Accueil > Archives > 2001 (nº 1226 à 1262) > 1240 (12-18 avr. 2001), marqué 5-11 avril > [articles du ML1240]

articles du ML1240

du 12 au 18 avril 2001
Le jeudi 12 avril 2001.

https://web.archive.org/web/20040506175652/http://www.federation-anarchiste.org/ml/numeros/1240/index.html

[ images à récupérer ]



Hausse des conflits sociaux

Vive l’autonomie ouvrière !

Depuis quelques semaines des conflits sociaux ne cessent de se multiplier au point de tenir une place de plus en plus importante dans l’actualité. C’est pendant les élections municipales que les choses ont démarrées. Chacun aura remarqué la hausse du taux d’abstention dans les classes populaires et la méfiance de plus en plus marquée vis-à-vis de la gauche plurielle. Ce qui a permis à quelques listes « alternatives et citoyennes » de briller quelque peu.

La première grève importante a eu lieu dès la fin du deuxième tour, dans les transports en commun, en province. Toutes les villes importantes ont été touchées sur plusieurs jours. Cela a résonné comme un sévère avertissement envers les maires fraîchement élus.
La retraite à cinquante cinq ans, revendication principale des traminots, est aussi une sacrée gifle contre la logique économique dominante qui tend à vouloir en finir avec la protection sociale par répartition. Et nous savons tous que c’est là un des enjeux majeurs des luttes sociales à venir.

Hausses de salaires justifiées !

Ensuite des mouvements se sont déclenchés un peu partout, dans un ordre chronologique que nous aurions du mal à rapporter ici. Citons, dans le désordre, les télécoms, les éboueurs, les sages-femmes, l’ANPE, la SNCF, une série de conflits locaux dans le secteur privé comme chez OTIS, la FNAC, et bien d’autres. Ajoutons à cela les revendications des sans-papiers qui, comme à Lyon, sont en grève de la faim, pour exiger le droit de vivre et travailler dans la dignité.

Dans le même temps l’annonce de milliers de licenciements par Marks & Spencer, Lu filiale de Danone, et les menaces pesant sur AOL, Air Liberté, Moulinex, Giat, Bull, etc. ont contribué à créer un climat de ras-le-bol face à des logiques économiques dont chacun comprend bien qu’elles ne profitent qu’à une classe privilégiée d’actionnaires internationaux.

Les travailleurs se mobilisent pour des revendications salariales justifiées par les profits réalisés et le blocage des salaires liés à l’application des 35 heures depuis au moins deux années. Les annonces régulières de la baisse du nombre de chômeurs et du manque de main-d’œuvre qualifiée favorisent aussi la reprise de l’initiative ouvrière.
Il y a un réel sentiment de légitimité à revendiquer de meilleurs salaires.

Non aux licenciements !

C’est avec la même bonne conscience que les licencié-e-s de chez Lu et Marks & Spencer se révoltent. Les trusts qui les mettent à la porte annoncent bénéfices sur prises de contrôle de sociétés pour développer leurs parts de marché. Cela dépasse l’entendement du monde du travail et bien au-delà.
Cerise sur le gâteau, le P-DG de Marks & Spencer devrait recevoir une « prime de performance » de six millions de francs. Il est vrai que la liquidation des magasins en France va rapporter deux milliards de livres aux actionnaires reconnaissants. Sacrée performance !

Vers une période d’agitation sociale !

Il est probable que nous nous installons dans une période de conflits qui pourrait voir converger luttes revendicatives et luttes pour l’emploi, tant les liens entre profits, salaires et licenciements sont évidents aux yeux du plus grand nombre.
Pour autant il ne faut pas trop rêver à un remake de novembre 1995. Les mobilisations sont tout à la fois plus précises mais plus sectorielles. Elles sont concrètes mais n’ont pas vocation à déboucher sur une contestation générale, c’est-à-dire un mouvement à caractère politique.

Boycott et démagogie politicienne

Le boycott des produits Danone relève d’une stratégie d’action directe des citoyen-ne-s et des salarié-e-s qui met en relief l’impuissance de la sphère politique à agir sur les puissances économiques. Mais Mamère, André Gérin ou Manuel Valls, ont-ils vraiment conscience de leur ridicule ? À quoi leur sert-il donc d’être élu si au bout du compte nous devons agir par nous-mêmes ?
Il n’y a là que fuite en avant et démagogie et les accents lutte de classes de la gauche plurielle ne feront pas illusion longtemps.

Le monde salarié en voie d’autonomisation

Dans un an auront lieu les élections présidentielles et législatives. Le petit monde politique ne pensent qu’à se faire réélire. Les municipales ont été une douche froide et tous prennent conscience que leur casse-croûte n’est pas assuré pour les années à venir. Mais de ceci nous n’avons rien à faire.

Ce qui nous importe, c’est que l’attachement tripal des salarié-e-s à la gauche est en train de se briser. Ce processus est en cours depuis de longues années. Avant 1995 et depuis, une succession de coups de gueules sociaux ont égratigné petit à petit la confiance envers les partis de gauche. N’oublions pas le mouvement des chômeurs, celui des sans-papiers, l’émergence des syndicats SUD et CNT, les mobilisations pour l’amélioration des transports, contre la mal bouffe, Seattle, les réseaux associatifs militants de la vie quotidienne comme Act-Up, etc.

Il y a là les germes d’une critique et d’un projet sociétaire qui petit à petit s’affirme en dehors des structures et schémas habituels de la représentation ouvrière, coincés entre ses syndicats dits représentatifs et ses partis politiques complètement discrédités.

La gauche restera prise dans ses contradictions

Comment peut-elle expliquer vouloir soutenir les grévistes de la SNCF par Hue interposé et entendre dans le même temps, Gayssot, ministre communiste des Transports, demander aux cheminots d’arrêter leur mouvement.

Le même problème se posera à propos des licenciements. Jospin devra trancher entre la préservation de l’emploi maintenant et une stratégie économique prétendant adapter un appareil productif aux réalités du marché de demain. Qui peut douter que le PS a depuis longtemps choisi le camps du capitalisme qui n’est ni sauvage ni social, mais seulement une machine à faire du fric.
Dans ce contexte le mouvement anarchiste ne pourra pas faire l’économie d’une adaptation à une situation sociale et politique qui de plus en plus clairement met l’accent sur l’action directe, l’autonomie d’un projet sociétaire face à l’État et au capital, le rejet de la délégation de pouvoir, l’auto-organisation et l’entraide entre populations de la planète. C’est bel et bien un projet libertaire qui est en gestation. Retroussons nos manches camarades, ça vaut vraiment le coup !

Bernard. — groupe Déjacque (Lyon)


Pierre Bourdieu sur Radio libertaire

Un cardinal chez les anars…

Le 1er mars 2001, L’émission « Chronique Hebdo » sur Radio libertaire recevait Pierre. Bourdieu pour dialoguer autour de son dernier bouquin intitulé Contre-feux nº 2, pour un mouvement social européen (Éditions Raisons d’Agir, 30 FF.) Mis à l’index par le « Sacré Collège » des « Dominants » de la communication (celle du vide de la pensée, toutes télés et radios confondues), un peu comme un sous-préfet qui s’en va aux champs boire un bol d’air frais, Le cardinal Ratzinger de la Science (selon le directeur de la revue « Les temps modernes »- Le Monde 18 septembre 1998-), est venu par plaisir rompre des lances avec les anars.

