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Procès en correctionnelle

Des skins lillois en accusation

Le jeudi 29 novembre 1990.

Lundi 19 novembre, il y a beaucoup de monde au tribunal de Lille. À l’entrée des militants du SCALP et du groupe Humeurs noires de la Fédération anarchiste tiennent une banderole sur laquelle on peut lire : « Patrick Le Mauf tué le 1er octobre 1988 par des néo-nazis, plus jamais ça  ! ». On juge, en effet, ce jour là, la bande de skins accompagnant Christophe Lhorte, dénommé « Neurone », qui avait, d’un coup mortel de « Doc Martens », défoncé le crâne d’un jeune sans-domicile-fixe (SDF).

La bande, comprenant A***** P*****, leader du GUD (Groupe Union Défense) à la faculté de Lettres de Lille III ; Sébastien Collart, étudiant en droit ; Franck Van Lemmens, actuellement sous les verrous pour attaque à main armée ; Olivier Guivilliers et Sophie Plessis dite « Toxine », actuellement en fuite, était inculpée de non assistance à personne en péril. Marc Grubica était, quant à lui, inculpé d’avoir aidé « Neurone » à disparaître en cachant les habits, un peu trop voyants, de celui-ci. Christophe Lhorte sera jugé prochainement aux assises de Douai pour son coup mortel.

Les faits reprochés

Le 1er octobre, le groupe de skins s’était retrouvé dans un appartement lillois. Après un après-midi émaillé de quelques agressions contre des blacks, nos nazillons se sont enivrés de bière et de vin blanc additionné de sucre. Vers 20 h, la bande quitte l’appartement pour aller chercher des cigarettes, disent-ils à l’audience, pour casser du marginal ou de
l’Arabe, vraisemblablement. En traversant le square Richebé, situé à deux pas de la préfecture et du secteur piétonnier, leur route rencontre celle de Patrick Le Mauf. Celui-ci somnolait sur un banc. Christophe Lhorte, qui même chez les skins passe pour un fou (sic), lui décoche un coup de « Doc Martens » à la tempe, qui lui défonce le crâne et lui perfore le cerveau. Patrick Le Mauf succombera quelques heures plus tard.

Les skins s’enfuient, alors, vers leur appartement et se sépareront au petit matin, le plus banalement du monde.

Le procès : le mouvement skin est-il musical ?

C’est donc deux ans après cet acte ignoble que la bande comparaissait devant le Tribunal correctionnel de Lille. Afin de convaincre qu’ils ont rompu avec la mouvance skin, tous ont troqué leur « bomber » et les « Doc Martens » contre des vestes et des chaussures classiques. Nous, skins ? Allons donc, en fait, il n’en est rien ! Il y a quelques jours, à peine, A***** P***** agressait des militants du SCALP, avec un comparse, à la faculté de Lettres. Notre néo-nazi en herbe ne rechigne pas à se balader avec des insignes du Ku-Klux-Klan.

Le système de défense fut simple. Tous diront, au cours d’un procès de plus de trois heures, qu’ils n’ont rien vu, rien entendu, rien fait. Aucun ne manifestera un regret quelconque pour la mort de Patrick ou pour son appartenance au mouvement fasciste.

La défense tentera — par l’intermédiaire d’un avocat de gauche — de minimiser le rôle de la bande et essayera de démontrer que le mouvement skin-head est avant tout un mouvement musical de jeunes. Effarant et affligeant. Un autre avocat parlera de mauvaise influence, entretenue par la lecture de diverses publications d’extrême droite. Un autre mettra l’accent sur l’erreur de jeunesse. tous se refuseront à faire le procès du mouvement skin et de l’intolérance qui mène au crime. Le procureur demandera deux ans de prison ferme pour chacun. La partie civile, la mère de Patrick Le Mauf réclamera 100 000 F de dommages. Le tribunal rendra son verdict le 26 novembre.

Nous devons rappeler que ce ne sont pas les seuls actes de violence commis par la bande. Certains de ses membres avaient déjà été condamné suite aux ratonnades de Rouen, il y a deux ans… ratonnades survenues à la sortie d’un concert. Certains s’adonnent toujours à des agressions, aussi diverses que multiples, à Lille et en Belgique : attaque à la braderie de Lille contre le stand du SCALP en 1989 ; agression contre des blacks, des beurs, des babas-cools, des étudiants…

Tous les militants antifascistes se doivent d’être vigilants et de dénoncer cette banalisation de la violence physique ou verbale à l’encontre de boucs émissaires, qu’ils soient noirs, arabes, juifs, homosexuels ou punks. Nous devons veiller à ce qu’il n’y ait « plus jamais ça !

José Da Costa (gr Humeurs noires de Lille)