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Syndicalisme

La « neutralité syndicale »

Le jeudi 24 septembre 1987.

Benoît Broutchoux, comme beaucoup de militants anarchistes, a été amené à prendre position sur la nature et les objectifs du syndi-calisme. Voici ce qu’il écrivit en 1909 dans Terre libre.



Dans tous les degrés et sur tous les tons de l’arc-en-ciel confédéral, on nous a rabâché pendant trop longtemps que le parti syndicaliste est un groupement d’intérêts et que les partis politiques sont des groupements d’opinions. Comme beaucoup de copains, j’ai cru à cette foutaise, mais maintenant je n’y crois plus. […]

Le syndicalisme, qui est le produit de l’industrialisation, s’il veut vivre pour accomplir sa tâche, doit évoluer tout comme notre pauvre humanité et même faire avancer cette dernière. S’il veut supprimer le salariat et le patronat, comme c’est indiqué au premier psaume de la Bible confédéraliste — pour laquelle j’ai la plus grande foi, — il doit faire une guerre acharnée, impitoyable contre le patronat et les soutiens de ce dernier, non pas seulement pour obtenir des augmentations de salaire, des diminutions d’heures de travail, de moins mauvaises conditions de servage, mais pour diminuer l’exploitation capitaliste, la supprimer.

Un groupement d’opinion

Le syndicalisme n’est pas et ne peut pas être seulement un groupement d’intérêts corporatifs, il est aussi un groupement d’opinions, quoi qu’en disent les plus autorisés de nos oracles cégétistes. […] Les prolos qui adhèrent aux syndicats rouges le font dans le but d’adoucir et de supprimer leur enfer, spécial à chaque métier et préparer le paradis terrestre pour tous. En général, ces syndiqués-là ne croient plus en la prêtante, détestent la gradaille, la gouvernance et toute la haute saloperie.[…]

La plupart des militants syndicalistes regardent la question sociale à un point de vue particulièrement faux. C’est ce qu’on appelle le « dédoublement » ou le mystère de la dualité d’un individu en deux personnes le syndiqué et le citoyen. Il y a des camarades qui prétendent sans rire qu’au syndicat on doit être syndicaliste, et qu’en dehors du syndicat on peut être déiste ou athée, patriote ou internationaliste, votard ou antivotard. […]

La « neutralité syndicale »

L’esprit religieux (soumission des ouvriers) doit être combattu émergiquement par l’esprit syndicaliste (révolte des ouvriers). Le syndicat doit aussi lutter contre les abrutisseurs de l’école laïque qui, entre autres bourdes, enseignent le respect aux lois votées par nos respectables Quinze Mille, et aussi le respect de la propriété, c’est-à-dire les rapines commises à notre détriment par nos ennemis de classe. Ces explications peuvent paraître saugrenues aux partisans de la « neutralité syndicale ». Je leur demanderai si le patron et le parasite sont neutres, eux ? Ne s’appuient-ils pas sur les abrutisseurs religieux ou laïques pour conser-ver ou augmenter leur omnipotence ? À mon avis, les ouvriers seraient niais s’ils s’attaquaient seulement à l’effet sans combattre les causes.

Benoît Broutchoux (Terre libre, 1909)