Radio Libertaire : Pourquoi avoir accepté l’invitation de la Radio des anarchistes ? Est-ce pour la promotion de votre collection éditoriale « Raisons d’Agir », sachant que RL, presque seule radio libre, ne dispose que d’une audience limitée, même s’il s’agit de l’élite de l’audience ? Quelles sont vos relations avec les médias officiels ?
P. Bourdieu : Les médias officiels me repoussent. je veux dire qu’Ils sont repoussants. Je refuse systématiquement les interventions à la télé et à la radio. C’est par plaisir, par solidarité, pour un appel à une mobilisation non centraliste, non autoritaire, libertaire dirais-je même, que je suis ici. Dans le propos que je développe, la tradition anarchiste me parait avoir un rôle à jouer. Pour moi, tous ceux qui se réclament de la pensée anarchiste ou qui sont proches d’elle représentent une cible privilégiée dont j’aimerais être entendu. Avec d’autres, les anarchistes me paraissent particulièrement aptes à entrer dans le nouveau mouvement politique international qu’il s’agit d’organiser.

RL : Vous écrivez que tous ceux qui sont concernés et en particulier les intellectuels et les chercheurs qui s’intéressent au mouvement social aujourd’hui, en Europe, doivent s’impliquer. Y a-t-il un thème général, une philosophie qui inspirent votre entreprise éditoriale ?
PB : Oui et non. La philosophie générale, c’est le titre de la collection : « Raisons d’agir ». Nous essayons de recréer un lien entre ceux (chercheurs en sciences sociales, sociologues, économistes, etc.) qui analysent et tentent d’expliquer les phénomènes de la société et les acteurs sociaux. C’est un travail d’autant plus difficile que cette relation a été brouillée longtemps, notamment par un certain nombre d’intellectuels, censés soutenir le mouvement social, et qui sont entrés au PC, comme en religion, pour s’abêtir. C’est aussi un effort pour mettre dans un langage simple des idées d’experts socio-économiques, c’est un travail de décryptage de ce qui peut se cacher derrière les équations des économistes

RL : Pour recréer ce lien entre acteurs de terrain et intellectuels, pour surmonter la défiance à l’endroit de la parole de ceux qui prétendaient au nom de la religion marxiste conduire le peuple sur la seule voie de l’émancipation et du bonheur, il faut trouver un autre langage que celui du maître, du bureaucrate du parti ou du syndicat…
PB : Oui, on ne parle plus comme avant. On ne peut plus prendre les gens pour des cons. La création de syndicats ou de toutes sortes d’institutions parallèles (tel SUD par exemple) découle en partie de cette prise de conscience qu’il était temps d’arrêter d’écouter la parole du maître. Bureaucrates syndicaux, intellectuels dévots, même lorsqu’ils apparaissent comme subversifs dans la langue, demeurent soumis au maître dans leur inconscient, dans leur comportement. Ce que nous faisons dans ces petits livres accessibles à tous n’est pas inutile. Cet effort de divulgation de connaissances souvent complexes, ardues à traduire en langage simple, s’accompagne d’une lutte sans merci contre l’une des marques de la servitude volontaire : l’effet de vénération. Il y a la coupure funeste entre ceux qui savent et qui ont ce que j’appelle le « monopole de l’universel » et puis la masse qui ne sait pas, ne comprend pas et qui se soumet à ceux qui ont le savoir. C’est cette bataille contre la vénération des élites, vénération qui permet leur « autoreproduction », que je mène, sans m’exempter moi-même de mes analyses.

RL : Lorsque, dans votre opuscule, vous soulignez justement que l’Europe est un « leurre », un « masque » dissimulant la domination sans partage des États-Unis et des multinationales, ne pourriez vous pas montrer plus d’audace dans les propositions de remèdes ? En effet « lutter » pour la simple « transformation démocratique » d’institutions « non démocratiques », « radicaliser » et non point « annuler » le projet européen, remplacer la Commission européenne par un « exécutif responsable devant un parlement européen élu au suffrage universel », autant de vos propositions qui nous apparaissent d’une timidité sans commune mesure avec la nocivité extrême d’un processus élaboré et construit méthodiquement depuis un demi siècle et qui nous conduit aujourd’hui, nous européens et non-européens, à une catastrophe dont les signes avant-coureurs étaient visibles dès la naissance de cet échafaudage européen, et dont les manifestations actuelles sont effroyables (vache folle, épizooties diverses, massacres d’animaux, effondrement de secteurs d’activité économique, atteintes à la santé publique, etc.)…
PB : L’Europe actuelle est un relais des forces économiques dominantes. On a identifié Europe et modernité. Au sens ou modernité serait le contraire de l’archaïsme, du conservatisme, du nationalisme. En fait il y a deux Europes. L’une, qui s’autonomiserait par rapport aux États-Unis, et affirmerait son attachement à une morale solidariste, à une solidarité avec le tiers monde, à un welfare state. L’autre, celle qui se construit et qui cache la première est un simple appendice des États-Unis. Cette Europe de la destruction sociale, de l’élimination programmée des structures collectives est à l’image du Canada ou de la Grande-Bretagne, sorte de Dominion ou union douanière avec la métropole américaine.
Il faut clairement dénoncer une telle Europe, celle qui aujourd’hui interdit à l’Irlande de sauver ses services publics. Mais le combat ne peut se situer au niveau national. Au plan national, nous ne combattrons que des fantoches, des hommes de paille, tels nos deux cohabitants concurrents. La lutte se situe donc au niveau mondial, mais c’est au niveau européen que l’on peut espérer trouver de nouvelles formes organisationnelles permettant de rassembler les forces en mouvement aujourd’hui et de susciter de nouvelles mobilisations, syndicales ou autres.

RL : Comment alors voyez vous ce que vous appelez un mouvement social européen ?
PB : Il devrait se construire sur trois piliers, sur trois forces.
La première faite des initiatives sociales qui depuis plusieurs années s’organisent en Europe notamment, qui pratiquent une coordination ouverte, sans hiérarchie ni centralisme, de conception autogestionnaire, antiautoritaire, libertaire même sans l’étiquette.
La seconde faite des structures syndicales anciennes, certes disparues en Grande-Bretagne, mais encore vivantes en Italie et en Allemagne et qui doivent pouvoir se rénover.
La troisième faite des chercheurs d’Europe et du monde qui dans tous les domaines (économie, sociologie, sciences en général…) élaborent les outils nécessaires à la réflexion et à l’action de transformation radicale de l’ordre économico-social actuel. Je suis conscient que cette combinaison peut apparaître comme détonante mais qui pourrait garantir la solidité d’une combinaison en ce domaine ?

RL : Vous écrivez, à propos de ce que vous appelez la troisième force du mouvement social : « Il faut faire entrer dans le débat public, dont elles sont tragiquement absentes, les conquêtes de la science »… Ce propos ne risque-t-il pas de masquer les méfaits (à coté des aspects positifs) d’une science « sans conscience » et de faire des scientifiques une catégorie homogène unie dans son soutien et sa contribution avec les autres forces qui se battent pour une transformation radicale de la société ?
PB : C’est vrai, on ne peut pas parler d’une classe homogène de scientifiques. Tous n’entreront pas dans le mouvement de contestation et de lutte. Certes il faut se méfier de la science et des savants, mais on le fait mieux si on a des savants avec soi.
En outre, il faut savoir reconnaître le courage des chercheurs, leur détresse quelquefois. Comme chacun de nous, ils ont besoin de reconnaissance, de ce respect sans lequel (on l’a vu dans l’histoire) certains peuvent se laisser aller à un ressentiment tragique (dérives fascisantes).

