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éditorial du nº 1153 et autres articles du ML1153

25 février au 3 mars 1999
Le jeudi 25 février 1999.

https://web.archive.org/web/20010710134256/http://www.federation-anarchiste.org/ml/numeros/1153/index.html



Éditorial

Assise sur ses privilèges, la petite minorité qui nous exploite et nous dirige voudrait nous imposer les limites du " raisonnable ". Anarchistes, nous qui luttons pour un changement radical de société, nous ne serions que de doux rêveurs. Pourtant, la réalité d’un monde de plus en plus déraisonnable s’impose implacablement.

Dans les pays industrialisés, plus de cent millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté, dont cinq millions sont sans domicile. Malgré ces chiffres, ceux qui ont le pouvoir voudraient nous faire croire qu’ayant la chance d’habiter dans un pays riche nous serions des privilégiés, à la merci des hordes de miséreux venant du Sud qui guetteraient le plus petit signe d’ouverture des frontières pour nous envahir.

De fait, il est vrai que les inégalités entre les différentes régions du monde ne cessent pas de se creuser. En 1960, les 20 % de la population mondiale vivant dans les pays les plus riches avaient un revenu trente fois supérieur à celui des 20 % les plus pauvres. En 1995, leur revenu était 82 fois supérieur. La consommation d’un ménage africain moyen est en recul de 20 % par rapport à il y a vingt-cinq ans.

Un tel déséquilibre est éthiquement totalement inacceptable. Plus d’un milliard d’êtres humains (près d’un quart de l’humanité) sont dans l’incapacité de satisfaire leurs besoins essentiels de consommation. De tels chiffres font peur. Ils tendent à donner l’impression qu’aucune solution ne peut réellement exister sauf à l’échelle de plusieurs générations.Et c’est là que l’inégalité géographique ne doit pas masquer une autre inégalité de nature sociale qui est au fondement même de notre société basée sur l’exploitation et l’accumulation.

Il suffirait de moins de 40 % de la richesse des 225 plus grosses fortunes mondiales pour donner à toute la population du globe accès aux besoins de base et aux services sociaux. Les trois personnes les plus riches du monde ont une fortune supérieure au produit intérieur brut (PIB) total des 48 pays en développement les plus pauvres.


Être Kurde, un crime ?

[ image à récupérer : Encore un avalanche ]

L’arrestation d’Abdullah Öcalan repose la question de la liberté au Kurdistan. L’enlèvement d’Abdullah Öcalan est une victoire certaine du pouvoir dictatorial turc dans sa lutte à mort contre le peuple kurde. Il montre à la fois l’intransigeance absolue du pouvoir en place à Ankara et le désintérêt de tous les États du monde envers l’avenir des Kurdes. Le lâchage du PKK, successivement par la Syrie, l’Italie, les Pays-Bas, le Kenya et même la Grèce qui est pourtant un ennemi déclaré de la Turquie, le prouve à l’envi. On n’a pas honte dans les pays occidentaux de réclamer aux Turcs un "procès équitable" alors que tout le monde sait qu’il n’en sera rien et qu’au même moment la télévision diffuse les images de propagande turques où l’on voit de véritables Ninja cagoulés devant un Öcalan hagard et visiblement drogué. Il faut sans tarder, et sans détour, dire que la question dépasse de loin la personne d’Öcalan. Elle n’est pas de savoir si c’est un "gentil libérateur" ou un "méchant avec du sang sur les mains", ni même quelle est la nature exacte de l’idéologie bancale qu’il professe, mais si être Kurde en Turquie va conduire pour longtemps encore à la prison ou à la mort. Le peuple kurde est coincé entre des structures d’exploitation féodales et le déni turc de son existence. Il ne s’agit donc pas pour nous de soutenir le PKK, mais d’aider à la prise de conscience des crimes du régime turc envers les Kurdes comme on a, trop tard, pris conscience des crimes de même nature du régime irakien de Sadam Hussein. Il s’agit aussi de dire qu’il n’y a pas de progrès vers la liberté par le chemin du nationaliste, mais par la lutte sociale. Cela vaut pour le Kurdistan mais aussi pour le Tibet, la Kabylie, les Indiens d’Amérique du Sud, le Timor oriental et tant d’autres.

Ethnocide

Si par hasard vous consultez un recensement de la Turquie, vous ne verrez apparaître aucun Kurde. Pourtant vous savez qu’ils sont entre 10 et 15 millions. Si vous savez aussi que le Kurdistan est une région largement montagneuse vous comprendrez vite qui sont les 10 millions de "Turcs des montagnes". En effet, la construction de la Turquie moderne s’est faite avec la négation pure et simple des Kurdes et plus généralement de tout ce qui n’est pas Turc : massacre d’un million d’Arméniens, départ forcé de plus d’un millions de Grecs. Le grand instigateur de cette politique ultra nationaliste mais aussi (et c’est fondamental pour comprendre les positions occidentales), laïque, pro-occidentale et anti-arabe, est Mustapha Kemal, surnommé Ataturk (père de la Turquie). L’idéologie Kémaliste est celle de tous les gouvernement de la Turquie depuis l’indépendance en 1923. Elle s’est mise en place aussi rapidement que violemment. Dès 1924 la langue kurde est interdite, aussi bien à l’école que dans la rue (1). La manière de s’habiller est réglementée, les chants kurdes interdits sauf pendant cinq heures les jours de mariage. L’État turc tente une acculturation forcée avec un mélange de bourrage de crâne (2) et de répression quasi — constante. Il procède aussi à des déplacements de population et à l’implantation de colons turcs sur les terres les plus fertiles. Il utilise des "collabo" qu’il paye pour dénoncer toute subversion et s’appuie sur une aristocratie féodale de grands propriétaires terriens qui, pour conserver leurs privilèges, sont prêts à faire allégeance à n’importe quel pouvoir. En échange, le pouvoir Turc permet à ces élites traditionnelles kurdes d’accéder à tous les niveaux du pouvoir (l’ancien premier ministre des années 1980, Ozal, était d’origine kurde) pourvu qu’elles abandonnent toute référence à leur origine. La volonté turque d’éradiquer toute référence à l’existence des kurdes, à leur identité collective, fait de la politique turque envers les Kurdes un véritable ethnocide.

Il ne faut pas à ce sujet tourner autour du pot : les Kurdes dans leur majorité ont une revendication nationale et pas seulement culturelle qui peut froisser des sensibilités anarchistes. Toujours est — il que notre analyse (que nous croyons juste mais qui est bien limitée par notre manque de connaissance du problème) n’est pas facile à expliquer aux membres d’un peuple qui subit le déni d’un État et croit trouver dans les organisations nationalistes le moyen d’exister. Ne jugeons pas trop vite. Nous n’avons pas de leçons à donner mais nous n’avons pas non plus à être complaisants envers un PKK qui nous persécuterait certainement comme anarchistes si nous étions Kurdes.

Du GAP au Mossad

On peine à s’y retrouver dans l’imbrication des acteurs et des enjeux. Que peuvent bien venir faire dans cette histoire les services secrets israéliens du Mossad ? Les kurdes les accusent d’avoir aidé les services secrets turcs à enlever Öcalan, ce qui est probablement vrai. On peut penser que la Turquie et Israël sont les deux alliés principaux et indéfectibles des États-Unis dans la région et que leur hostilité commune envers leurs voisins arables crée des liens. C’est probablement vrai, mais largement insuffisant. La véritable raison, presque à coup sûr, c’est l’eau. Israël en manque et en a un besoin vital, autant que du pétrole. Or la Turquie contrôle le " château d’eau de la région " qui n’est autre que le Kurdistan et ses montagnes. Les deux grands fleuves de la région, le Tigre et l’Euphrate, qui irriguent la Syrie et l’Irak, y prennent leur source et la quasi totalité de leur alimentation. Les Turcs ont ainsi décidé la mise en place d’un gigantesque système de barrages (3) et d’irrigation sur ces deux fleuves du Kurdistan, baptisé GAP. C’est un véritable mythe du développement national turc qui s’étend sur six départements et mêle production hydroélectrique, industrialisation, irrigation des terres, développement des transports. L’idée première est de fixer les Kurdes dont la migration depuis ces régions extrêmement pauvres vers les grandes villes du l’Ouest inquiétait le pouvoir central. L’objectif est aussi d’en faire un eldorado pour les capitalistes d’lstanbul et d’Ankara, ainsi que pour les féodaux locaux (Kurdes) dont le gouvernement recherche l’appui contre la révolte populaire.

Cette volonté de pacification (au sens ou les Français pacifiaient l’Algérie) est lisible dans le renforcement de l’encadrement administratif, avec la création de deux départements nouveaux et de la seule préfecture de région de Turquie. De surcroît, le GAP est un puissant élément de politique extérieure. Il permet littéralement de couper l’eau à la Syrie et à l’Irak.

Cette menace (qui pourrait sans peine conduire à la guerre) a abouti dès 1987 à un accord entre la Turquie, qui garantit un débit de 500 m/s des eaux de l’Euphrate, et la Syrie qui en échange a cessé sa protection aux Kurdes du PKK. Et Israël dans tout ça ? Elle est la dernière pièce du puzzle et entend bien profiter de l’offre turque de lui vendre son eau, transportée comme le pétrole par un pipeline sous-marin, baptisé " pipeline de la paix " par les Turcs. De là à imaginer une aide Israélienne dans la guerre contre le PKK il n’y a qu’un pas qu’il me semble judicieux de franchir. La fusillade du consulat Israélien de Francfort que des Kurdes non armés entendaient occuper symboliquement, ressemble bien à la signature définitive d’un accord que l’on pourrait appeler " eau contre sang ".

Suite des luttes ?

Les médias officiels semblent presque étonnés qu’à l’occasion de l’arrestation d’Öcalan la diaspora kurde se manifeste dans le monde entier avec violence. Il faut avouer que la détermination des militant du PKK tend parfois au fanatisme, par exemple quand ils se font brûler vifs. On se croit revenu 20 ans en arrière lors de la révolution iranienne, quand le culte des martyrs et l’engrenage répression — martyr, enterrement — manifestation, nouvelle répression, avait conduit à la chute du Shah. Les différences sont cependant grandes et laissent penser qu’un scénario à l’iranienne est impossible. D’abord c’est à l’extérieur du pays plus qu’au Kurdistan (semble-t-il) que les réactions sont fortes.

