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L’eau en Espagne, le problème et les solutions possibles

Le jeudi 16 novembre 2006.

1 — Le problème

Si nous examinons les données climatiques de n’importe quel lieu en Espagne de ces trente dernières années, nous remarquons une baisse progressive des précipitations qui, de manière cyclique s’aggrave et tranforme l’approvisionnement en un problême à chaque fois plus grave.

Nous apprécierons les valeurs de 3 observatoires espagnols. Celui de Madrid, celui de l’aéroport de Saint Jacques de Compostelle et celui de Jerex de la Frontera. Chacun correspond aux différents climats que l’on trouve en Espagne. Saint Jacques a un climat de type océanique, Madrid un climat continental et Jerez un climat méditerranéen.

Durant la période 1971-2000, l’observatoire madrilène a enregistré une précipitation annuelle moyenne de 436 mm. Durant l’année hydrologique 2005-2006, les précipitations accumulées se situaient entre 300 et 400 mm.

À Saint-Jacques de Compostelle, la précipitation annuelle moyenne annuelle est de 1 886 mm sur la même période (1971-2000), alors que, à 15 jours de la fin de l’année hydrologique 2005-2006, la quantité récoltée se situe entre 1200 et 1400 mm. A Jerez, la précipitation annuelle moyenne est de 598 mm pour la même période, alors que cette année les chiffres sont entre 500 et 600 mm.

Nous vérifions que dans tous les observatoires les précipitations enregistrées récemment sont significativement inférieures aux moyennes antérieures. Mais on peut se demander si c’est le manque de pluie qui constitue l’unique raison de la pénurie d’eau en Espagne ?
Durant la même période, la population espagnole est passée de 35 millions d’habitants à près de 44 millions en 2006. Cela peut constituer un autre problême dans l’approvisionnement en eau des populations.

Si nous ajoutons sécheresse et croissance démographique, nous aurons certains des facteurs clefs d’une manque d’eau dans la péninsule. Mais constituent-elles les seules causes ? Que s’est il passé avec l’eau ces dix dernières années ? Quelle politiques ont été mises en place sur ce sujet ? Nous allons l’analyser.

2 — Propositions de solutions au problème.

— 2.1 Le plan hydrologique national

En 1993, et avant la sécheresse qu’a subi l’Espagne, le gouvernement du Parti Socialiste (PSOE) proposa un Plan Hydrologique qui ne dépassa pas le stade du Conseil National de l’Eau (un organe consultatif qui pose des conditions comme l’élaboration de plans pour des bassins d’eau ou de l’irrigation), et le dit projet fut rejeté. Cependant, l’arrivée au pouvoir du Parti Populaire (PP) en 1996 fut le commencement de la création d’un nouveau Plan Hydrologique National, qui ne verra pas le jour avant l’an 2001.

En 2006 le volume d’eau retenue était de 24 108 hectomètres cubes, alors que la moyenne des dix années précédentes était de 30 994 hm³. Pourtant, en 2000, quand on présenta le Plan Hydrologique National (PHN) la quantité d’eau retenue était de 27 300 hm³, et comme nous le voyons dans l’image, cela se situait au sommet de la moyenne des 5 années précédentes.

Si la sécheresse en Espagne en 2000 n’était pas quelque chose d’urgent, pourquoi présenta-t-on le PHN ? Par prudence ? Nous analyserons les mesures que le PHN proposait.

Le PHN expliquait qu’il existait deux zones en Espagne particulièrement déficitaires en eau. Le bassin de la rivière Guadiana et celle de du Jucar-Segura. Pour solutionner ce problème, le PP décida que la meilleure solution au problème était un transvasement d’eau. Le bassin de la rivière Segura disposait déjà un transvasement d’eau, qui fonctionnait depuis les années 80. Les retenues de Entrepeñas et Buendía, en amont du fleuve Tage, envoyaient de l’eau à travers un viaduc depuis le même centre péninsulaire jusquà l’extrême sud oriental.