RL : Ne croyez vous pas que, même s’il ne s’agit que de stimuler, coordonner, organiser des actions conscientes et spontanées, il soit nécessaire, par un souci de cohésion sinon de cohérence, que ces actions aillent dans le même sens ?
Nous aimerions avoir votre avis sur l’un de ces mouvements : ATTAC. Pour nous, l’idée de combattre l’inégalité économique par un prélèvement sur les mouvements de capitaux dits spéculatifs, apparaît comme un contresens tragique puisque le mécanisme proposé conforte et incite au développement de la spéculation dénoncée.
PB : Oui. Je suis assez d’accord avec votre analyse relative à ATTAC. Mais pour en revenir à mon propos sur l’Europe, c’est vrai qu’il y a un peu de réformisme. Mais il y a aussi une action concrète, des réunions de travail (bientôt Vienne, Athènes etc.). C’est une utopie en marche bien différente des mouvements du type ATTAC.
Il s’agit de regrouper des militants, des résistants, des anarchistes, des révoltés conscients. En s’organisant ils peuvent devenir une force réelle de contestation. Ils contribueront à élever la conscience, le jugement des gens. Certes la partie critique de mon livre est plus développée que la partie constructive. On ne peut pas bâtir des mouvements sociaux sur des modèles anciens. Il n’y a plus de maîtres à penser. Ce qui me parait utile c’est de tenter de rassembler et d’organiser des forces qui se cherchent, inventer des modes d’organisation qui facilitent la naissance de nouvelles idées.

propos recueillis par Archibald Zurvan


Zone d’attente : la honte !

Ça vous a un petit côté hall de gare, d’aérogare en l’occurrence, on s’imagine les touristes en transit, fourbus mais heureux, la tête remplie de souvenirs : la zone d’attente… Sauf que les touristes en question, ils ne sont pas là volontairement, mais parce que des événements tragiques les ont poussés vers nos contrées, qu’il faut en passer par là et qu’ils s’y retrouvent coincés parce que l’État français les y retient.

Une zone d’exception

Alors, zone d’attente, que caches-tu derrière ce vocable ? On peut (et il faut le) dire : une zone de non-droit, une entité territoriale, voire extra-territoriale, créée de toutes pièces par l’Ordonnance du 2 novembre 1945, où sont placés principalement les étrangers qui arrivent en France sans document de voyage ou qui veulent déposer une demande d’asile politique. Il y a 122 zones d’attente et elles sont situées évidemment aux frontières ­ terrestres mais aussi maritimes (les ports) et aériennes (les aéroports) ­ et elles sont sous le contrôle de la PAF (Police de l’air et des frontières). Ce sont donc des policiers qui décident l’envoi en zone d’attente, avec une possibilité d’y maintenir un étranger pendant 20 jours, mais il peut se passer 4 jours (!) avant que la prolongation du maintien soit décidée ou non par l’autorité judiciaire. Rien déjà que ce délai de 4 jours est un déni de droit, quand on sait que n’importe quel présumé coupable comme ils disent, placé en garde à vue, a le droit d’être assisté d’un avocat. On connaissait la justice à double vitesse, selon que l’on soit riche ou pauvre, humble ou puissant, mais là, on passe la surmultipliée ! Un passage devant un juge, ça ne veut pas dire forcément un avocat, les droits de la défense sont un concours d’obstacles permanent ! Alors 4 jours entre les mains de la PAF, on imagine les dérives, ce qui n’a pas manqué d’arriver. Les statistiques du ministère de l’Intérieur nous apprennent que 96 % des demandes d’asile sont présentées à Roissy (ce n’est donc pas étonnant en cela que s’y concentrent presque tous les problèmes), et qu’en 1999, 12 590 personnes y ont transité. Le nombre d’étrangers retenus en zone d’attente ne cesse de grimper : 3 700 en 1996, 15 000 en 2000… Quand le bateau de réfugiés kurdes s’est échoué sur les côtes françaises, une zone provisoire (et totalement artificielle) d’attente a été créée là où ils étaient accueillis, manière de faire comprendre qu’ils n’étaient pas tout à fait en France, ­ et les bienvenus ­ mais bien dans cette zone floue qui permet tous les renvois, et c’est parce qu’il y a eu pression de l’opinion qu’elle a été de facto supprimée. L’existence même de ces zones d’attente est un double scandale en soi. D’une part, parce que derrière ces zones, il y a une politique volontariste de combattre le droit d’asile, de tout faire pour le restreindre, pour décourager les demandeurs, et quand à peine 10 % de ces derniers l’obtiennent, ça devient clairement une évidence. D’autre part parce que ces entités hors-juridiction ordinaire en font des zones de non-droit, où l’individu n’est même plus protégé par des droits, certes imparfaits et incomplets, mais qui ont le mérite d’exister, et il est soumis à l’arbitraire administratif et policier le plus total. À ce double scandale, s’ajoutent les conditions indignes dans lesquelles ces séjours se passent.

Des enquêtes accablantes

Les associations de défense des étrangers le dénonçaient depuis toujours, les avocats aussi. La Cimade, l’Anafe (Association nationale d’assistance aux frontières), Amnesty international, même le Haut-Commissariat des Nations-Unies aux réfugiés, tous le confirment et tous s’accordent à dénoncer et condamner les conditions de maintien en zone d’attente, notamment à Roissy. Aussi bien au regard des conditions matérielles (hygiène, etc.) qu’en regard du non-respect des droits élémentaires de tout individu. Et comme l’a révélé Libération du 28 mars, un fonctionnaire (du ministère des Affaires étrangères) de Roissy a même alerté la justice sur les violences qui s’y pratiquent. Dans le bilan dressé par les associations, il est question aussi d’humiliations, d’insultes mais aussi de coups allant parfois jusqu’au tabassage. Ces violences interviennent le plus souvent lors des tentatives de renvoi, mais pas seulement. Très cyniquement, un officier les justifie en expliquant doctement que cette généralisation de la violence vient d’une volonté de tester l’attitude de l’étranger lors des embarquements pour mesurer l’authenticité de sa demande d’asile (sic) ! Mais il n’y a pas que des violences physiques, il y a aussi des violences psychologiques, des pressions sur des personnes fragilisées. Refus d’enregistrer les demandes d’asile, ou faire traîner les choses en longueur, pour que par lassitude et découragement les demandeurs renoncent d’eux-mêmes et acceptent le renvoi. Tous les moyens sont bons, y compris les plus odieux : « Toi, tu vas rentrer chez toi ». ou encore : « Tu as déjà perdu toute ta famille, il est naturel de mourir. Tu dois retourner là-bas. » « On ne veut pas de vous ici. » À Zapi 3, la nouvelle zone d’attente de Roissy, les gens sont, selon le rapport, souvent réveillés en pleine nuit pour des contrôles d’identité et ils doivent patienter jusqu’au matin hors de leurs chambres. Quant au respect du droit des étrangers, c’est plaisanterie que d’en parler. De nombreux témoignages font état de refus d’enregistrement : « L’un d’entre eux a répété à toutes les personnes qu’il rencontrait qu’il voulait demander l’asile. Et pourtant il a fallu six jours pour que sa demande soit enregistrée, et il a dû s’opposer quotidiennement à des tentatives d’évasion. » Et le judiciaire ? Ce n’est pas mieux que la police, les comptes rendus d’audience auxquelles ont assisté des militants mettent « en lumière les irrégularités de procédure extrêmement graves, des atteintes aux droits de la défense des personnes maintenues, et au droit à un procès équitable. » Devant ce tableau révoltant, il n’y a qu’une exigence possible : la suppression des zones d’attente, symbole du refus de l’État français de respecter le droit d’asile.