Ensuite le poids de l’Islam Chi’ite et de son culte des martyrs n’est pas là. Enfin la machine répressive de l’État turc ne montre aucun signe de fragilité. On peut donc penser que le PKK est en bien mauvaise posture. Le gouvernement d’Ankara a effectivement gagné une bataille mais ne compte pas arrêter et la terreur va continuer à régner au Kurdistan envers tout ceux qui refusent de se soumettre. Le pouvoir accuse Öcalan d’être le responsable des 30 000 morts de la guerre qu’il mène contre le PKK. L’inflation de ce chiffre dans les années à venir montrera malheureusement que c’est la dictature turque qui est responsable des morts de même qu’elle est responsable de l’existence d’un PKK à l’idéologie et aux pratiques douteuses.

D’autres forces politiques, plus proche de ce pour quoi nous militons, peuvent-elle émerger au Kurdistan ? La question se pose.

Franck Gombaud — groupe Sabaté (Rennes)

(1) Jacqueline Sammali évoque dans " Être kurde, un délit ", éd de l’Harmattan, le cas d’un homme qui, arrêté par la police turque, avait été condamné parce qu’il ne savait répondre aux questions qui lui étaient posées que par le seul mot turc qu’il connaissait : " evit ", oui. Pour ceux que la question intéresse existe l’ouvrage plus historique et technique de Salah Jma " L’origine de la question Kurde " ainsi que l’inévitable " Dictionnaire de géopolitique " sous la direction d’ Yves Lacoste, Flammarion.

(2) Comme d’habitude dans ces cas là, l’école est le meilleur outil de l’État et fait pénétrer dans les têtes des enfants le mépris de leur appartenance. Elle enseigne par exemple que la langue kurde est un patois tiré du turc ancien alors qu’il s’agit d’une langue totalement distincte apparentée à l’Iranien.

(3) Une vingtaine de barrages, dont le gigantesque barrage Ataturk qui contrôle les eaux de l’Euphrate Le tunnel d’Urfa, le plus long de monde, apportera l’eau dans une plaine plus au sud.


Violence urbaine ou guerre de classes ?

[ image à récupérer : La chasse aux pauvres est ouverte ]

Pas une nuit sans qu’une voiture ne soit incendiée, par une semaine sans qu’un bus ne soit attaqué. Depuis 1981, les débordements de fureur se multiplient ; hier confinés aux banlieues des grandes métropoles, ils ont aujourd’hui gagné les quartiers des villes moyennes. Le matraquage médiatique quotidien nous livre les faits sans aucune explication. Pourquoi ces incendies de voitures, bien souvent celles des habitants des cités ? Pourquoi ces attaques de bus, un service public qui permet aux plus démunis de se déplacer ? Pourquoi ce déchaînement de violence sans raison apparente et qui envoie parfois à l’hôpital des chauffeurs de bus et des pompiers ? Le moindre incident devient affaire d’État. Les médias bourgeois, d’ordinaire si friands de sociologie de comptoir, se bornent à parler des " violences urbaines " et de " l’incivilité " des jeunes. Cette absence d’explication a un but bien précis : ôter tout sens et toute légitimité à ces accès de colère et désigner à la vindicte populaire la jeunesse des cités.

Des révoltes sociales

En dépit de tout ce qui est dit, ces gestes ont une signification sociale forte. La presse patronale omet sciemment de parler des politiques tarifaires prohibitives que mènent partout les entreprises de transport en commun et les municipalités. Ces politiques entraînent le développement de la fraude et face à celle-ci c’est le déferlement des campagnes anti-fraude, rafles sur les lignes " chaudes ", fermeture partielle de ces lignes, humiliations répétées lors des contrôles, expulsions hors des véhicules, présence policière constante. Il s’agit bien là d’une violence de classe que cette barbarie organisée qui réserve les bus à ceux qui ont du fric. Le prolétariat, appauvri chaque jour par la spéculation capitaliste, perd le droit élémentaire de se déplacer librement. La jeunesse des banlieues se trouve parquée à l’écart du centre ville, dans des quartiers qui tournent au ghetto et si elle brûle des voitures c’est pour rappeler qu’elle existe encore.

Une violence de classe

Quoi qu’en disent les bien pensants, il n’y a pas plus de violence urbaine que de violence sociale. Il n’y a qu’une violence de classe et ce n’est pas la jeunesse des banlieues qui en est l’origine. C’est elle au contraire qui endure chaque jour et y répond parfois par la colère. Il s’agit là de révoltes brutes mais compréhensibles qui répondent à des agressions caractérisées. D’aucuns disent que ces révoltes sont légitimes mais sans avenir. Sans doute. Entre le suicide de la résignation et la révolte explosive, la jeunesse démontre du moins qu’elle n’entend pas se laisser faire. Ces révoltes sociales n’ont rien à voir avec des " actes gratuits " : elles révèlent la dureté de la lutte des classes. Il reste, il est vrai, à transformer l’énergie dégagée par cette confrontation sociale en véritable élan révolutionnaire. Les modalités prises par la colère des jeunes prolétaires, notamment les brutalités envers les chauffeurs de bus, des salariés, sont loin d’être satisfaisantes au plan de l’efficacité révolutionnaire, de l’éthique libertaire et du projet anarchiste.

Pour le combat révolutionnaire

Malgré tout, l’exigence de justice sociale qu’elles contiennent constitue le socle sur lequel s’est bâti et développé notre mouvement. Que l’on ne compte pas sur nous pour condamner ou pour clamer ces jeunes.Nous ne jouerons ni le jeu de la paix sociale, qui impose l’exploitation tranquille des prolétaires par les bourgeois, ni celui de la logique corporatiste des pompiers et des chauffeurs de bus contre les jeunes et vice versa. Sur le fond, nous partageons la révolte de ces jeunes prolétaires. La révolution sociale et libertaire ne se fera pas sans eux, ni contre eux ni malgré eux, mais bien avec et pour eux. Loin de nous l’idée de leur donner une leçon de politique et de morale, ou encore de les inciter à continuer leur rébellion sous la forme actuelle qui les mène malheureusement en taule. Ces jeunes apprennent au jour le jour que le combat ne peut-être que frontal, classe contre classe, et qu’il sera parfois violent, pas obligatoirement de notre fait. Ils doivent néanmoins comprendre que les raisons de leur révolte rejoignent celles des millions de prolétaires qui subissent eux aussi l’exploitation capitaliste et étatique. La victoire, leur victoire, notre victoire est dans l’unité des exploités face aux exploiteurs. La division est la pire de nos ennemies et cela le pouvoir l’a parfaitement compris.

Groupe Lucia Saornil (Villeurbanne)

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17 octobre 1961 : massacre d’État

Pour avoir écrit en conclusion d’une tribune libre parue dans Le Monde du 20 mai 1998 sous le titre « Octobre 1961 : pour la vérité enfin » : « Je persiste et signe. En octobre 1961, il y eut à Paris un massacre perpétré par des forces de l’ordre agissant sous les ordres de Maurice Papon », Jean-Luc Einaudi – éducateur au ministère de la Justice, auteur de la " Bataille de Paris : 17 octobre 1961 " paru en 1991, et venu déposer pour cette raison le 16 octobre 1997 devant la Cour d’Assises de la Gironde à la requête du MRAP – a été cité devant le tribunal correctionnel de Paris par Maurice Papon, préfet de police à Paris au moment des faits visés, pour " diffamation envers un fonctionnaire public " et se voit réclamer la somme de 1 MF à titre de dommages-intérêts. L’affaire a finalement été examinée au cours de cinq audiences qui se sont tenues devant une salle comble et en présence de nombreux témoins.

Le 4 février est consacré à l’audition de J-L Einaudi et de ses premiers témoins. Maurice Papon est absent, souffrant d’une crise de « grippe aiguë ». L’audience commence par la projection d’une vidéo sur les événements d’octobre 61, réalisée en 1991 par la chaîne câblée Planète avec Einaudi comme conseiller technique et intitulée « Une journée portée disparue » Basée sur des témoignages, dont certains seront évoqués à l’audience, elle insiste sur le climat de violence au sein de la police entretenu par Papon, le quasi-silence de la télévision d’État sur les suites de la manifestation, la chape de plomb officielle d’« un pays en guerre », la gauche complice par peur d’être assimilée à l’ennemi (pas 1 heure de grève), pour conclure au « trou de mémoire » : « Occultée, cachée, étouffée, cette journée est portée disparue dans l’histoire de France. Tout le monde est coupable ; tout le monde est un bicot. »

Les responsabilités de Maurice Papon

Puis Jean-Luc Einaudi s’attache a démontrer que « le point central, ce sont les responsabilités de Maurice Papon ». Rafles au faciès dès 1958, création en 1959 du Centre d’Identification de Vincennes avec sa pratique des « comités d’accueil » – matraquage systématique des Algériens appréhendés entre deux haies de policiers à la sortie des fourgons –, et en 1960 de la Force de police auxiliaire, composée de harkis recourant a la torture. Pour contrebattre les attentats du FLN contre les policiers – 60 tués entre 1958 et 1961, dont 11 l’été 61 –, Maurice Papon délivre par une circulaire du 5 septembre un véritable permis de tuer : « Les membres des groupes de choc pris en flagrant crime doivent être abattus sur place. » Marque d’un mépris profond pour la justice. Il récidive lors des obsèques d’un policier le 2 octobre : « Pour un coup reçu, nous en porterons dix », traduction : pour un policier tué, tuez dix Algériens. Le 5 octobre, avec l’aval des plus hautes autorités, il établit un couvre-feu visant l’ensemble de la population musulmane originaire d’Algérie. La réponse de cette dernière sera l’organisation le 17 octobre d’une manifestation pacifique qui sera réprimée dans le sang. « Certes il n’existe aucune preuve que le massacre ait été ordonné. Mais il suffisait de laisser faire et c’est là que se trouve la responsabilité de Papon. » Au président qui s’étonne de l’indifférence de l’opinion publique et de la pusillanimité de la presse, Einaudi réplique : « La triste réalité, c’est que la vie d’un Algérien ne valait pas celle d’un français. » (Applaudissements dans la salle) Non, ce n’est pas l’homme Papon qui l’intéresse mais son itinéraire : il « le retrouve ici dans la continuité de son action comme secrétaire général à Bordeaux sous Vichy ».

