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éditorial du nº 1180 et autres articles du ML1180

du 11 au 17 novembre 1999
Le jeudi 11 novembre 1999.

https://web.archive.org/web/20030422172525/http://www.federation-anarchiste.org/ml/numeros/1180/index.html

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éditorial

Plus que jamais, la guerre fait rage en Tchétchénie. Mais c’est tout le Caucase qui est sous la pression des troupes russes. Il est de plus en plus évident que Moscou n’a aucune envie ni de discuter, ni de négocier quoi que ce soit avec qui que ce soit. Cette région est considérée par le Kremlin comme faisant partie de sa zone d’influence naturelle et il est hors de question de laisser percer le moindre soupçon d’ingérence ou d’intervention étrangère. La Russie combat des « terroristes » un point c’est tout. Et l’on sait qu’aucun État ni aucune organisation internationale ne trouvent à redire sur le principe d’éradication physique des « terroristes ».

Fort de ces considérations et sûr de sa supériorité militaire Poutine, Premier ministre actuel de la Fédération de Russie met le paquet pour acquérir une légitimité politique avant les élections présidentielles prévues l’année prochaine. Mais comme d’habitude nous savons que si la carrière de Poutine est sans doute éphémère, les intérêts stratégiques, militaires et économiques qui sont les véritables enjeux de ce conflit sont eux déterminants (voir articles des ML nº 1177 et 1174). Deux déclarations récentes viennent conforter cette dure réalité.

La commission parlementaire permanente du Conseil de l’Europe a pris ce jeudi 4 novembre fait et cause pour Moscou par une déclaration justifiant la lutte contre « tous les actes terroristes à l’intérieur et à l’extérieur du territoire tchétchène et les violations des droits de l’homme résultant de l’application de la charria ainsi que des prises d’otages ». On ne peut être plus clair quant à un soutien politique à la Russie alors que la veille le ministre russe de la Défense déclarait : « nous avons l’intention de libérer des terroristes non seulement la ville de Grozny mais aussi l’ensemble de la Tchétchénie ». Il faut donc s’attendre à un nouveau durcissement dans ce conflit avec sans doute l’entrée des troupes russes dans Grozny encerclée. Ce qui ne se fera pas sans dommages pour les populations civiles.

Autre décision importante dans ce jeu de monopoly mondial pour la conquête des marchés : un accord a été signé à Ankara entre la Turquie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie pour la construction d’un oléoduc stratégique long de 2000 km pour l’acheminement du pétrole de la mer Caspienne vers le terminal turc de Ceylan. Sur ce coup-là les États-Unis ont joué un rôle essentiel et la Russie accuse le choc alors qu’elle défend le principe d’un tracé différent sur « son territoire » où justement se mène la guerre actuelle. Quel hasard !

Pendant ce temps-là des centaines de milliers de personnes fuyant les bombardements crèvent de faim, de froid sous les bombes, dans les montagnes et collines de Tchétchénie et sont bloqués par les gardes-frontières russes qui les empêchent de se réfugier en Ingouchie ou en Géorgie. Quelles que soient les guerres, les populations trinquent…


Professionnelle, humanitaire, européenne

Refusons toutes les armées !

La nouvelle militarisation de la société, française et européenne, impose le réarmement politique des anarchistes. Plus difficile à percevoir qu’à l’époque ou l’on utilisait la troupe pour mater les grèves ouvrières, la menace que représente l’armée pour la liberté semble se dissoudre dans la disparition du service militaire. On n’entend plus guère parler des militaires que pour les associer à des opérations « humanitaire ». Rwanda ou Kosovo, et même la guerre du Golfe, sont justifiées par la propagande militariste au nom de l’aide aux peuples en péril. Depuis que le casque est devenu bleu, la « grande muette » est entrée dans l’aire de la communication, au même rythme que l’antimilitarisme peinait, s’essoufflait, et finalement disparaissait. Même les anarchistes ont fait disparaître de leurs priorités militantes la lutte contre l’armée, ou ne la ressorte que pour les occasions exceptionnelles : guerre ou 11 novembre (eh ! oui, on est lucide). C’est qu’il ne servirait à rien d’essayer de mobiliser une population démobilisée et largement convaincue que l’armée la protège plus qu’elle ne la menace. Qui plus est, la peur de la guerre en Europe et de l’instabilité à la périphérie est et sud de l’Union européenne, l’idéologie européaniste qui se nourrit d’anti-américanisme, et l’hypocrisie d’une ingérence humanitaire orchestrée par les États et leurs troupes, ont détruit le mouvement pacifiste des années 80, dévasté les associations qui luttaient contre la militarisation de la société. Ce gain politique et idéologique des militaires aggrave encore le danger que représente le renforcement de leur pouvoir.

La menace de l’Europe militaire

La militarisation de l’Union européenne est une réalité incontestable même si elle est souvent discrète et à géométrie variable. Les évolutions se situent autant sur le plan des coopérations bilatérales entre armées (la brigade franco-allemande par exemple) que sur celui de l’industrie militaire. La récente création d’un géant européen de l’industrie aéronautique et spatiale destiné à concurrencer Boeing, inclut au premier plan les préoccupations militaires. Dans les coulisses de la construction européenne, une série de mesures ont été prises pour doter l’UE d’une capacité d’intervention plus cohérente. Cette évolution dangereuse est récente. il faut dire que l’unification européenne est restée marquée par l’échec cuisant de la Communauté européenne de défense en 1954. La France refusait alors le réarmement de l’Allemagne qui serait devenu inévitable.

Depuis les choses ont bien changé et la disparition de l’URSS, la réunification allemande, ont levé les barrières qui interdisaient à l’Allemagne de redevenir une puissance militaire. La nomination récente d’un général allemand comme commandant des forces au Kosovo est le symbole de cette évolution. Cette force européenne reste cependant soumise à de fortes contradictions internes, à des tiraillements entre États qui souhaitent tous que l’Europe militaire parle d’une seule voix : la leur. L’Europe militaire se construit donc, mais dans l’orbite de l’impérialisme américain dont elle ne refuse pas à l’occasion de faire les basses œuvres. Mais surtout, l’Europe militaire est celle de l’industrie militaire. La mondialisation a percuté de plein fouet ce secteur, que ce soit en Europe ou aux États-Unis. Elle a accéléré au sein de l’Union la coopération et l’intégration capitalistique du secteur. Celui-ci dépend étroitement, de la « recherche ­ développement » à la vente, de l’État commanditaire. De fait, on ne compte plus les programmes mis en route par les principaux marchands de canons européens que sont la France, la grande Bretagne, l’Allemagne et l’Italie. Il y a là la volonté commune à l’État et au capital de faire apparaître un véritable capitalisme européen. Les restructurations imposées laissent les travailleurs impuissants quand elles ne les poussent pas à suivre les discours militaristes de la plupart des organisations syndicales (sous couvert de défense de l’emploi).

Réarmement politique

Il ne serait pas inutile, dans ce contexte, d’ouvrir des perspectives de remobilisation militante, qui reprennent à la fois les « vieilles » revendication du mouvement anarchiste, qui n’ont malheureusement rien perdu de leur valeur ou de leur actualité, et de nouvelles propositions. Les propositions ou les mots d’ordre pourraient paraître désuets si la nouvelle militarisation de la société n’était pas aussi menaçante. Contre l’OTAN et son « pilier » européen ; dissolution de l’euro-corps au nom de l’antimilitarisme et pas d’une défense nationale ; réorientation de la recherche militaire vers des objectifs civils et sociaux ; abandon total et immédiat de l’armement nucléaire ; vers le désarmement généralisé ; démystification systématique des interventions militaires sous couvert d’aide humanitaire : tout ces slogans et de nombreux autres sont d’actualité. Mais avant qu’ils ne retrouvent la place qui doit être la leur dans les luttes sociales, il y a un énorme travail d’explication à réaliser. La faible mobilisation contre la guerre en Serbie, l’indifférence totale face à la poursuite des bombardements en Irak, le manque d’intérêt pour ce qui se passe en Tchétchénie (si on le compare avec l’Afghanistan il y a quelques années), suffisent à rafraîchir les ardeurs militantes. Pourtant quand on explique, quand on démontre ce qui est en train de se produire, l’indignation succède en général à la surprise. Le sentiment suivant est l’impuissance, face à de telles forces. C’est pourquoi, il faut intégrer la préoccupation antimilitariste dans une dimension plus large, celle des luttes sociales.

Franck Gombaud (Rennes)


Pour une approche socialisée des transports

Si on veut regarder les choses en face, il faut bien convenir que ce qui provoque les déplacements en voiture, ce ne sont pas des histoires de comportement incivique des automobilistes mais bel et bien la structuration spatiale de la ville et les rythmes urbains : deux grands facteurs que nous subissons bien plus que nous les choisissons. Les causes essentielles des déplacements sont l’éloignement géographique entre les différents lieux de vie et la synchronisation des rythmes urbains. La segmentation de la ville et les temporalités urbaines comme on dit pour faire savant. Or, l’automobiliste de base n’est en rien responsable de ces deux paramètres.

