Au bar de la connerie, la machine à chansons fait fortune. La crétinisation est devenue un art et Luis Mariano a son autel dans tout foyer digne de ce nom. Et je te fais des courbettes, et je te fonde un club, et je te souris — dents blanches —, à la une des magazines. Ces messieurs-dames finissent par se prendre pour Khrouchtchev un jour de parade à Moscou. Et valsez ! Un Guétary, un, avec du cha cha cha. Et un Henri Salvador d’Ali Baba, bébête, cucu et rock ! et l’vis Pristley — enfoncez-vous bien ça dans le crâne — Un ave Maria pour Gloria Lassottise : Dites è amen » et saluez. Les dieux sont vivants et les rois des c…omme la lune se prosternent. Dario Moreno change de casquette — une auréole en sole, mon cher. Faites dodo, mes agneaux, Bambino et Lasso veillent sur vous. Que d’o, que d’o ! « Tu peux fumer comme un monsieur des cigarettes ». Merci beaucoup, je préfère la pipe. Celle de Brassens par exemple.
Tous ces crétins de la scène, toute cette publicité pour Marteau Pilon et sucre candi réunis m’écœurent, tout comme ces petits bourgeois tristes et fatigués qui ne savent ajouter, quand on leur parle de Little Rock que « and roll », l’œil vitreux et le mégot doré.
Ohé, bonnes gens, changez de quartier ! La chanson est belle quand on sait la prendre. Alors, qu’attendez-vous pour l’embrasser à pleine bouche ? La poésie est populaire, elle est à vous. Si vous laissez Brassens, Léo Ferré ou Prévert aux intellectuels, ils sont capables comme je les connais d’aller les disséquer un de ces jours, dans les amphithéâtres de la Sorbonne. Alors ils seraient bien morts. Gardez-les vivants, vous, et chantez-les dans les rues. Faites courir la poésie sur les trottoirs. C’est un cerceau qui peut renverser bien des monuments de bêtise. Sans vous, elle se meurt…
Alors, à quand la réconciliation, guidés, par exemple, par Brassens le tendre, au son de la « Marche nuptiale » ?…
Henri Gougaud