On entend ensuite les premiers témoins de la défense. Madeleine Riffaut, journaliste a Libération – celui d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie – dénonce les tortures et les assassinats perpétrés par les forces de police auxiliaire. Jacques Panigel, cinéaste amateur passionné, est l’auteur d’Octobre à Paris basé sur les témoignages de victimes et conséquence directe de la « ratonnade du 17 octobre ». Achevé en mars 1962, le film sera saisi par la police dès sa première projection. Ovationné lors du festival de Venise en 1962, il n’a toujours pas été projeté à la télévision française où il fait l’objet d’une interdiction tacite. Gilles Martinet, alors rédacteur en chef de France-Observateur évoque ces trois policiers en civil qui déboulent dans le hall de la rédaction le soir du 17 vers 23 h 30 : « C’est affreux. C’est honteux. C’est une tuerie. On a jeté des gens dans la Seine. Nous sommes venus vous alerter car nous sommes des policiers républicains. Il faut absolument qu’il y ait une enquête. »

Isidore Lifschitz, lui, était militaire au service de la Santé. Il fait part de la vision d’horreur qu’il a eu en arrivant a minuit au Palais des Sports : « Sévices à froid des policiers… gens baignant dans leur sang et leurs excréments… c’était la majorité des gardiens de la paix et des gendarmes qui étaient violents mais l’encadrement n’a rien dit. »

Papon et le « complot des forces obscures »

Le 5, coucou, voila Papon, apparemment bien remis de sa grippe… et affublé d’une moustache à la Pétain. Il divise sa démonstration en trois points :

  • 1/Offensive du FLN qui a pour objectif majeur l’indépendance de l’Algérie : élimination du rival MNA, attentat contre la police, mise en place d’un embryon d’État dans l’État avec collecte de l’impôt et mise en place d’un dispositif judiciaire.
  • 2/Riposte du gouvernement et de ses polices : consigne reçue du général De Gaulle « Tenir Paris ». Missions : protéger la population ; restaurer la confiance du milieu policier, briser l’appareil FLN.
  • 3/La manifestation du 17 octobre : effectifs de police insuffisants, coups de feu échangés car cadres du FLN présents et armés, 11 000 manifestants « mis à l’abri », quelques bagarres : bilan officiel 3 morts, car les 50 morts dans la cour de la préfecture de police « c’est invraisemblable ! C’est Lucifer ! » Pourquoi tout ce tapage alors dirigé exclusivement contre lui ? « C’est une pièce d’un ensemble plus vaste… » Le fameux « complot international des forces obscures » déjà invoqué a Bordeaux !

Sur question du président, il parle pour les noyés de règlement de comptes entre FLN et MNA, reconnaît de mauvaises conditions dans les centres d’internement car « on a été débordé… mais il n’y a pas eu de morts » balaie d’un revers de main les photos accablantes d’Elie Kagan, « avec la science de l’image, on fait ce qu’on veut », et lâche finalement un chiffre global d’« une trentaine de morts », soit dix fois plus que le bilan officiel. Mais il tient bon : « Cette affaire est une affaire de gouvernement » et « De Gaulle ne m’a pas fait de reproches. »

200 morts au minimum et 2500 blessés

Pierre Messmer, alors ministre des Armées, le confirme : « Il n’y a pas eu de critique au sein du gouvernement à propos des suites de cette manifestation » et récuse le terme de « massacre ». Aurillac et Abdeslam n’ont rien à dire, Somveille et Chaix, anciens collaborateurs directs de Papon, sont aux ordres. Quant à Montaner, commandant de la force de police auxiliaire, les manipulations et coups fourrés dont il fait part au tribunal confirment l’ambiance glauque dans laquelle tout ce petit monde baignait.

Le 11 février, Papon est à nouveau opportunément malade alors que nous écoutons les autres témoins cités par la défense : manifestants, policiers, appelés du contingent.

Le premier témoin, Ali Haroun, était à l’époque l’un des hauts responsables de la Fédération de France du FLN. Il dénonce le « couvre-feu anticonstitutionnel et raciste », insiste sur le côté pacifique de la manifestation « voulue par la base : on n’a trouvé aucune arme sur les 11 500 manifestants interpellés et fouillés », écarte l’idée d’un règlement de compte avec le MNA devenu quantité négligeable à Paris depuis 1958, rend hommage aux « policiers républicains » et aux « auteurs du Manifeste des 121 qui sont le vrai visage de la France », et retient un bilan minimum de 200 morts et 2 500 blessés.

Hahemi Cherhabil était, lui, au premier rang des manifestants boulevard Saint Michel. Il s’avance vers le policier le plus proche : « On ne fait de mal a personne. Ce que nous voulons, c’est notre dignité ». « Je vais t’en foutre de la dignité, ordure ! » obtient-il en réponse avec en prime un tel coup de bâton sur le crâne qu’il perd connaissance. Revenu a lui dans la cour de la préfecture, il est transféré au Palais des Sports. Détail ignoré jusque-là : il affirme y avoir vu Maurice Papon qu’il a reconnu pour l’avoir vu auparavant a Batna en 1957. Pour lui, les policiers " « avaient le feu vert de faire ce qu’ils voulaient ce soir-là des “bougnoules” » Mohamed Farès indique pour sa part avoir vu des morts au Palais des Sports où les policiers leur « envoyaient des miettes de pain à la volée », et Ahcène Boulanouar, balancé a la Seine au Pont des Tournelles, a réussi a ne pas couler après avoir pu enlever sa veste, mais sa plainte n’aura aucune suite judiciaire.

Une « police républicaine » qui pratique la ratonnade

L’après-midi, Pierre Vidal-Naquet vient dire à la barre que cette journée du 17 octobre « a été rayée notre histoire » et qu’il salue « le travail de synthèse réalisé avec un scrupule extrême par J-L Einaudi qui le rend digne du titre d’historien ». Au président qui lui demande si ce dernier est porteur d’une cause, d’un engagement, il réplique : « L’engagement honore l’historien mais il ne détient pas LA vérité ; il recherche LES vérités. »

Emile Portzer est l’un des rédacteurs du fameux tract des « policiers républicains » dont il confirme l’authenticité. Des ratonnades avaient déjà eu lieu qui n’avaient jamais été sanctionnées par la hiérarchie. Il confirme les 50 morts de la cour de la préfecture de police. Mais il ne s’agissait pas de la cour d’honneur, évoquée par Papon pour réfuter cette assertion, mais de la cour d’isolement, contiguë, au bout de laquelle se trouve une porte qui donne directement sur la Seine en moins de dix mètres. Au président qui rappelle les propos de Papon affirmant qu’il s’agissait d’« un crime inconcevable de la part de policiers républicains », il rétorque : « Ce sont des hommes ordinaires comme ceux qui avaient convié, en 1942, les juifs à se rendre au Vel’d’Hiv’. » Son collègue Blanc, qui était radio, affirme avoir entendu sur les ondes de la fréquence-police : « Saute, saute dans la Seine ! » L’esprit de vengeance, exacerbé par les attentats du FLN contre les collègues, était encourage par la hiérarchie qui disait à ceux qui étranglaient avec les cravates bleues de l’administration : « Arrêtez la cravate Le fil électrique ne coûte pas cher et ce sera anonyme. » Toulouse, lui, n’était pas de service ce soir-là mais a procédé le lendemain à des transferts du stade de Coubertin à l’hôpital Corentin-Celton. " « Le stade était archi-comble. Les gens étaient entassés par terre, les uns par dessus les autres, en sang, sans soins. À l’hôpital le corps médical nous a traité d’“assassins”, de “nazis”, et ils avaient raison ». Pour lui, « il y avait un climat de haine attisé par Papon… Il a laissé faire le massacre puis il l’a couvert ».

Gérard Grange, prêtre catholique, était infirmier aux Armées. Au Palais des sports, « un capitaine m’a montré un placard à balais. Dedans j’ai vu 9 corps. 9 morts. J’étais scandalisé avec des collègues par le mensonge officiel de Frey » Jacques Simonet, également membre du Service de Santé, abonde dans son sens. Lui « qui n’était au courant de rien… provenait d’un milieu provincial pas politisé… a rencontré la violence à un point que je n’aurais jamais imaginé ». Cela a d’autant plus été pour lui une « véritable onde de choc » que « tout le monde participait, du plus petit au plus haut ».Quant à Brigitte Lainé, conservateur aux Archives de Paris, elle n’a pas hésité à faire une entorse à son devoir de réserve « étonnée qu’il y ait encore une censure 38 ans après et révoltée que M. Einaudi n’ait pas accès aux archives », alors que d’autres ont pu obtenir des dérogations, elle fait part de son travail de recherche dans les archives judiciaires couvrant la période septembre-novembre 1961. 103 dossiers d’instruction concernant 130 personnes ont été ouverts… et refermés : non-lieux ou action publique éteinte par application de la loi d’amnistie. « Dès le mois de septembre, il y a une constante dans la mise en scène de la mort : une majorité de noyés, retrouvés dans la Seine ou les canaux parisiens, les mains liées ou avec des traces de strangulation ou de balles ».

Un crime contre l’humanité

Le dernier jour d’audience, 12 février, est consacré aux plaidoiries. Me Varaut, pour Papon, s’attache dans son exorde à vanter la liberté d’expression, « chien de garde de la démocratie » mais qui ne peut être garantie que si la sûreté et l’ordre public sont assurés. C’était la mission de Papon selon le mot d’ordre de De Gaulle : « Tenir Paris ». Pour lui « nous étions en guerre » et parle d’un « couvre-feu de la peur ». En voulant défiler sur les Champs-Élysées alors qu’il en allait de « notre honneur national », c’est « le FLN qui porte la responsabilité des événements sanglants de ce soir-là », citation qu’il extrait avec un malin plaisir du Monde daté du 19 octobre. Il prétend qu’Einaudi « est le seul à affirmer ce qu’il affirme… Non. Avec le GPRA et le FLN. Sa source essentielle, ce sont les archives du FLN ».