Sur la question de la segmentation de la ville

Sur ce point chacun peut constater, depuis bien des années une tendance lourde à la spécialisation des espaces urbains (des zones seulement industrielles, d’autres seulement dortoirs, etc). L’industrie a quitté peu a peu le cœur des villes pour se relocaliser en banlieue (au nom de l’hygiène des villes d’ailleurs, motif d’intérêt général que l’on nous ressert aujourd’hui pour bannir la voiture). Le petit commerce de proximité s’est effacé devant les grands centres commerciaux de périphérie (Auchan, Carrefour, etc). Des lotissements se construisent enfin de plus en plus loin du centre de l’agglomération On pourrait ainsi multiplier les exemples.

C’est avant tout cette spécialisation des espaces urbains, ainsi que l’étalement de la ville dans des périphéries de plus en plus lointaines, qui ont provoqué un accroissement des distances entre nos différents lieux de vie quotidiens (travail, domicile, loisir, etc.) et de là résulte une croissance exponentielle des déplacements urbains. À qui la faute, encore une fois ? Au prolo ou à ceux qui décident de la ville ? À travers quelques exemples, la réponse paraît évidente : l’éclatement de la ville est de la responsabilité de ceux qui détiennent notre destin dans leurs mains, qui gèrent nos vies, comme d’autres gèrent des boulons. En aucune façon, on ne peut considérer que le prolétariat soit responsable des actes de ceux qui les exploitent et les oppriment.

L’exemple des déplacements domicile-travail

En seulement dix ans, les distances domicile-travail ont doublé en France passant de 7 km en moyenne à 14 km.

Certains pourrait répondre que c’est parce que les gens s’installent de plus en plus loin de leur lieu de travail donc que c’est de leur faute. Analyse encore une fois parfaitement a-sociale qui ne prend absolument pas en compte la structuration de notre société. En effet, si les bourgeois et leurs classes dites moyennes ont les moyens de choisir le lieu où elles habitent et même d’en changer au gré de leur mutation, le prolétariat est bien loin d’être dans ce cas.

Pour les prolos, la distance entre le domicile et le travail ne se choisit pas, elle se subit, Ce sont eux en effet qui ont pris en pleine gueule ces dernières années le double durcissement du marché du travail mais aussi du marché du logement. Le marché du travail a connu ces dernières années une flexibilisation et une précarisation croissante, ce dont certains ne semblent pas avoir spécialement conscience. aujourd’hui quand on trouve un boulot, on sait très bien que ce n’est pas pour la vie. Pourquoi donc s’en rapprocher quand demain, à la fin du CDD ou du contrat d’intérim, on risque de travailler à l’autre bout de l’agglomération. Les choses se compliquent évidemment quand on est en couple et que ce sont les deux qui sont soumis aux aléas du marché de l’emploi, chacun travaillant par intermittence et chacun d’un côté de l’agglomération. Faut-il encore souligner qu’il ne s’agit pas là d’un choix de vie, mais d’obligation.

Avec la fin du plein emploi, ceux qui sont au bas de l’échelle sociale n’ont ni le loisir de se rapprocher de leur lieu de travail, ni celui de refuser un job sous prétexte qu’il est vraiment trop loin. Le marché du logement a connu de même un très fort durcissement. Le développement de la propriété privée (favorisée par l’État via les prêts bonifiés) et la flambée du locatif (via la déréglementation des loyers) rend de facto extrêmement difficile un déménagement. Quand on est propriétaire de sa maison Phénix ou Bouygues, il faut en effet non seulement trouver à la vendre mais aussi à en acheter une nouvelle qui soit dans nos prix ce qui n’est pas à proprement parler une simple paire de manche. Pour ceux qui l’ignore, le marché immobilier a subi ces dernières années une très forte stagnation et pas seulement pour l’immobilier de bureaux. De plus, les frais de notaires et autres impôts, font qu’il est souvent difficile pour les petits propriétaires de maison préfabriquées de vendre leur logement sans y laisser des plumes.

De même quand on est locataire, déménager signifie prendre une augmentation de loyer conséquente… sans compter avec les sommes à débourser pour les loyers d’avance, caution et autres frais d’agence. En fait, de par le durcissement du marché du travail et du marché du logement, l’accroissement des distances domicile-travail ne peut absolument pas être considéré comme voulu par les salariés, notamment pour les plus pauvres. Ce sont eux qui en paient déjà le prix économiquement (ça coûte cher de se déplacer) mais aussi humainement (ça fatigue aussi).

Sur les temporalités urbaines

L’autre facteur qui aggrave le précédent, ce sont les rythmes urbains qui mettent dans la rue tout le monde au même moment. L’importance de ces temporalités urbaines est bien entendu évidente sur les pics de pollution et les bouchons, Comme pour la segmentation de la ville, il est clair que généralement nous n’en sommes en rien responsables, Reprenons simplement les deux exemples déjà abordés : le travail et les courses. Ce sont évidemment les rythmes de travail, les horaires scolaires, de bureaux, d’usines et de commerces qui déterminent le moment où l’on se déplace pour aller travailler ou pour revenir du travail. Là encore, est-ce la faute des salariés s’ils se retrouvent tous dans les rues au même moment ou est-ce la faute des entreprises, des écoles, etc. qui calquent systématiquement leurs horaires les uns sur les autres ?

De même pour chaque vacance, on voit des familles partir toutes quasiment le même jour et aux mêmes heures (malgré bison futé). Là encore, c’est bien le fait des entreprises et des écoles qui les libèrent en même temps sur certaines périodes (juillet, août, noël, etc.) et aussi la faute des loueurs de vacances qui font systématiquement démarrer les locations le samedi. Les rythmes d’achats s’imposent quant à eux au plus grand nombre tous les samedis. Là encore, ce n’est pas à une question de mode, de tempérament ou d’indiscipline des consommateurs, mais le résultat des rythmes hebdomadaires qui nous sont imposés. Durant la semaine, entre le travail et les déplacements connexes (école, crèche, etc.), on ne risque pas en effet d’avoir beaucoup de temps pour aller faire ses courses.

Propositions pour une approche socialisée des transports

Pour nous, anarchistes, la question fondamentale n’est pas de gérer la misère actuelle dont nous ne nous sentons d’ailleurs nullement responsables. Le problème de fond est d’apporter notre contribution à la résolution de la question sociale dans son ensemble. Les transports n’en sont de fait qu’un aspect.

Pour résorber et maîtriser les déplacements urbains, il nous semble nécessaire de mettre en place une politique globale de la ville. Il faut en effet arrêter la juxtaposition de politiques sectorielles plus ou moins contradictoires dont les effets induits sont non maîtrisés et trop souvent catastrophiques. Ceci signifie qu’il faut en finir avec le saucissonnage en politique de logement (qui produit l’étalement urbain), politique économique (qui génère la géographie des entreprises), politique commerciale (qui détermine l’implantation des hypers), politique des transports, etc. Nous, anarchistes, prônons une approche globale de l’agglomération urbaine à partir de laquelle des actions spécifiques en matière de logement, d’économie… pourront se décliner.

Cette politique globale de la ville ne peut être conçue comme un simple exercice de style portant sur la forme et les flux. La ville doit être orientée et façonnée pour les besoins de ses habitants et non comme une machine abstraite ce qui, de plus, sert bien souvent à camoufler des intérêts, sordides. Il n’y a pas de ville belle, il n’y a pas d’air pur, il n’y a pas de qualité de la ville dans l’absolue. Il ne doit y avoir que la ville que nous voulons tous ensemble, l’air que nous acceptons de respirer et la qualité de la vie que nous désirons.

Cette politique globale et sociale de la ville doit être définie non par des politiciens qui ne pensent qu’à leur profit personnel, ni par quelques technocrates, fussent-ils affublés des habits de la sciences, mais par l’ensemble des habitants. Pour ce faire des débats publics portant sur les enjeux d’agglomération (quelle ville et quelle vie voulons-nous), précédée d’une véritable information sur les tenants et les aboutissants doivent être organisés. Ces débats donneront lieu alors à des prises de décisions, qui seront ensuite mises en œuvre par des délégués révocables nommés sur des mandats précis et impératifs. De la même manière, une politique spécifique des transports pourra être définie mais dans le cadre d’une politique globale de la ville, cette procédure permettant une meilleure maîtrise (certes jamais parfaite) des effets induits par toute action sur la ville.

En attendant la révolution

Nous, anarchistes, considérons que le financement des transports urbains doit être pris en charge par ceux qui les causent à savoir les entreprises les hypermarchés etc. L’État et les collectivités locales sont effectivement aussi responsables. Toutefois, les choses étant ce qu’elles sont, leur demander de payer reviendrait à faire payer le contribuable via les impôts.

Nous considérons que les habitants en supportent déjà beaucoup trop dans leur chaire et leurs finances (voiture, essence, ticket. impôts de toute sorte…). Nous nous élevons donc contre toute tentative de les faire payer encore plus.

C’est pourquoi nous sommes pour le financement des transports urbains par une taxe sur les sociétés prélevée directement sur les profits et non sur les salaires.

L’exemple lyonnais

Cet argent doit être géré par une régie mutualiste d’agglomération. En effet l’État et les collectivités locales se sont montrés incapables de gérer la question des transports et la question urbaine en général et y compris en matière de transports en commun. Lyon détient d’ailleurs le record européen de la diversité des modes de transports en commun (bus, trolley, métro normal, à crémaillère, automatique, funiculaire et bientôt tramway). Cette diversité nous coûte très cher en impôts du fait qu’aucune économie d’échelle n’est faite. Il est vrai cependant que cela permet à certains d’en profiter… Cette régie, placée sous le contrôle des habitants aura en charge le financement de nouvelles infrastructures comme la gestion de l’existant (entretien réparation…) tant en matière de transports urbains qu’en matière de transports collectifs.

