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Stephen Mac Say n’est plus

avril 1972.

Je sais tout ce qu’on pourra dire, toutes les paroles prononcées qui se voudraient consolatrices ; que c’est le sort de tous de disparaitre un jour, que notre cher Stephen avait atteint un âge auquel beaucoup ne parviennent pas.

Mais il était de ceux-là qui, par leur générosité. leur largeur d’esprit, leur profondeur de pensée, leur sens de l’humain, semblent ne devoir jamais disparaître.

Et puis il y avait en lui un tel dynamisme, une telle verdeur, une telle vitalité, une telle possession de ses moyens, un tel défi au temps que l’on se sent tenté de dire : il n’avait que 88 ans.

Parler de lui, c’est parler du mouvement anarchiste depuis le début de ce siècle.

C’est évoquer « La Ruche » où, aux côtés de sa chère compagne Mary, il réalisait le rêve éducateur de Sébastien Faure.

Pour lui donner vie, il fallait mieux qu’un pédagogue avec toutes les connaissances et toute la psychologie que cela implique, il fallait que ce pédagogue fût doublé de l’homme dans ce qu’il faut entendre par là de sensibilité, de bonté et d’amour. Pour établir cc lien de fraternité, de compréhension et de confiance entre l’enfant et l’éducateur, pour permettre et favoriser l’éclosion de la jeune intelligence du premier, pour satisfaire à sa fraiche curiosité, pour abolir la frontière des générations, Pour faire de l’école un grand jeu et une grande collaboration entre tous, il fallait autre chose que des connaissances.

Si « La Ruche » a été ce qu’elle fut, si ses « anciens » ne peuvent l’évoquer sans que leurs yeux se mouillent, si derrière les murs du « Pâtis » commença à s’établir, à l’échelle d’une collectivité, l’ébauche de ce que devrait être le monde, c’est à Stephen et Mary Mac Say qu’en grande part on le doit.

Mais un esprit aussi vaste que celui de notre cher disparu ne devait pas limiter à ce rêve — si grand fût-il — sa prodigieuse activité.

Il laisse après lui une œuvre gigantesque, tant par sa variété que par son érudition.

Ce sont des études sur « La Fable » et « Le Conte » de leur origine à nos jours, ce sont des poèmes où se retrouve toute sa sensibilité.

C’est aussi (et ce serait trahir sa mémoire que de la passer sous silence) toute une part de ses écrits, et non la moindre, consacrée à nos frères « dits inférieurs », ce que notre sauvagerie de civilisés ne justifie bien souvent pas.

Ce sont des études aussi documentées que fourmillant d’aperçus originaux : « Les bêtes proches de l’homme », puis un livre plus intime fait d’observations journalières et de communion vivante : « Avec les bêtes chère compagnie », mais c’est surtout une véhémente campagne contre la vivisection, contre la fausse science, contre la sacralisation de l’homme, contre le droit qu’il s’arroge d’être le tyran de toute la nature, prétention qui porte en elle sa faillite et sa fin.

Son activité sociale ne s’en démentait pas moins ; au lendemain de la première tourmente, lorsque Sébastien Faure décidait la mise en chantier de la monumentale « Encyclopédie anarchiste », c’est encore une fois à Stephen Mac Say qu’il avait recours, non seulement pour y collaborer (il n’est pas un cahier sans que son nom y figure), mais aussi pour le seconder dans la partie administrative ; choix des mots cités, appel aux collaborateurs, etc.

Outre les multiples écrits de cette Encyclopédie qui portent sa signature, il faudrait citer tous ses ouvrages sociologiques, depuis « La laïque contre l’enfant » (1), produit au début de ce siècle, jusqu’à « Propos sans égards », écrit il y a quelques années, œuvre maitresse qui devrait être dans la bibliothèque de tout militant, et qui, par la synthèse de sa pensée et de sa philosophie, constitue un véritable testament.

Pourrais-je terminer ce trop bref rappel de la vie de notre cher compagnon, sans évoquer l’accueil réserve à ceux qui. chaque année, venaient l’envahir, et la chaleur humaine qu’il savait si simplement et si généreusement prodiguer à tous ?

Il semblait que son portail se fût fermé sur les laideurs et les cruautés du inonde.

Maurice Laisant