Néanmoins, pour faire face à la demande croissante d’eau de Murcia et du Levant et au vidage progressif des retenues à la source du Tage, un nouveau moyen pour amener l’eau jusque là devenait nécessaire. Le gouvernement conservateur opta pour le transvasement. Dans ce cas, l’eau devait partir depuis le delta de l’Ebre, parcourir tout l’intérieur du Levant et déboucher en diverses retenues proches du littoral. Une oeuvre pharaonique, qui requerrait un très fort investissement, et en meêm temps qui mettrait en danger le futur Parc National du Deltebre. En même temps, cela ne solutionnerait pas la désertification dont souffre la zone centrale de l’Aragon, surtout la région de Los Monegros.

La réponse populaire au PHN fut impressionnante en Aragon, avec plus d’un million de personnes dans les rues de Madrid. Pourtant, le PP mis son projet en marche, bien qu’il manquat encore six ans pour le conclure.
Comme nous l’avons vu, le PHN centrait ses efforts dans la zone levantine ; mais pourquoi ? C’est évidemment la zone qui souffre le plus des ravages de la sécheresse. De plus, une grande partie de la population vit de l’horticulture irriguée, qui requiert une grande quantité d’eau pour son développement.

Néanmoins, aux débuts de 2002, on commença à faire la promotion à la télévision de nouvelles constructions de maisons de luxe sur la côte du Levant et des équipements de tourisme de grand standing au même endroit. De même, on annonçait aussi les constructions de terrains de golf, etc… Il découle clairement que les maisons secondaires, les installations et les terrains de golf nécessitent d’énormes quantités d’eau. Ces entreprises sont-elles arrivées là grâce à l’eau que promettait le PHN ? Ou est ce le contraire ? Nous ne le saurons jamais. Dans tous les cas, le PHN fut démantelé avec la sortie du PP du pouvoir en 2004. Le PSOE apportait dans son programme l’arrêt du PHN et son propre projet d’initiatives pour pallier à la sécheresse dans toute l’Espagne et spécialement dans le Levant.

— 2.2 Le programme AGUA

Ce programme (Actions pour la Gestion et l’Utilisation de l’Eau) est la réponse apportée au problème de l’eau en Espagne de la part du gouvernement socialiste. Il est appliqué depuis 2004 même si il a reçu des critiques de la part du PP, qui mobilisa ses réseaux pour défendre le PHN sous le mot d’ordre « De l’eau pour tous ». Mot d’ordre très joli, mais qui souffrait d’une grande hypocrisie. À cause des transferts d’eau du Tage, la situation dans la zone du Segura est catastrophique, de même que dans les retenues en amont du Tage.

Comme nous pouvons le voir la politique de « transfert » a eu pour résultat le manque total de réserves des deux bassins, dans un cas à l’envoi excessif d’eau vers la retenue déficitaire, et dans l’autre à cause de l’augmentation excessive du coût de l’eau, spécialement pour l’arrosage.
Si nous vivons dans une zone en voie de désertification, comment pouvons-nous vivre de l’irrigation ? Ceci est le résultat de l’« eau pour tous » du Parti Populaire. Il faut dire que les transferts d’eau d’une zone à une autre sont décidés en conseil des ministres, c’est pourquoi les gouvernements sont ou ont été acteurs du désastre qui ont conduit aux réserves d’eau espagnols.

Le programme AGUA met davantage l’accent sur la réutilisation de l’eau, la désalinisation que dans les transferts. Par exemple, dans la ville de Malaga, on a installé une usine de désalinisation et on a initié un programme de réutilisation de l’eau pour l’irrigation. Dans la commune de Murcia est prévu la construction de quatre usines de désalinisation pour la consommation humaine et une pour l’irrigation.

Les actions se répartissent au large du littoral du Levant. Mais, et le reste de l’Espagne ?

Au cœur de la péninsule, nous avons vu les difficultés qu’il y a. Sur le plateau, il existe des restrictions d’eau et en Aragon, en Castille, etc. la désertification avance. Il est certain que le programme AGUA pourra réduire les problèmes, les atténuer. Il pourra peut-être fournir l’eau nécessaire aux Habitants de Murcia. Il pourra favoriser l’augmentation de la réserve en eau pour les terres irrigables. Mais tant que l’on continue à favoriser l’existence de terrains de golf, de stations touristiques et de terres irriguées là où le désert avance, il est très difficile de résoudre le problème de l’eau en Espagne.

Eduardo Villaverde
Extrait du mensuel Tierra y libertad (FAIbérique), octobre 2006
Traduction : relations internationales de la FA