Paul Boino, ­ groupe Saornil (Lyon)


Action humanitaire

L’instrumentalisation de la misère

« L’action humanitaire sera la nouvelle politique de demain »
B. Kouchner, 1993

S’il y a un scandale dont on peut s‘émouvoir, c’est celui de l’essor de l’action humanitaire. Son ampleur est telle qu’elle est devenue en quelques décennies un secteur économique à part entière, et que l’ONISEP (1) consacre une de ses récentes brochures à la question (2). Il y a beaucoup de raisons à cet essor, principalement pécuniaires et politiques. Sur ce terrain, on retrouve essentiellement deux catégories d’institutions : les associations (que l’on appelait il n’y a pas dix ans les associations caritatives) et les entreprises d’insertion. Si l’on prend ces dernières, on peut voir que leurs dirigeants sont à 43 % d’anciens chefs d’entreprise ou des cadres (30 % de patrons, 13 % de gérants, ingénieurs, assureurs etc.) contre 48 % de gens issus du secteur associatif ou social, ce qui tend à laisser penser que l’enjeu financier est de taille.

Beaucoup d’associations ou d’entreprises à vocation humanitaire sont l’émanation directe des pouvoirs publics, des mairies, des conseils généraux ou régionaux. Ces structures ont à leur disposition de nombreux avantages financiers, dont la facilité du classement d’utilité publique (qui permet de toucher de nombreuses subventions, ce qui peut expliquer que le caractère revendicatif premier comme les combats pour un logement, un revenu etc est souvent effacé et réorienté avec l’arrivée de la subvention) et également tout un arsenal législatif (et des institutions comme le CNASEA) (3) qui leur permet d’engager à bas coûts, et le plus souvent à bas salaires (grâce aux contrats CES, aux objecteurs de conscience ou dernièrement aux emplois jeunes) des travailleurs en grande difficulté sociale. On a donc dans le secteur de l’insertion des entreprises et des associations qui maintiennent une population dans la pauvreté et l’instabilité sociale. Rajoutons à cela le bénévolat, forme de travail non négligeable au sein des associations (y compris dans les associations humanitaires) voire même la forme de travail prépondérante au sein de certaines structures qui permet de disposer d’un travail gratuitement.

Le paysage « humanitaire »

Lorsqu’on observe le secteur humanitaire, on a affaire à de l’aide à l’insertion, à de l’aide à l’alphabétisation, à de l’aide médicale, à du secours aux pauvres, à de l’assistance juridique… Le tout paraît confus et sans lien évident. Il ne faut surtout pas se fier aux apparences, et la coordination de l’action humanitaire existe depuis longtemps. On a par exemple en ce qui concerne le logement la fédération PACT-ARIM qui regroupe des associations comme Droit au logement, Fondation abbé Pierre, Secours populaire, Secours catholique, etc., le tout en une cinquantaine d’associations. Pour l’aide aux chômeurs, la liste des organismes qui coordonnent l’action des associations et des entreprises d’insertion est longue, il y a d’abord le FNARS (Fédération nationale des associations d’accueil et de réadaptation sociale), le CNEI (Comité national des entreprises d’insertion), les COORACE (Coordination des organismes d’aide aux chômeurs par l’emploi) qui fournit des petits boulots aux chômeurs, c’est cette fédération qui diffuse son travail sous la marque Proxim’Services.

On le constate donc, les associations et entreprises d’insertions sont loin d’être une émanation chaotique et conjoncturelle mais elles deviennent un moyen de gérer l’urgence et d’en refabriquer de façon à se légitimer. Ces ensembles sont assez souples et relativement organisés, et ils collent souvent au terrain.

L’humanitaire, une solution ?

C’est en cela que l’action humanitaire est une solution des hommes politiques à la crise mais sans être une solution politique à celle-ci. L’essor de ce secteur est une utilisation de ces structures par pouvoir faire face à la misère. Par le biais de ces associations, il fait effectuer un travail à des organismes privés, qui deviennent donc beaucoup plus que des associations caritatives en effectuant le travail de la collectivité. Chaque organisme privé sélectionnant sa « clientèle » (de manière plus ou moins subtile, comme le montre l’exemple de Fraternité françaises) (4), l’utilisation de l’argent public se fait de façon injuste car les prestations fournies (qui, rappelons-le, ne sont pas un droit pour la personne qui va en bénéficier) le sont au bon vouloir de l’association.
La question de la justice sociale qui nous anime nous anarchistes est donc reléguée au placard, et le désengagement de la collectivité, des questions de répartition, d’éducation et de santé provoqué et aidé par l’État est inacceptable. La politique de « ciblage » des populations assistées par les associations ou par les aides publiques (comme le RMI ou l’Aide Médicale Universelle) est une politique de ségrégation sociale, c’est-à-dire la pire chose qui soit dans le capitalisme. L’action humanitaire fait partie d’un processus construit par le pouvoir pour renforcer son chantage et la dictature de l’urgence devient la justification de toutes les interventions, y compris armées, comme on l’a vu récemment au Kosovo, et également dans le conflit au Rwanda. Cette instrumentalisation de la détresse des populations fait que les anarchistes ne peuvent cautionner ce genre de chantage où le massacre des uns justifie la destruction des autres.

Nous nous plaçons dans l’optique de l’égalité économique et sociale entre tous les individus et les moyens de lutte contre la misère doivent être en accord avec nos idées, et il appartient à la collectivité de se réapproprier, par la lutte autogestionnaire ce qui la concerne, c’est à dire tout ce qui relève de l’éducation, de la santé, du travail, de la culture, de la solidarité internationale.

Sam. — groupe Jules-Vallès, (Grenoble)

(1) Office national de l’information sur les enseignements et les professions
(2) Info-sup nº 179.
(3) CNASEA : organisme relevant du ministère de l’agriculture qui, dans les années 70, assurait la gestion des objecteurs de conscience, et qui, petit à petit, s’est mis à gérer tous les contrats précaires dans les administrations et les associations.
(4) Officine caritative du Front national, réservée aux « bons français exclusivement ».


Fait d’hiver

Selon que vous serez !…

En mars dernier, parce qu’il avait les fins de mois difficiles, un jeune Roannais a bloqué son compteur EDF. Bêtement. Avec un couteau, en brisant les scellés. Et il s’est fait gauler ! Le préjudice est estimé à 22,55 F. Le procu, regard d’aigle et préchi-précha à la clef, a réclamé trois [?] de prison. Le tribunal, magnanime, n’a prononcé qu’une peine d’un mois de prison ferme.

Lors de la dernière guerre, un secrétaire général de la préfecture d’une grande ville du Sud-Ouest se l’est joué « j’obéis aux ordres » dans cette ignominie que fut la déportation vers les camps de la mort. Ce haut fonctionnaire qui s’illustra quelques années plus tard comme préfet de police en résistant à la tentation de faire liquider plus de quelques centaines de manifestants algériens désarmés fut inculpé, il y a 17 ans, pour complicité crime contre l’humanité ». Pendant ces 17 ans, et jusqu’à dernièrement, il fut laissé en liberté.

Il y a quelques mois, un petit dictateur serbe s’est cru autorisé, défense de « l’unité nationale » oblige, à pouvoir piller, violer, torturer, massacrer… un petit million de Kosovars qui se seraient contentés d’un peu de respect. Les malandrins et autres benêts d’un humanisme musclé, et les avions de l’ONU se sont chargés de le rappeler à l’ordre.

Actuellement, les mafieux d’une prétendue fédération de Russie, toujours défense de « l’unité nationale » oblige, s’autorisent la même chose que le petit dictateur serbe, en Tchétchénie. Les humanistes et les avions de l’ONU n’y trouvent rien à redire. Dernièrement, un vieux fasciste chilien n’ayant plus rien à vendre se voyait mis au pilori de l’opprobre tandis, qu’un « jeune » fasciste rouge chinois ayant encore quelque chose à vendre était reçu à bras ouverts par le président d’une prétendue république et son Premier ministre socialiste.

Ainsi vont depuis toujours les choses au royaume du capitalisme et de la « démocratie » bourgeoisie. Ainsi iront toujours les choses tant que, de « réalisme » en lâcheté et de compromis en compromissions, nous apporterons notre concours, tacite ou implicite, à l’intolérable.

Tu t’sens visé ?
T’as raison !
Selon que nous serons… !

Jean-Marc Raynaud


IVG : un droit fondamental mis en difficulté

À la demande de Martine Aubry, ministre de l’emploi et de la solidarité, et de Bernard Kouchner, alors secrétaire d’État à la santé et à l’action sociale, le professeur Israël Nisand (1) a remis en février 1999 un rapport sur la situation de l’IVG en France. Si nous revenons sur ce rapport, c’est qu’il était entendu qu’il serait suivi d’effet, c’est-à-dire que les propositions évoquées « pour diminuer les difficultés que rencontrent les femmes » se traduiraient en actions. Martine Aubry l’avait annoncé, notamment dans un communiqué en date du 19 mars 1999…

Or les femmes ne voient rien venir et les militantes féministes s’impatientent. C’est pourquoi, pour les 25 ans de la loi dite Veil, une manifestation nationale s’organise pour le 15 janvier 2000. Parmi les revendications féministes actuelles concernant le droit à l’emploi et à un salaire décent ou la dénonciation de toutes les violences, les revendications pour la liberté de l’avortement apparaissent comme fondamentales tout comme celles relatives à l’accès à la contraception : ce sont celles qui permettent, en d’autres termes, de pouvoir choisir sa vie en toute liberté.