Seuls les témoignages de Grange et Simonet – un prêtre et un ancien séminariste – trouvent grâce à ses yeux. Ne pouvant plaider l’implaidable – la version officielle des 3 morts – il lâche du lest en reconnaissant qu’il y a certes eu « des violences odieuses, inadmissibles » mais provenant d’« éléments isolés » : il s’agit d’« une violence spontanée, pas organisée ». Quoiqu’il en soit « personne n’a jamais mis en cause Maurice Papon. Ce qui s’est passé ce soir-là n’a eu lieu ni avec son ordre, ni avec son consentement, ni avec sa connaissance. » Il poursuit : « Il n’appartient pas au tribunal de dire l’histoire mais de dire le droit… Les archives sont muettes sur la vraie cause des morts. Aucun témoin ne dit avoir agi sous les ordres de Maurice Papon. La diffamation est caractérisée. » Dernier atout, un extrait d’une lettre adressée par de Gaulle a Pompidou en 1966 : « Au poste de préfet de police, Maurice Papon n’a jamais cessé d’être à la hauteur dans les circonstances les plis diverses et les plus difficiles. »…

Le réquisitoire du procureur va constituer le temps fort de ce procès. D’entrée, il salue « le travail sérieux de M. Einaudi » et affirme que « les témoignages [qu’il produit] ne peuvent être réfutés ». Pour lui, octobre 61 est une « injustice majeure ». Décortiquant le droit de la diffamation, il détaille les quatre conditions de la bonne foi. Seule l’arrête « la prudence et la mesure dans l’expression » car « les sources étant partielles – mais non pas partiales –, M. Einaudi pouvait mettre en cause l’action du préfet de police mais en employant la locution “sous la responsabilité” et non “sous les ordres”. » La diffamation est donc constituée, mais il ne requiert qu’une peine de principe, et surtout il reconnaît que le terme « massacre » pouvait être employé, d’autant « qu’il y a eu des violences à froid ».

Me Nairat, pour le prévenu, va bien sûr enfoncer le clou du « massacre » tout en s’attachant à démontrer que c’est bien Papon le responsable, même s’il n’y a pas d’ordre actif. « Un préfet, c’est un chef. […] S’il tempête on se fait tout petit. S’il couvre les excès, tous les débordements sont possibles », et conclue « Il y a bien eu massacre, et sous vos ordres, Monsieur Papon. »

S’exprimant en dernier, J-L Einaudi revendique sa qualité de « citoyen et militant : il faut l’être quand tout le monde cherche à occulter la vérité ». Après s’être félicité que « pour la première fois une autorité a reconnu qu’un massacre avait eu lieu le 17 octobre 1961 », il a conclu par ces mots : « Ce massacre avait un caractère raciste car les Algériens ont été victimes de leur apparence physique, de leur faciès. Quant à moi j’appelle cela un crime contre l’humanité. » Ce procès aura eu un effet boomerang pour Papon et fourni l’occasion d’un premier débat public sur la répression de la manifestation du 17 octobre 1961. Quelle que soit la décision que rendra le tribunal le 26 mars, il s’agit déjà pour J-L Einaudi d’une victoire historique et civique. Il y a bien eu ce soir-là un massacre d’État, massacre occulté au nom de la raison d’État.

Jean-Jacques Gandini


Faits d’hiver

L’ordre, c’est le désordre plus le pouvoir

Un marin-pêcheur invoquait récemment devant le tribunal de grande instance de Paris une faute lourde de la justice, responsable, selon lui, de la mort de sa fillette de 7 ans, tuée par sa mère en novembre 1996. Le juge des affaires familiales de Quimper avait en effet, sans enquête préalable, confié la garde de son enfant à son ex femme alors que celle ci venait de faire l’objet d’un internement psychiatrique… pour meurtre. Les magistrats parisiens, estimant que le marin n’avait pas assez attiré l’attention de la justice sur la dangerosité de son ex compagne et qu’il n’était pas établi que le juge de Quimper ait su que la mère avait été mise en examen dans une affaire de meurtre, l’ont débouté de sa demande et ont conclu qu’aucun dysfonctionnement ne pouvait être reproché à la justice. La loi (du plus fort) interdisant (pas folle) de commenter une décision de justice, nous nous abstiendrons donc de commenter… ce qui se passe de commentaires.Plusieurs policiers du SDPJ de Bobigny, poursuivis pour « violences et agressions sexuelles » sur deux gardés à vue en 1991, après que les faits reprochés aux flics aient été qualifiés de « tortures » par la Commission européenne des droits de l’homme, n’ont à ce jour fait l’objet d’aucune mesure disciplinaire et sont toujours en fonction.

Ces deux faits d’hiver n’ont bien évidemment aucun rapport entre eux, pas plus, bien sûr, qu’avec d’autres du même ordre (capitaliste) qui, hier sous la férule d’une droite singulière et aujourd’hui sous les auspices d’une gauche plurielle, fonderont toujours une politique sécuritaire compréhensible à l’égard des puissants et dure aux gueux. Le vieux Léo nous le clamait déjà : « Le désordre, c’est l’ordre moins le pouvoir ».

Jean-Marc Raynaud


Négociations sur la RTT : Équipement, RATP, SNCF

35 heures dans la face !

À l’occasion d’un émission sur Radio libertaire le samedi 6 février 1999 (« Chroniques syndicales »), nous avons rencontré trois militant syndicalistes (SUD-Rail, FO et CGT). Cet interview a été retranscrite par le groupe Louise Michel.

La réduction du temps de travail est à l’ordre du jour dans la plupart des secteurs, le gouvernement pousse le secteur public à la roue (normal quand on parle des transports). Pouvez-vous nous dire où en sont les négociations dans vos entreprises ?

SNCF : toujours plus de productivité

[ image cassée : Négocions les 35H ]
À La SNCF, depuis 1984 les roulants (cheminots, personnels des voies et postiers) sont à 35 heures, cela représente 35000 personnes, déjà en 1984. Pour forcer la main au premier gouvernement de gauche (Fiterman pour les transports), il y a eu des grèves très dures sur leur application sur le terrain. Pourquoi ? Parce que, les 35 heures ont été appliquées à effectif et moyens constants : aucune embauche. Si je reviens sur ce point d’histoire, c’est que nous pouvons dire sans trop nous tromper que pour le reste du personnel de la SNCF (100 000 personnes) l’application des 35 heures risque de donner les mêmes résultats : une dégradation importante des conditions de travail et un service appauvri pour les usagers. Une partie des conflits des ces dernières années sont liés au contentieux sur l’application des 35 heures.Actuellement, ce que nous propose la SNCF, c’est d’aller dans le même sens, toujours plus de productivité. En échange des 35 heures, la direction demande plus de flexibilité (annualisation du temps de travail) et une augmentation de la productivité. Les 35 heures ne sont qu’un prétexte pour sortir de ses cartons des projets qu’elle n’osait pas appliquer avant.

Exemple : les temps de pause sont remis en cause ou encore une remise en cause des plages horaires en période de pointe (passer de 8 à 10 heures par jour). Inutile de dire que la sécurité des usagers est plutôt vécue comme un frein à la productivité du matériel. De plus, la SNCF voudrait un cadre national minimum et permettre à chaque établissement d’appliquer en fonction des contraintes locales un accord définitif, même dérogatoire, à l’accord national. Ce qui laisse la porte ouverte à toutes les magouilles et les pressions sur le terrain.

Pour les agents aux guichets, les calculs de temps de travail seraient aussi très « orientés ». La direction ne prendrait en compte que le travail effectif en se basant sur le temps de connexion enregistré par les ordinateurs : s’il y a personne au guichet que se passe-t-il ? On peut présumer de la réponse de la direction ! La direction ne parle jamais de réduction du temps de travail mais du passage aux 35 heures, ce qui est significatif sur son état d’esprit.Pour la direction les négociations en cours sont une aubaine. L’arrivée des 35 heures inaugure aussi des modification dans l’embauche des nouveaux : la direction invente les contrats « SNCF » mais à temps partiel obligatoire (24 heures), or le statut SNCF interdit aux agents de travailler ailleurs. Ceci se conçoit pour les temps pleins, mais pour les temps partiels, donc avec un salaire de plus en plus partiel ?

Dans un premier temps (1), seules des négociations bilatérales (syndicat par syndicat, seul SUD-Rail à refuser ce système) sont ouvertes. Sur le plan purement syndical, ce que veut la direction, c’est trouver un accord avec la CGT qui d’ailleurs lui rend bien, puisque que la fédération CGT cheminot trouve que « la proposition de la direction est un bon socle » !Les agents de la SNCF sont divisés entre ceux qui avait déjà officiellement les 35 heures et les autres, mais tout le monde reste très attentif. SUD-Rail demande 32 heures de travail par semaine avec embauche équivalente (environ 10 % de l’effectif actuel). Aujourd’hui dans certains endroits, nous ne pouvons même plus prendre nos congés pour cause de manque d’effectif.

RATP : pas un emploi créé

À la RATP, si notre direction à décider de s’engouffrer dans le créneau des 35 heures, alors qu’elle n’y était pas obligée, c’est bien parce qu’elle pense y gagner beaucoup. Tout ce qui est vrai à la SNCF, l’est aussi à la RATP. La direction nous propose les 35 heures, mais en ne comptabilisant que le travail effectif ! Qu’est-ce qu’un temps mort ? Quand le bus ne roule pas ? Comme à la SNCF, les 35 heures sont l’occasion de remettre en cause des acquis sociaux, y compris ceux qui déjà ne nous satisfont pas. Non seulement, les accords patrons/syndicats ne sont pas bons, mais en plus, nous sommes obligés de faire grève pour les faire appliquer par la direction. Ce qui démontre bien l’état de délabrement du service public et la dégradation des conditions de travail.

Alors que nous demandons l’embauche de plusieurs milliers personnes, le passage aux 35 heures se fera à coût constant, à moyens constants : pas un emploi ne sera créé. « La démarche d’aménagement et de réduction du temps de travail devra être accompagnée globalement d’une modération salariale et des mesures d’amélioration de la productivité » : c’est le texte de départ de la direction. À aucun moment elle parle d’embaucher. Comme à la SNCF, les conditions de travail vont se dégrader et c’est encore une fois l’usager qui subira en bout de chaîne le résultat.Actuellement les accords sont signés sans luttes, les bagarres commenceront sur le terrain au moment de la mise en application.

