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Maurice Fayolle

novembre 1970.

par Maurice Laisant



C’est un douloureux devoir que de remémorer le souvenir d’un compagnon qui nous quitte, et plus encore lorsque ce souvenir se rapporte à vingt-cinq ans de luttes communes et de militantisme fraternel.

Fayolle était mieux que brillant, il était sérieux, qualité plus rare bien que moins remarquée.

Peu doué pour la parole, il écrivait et lisait ses interventions toujours limpdes de structure et de style, car là ses dons oratoires lui étaient comptés, en revanche il maniait la plume avec un rare bonheur.

Cela ne l’empêchait pas de se montrer d’une extrême modestie.

C’est sans doute en raison de cette discrétion et de son silence sur lui-même que nous ne savons guère quel fut son rôle au sein de l’Union anarchiste d’avant guerre.

Tout ce que nous pouvons dire est qu’il militait dans un groupe de la Somme, et il est hors de doute que sa personnalité s’y soit manifestée.

Cependant, c’est à partir de 1945 que son activité s’avère mémorable.

Au lendemain de la tuerie, il est présent à la reconstitution du mouvement, participe à la rédaction du Libertaire et me succède au poste de secrétaire aux relations extérieures en 1950.

Lors de la tentative de prise en main du mouvement par des aventuriers politico-marxistes Fayolle, avec d’autres, sera écarté et rayé d’un trait de plume par ces pitres.

Après leur lamentable échec, Fayolle assistera à le recréation de la Fédération anarchiste et de son organe Le Monde libertaire et y jouera un rôle de premier plan.

Durant les tristes événements d’Algérie, il suivra attentivement l’actualité et en fera une analyse dont on mesure mieux, avec le recul, le sérieux et la justesse de vues.

Tout en s’indignant contre la banditique expédition nord-africaine, où les socialistes français finissaient de se déshonorer, il nous met en garde contre une « révolution nationaliste » et dénonce les intérêts de ceux qui dans son ombre aspirent à prendre la place et les privilèges des anciens colonisateurs.

Il fournira également une suite d’articles qui, repris, paraitront dans une brochure Formes et structures de l’anarchie [1].

Il y fait valoir sa conception d’une organisation anarchiste et les modifications qu’il attend de la nôtre.

Lors de nos congrès, il défendra ce point de vue auquel certains se rallieront peu ou prou, jusqu’au congrès de Bordeaux (1967) où un groupe de jeunes l’appuieront.

Il pouvait alors le réaliser au sein de la Fédération anarchiste, la souplesse de nos principes de base admettant la pluralité d’expériences divergentes quant à la méthode.

Cependant après un certain temps où les groupes de la tendance étaient restés à la FA, certains s’en retirèrent.

Mais déjà la santé de notre ami était menacé et ses jours étaient comptés, ce qui ne lui permit pas de suivre le développement de ce qu’il avait entrepris et voulu.

Ce serait trahir sa mémoire que de voiler, à l’occasion d’un article nécrologique, les divergences qui nous séparaient.

Si nous avions une identité de vue sur l’éthique anarchiste, tant dans le domaine philosophique que social nous n’étions pas toujours d’accord sur les structures et méthodes d’une organisation, qu’il voulait d’un fonctionnement plus strict que celui qui est nôtre ; mais cela n’entacha jamais nos rapports de militant et d’homme.

L’amitié ne peut survivre à ces confrontations que lorsqu’elles restent loyales, qu’elles ne s’agrémentent pas de petitesses et de malhonnêteté, qu’elles ne tombent pas du domaine des idées à celui des personnes aussi bien dans les rapports d’organisation à organisation, que dans les rapports d’homme à homme.

La parfaite droiture et la scrupuleuse probité de Fayolle font que parmi tous les militants de notre mouvement, il ne s’en trouvera pas un pour les mettre en doute, et pas un non plus pour ne pas mesurer le vide que nous cause sa fin, pas un pour ne pas regretter le compagnon qui nous quitte et dont la mort prématurée frappe d’émotion et de tristesse ceux qui ont tâche de poursuivre après lui, et sans lui, l’idéal qui fut le sien.

M.L.


[1Réflexions sur l’anarchisme [?].