Le rapport Nisand a le mérite de dresser l’état des lieux des difficultés rencontrées par les femmes en demande d’interruption volontaire de grossesse : il permet ainsi de faire des propositions qui s’appuient sur des faits actuels. Grâce à la participation active de militantes de la CADAC (Coordination des Associations pour le droit à l’avortement et à la contraception), du MFPF (Mouvement français pour le planning familial), de l’ANCIC (Association nationale des centres d’interruption volontaire de grossesse et de contraception) et de la fédération SUD-CRC (fédération syndicale dans le secteur sanitaire et social), le rapport décrit dans le détail les anomalies, irrégularités, difficultés, entraves dans l’application de ce droit : « des difficultés dont ne semblent se soucier ni le législateur ni les structures dont la réponse est insuffisante tant au plan quantitatif qu’au plan qualitatif ».

En effet, l’activité d’IVG reste marginalisée dans les établissements publics : les professionnels médicaux et paramédicaux qui furent militants dans les années 70 pour implanter cette activité à l’hôpital n’ont pas de relève d’autant qu’ils sont le plus souvent vacataires et que le service n’a pas le statut des autres services hospitaliers : centres autonomes ou CIVG, unités fonctionnant dans le cadre d’un service hospitalier avec affectation de locaux et de personnels, ou d’activités d’IVG pratiquées par un service sans affectation spécifique de personnels et de locaux. Si bien que le contingentement systématique du nombre d’actes par manque de moyens ou par volonté, les difficultés de recrutement des professionnels, l’accueil mal adapté, la faible disponibilité de l’IVG médicamenteuse, ne permettant pas d’assurer la continuité du service public ni la qualité de prise en charge requise. Ainsi, faute de trouver une écoute ou un rendez-vous à l’hôpital public dans des délais rapides, des femmes sont contraintes de rechercher une solution dans le secteur privé, parfois à la limite du délai légal ou le dépassant. En 1998, 857 établissement assuraient des IVG dont 449 dans le secteur public : 52,3 % des IVG seulement ont été réalisées par l’hôpital public en 1992 (47,7 % en clinique privée), et deux tiers des IVG sont effectuées dans le secteur privé en Ile-de-France. Régulièrement, est rappelée par circulaire ministérielle la nécessité de mieux répondre à la demande en limitant les difficultés et surtout durant les mois d’été. Mais aucune solution n’est envisagée et des services hospitaliers publics pratiquant les IVG ferment l’été.

Inégalités face à l’avortement

Or, dans le secteur privé, des structures abusent les femmes : aucune information sur le recours à l’aide médicale gratuite, examens radiologique et biologiques superflus, une très grande fréquence d’utilisation de l’anesthésie générale, une durée d’hospitalisation plus longue que dans le secteur public.

« Trois catégories de femmes connaissent un désarroi particulier » relève Israël Nisand. Tout d’abord, celles qui dépassent le délai légal de 10 semaines de grossesse. Cette contrainte actuelle pèse tout particulièrement sur les femmes en situation de précarité et aggrave les inégalités sociales dans ce domaine où le recours aux soins est souvent tardif voire impossible chez des femmes isolées. « Une augmentation de deux semaines du délai légal ferait diminuer le nombre de ces Françaises (qui partent avorter à l’étranger) (2) de 80 % et alignerait la France sur le délai légal le plus courant en Europe ».

Viennent ensuite les femmes étrangères pour qui il est exigé un séjour de trois mois dans le pays, ce qui provoque des situations sociales et humaines dramatiques. Le risque de tourisme abortif redouté n’a aucun fondement : tous les pays européens, sauf l’Irlande, ont adopté une loi relative à l’IVG.

Quant aux femmes mineures, « elles sont dépossédées de leur autonomie en ce qui concerne l’IVG. Elles peuvent accoucher sous X sans autorisation parentale, obtenir des contraceptifs et poursuivre une grossesse ». Mais elles doivent demander l’autorisation parentale si elles veulent avorter et n’ont aucun recours juridique en cas de refus parental. Pour l’auteur du rapport, « la solution réside donc plutôt dans l’affirmation d’un droit propre de la jeune fille à décider de l’IVG en lui garantissant la confidentialité de sa décision ».

L’IVG est le seul acte médical ou médico-chirurgical dont la réalisation nécessite une déclaration pour ne pas être illégal. Chaque femme connaît en moyenne une grossesse non désirée au cours de sa vie et l’interrompt une fois sur deux. Depuis 1976, on peut observer une légère baisse du nombre d’IVG. Le rapport Nisand démontre que la légalisation (très encadrée) de l’avortement n’a pas entraîné sa banalisation, pas plus qu’elle n’a conduit au relâchement de la contraception. L’avortement, en France, joue essentiellement un rôle palliatif de l’échec de la contraception.

Pour autant, même s’il existait une politique volontariste de prévention des grossesses non désirées, il persisterait toujours des demandes d’IVG parce que les méthodes contraceptives ne sont ni parfaites ni parfaitement utilisées et qu’il y a une réelle différence entre désir de grossesse et désir d’enfant. Il ne faut en effet ni opposer contraception et avortement, en pensant que l’un est le substitut automatique de l’autre, ni croire qu’ils vont automatiquement de pair. L’avortement reste bien l’expression d’une contradiction entre le désir des femmes et les réalités sociales, économiques et familiales.

Bousculons le gouvernement

La médicalisation de l’avortement a entraîné une chute spectaculaire des complications et des décès. Alors qu’il était estimé à un décès par avortement par jour dans les années 1960 et à 2 par mois à la veille de la loi de 1975, le nombre annuel absolu de décès par IVG se situe entre 0 et 2. En outre, « l’lVG ne modifie pas la fécondité ultérieure des femmes et les indicateurs de morbidité devraient encore s’améliorer avec la diffusion des méthodes médicamenteuses et l’usage plus large de l’anesthésie locale ».

Si un certain nombre de propositions de Nisand devraient être reprises comme celle qui consiste à préconiser des consultations psychosociales pré et post-IVG non obligatoires ou celle qui recommande des campagnes d’informations sur la contraception, celle qui permettrait aux mineures et aux étrangères d’accéder directement à l’IVG sans autorisation parentale et sans justificatif de séjour en France, il n’en reste pas moins que la proposition de rattacher toute activité d’avortement à un service de gynécologie-obstétrique renforce l’hospitalo-centrisme et la médicalisation même si l’objectif vise à donner un statut aux professionnels et au service assurant les IVG.

En ces temps d’ordre moral nauséabond, le rapport Nisand apparaît audacieux. C’est sans doute pourquoi Aubry, Jospin et Nisand ont reçu tant de lettres de menaces de mort. Nisand a aussi reçu des messages abjects : il vient de déposer plainte pour injures antisémites. C’est sans doute pourquoi aussi aucune des propositions n’a pu encore déboucher. La volonté politique n’y est pas : il va falloir la bousculer.

Hélène Hernandez. — groupe Pierre-Besnard

(1) Chef de service de gynécologie-obstétrique du CHU de Strasbourg.
(2) 5 000 femmes se rendent chaque année à l’étranger : non seulement elles doivent débourser les frais de voyage et payent cher l’IVG, mais celui-ci n’est pas toujours réalisé dans de bonnes conditions.

[[ Manque encadré : les dix propositions du rapport Nisand ]


Restaurant du Train Bleu : rejet de l’accord sur les 35 heures

En gare de Lyon, une grève des serveurs et des serveuses du très luxueux restaurant du « Train Bleu » a duré du 8 au 22 octobre à cause de l’accord sur les 35 heures signé par le seul syndicat CFTC. Cet accord remet en cause les principes de paiement des salaires qui sera basé au pourcentage, ce qui leur fera une perte de salaire de 1000 FF par mois. Les slogans « Tous ensemble » des grévistes étaient rythmés par leurs outils de travail : des marmites, des couvercles, des casseroles, des couverts… Pendant la mobilisation, de nombreux soutiens eurent lieu aussi bien concernant la solidarité financière que pétitionnaire.

Comme dans la plupart des secteurs d’activités en ce moment, dans le secteur de la restauration, les entreprises se rachètent à tour de bras au détriment évidemment des salariés qui y travaillent. Hiérarchiquement, au-dessus de la SA Train Bleu, la Société Eurest (société de restauration internationale fondée entre les wagons-lits et Nestlé) a des intérêts, en montant dans la spirale financière, on trouve la société anglaise FFB et la grande ordonnatrice du lieu, et même au niveau de la gare, puisqu’elle doit posséder à peu près une vingtaine de points de vente est la société anglaise Kompass.