Équipement : le pire est à craindre

À l’Équipement, il est inutile de répéter tout ce qui vient d’être dit sur la dégradation des conditions de travail et sur la réduction des effectifs : 12 à 15 000 emplois depuis les années 80. Pour l’instant, seuls quelques services sont " touchés " par l’expérience des 35 heures. Les premiers résultats des études officielles sont à peu près connus. Les 35 heures ne sont pas applicables sans augmentation des effectifs ET sans une réorganisation du travail sur le terrain. En effet, passer aux 35 heures obligerait de « créer » environ 10 % de postes en plus par service, par unité. Les « gains de productivité » n’absorberont pas ces 10 % (la direction l’avoue). Donc, soit le ministre (Gayssot) impose le partage de la misère des postes, soit il « créée » des embauches. En vérité, je pense que Gayssot – ce libéral communiste – espère échanger l’arrêt de la baisse des effectifs (870 en 1997, 500 en 1998) contre le passage aux 35 heures et surtout contre une réorganisation du travail générale dans les services. L’argument soit disant « massue » étant que l’on ne peut créer 0,3 poste dans tel service et 0,5 poste dans tel autre endroit… Donc le pire est aussi à craindre chez nous. D’ailleurs, la semaine prochaine (le week-end du 13 février) plusieurs départements vont lancer des opérations en direction des usagers et des mouvements de grève, surtout dans les départements touchés par le déneigement (Rhône-Alpes). Pourquoi ? Tout simplement parce que les réductions d’effectifs font exploser les heures supplémentaires en période de fortes perturbations météo. Les agents sont pris par les astreintes du service au public et le manque de personnel. Inutile de dire que le passage aux 35 heures n’arrangera rien à cette situation, les technocrates de droite ou de la gauche plurielle sont décidés à avoir la peau du service public, ils ne parlent plus d’usagers mais de bénéficiaires et/ou de clients…Pour l’instant, les négociations sur les 35 heures sont plutôt vécues comme un bras de fer entre l’« appareil syndical et l’appareil d’État », les agents sont peu ou pas mobilisés. Il faut dire qu’ils ne se bougent pas du tout !

Émission « Chroniques syndicales » (Radio libertaire)
avec des représentants de la RATP, de la SNCF et de l’Équipement

(1) Depuis la direction de la SNCF a ouvert des négociations avec l’ensemble des syndicats.


Nous deux, organe central de la révolution

Il y a quelques temps, à la question : « où va la LCR ? », nous répondions : « au Parti socialiste ! »

Tu sais, ami lecteur, que la donne à changé depuis : ils n’iront plus seuls. Il s’est trouvé un échantillon de soi-disant révolutionnaires prolétariens, pour qui seule compte l’organisation du Parti de la classe ouvrière, fustigeant en toute occasion l’« opportunisme petit-bourgeois », il s’est trouvé des plaisantins, donc, pour conclure une alliance avec ces amateurs de bourdieuseries.

Contre la bourgeoisie ? Non, seulement pour la soupe, la gamelle, la thune, le fromage, l’oseille, l’artiche… Si Wladimir Illitch l’autorise, il dépasseront ensemble les 5 % de suffrages qui, s’ils ne permettent pas de faire la Révolution ni de bâtir l’État ouvrier, ni de se lancer à marche forcée dans l’édification socialiste, permettent plus prosaïquement de se faire rétribuer par l’État, de gagner quelques places juteuses, et de se lancer dans la grande aventure des combinaisons gouvernementales.

Pourquoi ? Pourquoi l’État paie-t-il les frais des officines électoralistes ? Pour service rendu à la Patrie. Pour les remercier de la contribution qu’elles apportent au guignol politique, à cette « démocratie bourgeoise » que Lutte ouvrière voue aux gémonies. Pour renforcer les liens de la famille, aussi, comme un notaire de province pensionne son fils « monté étudier à Paris », qui jette sa gourme avec les gauchistes, mais saura retrouver le chemin de la table paternelle.Que feront les élus « révolutionnaires » ? Ce qu’ils font déjà dans les Conseils régionaux : rien. Ils émargent. De toute façon, ils se targuent de savoir que ces hémicycles ne sont pas des lieux de pouvoir véritables, qu’ils ne sont qu’un leurre destiné aux gogos. Ce qui ne les empêche pas d’en revendiquer, risible comédie, la présidence. Au nom de l’autonomie ouvrière…

Marx a dit, s’adressant à Lénine au travers d’un buisson ardent : « Tu participeras aux élections et tu enverras tes députés au Parlement. » Et les apôtres opinent.

Continue donc, petit soldat rouge, à servir l’État des bourgeois. Rampes dans la boue du parlementarisme. Tu trahis la cause ouvrière. Et puis tu es grotesque.

Max Lhourson — groupe d’Ivry


La réduction du temps de travail à EDF-GDF

ou comment s’adapter à l’ouverture du marché de l’électricité

Dès le 19 février 1999, la transposition a permis aux gros consommateurs dit éligibles de se fournir en électricité auprès de producteurs de leur choix : des compagnies privées, françaises ou européennes, ou bien des courtiers. Ces derniers ne faisant que le commerce de l’électricité.

Il ne s’agit donc pas d’une privatisation d’EDF. Celle-ci occasionnerait trop de charges pour les acquéreurs : retraites du personnel, gros investissement dans le nucléaire et rachats plus ou moins risqués de compagnies d’électricité étrangères. Sans compter les éventuels conflits sociaux qui pourraient en découler. Grâce à cette loi, le gouvernement permet aux grosses entreprises concurrentes d’EDF d’entier sur le marché de l’électricité en privatisant les futurs moyens de production d’électricité.

L’arrangement trouvé a toutes les raisons de satisfaire des entreprises qui piaffent devant la porte du gouvernement.L’évolution du système mis en place par la loi sera la création d’un marché boursier de type Spot où l’électricité sera cotée en fonction de l’offre et de la demande et entraînera l’apparition d’une spéculation puisque des contrats à termes seront possibles. Ce qui veut dire qu’un courtier pourra acheter une quantité d’électricité à l’instant t à un prix donné et la revendre trois mois plus tard à profit ou à perte. Pour exemple, la variation de la valeur de l’électricité en Australie, où existe un tel marché, a été de 1 à 1000 sur un an.

La direction d’EDF, qui en 1996 s’est opposée à la Directive européenne, a bien vite intégré cette perspective concurrentielle et a même anticipé sa mise en place. Aujourd’hui, sa stratégie est d’utiliser les profits qu’elle tire de son activité nationale (vente d’électricité d’origine nucléaire) pour financer ses projets internationaux (rachats de compagnies étrangères publiques ou privées, investissements financiers). En 1998, EDF a déjà cumulé un investissement de 30 milliards de francs en Amérique latine, en Asie et en Europe.

Dérégulation et baisse des activités d’EDF en France

La baisse de consommation d’électricité, déjà amorcée en 1997 et qu’EDF impute trop facilement aux douceurs de la météo alors qu’il s’agit en partie de son prix prohibitif, devrait se poursuivre avec l’arrivée des nouveaux producteurs privés.Comme on l’a vu plus haut, cette perspective de baisse d’activité sur le sol français a déjà été intégrée dans la stratégie de développement d’EDF.La loi sur la réduction du temps de travail (RTT) vient à point nommé pour adapter les ressources de l’entreprise à cette nouvelle donne : flexibilité, baisse de la masse salariale. Tout le monde a entendu parler de l’accord modèle signé à EDF avec une CGT triomphante en quête de crédibilité et un gouvernement qui cherchait à redorer le bilan catastrophique de la loi Aubry, en matière de création d’emploi.

Des embauches ?

Dans le cadre de l’accord sur la réduction du temps de travail, la direction d’EDF annonce 18 000 à 20 000 embauches contre 12 000 à 15 000 départs en retraite. Le solde d’embauches pourrait être égal à zéro :
1/parce qu’elle lie ces embauches à une augmentation de " l’activité de l’entreprise, inenvisageable dans le contexte de l’ouverture du marche de l’électricité".
2/Car l’accord prévoit 9 % de gains de productivité supplémentaires, dont on sait qu’ils équivalent à 9 % de diminution d’emploi.

La RTT contente tout le monde : la direction d’EDF, qui règle ses problèmes structurels ; la CFDT (voir la direction).La CGT qui ne luttera pas contre. Elle a conclu un PACS avec la CFDT, protège ses permanents payés par EDF et prépare son avenir européen au sein de la Confédération Européenne des Syndicats, On voit la coïncidence frappante entre la nouvelle ligne affichée par la CGT dans la signature de cet accord et l’élection de Thibaud qui avait déjà affiché la couleur dans les médias : « La CGT peut et doit signer des accords professionnels. » Il s’agit bien d’un nouveau tournant historique pour la CGT dans le changement de ses références syndicales et l’abandon définitif de la lutte de classe.Le gouvernement qui continue sa politique de privatisation en arguant de l’exemplarité de l’accord dans des termes sociaux. Les agents EDF-GDF qui voient d’un bon œil l’apparente préservation de leur statut.

Ce consensus va-t-il durer ? Le doute est encore de mise puisque le prochain dossier à traiter concerne le transfert des retraites (régime particulier) au régime général. Le passage à 32 heures aura permis de diminuer le montant des retraites. On entend dire que seuls les embauchés depuis janvier 1997 (date du premier accord) seraient touchés par ce passage au régime général. Ceci aurait pour conséquence de désolidariser davantage les travailleurs d’EDF.Les syndicats auront fort à faire pour justifier le bilan prévisible de l’accord. Et en théorie de la signature syndicale, « tremplin vers d’autres luttes » va vite démontrer son inefficacité. Nous espérons que cette étape sera propice à une recomposition syndicale.

Effets externes de la dérégulation

La loi de transposition propose d’appliquer le statut de salariés d’EDF aux salariés de tous ses concurrents mais prévoit aussi l’évolution du statut au travers des accords professionnels. Ce qui équivaut à le vider de sa substance. Les patrons des entreprises concurrentes font la gueule, non pas sur le principe d’application du statut à tous, mais parce que son effacement risque d’être trop long.