Éric Gava. — Groupe de Rouen


Les sages-femmes dans la rue

Depuis le 20 mars, les sages-femmes sont en grève illimitée pour la reconnaissance de leur statut (profession médicale) et une revalorisation salariale (surtout pour les sages-femmes du privé). Le 2 avril, à l’appel de la coordination régionale des sages-femmes, une journée nationale d’action a encore eu lieu. Résultat : 1 millier de personnes à Paris et des manifestations dans plusieurs villes (Toulouse, Rennes, Lyon…). Cette grève fut suivie à 68 % dans les hospices civils de Lyon. Une grève donc très suivie, et qui se durci.

Ainsi, les sages-femmes demandent en plus de l’ouverture des négociations salariales, la fin des réquisitions abusives. Car se devant d’assurer les urgences, des sages-femmes ont dû quitter la manifestation au bras de policiers venus les chercher, afin de les conduire sur lieu de travail.

Le 4 avril, à Lyon, elles étaient une trentaine à se réunir à la bourse du travail où s’est tenue une assemblée générale. Là encore, le ton monte. Les sages-femmes ne sont pas prêtes à mettre fin à leur colère et entendent bien obtenir gain de cause.

Une critique du système de santé ?

Elles parlent aussi d’industrialisation des naissances et de la nouvelle politique de santé. Pourtant, cette critique reste timide. Et malgré le ras-le-bol général dans le secteur de la santé, qui ne touche donc pas seulement les sages-femmes mais toutes les catégories de soignants, c’est tout le système des restructurations hospitalières actuelles qu’elles devraient remettre en cause. Par exemple, le système des enveloppes budgétaires pose un sérieux problème. Ce système consiste à verser à un hôpital une certaine somme d’argent, en fonction de ses activités. Cette enveloppe budgétaire, calculée à l’année, doit donc permettre (théoriquement) à l’hôpital de fonctionner pendant un an. Il est donc plus que courant dans les hôpitaux de se retrouver au mois de novembre sans matériel (compresses, désinfectants…) pour finir l’année. Sans parler de la notion de rentabilité qui détermine de plus en plus les choix qui sont faits dans le domaine de la santé. D’où le manque de personnel dans les hôpitaux et les petites économies qui pourront coûter cher aux patients potentiels que nous sommes. Car, comment oser parler de rentabilité lorsqu’il s’agit de vies humaines.

Tous en ensembles ?

Depuis quelques mois, les professionnels de santé sont descendus dans la rue plusieurs fois. Mais chacun son tour et chacun de son côté. Car les médecins, les infirmières, les puéricultrices, etc. tout ce joli petit monde défend son petit territoire. On ne peut que regretter qu’il en soit de même de la lutte. Mais s’il en est ainsi, c’est parce qu’elles n’ont soutenu aucun des derniers mouvements de grève ayant eu lieu dans le secteur de la santé et qu’elles ne demandent l’appui de personne. Lorsqu’elles comprendront que leurs problème est aussi celui que rencontre les infirmières, les aides-soignantes… et qu’ils sont la résultante des choix politiques qui ont été faits jusqu’à maintenant alors leurs revendications seront payantes.

Céline. — groupe Kronstadt (Lyon)


Faits d’hiver

Nous pendrons les capitalistes avec la corde que nous leur aurons acheté… à crédit !

Le capitalisme serait-il un colosse aux pieds d’argile ? Pour assouvir sa soif obsessionnelle de profit, ne se doit-il pas, en effet, non seulement de produire au moindre coût (et donc au moindre coût salarial) mais encore, et surtout, de vendre ce qu’il produit ?

Or, à qui peut-il vendre ce qu’il produit si ce n’est à ceux et celles qu’il exploite ? De cette évidence certain-e-s en ont tiré comme conclusion qu’il suffisait d’appeler les damnés de la terre à ne plus acheter pour que la société de consommation s’écroule. Le résultat ne fut guère probant.

Le sera-t-il davantage avec l’appel au boycott des productions de Danone lancé par nos camarades députés de la gauche plurielle et nos camarades futurs députés de la gauche morale d’ATTAC (l’association pour l’aménagement de la sauvagerie mondialisatrice ultra-libérale, pas la chaîne de super marchés) ?

Si on s’en réfère aux restructurations annoncées (Danone, 570 licenciements en France ; Mark and Spencer, 1 700 ; André, 450 ; EADS, 1 500 ; Bull, 1 800 ; Delphi, 275 ; Alstom, 300…) et aux restructurations envisagées (Moulinex, 2 000 ; Aom-Air Liberté-Air Littoral, 7 500 ; Bosch, 400 ; Usinor, plusieurs milliers ; Valéo, Dim…), c’est peu dire que le capitalisme ne semble pas encore à l’aube de se la jouer tigre en papier ou abbé Pierre du business.

Alors, faut-il boycotter le boycott ? Bien sûr que non !

Il faut, au contraire, le multiplier, le renforcer, le muscler… de revendications, de sabotages, d’action directe, de coordinations, d’internationalisations, de radicalités… pour le démarquer au maximum de cette billevesée qu’est la moralisation du capitalisme.

Y sont chiants ces anars !

Jean-Marc Raynaud


Naissance du réseau libertaire mondial

Solidarité Internationale Libertaire

Les 31 mars et 1er avril 2001, 15 organisations libertaires se sont réunies à Madrid à l’invitation de la confédération anarchosyndicaliste espagnole Confederaciòn General del Trabajo (CGT). La décision a été prise de mettre en place un réseau mondial appelé Solidarité Internationale Libertaire (SIL) pour coordonner nos actions, mener une réflexion commune et réaliser des projets concrets de solidarité internationale.

Les idées libertaires marquent fortement les mobilisations internationales de ces dernières années, depuis l’insurrection zapatiste au Mexique en 1994, fortement influencée par les idées autogestionnaires et d’action directe, jusqu’aux contre-sommets de Seattle, Washington, Prague ou Nice sur lesquels flottait le drapeau rouge et noir. Les organisations libertaires (communistes libertaires, socialistes libertaires, anarchistes révolutionnaires, anarchosyndicalistes, communautés indigènes autogestionnaires) ont ressenti le besoin de se coordonner et de mettre en place un réseau de solidarité internationale pour faire face à la répression et contrer les offensives capitalistes.

Ce réseau va se doter de moyens de communication et d’échange d’informations. Il s’engage jusqu’à la fin de l’année 2001 dans les projets concrets de la Federaciòn Anarquista Uruguaya (FAU — Uruguay) et de la Federação Anarquista Gaùcha (FAG — Brésil) concernant la mise en place d’athénées libertaires en lien avec les paysans sans-terre, la création d’une imprimerie ou l’aide à une coopérative ouvrière de recyclage des favellas de Porto Alegre, laissées pour compte de la « démocratie participative ». Le réseau Solidarité Internationale Libertaire dénonce les prochains sommets du Fond Monétaire International à Barcelone et de l’Union européenne à Göteborg, et appelle à la mobilisation contre ces deux rassemblements capitalistes. Enfin, le réseau SIL tiendra dans deux ans en France un congrès libertaire intercontinental, dont le comité de préparation s’articule autour d’Alternative libertaire et de la CNT, avec le soutien logistique de la CGT et de la SAC et en lien avec la FAU pour le suivi des projets.