Les patrons n’ont pas hésité à licencier les sept plus anciens agents en les remplaçant par des CDD qui tourneront sur le site. Une employée me disait que les 35 heures ne se présentaient pas bien pour eux au moment de la discussion de la loi. Elle faisait preuve d’une certaine lucidité. Par contre, un serveur, lui, trouvait que les syndicats, et particulièrement la CGT, les avait bien soutenus en particulier lors de la manif de l’emploi. Mais elle veut faire de l’agitation… Les négociations ont permis de combler en partie les pertes de pouvoir d’achat par un complément mais sera-t-il effectif ? Encore un constat amer du paritarisme.

Ne nous laissons manipuler ni par les patrons ni par les négociateurs. Organisons-nous plutôt autrement, et donnons-nous les moyens pour mettre en place une restauration plus conforme à nos aspirations.

Pascal Jourdain, ­ groupe Sacco et Vanzetti


Circulaire Chevènement

Rafles le retour

Le bras armé du racisme gouvernemental a encore frappé. Le ministre de l’intérieur ne semble pas se satisfaire du caractère systématique et européen de la politique des expulsions. Il se distingue une fois de plus par l’insanité de ses décisions et de ses propos. Dans une circulaire datée du 11 octobre, il exhorte les préfets à plus de rigueur dans les procédures de reconduite à la frontière, selon lui : « près de la moitié des personnes qui n’ont pas été régularisées en 1997 et en 1998 n’ont été l’objet d’aucun arrêté de reconduite, ce qui risque de renforcer l’immigration irrégulière ». Pourtant, et le Monde libertaire s’en est souvent fait l’écho, nombreuses sont les situations inhumaines vécues par les sans-papiers victimes de lois ineptes et du zèle de ceux qui aux frontières ou dans les préfectures les font appliquer au mépris de toute humanité.

Circulaire y a rien à voir

Stigmatisant une baisse de 28 % à 20 % du taux effectif de reconduites à la frontière depuis 1997, Chevènement veut faire du chiffre avant de présenter son bilan au parlement, ainsi les derniers mois de 1999 doivent connaître « une augmentation significative du nombre d’éloignements ». Mais là il s’agit d’individus et non de stocks de marchandises. Les flics qui n’en attendaient pas tant auront carte blanche pour multiplier les contrôles au faciès : « vous devez motiver et mobiliser les services de police compétents pour procéder aux interpellations, actuellement en nombre insuffisant ». Quant aux policiers ayant des états d’âme il précise : «  les droits [des étrangers] étant mieux assurés, vous devez lever les hésitations qui peuvent accompagner la notification d’une décision de reconduite » Voilà une fois de plus les plates bandes du FN largement parcourues par la gauche au pouvoir. Mais les motivations électorales ne sont pas seules en cause. Les organisations de sans-papiers ont fait remarquer à juste titre, la relative discrétion de la parution de cette circulaire. Sans doute n’était il pas urgent pour le gouvernement de frapper les immigrés, vu la croissance, l’affaiblissement de la droite…

Force est de constater que les mécanismes mis en place, la synchronisation des procédures des différents états impliqués dans la lutte contre l’immigration( les quotas de places pour expulsés dans les transports aériens, la rentabilisation par l’organisation de charters européens qui permettent de rassembler dans un même appareil les expulsés à destination d’un seul pays), toute cette machinerie infernale, doivent pour continuer à fonctionner, bafouer écraser la liberté de milliers de personnes. Plus la machine se structure, plus elle devient indéboulonnable.

Logiques de guerre

Quand au Kosovo, les victimes d’une guerre ignoble que les racistes de tout poil avaient su préparer, se retrouvent à la rue, on leur envoie Kouchner. Quand en région parisienne des roumains squattent un appart vide on leur envoie des miliciens à la solde des proprios. C’est pourtant bien la misère, produite par les guerres économiques et militaires, qui fait fuir les populations. Souvent la volonté de survivre est telle qu’ils partent au mépris de tout danger. Ceux qui initient cette misère, comme en Afrique où Elf-Aquitaine s’est illustré par son soutien aux pires dictatures, qui accueillent le boucher chinois en grande pompe, sont les mêmes qui assurent le suivi de la répression sur ceux qui veulent fuir leurs bourreaux. Chevènement a donc sans difficulté troqué son uniforme de ministre de la Défense pour celui de l’Intérieur. Après avoir chassé l’étranger de chez lui, il chasse l’étranger en France au nom de la république.

Face à cette situation, les sans-papiers plongés dans des imbroglios juridiques indénouables, ou simplement chassés par une procédure de plus en plus expéditive, ont su réagir et se mobiliser pour défendre leurs droits. Ces luttes ont souvent pris un caractère très déterminé, à la mesure de la détresse des sans-papiers. Aujourd’hui pour que ces luttes prennent un nouveau souffle, un mouvement solidaire et important peut encore faire reculer les États. C’est d’autant plus nécessaire que le gouvernement, discrédité par l’affaire Strauss-Khan, mais surtout par une politique qui ne peut provoquer que le mécontentement, va devoir réagir. Or, on sait qu’un coup d’accélérateur au politiques sécuritaires reste une solution de facilité dont les dirigeants politiques ne savent plus se passer…

Jean, ­ groupe Kronstadt (Lyon)


Belgique : provocation du ministère de l’Intérieur

Nous sommes une dizaine de citoyens à avoir été révoltés par la décision prise par Marc Verwilghen, ministre de la Justice de commander une étude posant l’hypothèse d’une corrélation éventuelle entre origine ethnique et criminalité. Selon nous, cette démarche est, à la fois, scientifiquement absurde, dangereuse pour la démocratie et insultante pour les populations d’origine étrangère de ce pays. Nous avons donc décidé de nous constituer en « Comité contre le délit d’origine » afin de nous battre contre cette démarche et ses possibles dérives.

Vous avez aussi certainement été choqués par l’hypothèse de cette étude. Son caractère stigmatisant portera sans doute préjudice, directement ou indirectement, au travail que vous effectuez chaque jour. Vous l’avez fait savoir ou pas encore. Quoi qu’il en soit, nous vous lançons un appel afin que vous nous souteniez dans notre action.

Vous pouvez le faire :
— en acceptant de signer notre pétition et en nous la faxant au plus vite au 02/502 34 84 ou en la renvoyant au 37, rue de la poste, 1210 Bruxelles ou par Internet à l’adresse :
f.ghrich@worldonline.be
— en diffusant notre pétition dans d’autres associations par fax ou par courrier,
— en insérant notre pétition dans votre publication
— en interpellant le ministre de la Justice et les membres du gouvernement
— en organisant des débats sur la question au sein de votre association
— en nous envoyant des mots d’encouragement !

Nous ne serons pas boucs émissaires de père en fils !

Prétextant lutter contre ce qu’il appelle « la criminalité des jeunes allochtones », le ministre de la Justice Marc Verwilghen a commandé récemment une étude posant l’hypothèse d’une éventuelle corrélation entre criminalité et origine ethnique.

Parce que venant d’un représentant de la nation, une telle démarche cautionne le racisme prôné par les partis d’extrême droite qui doivent leur succès aux discours racisants des partis traditionnels dans les années 80 !

Parce que des études ont démontré que la délinquance des jeunes « allochtones » et leur surreprésentation dans les prisons sont liées aux conditions socio-économiques précaires, à un système scolaire défaillant, à des perspectives d’emploi quasi-inexistantes !

Parce que des études ont démontré que les jeunes d’origine étrangère sont régulièrement victimes de discriminations raciales sur le marché du travail et en matière de justice pénale !

Parce que délinquants ou universitaires, les jeunes d’origine étrangère sont en droit d’attendre qu’on les envisage en fonction d’un contexte belge et non en fonction d’une quelconque origine nationale, culturelle ou ethnique !

Parce que privilégier l’argument ethnique dans la lutte contre la criminalité, c’est refuser d’apporter des solutions aux problèmes socio-économiques, scolaires, de sécurité de l’ensemble de la population de la Belgique ! Nous, citoyennes et citoyens de ce pays, refusons catégoriquement que l’on fasse des immigrés des boucs émissaires de père en fils : l’image de « l’immigré-chômeur » d’hier ne sera pas remplacée par celle du jeune « allochtone-délinquant » !

Comité contre le délit d’origine


Chronique anarcha-féministe

Dégénéré-e-s

Les scouts qui se sont noyés grâce aux bons soins d’un abbé et de parents intégristes, n’ont pas eu droit au statut d’enfants martyrs.

C’est le petit Johnny, (humilié et battu jusqu’à la torture par les adultes de sa famille), qu’on a choisi cette année pour communier dans une même indignation. Spectacle garanti tout public.

Les responsables sont bien coupables cette fois, et tellement monstrueux-ses… tellement différent-e-s que c’en est presque rassurant. Dès lors on les dissèque ces Thénardier, avec un mélange d’horreur et de jubilation. Perle parmi ces bourreaux : la mère. Regardez bien, braves gens, cette femme l’a porté dans son ventre et pourtant elle l’a torturé. Bien sûr, elle fut elle-même enfant martyre, battue et violée, (en présence des autres membres de la famille), par un oncle qu’elle croyait son père : mais cela peut-il provoquer « une altération du discernement », quand il s’agit de son propre enfant ? Non, ont répondu les juges, qui lui ont refusé toute circonstance atténuante.

La mère du petit Jason, mort à 20 mois après avoir été torturé à mort par son beau-père, fut elle-même battue cette nuit-là. Un « expert » psychiatre a déclaré sans sourciller que son « désinvestissement maternel avait été primordial dans le passage à l’acte ». Lui a tué, mais elle est la vraie coupable. Être mère aggrave la peine.