La gauche a bien joué, elle voulait se débarrasser d’un archaïsme encombrant sans faire de vagues, c’est réussi et ce ne sont pas les patrons qui vont l’empêcher d’aller jusqu’au bout. On peut alors penser que les conditions de travail comme les rémunérations des travailleurs du secteur seront très rapidement nivelées à la baisse par le biais d’une concurrence par les prix. Les travailleurs d’EDF qui ont peu réagi à la RTT, qui réagiront sûrement peu face au changement des régimes de retraites auront fort à faire pour enrayer la dégradation de leur situation.

Dans leur immense majorité, les consommateurs restent captifs, mais la péréquation tarifaire qui légitimait un peu le service public d’EDF devient « péréquation régionale ». Le prix de la consommation sera-t-il différencié selon les régions comme l’est celui de l’eau ? C’est une hypothèse qu’il faut envisager sérieusement. La baisse des prix annoncée par EDF peut n’être qu’apparente à l’image des tarifs d’abonnement de France Télécom qui augmentent un an après sa privatisation. Qui en pâtira ?

Les chômeurs et les pauvres en premier lieu. Il faut citer le cas de l’Angleterre où certaines privatisations ont entraîné des augmentations de 30 % des tarifs de l’électricité. Mais les chômeurs et les pauvres sont évidemment loin des préoccupations des responsables politiques et économiques. Les seuls clients qui intéressent EDF et les autres entreprises sont les gros consommateurs. EDF vient d’embaucher 300 emplois-jeunes non statutaires en tant que médiateurs sociaux, sous-traitants censés améliorer le « dialogue » entre l’entreprise et les abonnés en difficulté.

Elle a participé en 1993, à hauteur de 75 millions de francs, au Fonds pauvreté-précarité géré par les préfets de chaque département et à destination des services sociaux et de quelques associations humanitaires. Pour rappel, le bénéfice d’EDF pour 1997 est de 4,1 milliards de francs. En 1998, EDF a envoyé 13 millions de lettres de relance vers ses « clients indélicats » à l’issue desquelles 90 % des paiements ont été effectués. Elle a aussi procédé à 500 000 coupures.On le voit, c’est cyniquement et sans trop de mal qu’EDF fait semblant d’avoir une politique sociale vers les plus pauvres. Bientôt l’entreprise dira que ce n’est pas son rôle parce qu’elle est elle-même en concurrence. Dès lors, il sera utile de conseiller aux pauvres de cesser d’utiliser tout appareillage d’assistance respiratoire en période de relève. À moins qu’ils continuent à s’organiser…

CNT-Énergie


Services publics : l’État veut nous diviser

[ image à récupérer : Les fonctionnaires ne forcent pas trop ]
Ça y est : on connaît enfin la vérité sur le temps de travail des fonctionnaires. Le rapport de la mission interministérielle nous confirme ce qu’on entendait dans les discussions de comptoirs à savoir que les fonctionnaires sont des fainéants. Ils travaillent en moyenne, selon ce rapport, entre 35 et 37 heures par semaines contre 40 dans le privé. Après les immigrés et la jeunesse, le gouvernement de gauche se trouve un nouveau bouc émissaire avec les fonctionnaires. L’anti-fonctionnarisme n’est pas nouveau. Il est cyclique et revient en force à chaque période de montée du chômage. Pour le gouvernement, ce rapport est un outil tactique pour nous marteler que les fonctionnaires sont des privilégiés et que par conséquent ils sont les malvenus pour demander davantage à l’État-patron. C’est aussi un outil stratégique pour faire des gains de productivité dans la fonction publique et contester les acquis obtenus au cours des luttes. A terme, les patrons et les hommes politiques à leurs bottes (les seuls privilégiés) rêvent d’en finir avec le statut de fonctionnaires pour les mettre en concurrence avec ceux du privé.

Le démantèlement des services publics étatiques s’inscrit dans la logique du toujours moins d’État, du toujours plus de profits. Ainsi, les patrons s’engraissent tandis que les salariés sont traités comme une main d’œuvre corvéable à merci. S’ils rechignent à la tâche, pas de problème puisque des millions de chômeurs sont prêts à prendre la relève à n’importe quel prix. Lutter contre la privatisation des services publics, c’est refuser de voir revues à la baisse les conditions de salaires et de travail de l’ensemble des salariés.

Mais, pour nous anarchistes , il ne s’agit pas de défendre ces services publics conçus par et pour l’État. Un service public digne de ce nom doit relever d’une gestion de l’intérêt général au service de la population. Or, l’Éducation nationale reste une école de l’inégalité des chances : 10% seulement des enfants des classes populaires à l’université. L’hôpital soigne mieux les riches que les pauvres. EDF ne jure que par le nucléaire en dépit des risques inhérents pour l’environnement et les populations. La SNCF ferme les lignes non rentables et fait raquer le voyageur tandis qu’elle fait des cadeaux aux entreprises qui lui confient leur fret. Quant à la police, la justice, les douanes, l’armée et ses usines d’armement, elles ont montré leur inutilité sociale. Très loin de satisfaire les besoins de tous, les services publics d’État sont de plus gangrenés par la centralisation, les rapports hiérarchiques, le corporatisme. La délation est une pratique courante chez les fonctionnaires zélés.

Bref, à ces prétendus services publics, nous voulons l’égalité d’accès à l’éducation, à la santé, aux transports, au logement, à la sécu et à la retraite. Pour cela, ils doivent être totalement gratuits. Refusant toute étatisation ou cogestion patronale, gérons nous-mêmes tous les services aux personnes au moyen d’assemblées générales regroupant les individus qui y travaillent et les usagers potentiels. Les administrés élus par l’assemblée ne font qu’appliquer les décisions qui y sont prises. Les mandatés étant révocables à tout moment par l’assemblée générale, il ne peut y avoir de dérives vers une gestion au bénéfice de quelques-uns.

Nous, salarié(e)s, qui produisons déjà toutes les richesses, nous n’avons pas besoin de l’État et des patrons pour assurer l’ensemble des tâches nécessaires au bon fonctionnement de la société.

Groupe Durruti (Lyon)


Grande-Bretagne

Luxe illustre, illustre lustre

[ image à récupérer : Réforme de la chambre des Lords ]
Que sait-on de l’aristocratie britannique hormis ce qu’on en lit dans la presse people à la saison du rut ? Pas grand chose. On a coutume de dire que la monarchie n’est plus que symbolique et que ses fonctions d’état sont de pure forme ; que l’inauguration des chrysanthèmes et les bisous au peuple, du bout des gants, occupent la souveraine et sa famille à plein temps contre un salaire… royal.

Qui, dans le grand public, y compris britannique, sait que siègent au parlement le mari et deux des fils de la reine Élisabeth, hein, qui ?

Le parlement britannique est composé de deux chambres. L’une dite basse, les Communes, est renouvelée entièrement au moins tous les cinq ans par un processus un peu contraignant et aléatoire que l’on appelle élections. La seconde chambre, dite haute, les Lords, n’est jamais renouvelée et la plupart de ses membres se renouvellent par un processus beaucoup moins contraignant et pas du tout aléatoire qui s’appelle héritage. Ce processus nécessitant un peu plus de patience, il est vrai.

Il y a plusieurs sortes de lords. Ceux qui héritent de père en fils un titre de Duc, Marquis, Comte, Vicomte ou Baron. Ainsi, simplement parce qu’un jour bénit de 1264 un vague roi dont on a perdu le nom a récompensé on ne sait plus pourquoi, un aïeul dont on a égaré le portrait, vous voilà investi du pouvoir de décider si les êtres humains moins bien nés que vous pourront divorcer, se faire avorter, travailler plus de 48 heures par semaines, si les sodomites seront châtrés ou bien brûlés, les assassins pendus, les sorcières noyées, les chômeurs indemnisés, etc.

Sont également lords, celles et ceux qui ont fini leur temps de ministres, chefs de parti, leaders syndicaux ou, plus prosaïquement, copains de fac du premier ministre et qui sont eux nommés à vie. Leur titre s’éteint à leur mort.Sont aussi lords, les trois archevêques et les 21 plus anciens évêques de l’Église anglicane, parce qu’il faut bien un peu d’eau bénite au moulin à parole parlementaire, quand même.

Il y a aussi une douzaine de lords qui sont les juges suprêmes du royaume et qui servent de cour d’appel voire de cassation. Et comme ce sont des gens très très importants et bien élevés, c’est à eux qu’il revient de décider si Pinochet doit mourir en Espagne ou vieillir chez lui.

Personne ne sait combien il y a de lords. Comme ils ne sont pas payés (manquerait plus que ça), il n’y a pas de traces comptables de leur existence. Certains, trop touchés par l’Alzheimer ne savent même plus qu’ils sont si importants et si bien élevés. D’autres ne prennent même pas la peine à la mort du père, de réclamer leur titre, les ingrats.Les lords héréditaires sont en tout cas plus de 700, dont 100 voient leur titre remonter à avant le Guerre Civile (1642). Les lords non héréditaires sont nommés par le premier ministre. Il en nomme quand il veut, autant qu’il veut. Comme les lords héréditaires sont en très grande partie de droite, le gouvernement travailliste anoblit à tours de bras, à tel point que la cérémonie d’investiture a dû être raccourcie sensiblement.

La réforme en cours vise à supprimer purement et simplement tous les sièges des lords héréditaires. À l’aube du XXIe siècle, le parlement d’une des cinq puissances mondiale est à cette heure en train de débattre de l’opportunité ou non d’ôter à l’aristocratie tout pouvoir politique. Décidément, cette gauche au pouvoir est épatante. Bien sûr, si on me demandait mon avis, j’en profiterais pour suggérer qu’on les mette au travail (voir article ci-contre) et qu’on redistribue leurs biens et leurs terres ; mais c’est une autre histoire.

Mais ne nous y trompons pas, l’enjeu n’est pas de se débarrasser d’un folklore suranné, les robes d’hermine sont en lapin peint depuis bien longtemps et les perruques de laine poudrées de gris ne se portent que les jours de fête.Les raisons de la réforme sont multiples. Il convient d’abord de s’assurer que le parlement tout entier soit à la botte du gouvernement. En effet, le Royaume Uni ne connaît pas la séparation des pouvoirs, ainsi, le gouvernement siège à la chambre des communes (ce qui est très pratique pour les motions de censure). Une chambre haute moins marquée à droite, et surtout débarrassée de ses membres qui ne doivent rien à personne de vivant est beaucoup moins gênante.Mais surtout, en « modernisant » une institution un rien ringarde où les gens descendent les escalier à reculons pour ne pas tourner le dos à la reine, Tony Blair montre au peuple assoiffé de justice sociale que la gauche au pouvoir sait tenir tête aux puissants et aux nantis au nom du petit peuple laborieux et qu’il y a bien une différence de principes politiques entre la droite et elle. Ce qui n’est pas vraiment visible sur bien d’autres sujets comme les retraites, le chômage, l’université payante, les maisons de correction, les droits des locataires, le travail des enfants, l’accès aux soins pour tous, ou le droit des consommateurs de savoir ce qu’ils mangent.

