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Usinor Dunkerque

Requiem pour Franz

Le jeudi 13 janvier 1983.

Le 23 décembre dernier, Franz Flatischler a reçu de la direction d’Usinor-Dunkerque la lettre recommandée signifiant son licenciement. La même direction annonçait parallèlement, dans un bref communiqué, qu’elle licenciait Franz Flatischler, secrétaire du Syndicat de lutte des travailleurs (SLT) pour « faute grave ». La procédure judiciaire mise en branle depuis juin dernier par le monstre froid de la sidérurgie a gagné.

Revenons un peu en arrière et rappelons les faits : le 4 juin dernier a lieu à Usinor Dunkerque un accident mortel (deux ouvriers trouveront la mort), imputable à la direction, les conditions de sécurité n’ayant pas été respectées. Franz, témoin direct de l’accident, porte plainte au nom du SLT contre la direction de l’entreprise. Un recours avec l’organisation syndicale en partie civile était même engagé. Fin juin, la direction d’Usinor Dunkerque contre-attaque : prétextant un « arrêt de travail illicite », elle engage une procédure de licenciement contre Flatischler. L’accès de l’usine lui est interdit et il continue à percevoir son salaire intégralement. Pour protester contre ces mesures visant à écarter les « gêneurs » que sont les militants du SLT, Franz entame une grève de la faim. Il l’arrête le 13 juillet quand l’inspection du travail juge que le licenciement n’est pas valable. En effet, Franz ayant été nommé par le SLT représentant au comité d’hygiène et de sécurité, il est « justifiable de la procédure dérogatoire applicable aux membres des CHS ». Ce qui, en clair, signifie qu’il est protégé par son mandat.

Dès lors, la bataille juridique de la direction d’Usinor Dunkerque sera de contester la représantativité du Syndicat de lutte des travailleurs. Notons, pour que les choses soient précisées, que la CGT et la CFDT étaient partie prenante de cette action juridique. Le 30 juin, le conseil des prud’hommes de Dunkerque confirme la procédure de licenciement, et le 20 octobre, c’est au tour du tribunal de grande instance de la ville de statuer que Franz ne pouvait être protégé par un mandat syndical puisque le SLT n’était pas représentatif. Le 23 décembre, le conseil des prud’hommes a estimé que le mouvement organisé par F. Flatischler le 21 juin n’était pas une grève, car il ne visait que « la satisfaction de revendications personnelles et non professionnelles » [1]. Les mêmes instances ont repoussé sa demande de réintégration dans l’entreprise.

La suite et la fin du marathon judiciaire étant, le 23 décembre, la lettre recommandée de la direction d’Usinor Dunkerque qui confirmait à Franz Flatischler son licenciement.

S’il est encore trop tôt pour faire un bilan de cette affaire et des ripostes engagées par le Syndicat de lutte des travailleurs, nous pouvons nous interroger sur le soutien apporté à ces camarades. Lors de leur exclusion de la CFDT (fin 1978), de nombreuses sections syndicales, des militants, voire d’autres structures, leur avaient apporté un soutien à la fois idéologique et financier face à l’attitude jacobine de la confédération du square Montholon. Rappelons qu’à l’époque, la section CFDT d’Usinor Dunkerque était la plus forte de la métallurgie française [2], mais la direction de la CFDT a préféré casser une structure militante plutôt que de laisser s’exprimer une voix discordante face aux sinistres « assises pour le socialisme » ! Mais comme après chaque coupe sombre de la CFDT dans ses rangs contestataires (Paris UL 8/9, UD Gironde, syndicat de la BNP à Paris, centre de tri lyon, etc.), le souvenir reste, mais le soutien, comme les contacts, restent plus que fragiles… L’établissement de relations régulières entre ceux qui se battent dans les structures des syndicats réformistes et ceux qui ont créé de nouvelles structures [3] reste encore à établir. Le soutien militant que nous aurions pu apporter à Franz Flatischler et au Syndicat de lutte des travailleurs en aurait été autre. Quoiqu’il en soit, à Dunkerque comme ailleurs, le combat continue.

Jean-Pierre Germain


[1Quand on sait que cet « arrêt de travail illicite » avait été fait en solidarité avec Franz que les vigiles refusaient de laisser rentrer dans l’usine !…

[2Ils étaient un peu plus de huit cents. Aujourd’hui le SLT a environ cent trente adhérents, sensiblement le même chiffre que la CCTFO. La CGT et la CGT ne dépassent pas les cinquante adhérents…

[3Il est bon de préciser que celles-ci ont été créées après les exclusions de la CFDT.