Dégénérer : « Perdre les qualités primitives de sa race ».

Juges et psychiatres n’ont pas dégénéré : partout s’applique la loi du père.

Pimprenelle


Les femmes en noir contre l’impunité policière

Dans le nº 1179 du ML, nous avions relaté les sévices et le viol dont a été victime une jeune canadienne d’origine jamaïcaine à l’aéroport de Zaventem en Belgique. Cette affaire illustre bien les conséquences des politiques racistes d’immigration aujourd’hui courantes en Europe. C’est pourquoi nous retranscrivons ici les propos de l’association « les femmes en noir », lors de leur conférence de presse du 29 octobre dernier.

Nous tenons avant tout à exprimer toute l’horreur que nous éprouvons face aux crimes dont Corinne a été victime. Nous tenons à lui exprimer aujourd’hui encore toute notre sympathie et saluer son courage, car ce n’est pas rien, pour une femme, de dénoncer publiquement les violences physiques et psychiques subies. Cependant, nous ne reviendrons pas, après Me Bauthier, sur le cas particulier de Corinne. Ou plutôt si, mais pour le généraliser, parce que nous savons que ce qui est arrivé à Corinne : se retrouver seule, abandonnée dans un hall d’aéroport sans papier, sans argent, sans toit, sans ami-e, n’a rien d’exceptionnel.

Sans doute l’Office des étrangers, la gendarmerie, le ministre de l’Intérieur diront qu’il s’agit d’une bavure. Nous leur demandons : combien de « bavures » inconnues pour une « bavure » dénoncée ? Et s’agit-il vraiment de bavures ou d’un système organisé ?

Certes, nous ne pouvons avancer de chiffres, certes nous ne pouvons apporter de preuves, certes nous devons être prudentes car la moindre erreur de notre part nous discrédite, contrairement aux membres des forces de l’ordre. Eux, peuvent assassiner, comme dans le cas de Sémira Adamu, et reprendre le service après quelques semaines de congés sans solde. Reprenons : Corinne possède les « bons papiers », mais présente le mauvais faciès, de plus elle a le mauvais genre d’avoir le mauvais sexe, de parler une langue étrangère et (croyaient-ils) de voyager seule. Il semble que pour les contrôleurs il n’est guère pensable qu’avec un tel pedigree une femme puisse circuler légalement et encore moins honnêtement. Bref, voilà une femme stigmatisée illégale et prostituée. À moins que…

Oui, osons ! À moins qu’il ne soit tout à fait « pensable » et même tout à fait pensé que, privée des documents qui prouvent son identité, elle ne se transforme en une proie facile, à la merci d’un proxénète ou d’un réseau de prostitution, bref, qu’elle devienne « prostituable ». Oui, osons encore, mais avec prudence, osons cette question : existe-t-il un réseau de prostitution au sein même de l’aéroport de Zaventem ? Et cette autre question, plus prudemment encore, mais plus fermement aussi : l’État, par la manière dont il traite les demandeurs et demandeuses d’asile, n’est-il pas un pourvoyeur de travailleurs et travailleuses clandestins-e-s ? Nous ne lançons pas de tels propos à la légère, ce serait inexcusable.

Nous sommes parfaitement au courant des méthodes utilisées dans notre démocratie pour procéder aux expulsions (dites forcées, mais que peuvent-elles être d’autre ?). Nous savons que le coussin a rétréci, que les piqûres « calmantes » sont interdites, que le recours à des psychologues chargés de faire entendre raison à ceux et celles qui refusent de quitter notre pays est de plus en plus fréquent, que la gendarmerie n’use de la violence qu’en cas « d’extrême nécessité ». Mais que signifie pour les demandeurs et demandeuses d’asile d’« être libéré-e-s » des centres avec ordre de quitter le territoire dans les cinq jours ?

La procédure est très simple : la personne est conduite, depuis un centre fermé ou ouvert, à Zaventem avec comme seul document cet ordre de quitter le territoire dans les cinq jours et comme seule adresse celui du bureau auquel elle pourra s’adresser si elle accepte la déportation. Le plus souvent les demandeurs-demandeuses d’asile n’ont pas l’intention de retourner dans le pays qu’ils et elles ont quitté où ils et elles sont, pour une raison ou une autre, en danger. Ils et elles n’ont d’autre solution que d’entrer dans la clandestinité, donc de nourrir les réseaux clandestins de la construction, du textile, de l’HORECA. En ce qui concerne les femmes et de plus en plus souvent les jeunes garçons, les réseaux de prostitution bien organisés et apparemment peu inquiétés se chargent de les faire « travailler ». Donc, ce qui est arrivé à Corinne est le sort réservé habituellement aux « illégales », surtout si elles sont jeunes, surtout si elles sont de « couleur ». La force de Corinne, en plus de celle de son caractère et malgré les violences qu’elle a endurées, prend sa source dans la certitude que justice ne peut que lui être rendue : elle se sait « légale », elle a de la famille vivant légalement au Canada, une ambassade qui peut certifier son identité. Telle n’est évidemment pas la situation des « sans-papiers ».

Quant au viol, il a une signification précise. Celui que Corinne a subi nous horrifie et c’est avec un certain soulagement que nous avons appris l’arrestation du criminel. Il s’agit d’une pratique courante, d’une « mise en condition » dont usent les proxénètes envers leurs victimes avant de les livrer aux consommateurs clients. En effet, après avoir été violées, les femmes éprouvent un terrible sentiment de honte, de culpabilité, de dégoût de soi. C’est pourquoi il est peu fréquent que les femmes, même autochtones, trouvent en elles les ressources psychologiques pour dénoncer le viol. On a compris que cette dénonciation est quasiment impossible pour les femmes à qui notre pays refuse l’asile et la protection pourtant indispensables face à la férocité des réseaux de traite des êtres humains.
C’est pourquoi nous osons accuser le gouvernement de non-assistance à personnes en danger. Pourtant, ne fermons pas les yeux : pour les femmes livrées à la prostitution, chaque « passe » est un viol. Et pourtant, le client n’est pas criminalisé. Faut-il en conclure qu’il suffit de marchandiser les corps pour décriminaliser le viol ?

Les femmes en noir


Belgique

Les femmes en noir contre les expulsions

Les femmes en noir s’opposent depuis plusieurs mois aux centres fermés et à la détention de femmes, d’hommes et d’enfants qui n’ont commis d’autre délit que celui d’être « sans-papiers ». Notre objectif est d’obtenir l’arrêt des expulsions, la suppression des centres de détention pour illégaux. Nous exigeons également que les violences spécifiques que subissent les femmes soient reconnues comme critère d’asile (mariage forcé, excision, traite des femmes et toutes autres menaces morales et physiques). L’oppression des femmes doit être reconnue comme un critère politique. Notre première action a été de tenir chaque mardi midi, un rassemblement sur la place de la Monnaie afin de sensibiliser le grand public à nos revendications.

À l’occasion du 8 mars 1999, journée internationale des femmes, les « Femmes en noir » ont organisé une rencontre festive où nous avons récolté des fonds pour financer l’envoi de cartes de téléphone et d’enveloppes timbrées aux détenues à Bruges, Steenokkerzeel et Vottem. Avec ces envois, nous leur proposons aussi de prendre contact avec l’une ou l’autre des Femmes en noir. Ce contact permet d’avoir connaissance de leurs conditions de vie dans ces centres et de la violence (éventuelle) des expulsions. Nous pensons en effet que le premier pas de la résistance est de briser leur isolement et de leur permettre de tisser elles-mêmes des liens avec l’extérieur. La plupart des demandeurs/euses d’asile débarquent sans argent, sans amis pour les soutenir.

Nous voulons également mener d’autres actions visant la défense des droits des femmes demandeuses d’asile, élargir la résistance aux expulsions forcées et informer la presse dès qu’il y a menace d’expulsion. Pour ce faire, nous travaillons à consolider notre réseau par des moyens humains et financiers. Les Femmes en noir militent dans le même esprit que les Folles de la place de mai ou les Femmes en noir de Belgrade. Nous avons d’ailleurs des liens avec les résistantes de Belgrade et nous avons envoyé des colis d’intimité aux femmes kosovares.

Les Femmes en Noir

29 rue Blanche, 1060 Bruxelles


Dans la toile

Le secrétariat International de la CNT-AIT, section française de l’Association Internationale des Travailleurs est désormais assuré par le syndicat d’Auxerre. Il peut être contacté à l’adresse électronique suivante : cnt.ait@wanadoo.fr.

In French…

Ca fait un moment que je voulais vous en parler mais le temps, toujours ce fichu ennemi qui nous ronge, me manquait. Aujourd’hui enfin ­ Carence de l’actualité ? Somnolence des créateurs de sites ? Manque d’informations de ma part ? ­, je peux évoquer Pierre Lazuly dont les excellentes « Chroniques du menteur » vous permettront de rester informés sans sombrer dans une sinistrose qui va mal au teint. Pour les lire, une nouvelle adresse me donne l’occasion de rectifier cet oubli indigne du chroniqueur intègre : http://menteur.com/. Il y aurait tant de bien à en dire que la rubrique y passerait, aussi allez voir par vous-même.