C’est un paradoxe auquel il convient de réfléchir ; l’illégitimité des politiciens héréditaires ne rend pas nécessairement légitimes des politiciens élus qui paraissent l’être plus.

Vincent


Israël

Israël : une démocratie moderne à substrat biblique

La presse a révélé récemment l’importance de la capacité de mobilisation des orthodoxes religieux en Israël. Pour certains il s’agit là d’une révélation – si on peut dire – mais la puissance politique et sociale des religieux dans ce pays n’est pas un fait récent. Pour expliquer ce phénomène, nous empruntons quelques passages du livre de notre camarade René Berthier, Israël-Palestine, Mondialisation et micronationalismes (aux éditions Acratie). L’historien Elie Barnavi définit Israël comme « une démocratie parlementaire moderne à substrat biblique » (1). L’ambiguïté de la situation réside dans le fait que, d’une part, le projet sioniste, d’essence fondamentalement laïque, auquel les religieux se sont farouchement opposés, a été porté par des pionniers socialistes et athées, mais que d’autre part l’État d’Israël se veut l’État des Juifs. C’est la création même de l’État qui a transformé le judaïsme en Église et les rabbins en fonctionnaires. « Et c’est l’existence de l’État qui a posé l’ensemble du problème de l’identité nationale juive en termes neufs », dit E. Barnavi.

L’État n’a aucune légitimité

Les ultra-orthodoxes affirment que l’État n’a aucune légitimité : la loi divine, exprimée il va de soi par les rabbins, est seule légitime. Ils condamnent la « “morale” molle de la culture occidentale » (2). Leur projet est de créer, par les implantations de colons dans les territoires occupés, « un modèle réduit d’Israël tel qu’il devrait être » (3). Ces rabbins expliquent aux jeunes qu’ils forment que l’État et l’armée laïques se décomposent. Ils font un véritable travail d’infiltration dans l’armée.

Ils lancent des « prescriptions », ou décrets, appelant à la désobéissance civile. Parmi ces prescriptions, les colons sont invités à préférer la mort plutôt que d’évacuer une colonie ; concernant le commandement « tu ne tueras point », il convient également de distinguer entre le « sang juif » et le « sang goy » ; l’absolution est donnée à tout Juif ayant porté atteinte aux biens d’un Arabe ; les meurtriers de Palestiniens, qualifiés d’« oppresseurs », seront purifiés ; il est interdit, le jour du Shabbat, de prodiguer des secours médicaux à un Palestinien, etc. (4). […]

La dernière trouvaille de certains Israéliens est la constitution de trois États : l’un pour les Palestiniens, un autre pour les Juifs laïcs et un troisième pour les ultra-religieux. Ils s’appuient sur un précédent historique, quand les héritiers de David et de Salomon, ne pouvant se mettre d’accord, ont créé les royaumes juifs d’Israël et de Judée et ont partagé la terre sainte avec les Philistins. La revendication émane aujourd’hui non pas des religieux, mais des laïcs « qui en ont assez de la violence et de l’intolérance de leurs frères orthodoxes (5) ».

Yoram Peri dans Davar (25 mars 1994) écrit qu’ « un sérieux danger existe que la division entre deux cultures politiques juives israéliennes irréconciliables puisse se développer en une cassure avec une exaspération mutuelle suffisante pour susciter une petite guerre civile. Cette guerre civile opposera “Israël” et la “Judée” ». […]

Un rabbin, Ovadia Yossef, déclara que ceux qui désacralisent le sabbat, en conduisant une voiture, par exemple, « seront tués ». Des fan clubs de Baruch Goldstein, l’homme qui a massacré vingt-neuf musulmans dans une mosquée, et de Yigal Amir, celui qui a assassiné Rabin, se sont constitués dans des écoles religieuses. Un sondage a révélé en décembre 1997 que 47 % des Israéliens pensent que l’opposition entre laïcs et religieux conduira à la guerre civile…

Antagonisme entre laïcs et orthodoxes

La tension entre laïcs et religieux s’est accrue avec la publication, en janvier 1998, par l’Institut de Jérusalem pour les études sur Israël, d’une étude socio-économique qui révèle que 60 % des hommes ultra-orthodoxes ne travaillent pas et ne cherchent pas d’emploi, contre 10 % dans le reste de la population et que la plupart, même les plus vieux, se font passer pour « étudiants religieux » – dans les pays musulmans on appelle cela des talibans – et bénéficient d’allocations publiques.

L’antagonisme entre laïcs et orthodoxes s’est considérablement accru avec l’arrivée au pouvoir de Netanyahou. Un nombre croissant de jeunes ultra-orthodoxes échappent au service militaire, révèle le ministère de la défense. Les trois partis religieux tiennent entre leurs mains la survie même du gouvernement et imposent leurs volontés pour financer leurs institutions. L’éducation publique est contrôlée par un ministre ultra-orthodoxe, le logement public est dirigé par un vice-ministre ultra-orthodoxe. La coercition religieuse s’accroît avec la « police du Shabbat » qui distribue de fortes amendes aux commerçants juifs qui restent ouverts le samedi.

Les perspectives sont sombres et, en Israël ou dans les territoires occupés, une évolution identique se dessine. Les méthodes d’implantation des fondamentalistes juifs et celles de Hamas sont étrangement identiques, et consistent à élargir leur base sociale et leur influence idéologique par des services sociaux et éducatifs que les autorités civiles sont incapables d’assurer ou refusent d’assurer, néolibéralisme aidant. Alors que le gouvernement et les autorités locales – comme partout ailleurs – réduisent les crédits sociaux et suppriment les repas chauds pour les enfants pauvres dans les écoles publiques, les écoles des fondamentalistes assurent ce service aux enfants, leur offrent des cours supplémentaires et des transports. Ainsi le nombre d’écoles religieuses grandit constamment et celles-ci attirent même les enfants de familles laïques. On constate dans la population un retour à la foi qui prend des proportions considérables.

Israël Shahak écrivait en avril 1994 : « Il est symptomatique de l’effroyablement pauvre qualité de l’information rapportée sur les affaires israéliennes (encore plus pauvre que celle concernant les Territoires), qu’aucun des faits discutés dans ce rapport [“L’influence des idéologies xénophobes sur les Juifs israéliens”] ou dans le rapport 136 [“Va-t-il y avoir une guerre civile entre Juifs israéliens ?”], n’ait filtré jusqu’à présent jusqu’aux " experts en affaires israéliennes " ou jusqu’aux médias, y compris la presse de qualité. Au lieu de cela, aussi bien les experts que les médias ne se préoccupent que des banalités diplomatiques sur le “processus de paix”. Je réaffirme que pour les Israéliens (mais aussi pour tous les Moyen-Orientaux) rien ne peut être plus important que le conflit qui s’annonce entre partisans et adversaires juifs de l’intégrisme religieux. »

René Berthier — groupe Février (Paris)

(1) Elie Barnavi, Une histoire moderne d’Israël, Champs, Flammarion.

(2) Nadav Shagraï, du journal Ha’aretz de Tel-Aviv, mentionne l’article d’Aziël Ariel, « L’Argoudat Israël [mouvement des ultra-orthodoxes non sionistes] avait-elle raison ? », paru dans Neqoudah, revue des colons religieux nationalistes. – Cité par Courrier international, 5-9 mars 1994.

(3) Ibid.

(4) Ibid.

(5) Time, 20 janvier 1997, p. 25.


Cinéma

Berlin (2)

La réalité dépasse la fiction. Alors que la jeune réalisatrice turque Yesim Ustaoglu présente son premier film en compétition Voyage vers le soleil (Günese Volculuk), la communauté turque de Berlin exulte, et les Kurdes manifestent, car Öcalan a été ramené de force en Turquie. Tout ceci se passe un mardi gras, journée de Karnaval. Le Carnaval de Thomas Vincent se passe à Dunkerque. Il a tourné dans la foule, pendant la grande fête au milieu de plus de 5 000 personnes. Toute l’équipe était déguisée. Tout le monde a joué le jeu, dit le réalisateur. Film subtil, où l’arabe n’est pas lynché, où le choc des cultures est montré, le jeu de séduction retenu.

Réussite de ce cinéma jeune. Pour preuve : Mifune de Soren Kragh-Jacobsen (3e film d’après DogmaLes Idiots, Festen). Le film comprend l’orgasme le plus bruyant et le plus hurlé de l’histoire du cinéma (la performance de l’actrice a été applaudie…) des scènes très drôles et très attachantes. À côté de ce brio et de cette légèreté, le film de Tavernier Ça commence aujourd’hui donne beaucoup à digérer. L’école, l’instit, les drames de l’enfance et la morale des mineurs. Ça se passe dans le Nord. Il fait froid. La chronique des chiens écrasés se rallonge à chaque plan. Trop, c’est trop. Un humoriste allemand disait : « Quand on sent l’intention, on en est fâché ! » Eh oui, on est fâché de tant d’insistance.

Heureusement que le provocateur Cronenberg nous tire de là avec ces jouets cyberespace complètement dégoulinants et dégoûtants. Le voyage, le cyberespace vaut-il le déplacement ? L’histoire dans l’histoire de l’histoire qui est racontée rend la réponse difficile. À expérimenter, sûrement ; à regarder, certainement ; à essayer, à vous de voir. Existenz de David Cronenberg joue la peur du trou noir et l’angoisse du cordon… coupé. Sautons dans l’inconnu. Et pourquoi pas. Les Gendernauts de Monika Treut font tout le contraire. Au lieu de décoller avec leurs atouts, ils en recollent ceux qu’ils n’ont pas : ainsi une, un « trans » gendernaute possède vagin, ancien, pénis, nouveau, greffé et essaie de s’accommoder des deux. Ça ne rigole pas et le groupe n’existe qu’ensemble, ne décolle qu’ensemble… sectarisme, dogmatisme garantis, vieux gourou, dominant tout. Heureusement que la réalisatrice et sa cadreuse Elfi Mikesh créent un peu de distance et d’ironie dans la mise en scène. Bref, si vous n’êtes pas un peu hermaphrodite, vous ratez tout.

