Émile Masson est certainement l’une des figures les plus méconnues du mouvement libertaire du début du siècle. Né à Brest en 1869, décédé le 9 février 1923, professeur d’anglais dans le Morbihan, il se consacra essentiellement à la cause de la Bretagne.
Sa vie, son œuvre
Son séjour le plus long à Paris se situe en 1896 où, étudiant en philosophie, il se mêle aux milieux socialistes, antimilitaristes et anarchistes. À part quelques écrits, Masson ne semble pas avoir milité en milieu paysan avant 1908. Cette année-là, il publie trois contes « anarcho-bretons ». En octobre 1911, après une longue maladie, il signe le manifeste du Parti nationaliste breton (PNB) qui vient de se créer [1]. Membre du comité de rédaction du journal de celui-ci, sous le nom d’Ewan Guesnou [2], il n’y écrivit pourtant aucun article.
En avril 1912, il commence la traduction en breton [3] du texte d’Élisée Reclus A mon frère le paysan. La brochure parut en Vannetais et en Léonais en septembre de la même année. Il fournit également des articles au journal de l’Union des syndicats de Lorient, Le Prolétaire breton, et entra en relation avec un syndicaliste de l’Arsenal (François Le Levé), animateur d’un groupe des « Temps nouveaux ». Ils lancèrent ensemble, aidés par P. Monatte et A. Rosmer, une revue mensuelle qui parut jusqu’à la déclaration de la Première Guerre mondiale.
En janvier 1913, E. Masson créa sa propre revue, Brug (« bruyère »), en breton et en français, axée vers les masses rurales et qui parut jusqu’en juillet 1914. Bien que souffrant des contradictions idéologiques de l’auteur, Brug détient une place originale au sein de la pensée bretonne de l’époque qui développe pour l’essentiel le thème d’une Bretagne idéale, expression d’une partie de la bourgeoisie locale. Son engagement sur le manifeste du PNB ne l’empêche nullement de signer en juin 1913 l’Appel de la pensée bretonne qui est en totale opposition avec les principes du PNB. De tels actes dénotent non seulement l’insatisfaction de Masson vis-à-vis des organisations bretonnes, mais également son manque de clarté politique. Il participe également aux activités de la Fédération régionaliste de Bretagne [4].
Antée, sous-titré « Les Bretons et le socialisme », le manuscrit le plus connu d’Émile Masson est paru entre janvier et septembre 1912 en une série d’articles dans le Rappel du Morbihan, organe de la Fédération morbihannaise de la SFIO. Il est considéré comme le premier texte qui tente d’éclairer la question bretonne sous l’angle du socialisme. Pour l’auteur, « si nous voulons vaincre en Bretagne, Bretons socialistes, parlons à nos frères rustiques leur langue ».
Ses idées
Son individualisme prend corps à Paris durant une partie de ses études philosophiques. Les figures de proue de Masson sont Tolstoï, Nietzche, Goethe… Le texte Antée et les lettres écrites à Jean Grave [5] reflètent le
plus clairement ses idées. Ce qui le porta à écrire : « Toujours tout pour l’individu, il n’y a que lui qui soit et rien n’est sans lui. » Résolument anticlérical, il dénonce tout autant l’éducation laïque qu’il qualifiait de « trucage des consciences » ou de « bourrage de crânes ». Son refus du capitalisme va de pair avec sa critique du mouvement socialiste qui prônait la disparition des langues dites minoritaires et l’avènement d’une langue mondiale unique.
Pour E. Masson, les sources de l’oppression seraient principalement dues à la conscience des individus et à leur mentalité. C’est pourquoi leur libération passe obligatoirement par la réappropriation de leur identité. Une telle démarche intellectuelle explique son action en faveur de la langue bretonne. Sa vision de la révolution est inséparable de celle de l’individu : « La révolution ne se fera que par l’individu, non par les foules ; elle se fera quotidiennement, par chacun de soi. » Refusant la violence, ne reconnaissant pas la lutte des classes, prônant une rupture individuelle, sa réflexion n’a guère de répercussion sur le monde qui l’entoure.
Jusqu’à la déclaration de guerre, il tente de surmonter ses propres contradictions, de définir sa position face au problème breton. Celle-ci brise ses réflexions et son action. En 1918, il sombre de nouveau dans son univers, écrit L’Utopie des îles britanniques dans le Pacifique en 1980 (publié en 1921). Ses études et son attachement à la philosophie eurent, sans aucun doute, un poids décisif sur l’évolution de ses idées, ce qui explique également ses difficultés à les appliquer sur le plan social et économique. C’est certainement à propos de la défense de la culture bretonne, que Émile Masson a contribué à enrichir le mouvement révolutionnaire. Il fut en effet l’un des rares militants à avoir perçu l’intérêt de la préservation des particularités locales.
Jean-Claude (Gr. Pierre-Kropotkine : Argenteuil)