Ont participé à la réunion de Madrid les organisations suivantes : Al badil al chooui al taharouri (Liban), Alternativa libertaria (Espagne), Alternative libertaire (France), Confederacion general del trabajo (CGT-Espagne), Confédération nationale du travail (CNT-France), Consejo indigena popular de Oaxaca « Ricardo Flores Magon »/ Conseil indigène populaire d’Oaxaca (Mexique), Federação Anarquista Gaùcha (FAG-Brésil), Federaciòn Anarquista Uruguaya (FAU-Uruguay), La Marmite (Grèce), réseau No Pasaran (France), Solidarita (ORA-République tchèque et Slovaquie), Organisación socialista libertaria (OSL-Argentine), Organisation socialiste libertaire (OSL-Suisse), Sveriges Arbetares Centralorganisation (SAC-Suède), Unicobas (Italie).

Ont soutenu cette démarche sans pouvoir participer directement à la réunion : Fédération anarchiste francophone (FA-France et Belgique), International Workers of the World (IWW), Northeastern Federation of Anarcho-communists (NEFAC-États-Unis et Canada), Sibirskaja konfederacija truda (SKT-Sibérie), Workers solidarity movement (WSM-Irlande).

Laurent Scapin (secrétariat au relations internationales — Alternative libertaire France)


Quels états généraux et avec qui ?

Une tentative de plus à vouloir faire le rassemblement en ratissant large, le grand dessein de toujours pour certains, le dogme de l’unité n’est-il pas une illusion sophiste ? Pourquoi maintenant ? Il semble que l’on veuille accélérer les choses, comment le faire et bien, avec tant de précipitation ? Certainement, il y a peut-être urgence pour quelques-uns d’entre nous ?
L’objectif est de faire l’unité du mouvement libertaire. Nous dit-on ! et non pas l’unification ? C’est heureux que l’on nous donne encore cette chance !

Qui peut, aujourd’hui, s’élever contre l’idée de vouloir faire l’unité ? Néanmoins, se réunir pour en parler ensemble paraît primordial. Et puis, posons le problème. De quoi s’agit-il ? La tenue des états généraux consiste à réunir le plus grand nombre de « libertaires » pour débattre et faire l’unité du mouvement libertaire. Cet ambitieux projet, aussi noble soit-il, tel est le vœu des initiateurs, que nous réserve-t-il en incertitudes dans son avenir proche ?

Cela veut dire que ça consiste à réunir à la fois :
 les anarchistes de la FA et hors FA, ceux qui le sont et le revendiquent, Coordination anarchiste, individuel-le-s ;
 les anarcho-syndicalistes des CNT, ceux qui se trouvent dans les autres Centrales et ailleurs ;
 les libertaires d’AL, ceux de l’OCL, du Réseau No Pasaran, du SCALP, etc. ;
 les libertisants du type « marxiste libertaire », conseilliste, ouvriériste, associationniste ;
 les libertoïdes intellectuel-le-s qui, individuellement, s’intéressent aux idées libertaires ;
 les anti-autoritaires et tous les autres autonomes qui se sentiront attirés par le mouvement.
Voila l’ensemble de ceux qui peuvent se réunir pour faire l’unité du mouvement libertaire.

Est-ce possible ? Nous sommes en droit d’en douter ! Oui, à l’entente délibérée du mouvement libertaire pour l’unité d’action sur des objectifs qui rassemblent. Une entente durable est souhaitable, faite de responsabilité et de réciprocité, qui respecte les spécificités des individu-e-s et organisations. C’est présentement le minimum réalisable parce qu’il pourra plus facilement être accepté par l’ensemble.

N’est-ce pas un peu fort de prétendre vouloir faire l’unité du mouvement libertaire avant de parler d’entente ? Le débat se situe au niveau des termes « entente et unité ». Quand on observe les organisations en présence, elles ont des positions nettement marquées et sont si différentes idéologiquement. Qu’ont-elles en commun ? Sur quel commun des choses et sur quelles convergences pouvons-nous nous appuyer pour créer l’unité ? Nous ne pouvons qu’être sceptique sur la réussite d’une telle entreprise. Depuis un siècle, les clivages idéologiques demeurent et sont toujours là. Il est vrai : qui ne tente rien, n’a rien. Ainsi, la réussite tentée et hypothéquée relève de la gageure. Après tout ! Pourquoi pas ? Audace et témérité !

Il faut choisir entre faire l’Unité ou faire l’Entente du mouvement libertaire. Donc pour nous, l’entente doit se faire au préalable et qu’elle soit mise en pratique simultanée pour que l’unité puisse se faire dans l’action commune. C’est primordial, important et fondamental.

Les organisations, dans leurs instances, ont-elles déjà débattu la question ? La FA a entamé le débat, il est toujours en cours et reste à être finalisé au prochain congrès pour statuer sur les orientations à prendre.

Cette initiative venant de Belgique et d’ailleurs (I) sera-t-elle fructueuse ? Et dans l’intérêt de qui ? Nous sommes sceptique sur la manière dont on nous amène : Unité ! Appel pour un mouvement libertaire ; sans aucune préparation et qu’il soit préalablement débattue. Les organisations concernées, se doivent de le faire au plus vite, si cela n’a pas été déjà fait par certaines. Aujourd’hui, qui peut ignorer la situation, méconnaître l’importance de l’enjeu et se dire être contre l’entente d’abord, si c’est possible ! et l’unité ensuite ?

Bertale

(1) L’appel de José Maria Olaizola, de la CGT espagnole, est à l’origine de l’idée reprise par AL française et la FA maintenant.


Crise de foi

Ta gueule Jean-Paul !

Dans un article du Monde du 22 mars 2001, on apprend que le Vatican reconnaît le fait qu’il y a beaucoup de prêtres qui abusent sexuellement des religieuses. Le Vatican a reconnu les faits car, comme pour la pédophilie, la loi du silence est brisée : l’Église se voit de plus en plus attaquée, car dans bien des cas elle a étouffé les scandales. Il s’agit là encore d’une conspiration du silence qui vient de se casser la gueule. L’Église reconnaît le fait que des prêtres aient violé des femmes, des religieuses y compris, et ces crimes étaient couverts par la hiérarchie. Bien sûr le Vatican tente de limiter l’ampleur du scandale en affirmant que ces crimes concernent une « aire géographique limitée » (l’Afrique), ça change tout en effet…

Dans un rapport de 1995, la sœur Maura O’Donohue cite pas moins de 23 pays concernés. Si la plupart sont en Afrique, il existe aussi des cas au Brésil, en Colombie, aux Philippines, aux États-Unis et même en Irlande ou en Italie. La lecture de se rapport fait bondir et vomir tellement les crimes commis par nos chers prêtres moralistes sont sordides. C’est par exemple le cas d’un prêtre qui a célébrer la messe de requiem d’une religieuse qu’il avait contrainte a avorter et qui succombé à l’opération.