Bonne nouvelle le jeune cinéma turc est allemand : Thomas Arslan fabrique avec Dealer une surprise de taille. Un film construit en couleurs, cadrages et plans ciselés. Espérons que ces œuvres, y compris les films marocains au Forum, les films arabes et africains projetés à la maison « der Kulturen des Welt » (des cultures du monde) contribuent à défendre ce qui semble manquer plus que jamais : acceptation du droit à la différence et à une meilleure connaissance des peuples pour que soit impossible qu’un jeune Algérien soit frappé à mort par de jeunes néo-nazis, fait divers de la semaine dernière.

Heike Hurst — émission « Fondu au Noir » (Radio libertaire)


À la petite semaine

Les bonnes vieilles traditions

Depuis qu’il y a des dictateurs en Amérique du Sud, tous ont accompli leur tâche avec l’amour du Christ au fond des yeux, celui-là seul qui distingue les hommes d’honneur des nervis ordinaires. Quand les seconds assassinent, mutilent et violent de manière vulgaire, dans l’oubli des principes chrétiens les plus élémentaires, c’est en leur nom, tout au contraire, que les premiers se font tortionnaires.

Sur ce continent sanguinaire qui vit toujours le missionnaire bénir l’action du militaire génocidaire, c’est une vieille tradition que ce noble mariage du sabre et du goupillon. Et rien, non, rien n’est plus beau, plus émouvant que ces vieux couples toujours unis après la traversée de mille tempêtes, toujours debout malgré les coups de mille ennemis jaloux et fauteurs d’anarchie. Et rien, non, rien n’est plus respectable que la tradition.C’est donc en ce sens qu’il faut comprendre la démarche du Vatican en faveur du général Pinochet, grand croyant devant l’Éternel, comme le furent avant lui ces dignitaires nazis cachés, protégés et envoyés vers l’Amérique grâce aux réseaux secrets de l’Église catholique.

Si les camps d’extermination n’ont pas pu venir à bout d’une longue et fidèle collaboration, pourquoi voulez-vous que ce soit le cas de la barbarie des militaires du Chili ?

Floréal


Liberté d’expression

Solidarité avec altern.org !

Altern.org est un fournisseur d’hébergement de sites Web gratuit, un des précurseurs de l’Internet en France, et surtout un des derniers alternatifs après la disparition de Mygale, devenue Multimania après un passage chez Havas… Pourquoi alternatif ? Parce que, contrairement à tous les autres prestataires d’un tel service, vous ne verrez pas l’ombre d’une bannière publicitaire chez Altern.org. Et qu’il n’y a pas non plus de contrôle sur le contenu des sites qui s’y ouvrent chaque jour par dizaine.

Il est donc logique d’y trouver les sites d’organisations libertaires, comme la Fédération anarchiste (http://federation-anarchiste.org) et la Confédération nationale du travail (http://cnt-f.org), mais aussi une foule d’autres initiatives proches de nous, comme AGIIT ( http://altern.org/agiit ), l’agence de presse alternative de l’ami Casquette (que les auditeurs de Radio libertaire connaissent bien), la maison des ensembles (http://altern.org/mde.paris.12), le collectif 18e parallèle (http://altern.org/18p), ou encore le Lycée autogéré de Paris (http://altern.org/lap).

Or Altern.org vient d’être condamné en appel à verser quelques 400 000 F de dommages et intérêts à Estelle Halliday, au motif d’avoir hébergé un moment un site présentant des photos d’elle quelque peu dénudée… Évidemment, Altern. org n’est pas Paris Match, et une telle condamnation revient purement et simplement à lui faire mettre la clé sous la porte, et avec lui tous les autres sites hébergés sur le serveur, alors que celui incriminé à l’origine l’est depuis longtemps (en fait, dès que le responsable a été mis au courant) !

Au delà de la possible disparition d’une initiative qui nous est chère, c’est surtout la stratégie sous-jacente, faire appliquer à Internet une législation qui a fait ses preuves en matière de répression, celle sur la presse, qui est à redouter. En effet, ce n’est pas la première fois que la justice tente de rendre les responsables d’un serveur responsables du contenu des sites hébergés, de la même manière qu’un directeur de publication l’est du contenu d’un journal… Ainsi, en Italie il y a quelques mois, le serveur ECN (Electronic Counter Network) avait été saisi au prétexte qu’un tract diffamant envers une agence de voyage (en fait, il appelait à boycotter les voyages en Turquie pour dénoncer le massacre des Kurdes) y avait été reproduit. Cette fois, la mobilisation avait été suffisamment forte (un certain nombre de consulats et d’ambassades d’Italie ont vu leur boite à lettre électronique exploser…) pour faire avorter la chose. Il y a fort à parier que si ce jugement ne fait pas jurisprudence (le tribunal n’a pas retenu la responsabilité générale de l’hébergeur), d’autres s’ensuivront jusqu’à ce qu’il y en ait une d’établie en ce sens.

De la même manière que la législation sur la presse instituant les directeurs de publications fut adoptée pour corriger les lacunes de la précédente, jugée pas assez répressive (on ne retrouvait jamais les journalistes signataires des articles mis en cause), l’État se donne aujourd’hui les moyens de combattre une forme d’expression qu’il ne maîtrise pas. Un instant dépassé par la technique, la censure revient au galop !

Guillaume — groupe Louise Michel (Paris)

À l’initiative d’Altern.org, un site consacré à la défense de la liberté d’expression s’est mis en place à http://altern.org/defense . On peut y trouver les attendus complets du jugement, une pétition de soutien, ainsi que l’inventaire de toutes les initiatives de soutien mises en place. Et aussi un appel à soutien financier, par des promesses de dons…

Le comité de soutien, lui, se trouve à http://www.comite-altern.sgdg.org . On y trouve un communiqué destiné aux signatures collectives (organisations, associations, etc.) et bientôt les coordonnées du compte bancaire destiné à recueillir le soutien financier.


La lutte des sans-papiers

Quand la lutte humaine se conjugue avec la lutte sociale

Le vendredi 12 février 1999, à 20 h 30, s’est déroulée dans notre local à Perpignan une réunion débat sur la lutte des sans-papiers après la projection de la vidéo Partis les mains vides . Plus d’une cinquantaine de personnes s’étaient déplacées et parmi elles, une quinzaine de compagnons sans-papiers, membres du Collectif. À la tribune, pour introduire et animer les débats, Edward (pour la Fédération anarchiste), Gabriel (du Comité de soutien) et Moktar (porte-parole des sans papiers). Dans la salle, outre les adhérents et sympathisants de la Fédération anarchiste se trouvaient des compagnons de la CNT, des militants de Ras I’Front, de la LDH, de la LCR, des Verts, d’un Pont de Mer, du PC… et de nombreuses personnes non affiliées… Une réunion qui a duré jusqu’à minuit et qui a permis de faire connaître les raisons fondamentales de notre engagement aux côtés des sans-papiers et d’aborder de manière unitaire la suite de cette lutte, localement, à Perpignan, et nationalement. Le texte qui suit a servi d’introduction aux débats.

La lutte des sans-papiers a été, dès l’origine, une lutte dans laquelle et pour laquelle les anarchistes, se sont engagés totalement. Les raisons en sont nombreuses mais il suffit ici d’en décliner quelques-uns unes : les plus importantes et représentatives.

En premier lieu cette lutte se caractérise par la volonté d’individus de remettre en cause des décisions gouvernementales et, ce faisant, de s’opposer à l’arbitraire étatique…

Elle est une lutte individuelle et collective à la fois.

Elle pose concrètement la revendication politique de la libre circulation des Hommes. Elle initie la lutte pour une société sans aliénation, sans frontières. Une société faite d’Hommes libres, d’Hommes solidaires qui ne se soucient pas de valeurs ou de références « nationales », d’appartenances « religieuses » mais au contraire qui s’articulent autour de l’appartenance à un même camp : celui des exploités, celui des êtres qui subissent l’aliénation au quotidien.

La lutte des sans-papiers se déroule formellement de manière égalitaire. Elle initie la pratique de la démocratie directe par le biais de l’assemblée générale souveraine et favorise l’émergence de la responsabilité individuelle au sein de la responsabilité collective.

Elle est fédéraliste dans le sens où les relations entre les divers collectifs et comités ne se font pas sur la base de décisions centralisées, appliquées de manière mécanique. Au contraire, elle favorise le débat, l’initiative locale dans la cohérence générale. Les initiatives locales ou départementales s’intègrent bien au sein des démonstrations à caractère national… Elle permet aux organisations et associations qui sont favorables aux changements sociétaires de lutter ensemble, de manière unitaire, dès lors qu’elle n’offre pas de prise à la surenchère politicienne.Elle est l’équation parfaite entre :

  • la volonté individuelle d’exister, d’être reconnu et respecté ;
  • la volonté collective de gagner ensemble, en participant de manière égalitaire aux actions et décisions sans laisser personne sur le bas-côté ;
  • la volonté sociale d’en finir avec l’arbitraire des décideurs politiques, hier de « droite », aujourd’hui de « gauche », mais à coup sûr toujours du même côté du manche…

Internationaliste, égalitaire, fédéraliste, unitaire, collective, socialement et individuellement démocratique la lutte des sans-papiers offre, c’est évident, des perspectives sociales « libertaires », dans un futur proche au niveau européen et dès aujourd’hui ici à Perpignan et la réunion de ce vendredi 12 février 99 au local de la FA des Pyrénées orientales en est l’exemple le plus parlant.

Régularisation pour tous les sans-papiers qui en font la demande et unité aujourd’hui et demain, pour créer les conditions sociales des changements sociétaires.

Pour un autre futur, une société humaine et universelle qui permettra aux individus de vivre et circuler en fonction de leurs désirs et non des décisions restrictives des États et des condottieri capitalistes.

Groupe Puig Antich (Perpignan)