jacques Lesage de La Haye qu’on ne peut pas être profondément anarchiste « si on n’a pas fait la révolution jusqu’au plus profond de ses profondeurs ». Roger Dadoun, pour ainsi dire, enfonce le clou puisqu’il écrit que la psychanalyse pourrait fonctionner comme « anarchie critique », c’est-à-dire comme « un moyen efficace d’empêcher la clôture de la pensée anarchiste ».

C’est en cela, s’accordent les auteurs, que la convergence entre la psychanalyse et l’anarchisme se situe de manière la plus enrichissante : « Si la psychanalyse, par son questionnement radical du désir et du langage humain peut conduire en un point complexe d’où peut surgir ce qu’on peut appeler l’invention de sa propre vie, ou une dynamique créative, l’anarchisme peut aussi amener, par exemple, par sa critique extrême de tout pouvoir, en un point limite où chacun est paradoxalement mis en demeure d’inventer son propre chemin » (Philippe Garnier).

Il est impossible, dans le cadre étroit de cet article de présenter l’étendue des richesses que recèle cette brochure ; riche, je le répète, autant en apport d’informations qu’en ouvertures vers des questionnements, des débats nouveaux (sur la prise conscience de la psychanalyse de la dimension sociale, sur la pulsion d’emprise, sur la transmission, le langage, l’institution, la création, etc).

Une surprise néanmoins — in cauda venenum — peut apparaître lorsqu’on achève la lecture de cette brochure : l’absence de référence au psychanalyste Erich Fromm (que Gaston Leval tenait en haute estime, paraît-il). Bien que critiquable, Fromm a merveilleusement décrit le phénomène de soumission-domination qui ne peut qu’intéresser les libertaires [2].

Par cette brochure, l’ACL continue son « œuvre de salubrité publique » en impulsant de nouveaux débats, dont l’anarchisme ne peut en sortir qu’enrichi.

Batko


[1C’est, je crois, le mot juste. Il suffit de considérer les querelles qui émanaient des révolutionnaires comme des thérapeutes dans les années 70. Cf. l’article de Jacques Lesage de La Haye.

[2Voir IRL nº 68-69, été 1986.