D’autres témoignages sont rapportés de relations sexuelles forcées, de harcèlement sur des jeunes filles candidates à l’entrée dans un établissement catholique, de pressions sur des médecins pour permettre à des jeunes femmes, y compris religieuses de prendre la pilule et même d’avorter. Des cas sont signalés de communautés religieuses dont des sœurs se sont retrouvées enceintes au même moment. Bien sûr, les victimes, à savoir de vulgaires femmes, sont contraintes au silence par la hiérarchie de l’Église quand celle-ci osent accuser un prêtre. Pour l’Église, depuis Ève, seule la femme est coupable. N’est-ce pas elle qui provoque le désir chez les hommes ? Ainsi, des religieuses qui étaient enceintes ont été chassées de leur couvent, alors que le prêtre qui les a violées est resté en fonction. Une supérieure a même été relevée de ses fonctions par son évêque parce qu’elle avait signalé la grossesse simultanée de 29 de ses sœurs ! Une explication est avancée par Maura O’Donohue : les religieuses sont des partenaires sûres pour des prêtres qui craignent de contracter le virus du sida auprès de prostituées.

En Océanie, Mgr Robinson, évêque de Sydney a affirmé que « les abus sexuels de la part des prêtres et des religieux sont devenus le principal obstacle à la prédication de l’évangile en Océanie ». Voilà qui est clair : ce qui embarrasse l’Église n’est pas que ses criminels violent en toute impunité ; ce n’est pas le traumatisme vécu par les victimes ni le nombre de morts… Ce qui embarrasse l’Église, c’est que ces histoires se savent et que, du coup, cela freine son expansion dans le monde. Belle mentalité, et belle moralité… Les commandos anti-IVG devraient aller prier non pas devant les hôpitaux mais devant le Vatican, qui condamne l’IVG et la contraception pour l’ensemble de l’humanité, sauf pour les prêtres, qui eux, ont, en plus, fait vœu de chasteté…

Régis Boussières. — groupe Kronstadt (Lyon)


Luttes paysannes, luttes de tous !

Le Mouvement international paysan « Via Campesina » a appelé, lors du forum social de Porto Alegre (Brésil), à une Journée de protestation internationale le 17 avril contre les importations de produits agricoles à bas prix qui détruisent les productions alimentaires locales ainsi que contre les OGM et le brevetage du vivant. Cette date est un anniversaire : celui du 17 avril 1996 où 19 paysans du mouvement des Sans terre étaient assassinés au Brésil. Il est des dates qu’il est nécessaire de ne jamais oublier et d’en faire des symboles. Rappelez vous le Premier mai et ses martyrs de Haymarket.

L’esclavage revisité OMC

Les accords de l’OMC, dans le domaine de l’agriculture, détournent les productions domestiques vers des productions intensives destinées à l’exportation vers nos pays, anciennement colonisateurs, aujourd’hui consommateurs.

Tous les peuples indigènes ont été forcés, par la colonisation, à des spécialisations à outrance de leurs cultures. Aujourd’hui que cette colonisation a « officiellement » disparu, des millions de paysans sont conduits vers la faillite totale par les accords émanant de l’OMC, organisation à la solde des multinationales.

S’il n’est pas question, ni même réaliste, de fermer les frontières et d’empêcher les échanges des produits de la terre entre les différentes parties de la planète, ces échanges ne doivent à aucun moment se faire au détriment des producteurs. Ceux-ci doivent pouvoir vivre de leur travail, et ne pas être les esclaves de nos injonctions de consommateurs gavés.

Par ailleurs, les OGM, au-delà des risques qu’ils font courir à l’environnement, sont l’expression ultime de l’industrialisation de l’agriculture. Ils sont un facteur de paupérisation par la dépendance qu’ils sous-entendent à l’égard des multinationales qui obligent les paysans à les racheter chaque année, et veulent, suprême raffinement, créer des semences stériles interdisant définitivement la possibilité d’utiliser les semences paysannes « naturelles ».

Le rapt par le biais de la brevabilité, de l’agriculture, de l’alimentation et de la médecine (1) paralyse et ligote toutes les populations et les individus au nom du profit. Les brevets sur les génomes sont à interdire définitivement, comme d’ailleurs toute protection d’inventions par des individus ou par des entreprises (2).

De notre devoir de mobilisation

Cet appel, relayé en France par la Confédération paysanne et par les Collectifs anti-OGM ne peut être ignoré ou même relativisé.

En effet, la tendance est à la confusion entre, d’une part, la dangerosité potentielle pour l’environnement et la santé des OGM et, d’autre part, le danger immédiat pour la survie économique de millions d’individus à travers le monde. Si le « principe de précaution » est un principe évident minimum, il n’en est pas moins vrai que la manipulation des organismes n’est pas une nouveauté. Il n’est pas à notre portée de décider définitivement si telle ou telle invention sera un plus ou un moins pour l’humanité.

Pourtant c’est bien cet aspect des choses qui retient d’abord l’attention de la population très inquiète pour sa précieuse santé ; population désormais en majorité urbaine ou périurbaine, qui est bien moins inquiète de la façon dont le monde rural disparaît sous l’hégémonie d’une petite fraction d’agro-capitalistes subventionnés et encore bien moins perturbée par la paupérisation complète des paysans du « Sud ».

Cette paupérisation entraînent de fait des exodes massifs aussi bien à l’intérieur de ces pays qu’en direction de nos pays de nantis (3). Le combat des paysans de « Via Campesina » est aussi celui des sans-papiers, des sans-domiciles, des sans-emplois. Il est indispensable de ne jamais perdre de vue que toutes ces luttes sont interdépendantes les unes des autres et aussi que tôt ou tard nos « concitoyens » devront se poser cruellement la question de leur confort à prix « cassés » ! (4)

Saucissonner les luttes c’est ignorer leur commun dénominateur, le capitalisme qui n’a jamais cessé d’être mondial, même si aujourd’hui le phénomène s’accélère et se précise.

Luttes et criminalisation

Ne pas exclure tel ou tel aspect des luttes, assez peu le font actuellement. Il semble que dans sa grande majorité (5), la Confédération paysanne a compris qu’il était impossible de se cantonner à un corporatisme étriqué. Cette vision nous amène ici et là à pouvoir travailler avec ce syndicat, même si par ailleurs certains aspects de la personnalité de Bové peuvent agacer. C’est bien cette volonté de toucher la société dans son ensemble qui inquiète le pouvoir et le conduit à durcir le ton pour des faits minimes. Si, à Montpellier, au mois de mars R. Riesel, J. Bové et M. Soulier ont été condamnés à de la prison ferme pour avoir participé à la destruction de semences transgéniques au CIRAD, si les 10 paysans ont vu leur peine confirmée en appel pour avoir démonté le McDo de Millau en août 1999, ce n’est pas pour l’importance des dégâts (6). Non, l’universalisation des combats amène tous les pouvoirs et tous les États, à « punir » de plus en plus durement, histoire de décourager les plus hésitants. Parce que le problème, c’est que l’on met en cause le système dans sa globalité et que l’on ne se bat pas uniquement pour une amélioration de tel ou tel morceau de la machine.

Partout où c’est envisageable, il est important pour les anarchistes de travailler avec ceux et celles qui se battent dans cette optique. Le 17 avril des actions verront le jour ici et là. Notre lutte contre le capital, c’est aussi la lutte des « petits » paysans et des « sans-terre ».

