On peut difficilement s’étonner des événements qui secouent la Côte d’Ivoire depuis le 19 septembre. L’élection de Laurent Gbagbo, saluée par Michel Rocard comme une victoire du socialisme international, a plongé le pays dans un réel régime fasciste. Coauteur, avec son ennemi d’antan Henri Konan Bédié, de la théorie de l’« ivoirité », Laurent Gbagbo a pu, en toute impunité, mettre en place sa politique xénophobe qui a précipité le pays dans les prémisses d’une guerre civile aux risques humanitaires dramatiques.
Pendant la période de transition dirigée par le général Robert Gueï entre le coup d’état de noël 1999 et les élections présidentielles qui ont amené Gbagbo au pouvoir, les Ivoiriens se souviennent tous de la crise identitaire qui a divisé le pays entre les « et » et les « ou ». Jusqu’alors, un candidat à la présidentielle devait être « de père ou de mère eux-mêmes ivoirien ». La Constitution devait être rapidement changée en « de père et de mère eux-mêmes ivoirien ». D’apparence anecdotique, ce détail constitutionnel, destiné à écarter tout candidat originaire du nord de la Côte d’Ivoire, visait particulièrement le plus en vue dans l’opposition Alassane Dramane Ouattara. Mais, en vérité, il est le point de départ d’une crise ethnique qui va rapidement embraser le pays. Déjà, la tension montait entre les Ivoiriens « 100 % », appartenant au groupe Baoulé et Bété du sud, au pouvoir depuis Houphouët Boigny, majoritairement catholiques et les « faux Ivoiriens », les Dioulas du nord de la Côte d’Ivoire, de tradition musulmane, descendants du Mali et du Burkina Faso.
Quelques jours après l’imposante victoire de Laurent Gbagbo, la Côte d’Ivoire et le monde commencent déjà à comprendre les réelles mesures du passage de la théorie à l’action. À Yopougon, quartier défavorisé en banlieue d’Abidjan, la presse internationale crée l’émotion par la découverte macabre d’un charnier de 57 corps tous originaires du nord du pays. En août 2001, un rapport officiel fait état de 303 morts, 65 disparus, 1 546 blessés1. En toute impunité, Laurent Gbagbo et son éminence grise le ministre Émile Boga Doudou parviennent à mettre en place la réorganisation du pays sur une base ethnique, aussi bien dans l’armée que dans l’administration. Lors des élections départementales de juillet dernier, le ministre poursuit cette épuration par l’obligation aux électeurs d’être porteurs de nouvelles cartes d’identité « sécurisées », dites « cartes vertes ». Désormais, les enfants qui naissent à Yopougon reçoivent des extraits de naissance de couleur différente, selon qu’un seul de leurs parents, ou les deux sont considérés de nationalité ivoirienne. Laurent Gbagbo perfectionne ensuite son système par la classification en « citoyen de première et de deuxième zone » : pour obtenir ses papiers en bonne et due forme, tout Ivoirien est désormais censé se faire enregistrer en donnant le nom de son village d’origine et le nom d’une personnalité du même village qui devra témoigner de sa bonne foi2.
C’est donc sans surprises que, le 19 septembre, sur fond de haine raciale et d’injustice sociale, les autorités de Côte d’Ivoire ont eux-mêmes fourni l’élément déclencheur en annonçant la démobilisation de quelque 750 soldats. Parmi eux, les hommes du sergent chef Ibrahim Coulibaly : Tuho Fozié, Zaga Zaga, et le désormais célèbre Chérif Ousmane3. Ils constituent la hiérarchie désorganisée d’une armée rebelle sérieusement armée mettant en place les prémisses d’une guerre civile africaine dont les graves conséquences humanitaires sont à prévoir dans toute la sous-région.
Aujourd’hui, l’armée française a pris part dans le conflit, sous couvert d’un soutien « logistique ». On a cependant rapporté des interventions à l’obus fumigène sur les hauteurs de Tiébissou, à une centaine de kilomètres de Bouaké, puis, des tirs de « dizaines d’obus dans la nuit détruisant une bonne vingtaine de véhicules » 4.
Pendant ce temps, le gouverneur du district d’Abidjan annonce la destruction de tous les bidonvilles qui entourent la ville, abritant, selon les autorités ivoiriennes, des terroristes musulmans ayant pris part à l’insurrection du 19 septembre.
Puis, c’est Dominique de Villepin qui félicite le chef d’État ivoirien pour sa gestion habile de la crise ivoirienne5.
Olivier Leclercq
1. LHebdomadaire du Burkina, nº 184.
2. Nord Sud Export 446-447 in Courrier international du 9 octobre 2002.
3. Portrait dans Libération du 16 octobre 2002.
4. Le Figaro du 16 octobre 2002.
5. Jeune Afrique-l’Intelligent, nº 2179, 14 octobre 2002.