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Lettre ouverte

Le jeudi 6 juin 1985.

Après trois ans d’emprisonnement, le 20 mars 1985, j’étais acquitté du chef d’accusation de meurtre par la cour d’assises du Nord. Le 10 avril 1985, après avoir effectué mes précédentes condamnations (pour tentative de vol et « évasion »), j’étais libéré de la prison de Fresnes.

Le 15 avril, je trouvais un domicile et un emploi. Le 18 avril, il me restait à comparaître devant la cour d’appel de Reims pour vol simple et détention de faux documents administratifs. Pour ne pas risquer de perdre mon travail en m’absentant quelques jours après l’embauche, je demandais au greffe de la cour d’appel un report de ce procès.

Malgré l’accord verbal du greffe, le 18 avril, la cour d’appel décidait de me juger par défaut, faisant fi de tous les droits de la défense ! Et le 9 mai 1985, elle rendait son verdict : 3 ans et demi de prison ferme.

En 1976, je participais à une tentative de cambriolage dans un magasin. Aucun préjudice pour le propriétaire, j’écopais pourtant de 6 ans de réclusion criminelle. En 1982, je dérobais une statuette dans une chapelle, statuette restituée quelques heures plus tard lors de mon arrestation. Trois ans d’emprisonnement. Addition simple, mais combien lourde, 9 années de taule pour deux vols… C’est sans doute ce que l’on appelle le laxisme de la justice ! De surcroît me détenir durant trois années sous l’accusation de meurtre pour finalement m’acquitter, voilà ce qui s’appelle, paraît-il, une « bonne justice » !

Il est clair qu’aujourd’hui la justice prend sa revanche sur mon récent acquittement, revanche aussi sur les luttes menées contre l’enfermement. Depuis ma libération, voici un mois, je n’ai pas gardé le silence, j’ai continué de participer aux actions menées notamment au travers du journal Otages et de l’émission « Accusés, levez-vous ! » avec tous mes camarades toujours entaulés contre les peines toujours plus lourdes, contre la taule.

Décider de me réincarcérer, c’est tenter de me neutraliser, d’intimider celles et ceux qui luttent hors et dedans les murs carcéraux, de rompre des liens entre individus qui se reconnaissent dans une démarche collective. Me condamner à 3 ans et demi de prison, après 7 années de détention et quelques semaines de liberté, c’est m’acculer à la clandestinité et par là même discréditer et entraver un travail, que je veux, que nous voulons public. C’est aussi, peut-être, provoquer une situation permettant l’arrestation discrète mais mouvementée d’un « malfaiteur » (j’ai été verbalement menacé de mort par des policiers suite à mon acquittement… De même, mais avec plus de « tact » par un haut magistrat douaisien ). À ce propos, et si je choisis de persister dans la clandestinité plutôt que de réintégrer un lieu de détention, je précise que je ne serai jamais porteur d’arme, que ;je n’ai aucune intention délictueuse ou criminelle et qu’en cas d’arrestation, je n’opposerai aucune résistance.

J.-P. Mouille le 15 mai 1985