Bruno Schiphorst. — groupe libertaire René-Lochu (Vannes)

(1) Voir le coût en vie humaine du prix des traitements contre le sida que l’industrie pharmaceutique protège becs et ongles par le biais des brevets.
(2) S’il est nécessaire de financer les recherches scientifiques, ce coût devrait être porté par la collectivité et les inventions au service de tous sans aucune restriction.
(3) Même si une part importante de notre population est exclue de la consommation, il est irréfutable qu’à 80 % nos pays occidentaux sont constitués par une classe moyenne ne souffrant pas d’une pauvreté comparable à celle des pays du Sud.
(4) Prix faussement cassés d’ailleurs, puisque si notre alimentation est « bon marché » c’est parce qu’une part importante des coûts liés à l’agriculture intensive industrielle est couverte par les subventions et donc par l’impôt. Lire l’excellent article « Voyage au cœur de la FNSEA » Monde Diplomatique de janvier 2001.
(5) Des dissensions existent au sein de ce syndicat depuis les élections du 31 janvier 2001, certains reprochant à Bové et consorts de ne pas se cantonner au « métier », cause éventuelle de la perte de certaines chambres.
(6) Il suffit pour s’en convaincre de voir que la casse systématiquement occasionnée par les agriculteurs de la FNSEA lors de manifs n’est que très peu (voir pas du tout) réprimée.


Vite fait… bien fait

* Décisions irrespirables. Après les États-Unis, c’est l’Australie qui va peut-être se retirer du protocole de Kyoto sur la réduction des émissions de gaz à effets de serre. Quant à l’Allemagne, son ministre de l’Économie a annoncé que son pays ne tiendrait vraisemblablement pas les objectifs fixés.

* On soutient. Les salariés de Danone appelle au boycott de tous les produits du groupe Danone.

* De retour d’une réunion avec des émissaires israéliens, réunion qui n’avait, il est vrai, abouti à aucun accord, une délégation
palestinienne a été pilonnée par l’armée israélienne à coup de mortier. Bilan : 3 blessés.

* Le Royaume-Uni a dépassé la barre du millier de cas de fièvre aphteuse, dont un en Irlande du Nord.

* Convergence nationaliste. Charles Pasqua (RPF), Jean-Pierre Chevènement (MDC) et George Hage (PCF) participeront tous les trois au colloque Parce que la Corse, c’est la France, organisé par l’association pour la défense des droits de la Corse.

* Gauche plurielle et recyclage. Bernard Bled était le (très influent) secrétaire général de la mairie de Paris sous Tibéri. Il sera désormais contrôleur général de l’administration de cette même ville, poste tout spécialement créé pour lui par Bertrand Delanoë.

* McDo aime les enfants. Les jouets distribués par MacDonald dans ses Happy Meals sont fabriqués en Chine du sud, par 400 travailleurs… qui triment 16 heures par jour, 6 jours sur 7 et dont la moitié ont moins de 14 ans. Boycott.

* Justice de classe. À Nancy, une femme de 29 ans, gérante d’un bar pour le compte d’un proxénète, a été condamnée à 15 ans de prison pour avoir tué son mac qui voulait la remettre sur le trottoir.

* Justice sexiste. La cour suprême d’Espagne a confirmé le règlement intérieur de la société des trains à grande vitesse (AVE) qui prévoit l’interdiction du port du pantalon pour ses salariées et l’obligation de porter une jupe à 2 centimètres au-dessus du genou. Avec des bas résilles et des talons aiguilles, non ?

* Macédoine. l’apartheid s’instaure peu à peu. Les affrontements entre guérilla albanaise (UCK) et armée gouvernementale, outre les morts et les blessées, ont déjà provoqué le déplacement de 20 000 civils.

* The very best poisson d’avril. Milosevic a été interpellé le dimanche 1er avril et placé en détention préventive. Ça ne va pas faire revivre les morts, ni empêcher de futurs massacres, mais avouons, ca va pas nous faire pleurer.

Envoyez vos brèves à monsieur.pol@wanadoo.fr


Prisonniers politiques Mapuche

Lettre ouverte à l’opinion publique nationale et internationale

A travers ce communiqué nous nous adressons à la société chilienne en générale et aux organisations internationales à l’occasion de l’imminente résolution des procès menés par l’État chilien à notre encontre. Il est nécessaire avant tout de considérer le contexte de nos détentions comme faisant partie de la vague répressive déployée par les appareils de l’État contre le mouvement autonome Mapuche dirigé par les communautés en conflit de la Wall Mapu.

Cette vague répressive surgit comme une réaction de l’État défendant les intérêts du grand capital international et national qui agit et prolifère sur notre territoire se manifestant par de grands projets touristiques, énergétiques et forestiers.
La répression gouvernementale s’exprime de différentes manières visant à intimider les membres des communautés ; celles-ci sont en premier lieu le harcèlement se manifestant par la militarisation des huitième et neuvième régions et en particulier dans les zones voisines des communautés.

Les perquisitions systématiques aux domiciles des frères et sœurs constituent une des formes directes de ce même phénomène, celles-ci s’accompagnent souvent d’agression verbale, de violence physique, de destruction partielle ou totale de l’habitation et de vol. Ces perquisitions sont effectuées par des effectifs policiers en service et civil, et avec la participation de gardes forestiers privés.

Procès truqués

C’est dans ce cadre de violence étatique quotidienne qu’on poursuit, réprime et emprisonne les membres des communautés Mapuche, durant les deux dernières années plus de 200 hommes et femmes de communautés sont passés par les prisons et tribunaux de l’État chilien. C’est ainsi que l’on arrive au procès qui se déroule contre nous, procès chargé d’irrégularités, rendant compte du caractère politique de notre emprisonnement.

En premier lieu, il existe deux procès pour les mêmes faits, on nous accuse de la prétendue infraction à la Loi de Sécurité Intérieure de l’État et tentative d’homicide. Ces accusations concernent Enrique Millalen Milla, Ariel Enrique Tori Linqueo, Julio Nelson Marileo Calfuqueo, Julio Alberto Huentecura Llancaleo, Pedro Joel Maldonado Urra et Juan Bautista Millalen Milla. On ne respecte donc pas le postulat que personne ne peux être jugé deux fois pour un même fait.

D’autre part et comme l’a établit notre défense, le déroulement de notre procès a été marqué par une série d’irrégularités qui ont pour résultat qu’aujourd’hui nous sommes détenus et qui peuvent se répercuter, en faisant partie des accusations, sur la sanction de nos condamnations.

Durant le procès il a été prouvé que deux fonctionnaires de carabiniers de Collipulli avaient falsifié un document judiciaire dans le but d’inculper les frères Millalen de la communauté Catrio Ñancul pour le délit d’infraction a la loi de Sécurité Intérieure de l’Etat. Ces fonctionnaires sont Nelson Vilches Rodriguez, lieutenant des carabiniers, et Hector Badilla Jara, les deux faisant partie du personnel du second commissariat de Collipulli. Le document en cause est le nº 135, les deux fonctionnaires y signalent que dans l’enquête concernant l’incendie d’une camionnette (18 février 2000) où deux gardes de la Forestal Mininco ont été blessés, on a trouvé sur le lieu du délit un portefeuille avec les cartes d’identité de Enrique Millalen, raison pour laquelle ce frère a été inculpé et se trouve prisonnier à Collipulli depuis plus de neuf mois. Cependant, l’enquête postérieure a montré que le fonctionnaire policier qui était sur les lieux des faits et qui avait ramené les objets trouvés au tribunal n’a jamais trouvé les papiers de Enrique Millalen sur les lieux du délit, aussi les fonctionnaires ont menti délibérément. Dans la déclaration, il est signalé que malgré la dénonciation officielle, le tribunal connaissant ces précédents refuse la liberté sous caution de Millalen.

