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Hommage à Adria Marzocchi

mars 2025.

En France, le nom d’Umberto Marzocchi est connu depuis longtemps. Le livre de Giorgio Sacchetti Sans frontière, publié récemment aux Éditions libertaires, qui retrace la vie mouvementée de cet infatigable agitateur permet aux jeunes générations de se familiariser avec lui. Mort en 1986, il a laissé dans sa ville de Savona un groupe anarchiste actif et une famille unie, toujours acquise à ses idées.



Aujourd’hui, ce nom a de nouveau été mis à l’honneur dans les rues de cette cité de Ligurie, avec des discours et des chants révolutionnaires. Les anarchistes savoneses ont rendu hommage à Adria Marzocchi, fille aînée d’Umberto, morte à l’âge de 102 ans.

Une jeunesse en exil

Cette femme, née le 1er janvier 1923, en aura traversé des épreuves. Très jeune, elle doit fuir l’Italie avec son père, sa mère Elvira Angella et sa petite sœur Marisa pour trouver refuge en France. La famille s’installe à Lille, Umberto ouvre une librairie qui sera très vite un rendez-vous pour les activités anarchistes. Les fillettes vont à l’école et y apprennent le français, langue qu’Adria parlera toute sa vie, passant de sa langue maternelle à cette langue qu’elle affectionnait tant. Elle adorait la littérature française ainsi que le cinéma, elle allait voir les films, lorsque c’était possible, avec sa cadette et son cousin Dado. Vers 15 ans elle prend des cours de théâtre à Paris où la famille s’est installée, elle en développera une passion qui l’accompagnera toute son existence.

À Lille, elle apprend la solidarité avec les anarchistes français, italiens, belges et tous les autres réfugiés. Elle aimait se souvenir de ces moments difficiles, mais aussi pleins de rencontres. Elle n’oubliera jamais les faux noms, toujours différents, adoptés pour ne pas être identifiés par la police, les nombreux épisodes dignes des pages d’un roman qui avaient caractérisé sa jeunesse ainsi que les voyages à la campagne avec les anarchistes et des socialistes, réfugiés comme eux.

Les années de feu

En 1936, Umberto part en Espagne, afin de participer à cette révolution pleine d’espoir. Durant son engagement dans la milice Durruti, sa famille vivait dans la peur de le perdre. Puis, à partir de 1938, vient le tournant restrictif de la politique d’émigration en France, qui contraint les exilés antifascistes à fuir ou à rejoindre la Légion étrangère, ce que fit Umberto. Ce furent des années d’attente et de souffrances très dures.

La Seconde Guerre mondiale ajoute à leur malheur, alors qu’Umberto participe à la Résistance, elles n’ont d’autre solution que de retourner en Italie. Elles quittent donc Paris juste avant l’arrivée des troupes nazies, parcourant plus de 300 km à pied, sous les bombardements, tourmentées par l’angoisse constante d’être exposées à d’éventuels actes de violence, en tant que femmes, alors âgées respectivement de 40, 17 et 14 ans. Cette terrible expérience les a profondément marquées. À tel point que, les années suivantes, évoquant la période de guerre, Adria ira jusqu’à dire qu’elle avait plus peur des hommes que des bombes.

En février 1941, elles arrivent, après de terribles épreuves, à Savona, elles retrouvent là une partie de la famille. Adria est une jeune femme, et tout comme le reste de ses proches, elle fait siennes les idées de son père.

Une longue vie avec les anarchistes

Ce n’est pas un hasard si, en 1953, elle choisit pour mari un résistant au régime fasciste, Stelio Casati, mort beaucoup trop jeune et qui restera l’amour de sa vie.

Elle ne sera jamais une militante au sens qu’on lui connaît, c’est pourtant en partie grâce à son dévouement qu’Umberto trouvait assez de temps pour faire le travail monumental qu’il abattait. Sans être activiste, elle participait parfois à des réunions, elle fut notamment membre de la délégation italienne au congrès de l’Internationale des fédérations anarchistes (IFA) tenu à Paris en 1986. Adria intervenait de temps en temps de manière inattendue dans les réunions du jeune groupe Pietro Gori, apparaissant soudain sur le seuil du local pour avoir « son mot à dire » avec force et vigueur. Elle a toujours eu confiance dans les jeunes et aimait discuter avec eux, ne leur parlant pas uniquement d’anarchisme. De nature optimiste et joyeuse, elle savait redonner confiance dans les moments de crises. Avec son inséparable sœur, elles recevaient simplement et chaleureusement tous ceux qui frappaient à leurs portes, et ils étaient nombreux.

Dernièrement, elle se montrait très inquiète de la victoire de l’extrême droite en Italie. Elle disait « les fascistes sont de retour, ils resteront encore 20 ans… je ne veux pas partir maintenant avec eux au pouvoir. » Elle n’arrivait pas à croire que tout pouvait recommencer, comme alors.

Che la terra vi sia leggera

Pour beaucoup d’entre nous, sa maison était un refuge, elle a tant fait, tant donné. Elle laisse derrière elle la trace de son engagement, avec le groupe Pietro Gori, dont sa fille Tiziana est adhérente de longue date. Ils portent bien haut le drapeau rouge et noir et participent à toutes les luttes. Adria les soutenait toujours, notamment lors de la création du collectif Doposcuola (après l’école) pour le soutien aux immigrés qui subissent de plein fouet la politique xénophobe italienne.

Groupe anarchiste Pietro Gori
FAI Savona