En anglais…

Une adresse qui fédère : http://www.nothingness.org/. Beaucoup d’informations, de liens et d’hébergements sympathiques chez nothingness. Même commentaire que pour le menteur, Allez-y, vous n’en reviendrez (peut-être pas déçus). etc.

En neuf langues, dont au moins trois dont j’ignorai jusqu’à l’existence, vous n’avez plus d’excuses pour ne pas vous tenir au courrant des dernières analyses libertaires de l’information avec le sobre mais riche site d’A-Info : http://www.ainfos.ca/.

Et pour finir cette brève incursion dans la toile, voici un site qui mérite qu’on s’y arrête plus de quelques minutes tant il regorge de surprises diverses et esthétiques, celle d’un artiste hilare quoique parfois, en fin de liens, amer : http://www.costes.org/. À consommer aux deuxième, troisième et quatrième degré (et à plus encore si l’on s’en sent le courage), ne serait-ce que pour supporter cette victime d’une médiocrité culturelle presque généralisée contre laquelle il se bat depuis tant d’années.

À bientôt dans la toile.

Blue Eyed Keyboard
samal95@aol.com


Deux films de femmes

« Flores de otro mundo » de Iciar Bollain ; « Haut-les-cœurs » de Solveig Anspach

Flores de otro mundo (Pleurs d’un autre monde) de Iciar Bollain. La réalisatrice n’est pas une inconnue. Actrice dans de beaux films, par exemple Land and Freedom de Ken Loach, auteur d’un livre sur Ken Loach, Flores… est son deuxième long métrage.

Les fleurs venues d’ailleurs sont des femmes de Cuba ou d’Amérique Latine, ou des Espagnoles des villes, seules comme la plupart des hommes dans ces villages. Elles veulent se trouver un mari, un compagnon, ou tout simplement une liaison qui leur permettrait d’avoir un jour des papiers. La caméra s’accroche aux fesses rebondies de la belle Cubaine qui débarque comme une bombe dans ce trou, ou son caleçon aux couleurs du drapeau américain crée l’émeute, dessine avec humour les contours d’un couple qui se forme entre un paysan avare de paroles et une belle Dominicaine qui cherche un homme responsable pour ses deux enfants. Ainsi se créent des relations assez surprenantes entre ces belles exilées et les hommes totalement déphasés, car elles font valser la routine et exigent une authenticité et luttent pour leur dignité de femmes. Un beau film qui rapproche les cultures, fait accepter le métissage et se coltine la difficulté de montrer la vie monotone à la campagne sans déconsidérer les gens qui y vivent. Paysages majestueux et interprètes convaincants.

Haut les cœurs de Solveig Anspach

Un film de femme par excellence : une réalisatrice qui a vécu dans sa chair ce que son film raconte, une interprète femme, Karin Viard, époustouflante. Voici l’histoire : une fille enceinte de son premier bébé apprend qu’elle a un cancer du sein. Première intervention médicale : il faut couper le sein, couper court a la grossesse. Son compagnon surgit. Il sera plus fort qu’elle. Disons il peut enfin le prouver. Viens, lui dit-il, on va voir un autre médecin. Et selon cette nouvelle équipe, un homme et une femme, elle peut mener sa grossesse plus loin, peut-être même jusqu’à terme. L’ablation du sein va attendre, en fonction du bébé à venir. Une chimio fera l’affaire jusqu’à ce qu’il soit viable.

Le film s’installe dans tout ça : le petit frère de la grande sœur malade, la maison qu’ils habitent, les amis, les musiciens de la formation ou elle joue du violoncelle… tout le monde existe et acquiert de l’épaisseur tout au long du film. Les étapes de ce calvaire sont montrées dans la douleur, mais aussi dans la force et le fou rire que la réalisatrice sait leur donner.

C’est un film « leçon de vie » où il n’y a jamais aucune règle. Où tout est toujours possible et ouvert. Il y a un espace humain jamais entamé. Haut les cœurs est un bonheur parce que la lutte pour vivre est l’évidence heureuse du film.

Filmer la maladie qui avance n’a sûrement pas été la question essentielle de la réalisatrice.

Comment dire qu’on a le cancer ?

Défendre son crâne mis à nu, sauver sa peau trouée de partout… mettre toutes les chances dans ce combat, même quand les conditions objectives ne sont pas des plus favorables. C’est un film dont on sort heureux, lavé de l’inutile, en harmonie avec l’essentiel.

Heike Hurst (« Fondu au Noir »-Radio libertaire)


L’anarchisme a-t-il un avenir ?

À propos du colloque international du Toulouse

Questionner « l’avenir de l’anarchisme » était, on doit le dire, un objectif fort ambitieux et certainement manquant un peu de modestie. Mais, il faut l’avouer, nous avons pu assister, lors du Colloque sur l’anarchisme qui vient de se tenir à l’Université de Toulouse Le Mirail à des interventions pour la plupart d’une qualité certaine et des débats forts passionnants.

Il sera pas possible ici de se faire l’écho de la totalité des thèmes abordés. De toute façon, plusieurs ateliers se déroulaient en même temps et il a donc fallu faire des choix … On peut espérer que les actes du colloque ne tarderont pas à êtres édités. Dans l’attente, on trouvera sur le site Web du GRHI (http://www.univ-tlse2.fr/grhi/) les « notes d’un auditeur ». Ces notes ont été prises en cours de certaines interventions et sont donc accessibles immédiatement.

Sur le fond, qu’un tel colloque puisse exister au sein d’une université pourrait nous faire craindre que l’anarchisme ne soit devenu qu’un simple objet d’étude, signe de l’irrémédiable disparition d’une idéologie historique, définitivement inscrite dans la mémoire des vaincus à défaut d’être dans les manuels d’histoires scolaires. Il n’en est rien ! Bien au contraire. Que des étudiants, que des universitaires puissent ainsi, à leur manière de saisir de l’anarchisme n’est à mon sens que la confirmation qu’il existe dans cette idée des potentiels théoriques et pratiques qui restent à explorer. Il faut noter qu’une majorité des intervenants (mais pas tous) m’ont semblé être à la fois inscrits dans une démarche théorique (histoire, sociologie, droit, économie …) et dans une démarche plus militante. Globalement, il ressort des interventions auxquelles j’ai pu assister, que les intervenants ont su éviter l’écueil d’une théorisation ignorant les réalités militantes pratiques, au contraire, au détour des interventions, bien qu’à mon sens l’anarchisme soit d’approche complexe, on a pu trouver des pistes de réflexions très « pratico-pratiques ». Je ne choisirai peut être pas de répondre oui à la question du colloque, l’anarchisme a-t-il de l’avenir. On laissera à d’autres (les « avants-gardes » bien connues) les certitudes scientifiques en matière d’avènement d’une révolution triomphante. Ceci posé, un tel colloque nous donne quelques raisons d’espérer.

Éric Zolla. — groupe d’Évry


Notre ami Ben Ali

Nicolas Beau et Jean-Pierre Tuquoi

La Tunisie est un petit pays discret et méconnu. Sauf peut-être pour les quatre millions et demi d’européens, soit la moitié de la population du pays, qui chaque été vont faire bronzette à Hammamet ou Djerba. La réalité est pourtant tout autre que celle présentée en vitrine des agences de voyage. La Tunisie est aujourd’hui une immense prison où l’on torture sans états d’âme, de manière systématique. Zine Ben Ali, au pouvoir depuis 1987 lorsqu’il a déposé Bourguiba, le « père fondateur » de la Tunisie moderne, tient le pays d’une main de fer, du genre de celles que l’on acquiert dans les casernes. La lutte contre les islamistes a justifié un maillage systématique et généralisé de la population ; les opposants, même les moins virulents, sont pourchassés, persécutés, souvent torturés. À deux heures d’avion de la France, voire même jusque dans les rues de Belleville, Zine Ben Ali accomplit le « miracle tunisien », pour reprendre les mots de Jacques Chirac. « Élu » en 1989 et 1994 avec plus de 99 % des voix, le « président Bac moins trois » comme il est surnommé par ses sujets (discrètement bien sûr) a été réélu le 24 octobre dernier. 99,51 %. Et encore, cette fois, il y avait des « concurrents ».

C’est à l’occasion de ces élections doubles, législatives et présidentielles, que Nicolas Beau, journaliste au Canard enchaîné, et Jean-Pierre Tuquoi, journaliste au Monde, ont publié Notre ami Ben Ali, livre qui rompt le silence et qui s’inscrit dans la continuité du Notre ami le Roi de Gilles Perrault sur le Maroc. Ils retracent la carrière du général Ben Ali, puis dressent le tableau peu engageant d’un pays normalisé qui,­ est-ce étonnant ? ­ bénéficie bien sûr de complicités françaises, de Chirac, Séguin, Frédéric Mitterrand à Bertrand Delanoë, candidat virtuel du PS à la mairie de Paris en 2001. Et de la collaboration étroite des services de renseignement pour la chasse aux « barbus », des intérêts économiques croisés, de la francophonie, etc. « Ben Ali est un homme politique moderne qui défend jusqu’au bout les notions d’humanisme et de liberté », selon Philippe Séguin, toujours aussi fort en images d’Épinal, qui a salué la nouvelle victoire électorale de Ben Ali comme « un ancrage du processus démocratique »… Ce livre, interdit outre-méditerranée, est avant tout journalistique. Facile à lire, il a le mérite de donner au lecteur, à un moment où de nombreux regards sont fixés sur le Maghreb, une vision précise de l’envers du décor tunisien, sans concession. Bref, un livre qui comble un vide bien entretenu.

