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Procès des inculpés de « Solidarité 18e »

Justice fantoche

Le jeudi 10 juin 1993.

Du 26 mai au 4 juin eurent lieu les procès des personnes arrêtées lors des manifestations d’avril dernier dans le 18e arrondissement parisien, inculpées d’agressions des forces de l’ordre et parfois de rébellion, et rassemblées au sein de « Solidarité 18e ». Plaidoyers des avocats, exhibitions de photos de presse prouvant des faux témoignages policiers, rien n’y fit… le procureur et la présidence n’hésitant pas à rejeter les pièces de la défense sans raison et même à voler au secours des témoins flics pour préserver la cohérence de leurs témoignages ! Procès pour la forme donc, verdicts déjà fixés selon toute vraisemblance : 2 mois avec sursis pour tout le monde plus, suivant les cas, 2 000 F d’amende ou 500 F de dommages et intérêts, plus 500 F de frais de justice quand une partie civile était constituée. Nous vous livrons le témoignage de Thomas Darnalle, musicien de la Mano Negra, arrêté le 8 avril alors qu’il se rendait au local du groupe. Il passait en procès le 4 juin, accusé d’avoir lancé… une pile sur un flic, ce qui aurait causé un hématome à l’avant-bras du nervi ! Pile, de toute évidence, qu’ils auraient trouvée dans la poche de Thomas. Kafkaïen !



ML : Tu as été arrêté le jeudi 8 avril vers 23 heures, alors que la manif était terminée. Dans quelles circonstances ?
Thomas : On a un local dans la rue Francœur. On devait passer devant la mairie du 18e, bloquée par les CRS. On a fait un détour par la rue Ordener. Là, une bande de skins, les flics en civils, se pointent. L’un d’eux me désigne, prétendant que je lui avais balancé des tomates dans l’après-midi. Ils se sont jetés sur moi, m’ont foutu à terre et roué de coups. Je n’osais même plus protéger mes couilles de peur qu’ils s’acharnent dessus. Ils m’ont éclaté l’arcade et écrasé un doigt avec leurs matraques et m’ont porté menotté jusqu’au commissariat de la mairie, en prenant plaisir à me laisser tomber plusieurs fois et à me relever à coups de pieds.

ML : Quelle ambiance au commissariat ?
Thomas : Hyper tendue. Ils nous toisaient, nous filaient de temps en temps de grandes claques, nous insultaient et nous menaçaient : « On va te passer à la gégène. Collabo, tu lèches le cul des négros ! » C’est là-bas que j’ai vraiment flippé. J’ai dû attendre deux heures avant d’être conduit à l’hôpital. Je suis revenu pour finir ma garde à vue, à la Goutte-d’Or. J’ai été retenu une vingtaine d’heures. C’est plus tard, devant le procureur, que j’ai appris qu’ils m’accusaient d’avoir balancé cette pile.

ML : Ce qui est faux…
Thomas : Bien sûr : ils l’ont trouvé dans ma poche. Même le procès verbal de mon premier interrogatoire faisait état de cette pile « trouvée en ma possession ». Mon avocat a démonté les témoignages des flics à l’audience. Ça n’a apparemment servi à rien. Pour ces affaires de manifs, ils se sont bien gardé de regrouper les cas. Mais ils ont donné les mêmes peines, de principe, à tout le monde.

ML : Tu fais appel ?
Thomas : Oui. Nous avons tout de même marqué des points importants à l’audience, le président refusant de produire les scellés, notamment la pile. De plus, j’ai porté plainte contre les violences des flics. Je dois rencontrer le procureur le 15 juin pour une première entrevue.

ML : Tes impressions sur la police et la justice ?
Thomas : Avec l’arrivée de Pasqua, ils se sont déchaînés. Pas seulement dans les manifs. Ça avait commencé avec le « nettoyage » de la rue Myrha, à la Goutte-d’Or, les rafles, les « bavures ». La rue Myrha, c’est les chiottes de l’héroïne, là où on en finit avec elle. Si on veut y faire quelque-chose, c’est pas en paradant comme ils l’ont fait rue Myrha. Ça a juste fait chier les gens. Les jours suivants, j’avais vraiment les boules de repasser là où je me suis fait latter. Les flics, pendant la garde à vue, développaient une espèce de phobie du complot, de « l’anti-France », raciste. S’il y a du braquage dans le 18e, c’est social, pas une question d’Arabes ou autre : pas de thune, pas de boulot… Maintenant, les gosses sont à bloc. Ils ont la haine, créée par la répression, par les flics, bref par « Babylone ».

Propos recueillis par Bertrand Dekoninck (gr. Louise-Michel - Paris)


Encore une balle perdue dans un commissariat…
Berth