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Hommage

Salut Maurice !

Le jeudi 2 janvier 1992.

Ce fut un coup de téléphone terrible que d’apprendre la disparition de Maurice. Bien sûr, nous nous y attendions depuis plusieurs mois. Mais, quelque part en nous, subsiste toujours le refus d’accepter l’inévitable. Pour tous ceux qui ont eu la joie de fraterniser avec lui, c’est un vide immense qui apparaît sous nos yeux et la tristesse, sinistre compagne, pèse entière de son lourd fardeau.

Maurice reste, sans doute, la personnalité la plus représentative de l’anarchisme depuis le Seconde Guerre mondiale. Militant infatigable, tribun extraordinaire parcourant le pays de réunions en meetings, de colloques en congrès, il n’aura de cesse à développer la pensée libertaire et ce qui fut pour lui son organisation en France : la Fédération anarchiste. Par sa personnalité, son action, Maurice reste la pierre angulaire de la construction du mouvement libertaire français. par son militantisme et, rappelons-le, l’aide sans faille de sa compagne Suzy Chevet, il jouera un rôle de premier plan pour donner à notre organisation le poids et les moyens lui permettant d’être aujourd’hui ce qu’il est.

Fin connaisseur de notre pensée, ses nombreuses analyses et écrits resteront d’importants éléments de réflexion. L’un de ses soucis majeurs et constant sera d’ailleurs d’adapter et d’inscrire l’anarchisme dans la société contemporaine. Cela l’amènera à porter un jugement très ouvert sur les questions qui se posent à l’homme de notre temps et, de ce fait, à rejeter toutes les tentatives de perversion de l’anarchisme qui se présenteront en s’opposant quelquefois avec éclat à tous ceux qui voulaient la travestir ou la conduire dans des chemins de traverse. Militant révolutionnaire, il n’aura de cesse à réunir cette famille libertaire éclatée et, au niveau mondial, sera l’un des actifs artisans de la construction de l’Internationale des fédérations anarchistes. En 1968, à Carrare, son opposition aux gesticulateurs du Mouvement du 22 Mars restera gravée dans la mémoire des participants à ce premier congrès constitutif de l’IFA. L’histoire lui donnera raison. Que reste-t-il de cette cohorte d’étudiants donnant des leçons aux compagnons qui, patiemment, pierre après pierre, continuent de créer les conditions du développement de l’humanisme libertaire ?

Que ce soit sur le plan anarcho-syndicaliste ou sur celui plus spécifiquement anarchiste, ce farouche baroudeur sera de tous les grands combats pour la liberté qui secoueront notre pays durant ces cinquante dernières années. Il dynamisera notre fédération en prenant de nombreuses initiatives, n’hésitant pas à l’associer à toutes les actions exceptionnelles entreprises par les grandes organisations laïques, pacifistes et syndicales de ce pays, ainsi qu’a diverses personnalités littéraires et artistiques. Est-il utile de rappeler ici et maintenant ces événements, ces organisations et ces personnalités ?

Écrivain et animateur du groupe Louise-Michel, sa plus belle création restera La Rue. Nous aurons eu cette joie d’assister et de contribuer à cette formidable gestation qui fut un moment inégalable de plaisir et de joie pour Maurice et, bien sûr, pour Suzy aussi. Militant hors pair, homme entier consacré complétement à son idéal, tous ceux qui eurent le privilège de l’approcher et de travailler régulièrement avec lui connaissaient à la fois l’être aux colères surprenantes mais toujours justifiées et l’homme délicieux qu’il savait également être. Car pour Maurice la fraternité n’était pas un vain mot. Jamais il ne galvaudera son amitié.

C’est pour nous une bien cruelle disparition. D’autant plus cruelle que je garderai à l’esprit et au cœur la forte présence de ce petit homme au sein de cette enceinte montmartroise du groupe dans laquelle je fis timidement mes premiers pas, et qui me permit de découvrir cette belle pensée et les militants qui la défendaient et à laquelle lui, depuis longtemps, avait déjà consacré une partie de sa vie. Désormais, Maurice appartient à la grande histoire du mouvement libertaire. De ceux rares qui en ce siècle marqueront celui-ci de façon significative. Il nous appartient de redécouvrir à travers ses écrits la force de la pensée de celui qui restera toujours pour nous un éternel mutin et, certainement, l’homme révolté dans ce qu’il a de plus achevé.

Roland Bosdeveix, groupe Louise-Michel de Paris