Xavier, Groupe Proudhon

Notre ami Ben Ali : l’envers du « miracle tunisien ». Nicolas Beau et Jean-Pierre Tuquoi, éditions La Découverte.


Revue

Espaces d’anarchies

La revue semestrielle Réfractions maintient sa continuité puisque paraît aujourd’hui son numéro 4 en deux ans d’existence.

Ce numéro intitulé « Espaces d’anarchies » résulte des « Journées sur l’Écologie sociale et la cité » organisées en mai 1999 à Montpellier et sous-titrées « Elisée Reclus-Patrick Geddes : les idées et l’action dans la cité, 1899-1999 ».

Reclus est ce grand géographe, auteur à la fin du siècle dernier d’une monumentale Géographie universelle, un peu tombé dans l’oubli et qui revient sur le devant de la scène par son approche sociale et pluridisciplinaire, et Geddes a été entre les deux guerres un de ses brillants disciples à Montpellier.

Il s’agit notamment de redécouvrir, les jeux de pouvoir dans la gestion de l’espace urbain et les inégalités socio-spatiales et de tracer des pistes alternatives. Chaque contribution est suivie d’un court résumé en français et en anglais, confirmant la vocation internationale de la revue. Trois autres rubriques figurent au sommaire : « Débats » avec la guerre et le Kosovo ; « Transversales » avec Spinoza ; Revues et livres », avec notamment « Agone », « L’autre Afrique entre échange et don » de Serge Latouche ; et « La Complication : retour sur le communisme » de Claude Lefort.

J-J Gandini

Réfractions. 80 FF. En vente à la librairie du Monde libertaire, 145 rue Amelot, 75011 Paris (88 FF avec port).


Paroles d’insoumis

Face à l’armée, seule la lutte paie

« Si mes soldats commençaient à penser, aucun d’eux ne resteraient dans les rangs. »
Frédéric II

Le 18 octobre dernier, j’étais condamné par la Chambre des affaires militaires de Marseille à quatre mois de prison ferme, pour insoumission et refus d’obéissance au premier et dernier ordre qui m’a été donné, celui de revêtir l’uniforme et d’effectuer mes « obligations militaires ». À l’occasion de la commémoration de cet immense bain de sang que fut la première guerre mondiale, je tiens donc à expliquer publiquement les raisons motivant mon insoumission à toute forme de service national.

L’armée a toujours été un instrument d’oppression au service de l’État, oppression généralement exercée sur des peuples étrangers. Il suffit, pour s’en convaincre, de se plonger dans l’histoire et d’observer. Dès l’antiquité, des troupes combattirent afin d’imposer l’autorité de ceux qu’elles servaient, pillant les territoires conquis et permettant que les vainqueurs puissent vivre en parasites sur les vaincus. Et précisons que les seuls vainqueurs étaient les hommes de pouvoir, et non le peuple. Ayant conscience de cela, nous pourrions maintenant nous étonner de la soumission qui continue de régner, et qui laisse libre cours aux appétits de ces quelques privilégiés. Pourtant, les raisons en sont simples. D’une part, chaque État, quel que soit son régime politique, utilise l’éducation afin de renforcer son autorité. En France par exemple, cela consiste à façonner de petits républicains en leur inculquant le respect des valeurs nationales. Lorsque j’étais au collège [ et n’ayant que 24 ans, je n’évoque pas des temps lointains ] nous devions ainsi assister à des cours d’éducation civique. Or, dans les pages de nos manuels scolaires, plutôt que des leçons sur la vie en collectivité, le respect d’autrui, etc. nous trouvions des explications sur le fonctionnement des institutions nationales, sans bien sûr le moindre regard critique. Imaginez donc un manuel évoquant les corruptions, les fraudes électorales, les emplois fictifs…

Cependant, cette première institution ne suffisant pas pour garantir aux puissants la préservation de leurs intérêts, une seconde était nécessaire. Là se dresse l’arsenal judiciaire, chargé de faire appliquer la loi. Mais si la loi peut paraître respectable pour beaucoup, une interrogation permet d’en éprouver les limites. En effet, qui sont ceux qui éditent ces textes auxquels nous devons impérativement nous soumettre ? Les hommes de pouvoir. La loi serait-elle alors injuste ? À cela je répondrais parfois par l’affirmative, l’ayant vécu récemment. Pour m’être publiquement opposé à une institution de l’État, pour avoir dit que j’ignorais ce qu’était la nation, me sentant davantage citoyen du monde, pour ne pas avoir dissimulé mon engagement au sein du mouvement libertaire, j’ai été condamné à quatre mois de prison ferme.

Au cours des siècles, lorsque le péril fut trop grand pour les privilégiés, lorsque leur puissance fut remise en cause, ils n’hésitèrent pas à appeler l’armée afin de restaurer leur « ordre » à l’intérieur des frontières. En 1871 par exemple, les parisiens s’opposèrent au gouvernement qui voulait capituler face aux Prussiens, et proclamèrent la Commune. Les troupes versaillaises, fidèles à l’État, s’entendirent alors avec celles d’outre-Rhin pour imposer de nouveau, dans une répression terrible, leur autorité. De même, en 1894, l’armée ouvrit le feu sur des ouvriers en grève à Fourmies, parvenant ainsi à les soumettre.

Aussi, lorsque, le 6 septembre 1999, je me rendis à la caserne de Caipiagne, ce n’était pas pour endosser l’uniforme, ni pour me soumettre à ce principe selon lequel, comme me l’a si justement rappelé le procureur, « je dois dix mois de ma vie à la nation ». Par conséquent, en fonction de mes convictions personnelles, je refusais et condamne toujours toute forme de service national : le militaire, pour les raisons expliquées précédemment, et le civil parce qu’il permet de disposer des jeunes durant 18 mois à un salaire dérisoire, plutôt que de créer des emplois véritables.

Le 28 octobre, j’ai été définitivement réformé, l’armée considérant ma rigidité et mon engagement incompatibles avec son fonctionnement. Mais aujourd’hui, ayant fait appel du jugement, j’attends toujours que les juges choisissant la justice, et non la loi, et referment le casier judiciaire qu’ils m’ouvrirent le 18 octobre.

Cédric Dupont


Après « sous les pavés, la plage »

Sous les livres, la rue !

Ceux qui pensent qu’on ne change pas le monde à coup de livres mais à coups de pavés dans la rue… trouveront futile notre désir de faire revivre la bibliothèque anarchiste « La Rue ». Ceux-là oublient trop vite que dans l’ambiance feutrée des cabinets de lecture, les mots nous ouvrent de nouveaux horizons… quand le passé (tant par ses expériences réussies que par ses révolutions vaincues) éclaire notre compréhension du présent… quand, forts de la lecture des écrivains d’hier et d’aujourd’hui, nous construisons l’argumentation de notre pensée, démontant celle du pouvoir en place et dénonçant ses mensonges… quand, prenant du recul sur l’information partiale des médias, nous pouvons conduire notre réflexion en échappant à la culture dominante.

Culture dominante ? Sans aucun doute, « les intellectuels se recrutent dans les rangs de la caste dominante ou de ceux qui inspirent à s’y insérer », répond Jean Dubuffet. Asphyxiante culture ? « Ce ne sont pas des écrivains ni des artistes que la classe possédante, à la faveur de sa propagande culturelle, entend susciter, c’est des lecteurs et des admirateurs ». À l’époque où les artistes, les écrivains et les « penseurs », ­ ceux invités sur les plateaux de télévision ­ prônent une culture de la compétition et de la soumission, nous, qui souhaitons une autre culture, sans hiérarchie, accessible à tous et faite par tous, gardons-nous d’idolâtrer ces « œuvres d’art » qu’on nous présente comme « notre patrimoine culturel ». Sachons apprécier sans révérer.

Nous ne saurions évidemment nous contenter d’un art et d’une culture homologués par le ministère de la culture, véritable « police de la culture ». Nous devons refuser d’être passifs en nous laissant aller à l’inculture, celle-là même qui nous ferait répéter les erreurs du passé : « la position féconde est en définitive celle de refus et de contestation de la culture plutôt que celle de simple inculture ». Seule une contre-culture, contestataire, subversive, démystificatrice, détachée des mécanismes du pouvoir et du commerce et non réservée à un cercle d’initiés, nous permettra de lutter contre le conditionnement culturel.

C’est dans cet état d’esprit que nous avons rouvert la bibliothèque. Vous pourrez y emprunter, parmi ses 450 livres environ (livres, brochures, revues…), des ouvrages sur les anarchistes (leur pensée, leur mouvement, leur vie…), l’histoire des luttes sociales et des révolutions, les luttes féministes… des réflexions sur l’actualité, des romans (Vallès, Mirbeau, Darien, Poulaille…), de la poésie… et y consulter la fameuse Encyclopédie anarchiste en quatre volumes éditée sous la direction de Sébastien Faure, dans les années trente… De ce lieu de culture, de documentation et d’information, ouvert et accessible à tous (et donc gratuit), nous voulons faire un lieu de rencontre, de discussion, de débat : en bref, un lieu de culture vivant(e).

Bernard, Caroline, Cédric, Christophe, Danièle, Pascal…