D’autre part, un grand nombre des éléments qui nous accusent ont pour origine le témoignage de Pedro Maldonado Urra qui, conséquence d’une période d’incommunication prolongée et des menaces dont il a été victimes, a inculpé Julio Huentecura, Julio Marileo, Ariel Tori et Juan Bautista Millalen.

Solidarité !

Cependant, le rapport psychologique indique que, suite à des coups donnés par les carabiniers antérieurement, ce membre de communauté souffre de « troubles post-commotionels avec des altérations amnésiques, ce qui s’exprime par un léger retard mental rendant son témoignage peu crédible et influençable ». Aussi, en l’obligeant à accuser d’autres membres des communautés, il se transforme en une victime de plus de ces graves irrégularités.

Le reste des éléments utilisés pour le procès rendent clairement compte de notre innocence en se basant d’une part sur les témoignages de gardes forestiers qui durant toute l’enquête se sont contredits à plusieurs reprises, et d’autre part sur une série d’éléments qui en aucun cas ne prouvent notre culpabilité mais qui provoquent notre emprisonnement.

Ce sont les éléments qui font qu’aujourd’hui, devant l’imminente conclusion de nos procès, nous essayons de rendre publique notre voix, conscient que les charges qu’on nous impute et qui fondent notre emprisonnement sont plus de caractère politique que judiciaire.

C’est pour cela que nous sollicitons à l’opinion publique consciente, et au peuple du Chili, leur soutien dans ce dur moment qu’il nous faut affronter derrière les barreaux depuis plus d’un an, et qu’ils se manifestent politiquement en exigeant notre liberté. Liberté qui aujourd’hui est la nôtre mais qui dans un sens plus ample est celle de tout un peuple.

Prisonniers politiques Mapuche. Depuis la prison de Temuko.

Les intertitres sont du Comité de rédaction du Monde libertaire.


Du 20 au 22 avril 2001 — Journées Libertaires à Düsseldorf (Allemagne)

Grande manifestation pour l’anarchie !

Pour appuyer les protestations nécessaires contre les autorités, contre le fascisme, pour accentuer la lutte dans tous les domaines, par exemple, la remise en cause des transports des déchets nucléaires (Castor-Transporte), nous organisons une grande manifestation pour l’anarchie à Düsselforf, du 20 au 22 avril 2001.

Réfléchir sur la société, c’est bien mais insuffisant. On veut faire croire aux gens que le parlementarisme est la seule forme politique d’organisation de la société qui marche. Le fascisme ne sert que d’exutoire aux insatisfactions d’une partie de la population qui décharge alors ses frustrations contre les boucs émissaires qu’on lui désigne par ailleurs.

Nous, anarchistes, favorisons l’autonomie des individu-e-s, nous sommes pour une société solidaire. À cause de cela, nous sommes dénigrés par l’État, la religion et le capital qui visent avant tout à conserver leur pérennité. Montrons les avantages d’une société anarchiste ! Ces journées pour l’anarchie doivent nous le permettre.

Programme des journées libertaires

Vendredi 20 avril
19 heures : Présentation du film « Eat the Rich » au Metropol ­ Cinema, Brunnenstr. 20, Düsseldorf-Bilk
21 heures : Live musique (grec) au SP-Saal, à l’Université, près du restaurant universitaire sur le Campus, puis grande fête.

Samedi 21 avril
13 heures : démarrage à la Burgplatz (cité ancienne) avec des stands, live-musique (Petrograd, Baxi)), des actions, des interventions ;
15 heures : manifestation colorée et bruyante pour l’anarchie (annoncez-vous à temps si vous voulez participer)
18 heures : lecture, live-musique (reggae), peut-etre cabarett 3K, Heresbachstr. 21, Düsseldorf-Bilk
21 heures : punk & hc concert : Daddy Longleg, Asbest, Kobayashi AK 47, Kiefernstr., Düsseldorf-Flingern.

Dimanche 22 avril
Rencontres et débats à partir de 12 heures sur le Campus universitaire (Uni/FH-Campus, Bâtiment 23.31. (SoWe) :
anarchisme et internationalisme (GRW), anarchisme et culture, anarcho-syndicalisme (FAU), Anti-A33, migrations, féminisme, anarchisme et utopies, anarchisme et écologie, une caravane pour Mexico, et bien d’autres choses…

Martine-Lina Rieselfeld. — Relations internationales FA

Possibilités d’hébergement sur place.
Pour tout contact : BSY-D/FAUD-IAA : faud1@fau.org


Au détour de chant…

Nathalie Solence

Jacques Serizier disait d’elle : « Ceux qui ont eu le privilège de la voir et de l’entendre, sauront dire aux autres que ses chansons tiennent et ne manquent pas d’air ! » Elle chante Nathalie Solence ! Depuis environ douze ans, accompagnée par Jean-Pierre Aigeldinger à l’accordéon et Claude Gaisne à la guitare. Je l’ai entendue à l’Européen (Paris) où Serge Utgé-Royo l’avait invitée. J’ai craqué pour cette artiste qui semble fragile, timide, protégée par un sourire de petite fille qui a fait un bétise…

Elle interprète ses propres textes et ­ de temps en temps ­ ceux d’auteurs qu’elle aime comme Roger Riffard, Gérard Dor, Léo Ferré et Jacques Serizier. En compagnie de Jules Bourdeaux, Vania Adriensens, et Claude Gaisne, elle a conçu un spectacle entièrement consacré à Serizier « Le temps de la serize » qui fut donné en 1995 au théâtre Silvia Monfort avec ­ entre autres ­ Rufus et Graeme Alwright. De là, est né un coffret de quatre CD des 99 chansons et textes de Jacques Serizier qui lui-même donna lieu à une tournée dans onze salles parisiennes avec une pléiade d’artistes comme Anne Sylvestre ou encore Marc Ogeret.

Nathalie Solence a deux disques à son actif « Dans la maison blanche, chansons à Jacques » sorti en 1995, et « Que le jour s’en souvienne » paru en 1993. Nathalie Solence pose un regard malicieux et lucide sur la vie, celle qu’on vit (avec des morceaux dedans). Écoutez-la, vous n’en reviendrez pas !

Bruno Daraquy

Nathalie Solence interprète ses chansons (J-P Aigeldinger, accordéon ; C. Gaisne, guitare) les 20 et 27 avril chez Driss (Les uns les autres), 15, rue Chevreuil, Paris 11e ; repas à 20 h ; spectacle à 22 h). Tél : 01 43 70 22 40.


Dans le fond des poches

Henri Calet, un mutin discret

Il est des rencontres qui marque une vie au fer rouge de l’essentiel. Un essentiel bancal, sans retombée économique, sans chichi, sans gloire. Autant improbable qu’indispensable, telle une clairière où une halte fortuite donnera un goût inconnu à une existence morne. Ni Dieu, ni quête, juste de quoi se réchauffer la peau, les os et le reste, entre deux barricades.

Rien sera ne démontré, rien ne sera prouvé. Seul le sublime de la littérature quand elle appelle à la subversion au-delà des mots, entre les lignes Maginot de nos projets. Ces oasis sont rares dans le désert surpeuplé des modes, balivernes et autres amuses-couillons…

Il est des amitiés qui traversent les siècles, des compagnons disparus qui nous accompagnent. D’une tranquille lucidité mâtinée de modestie, Calet traversa la vie en flânant, funambule sur le fil du rasoir. Anonyme parmi les siens, il croqua le portrait des humbles, sans misérabilisme ni messianisme, ces deux mamelles de la charité chrétienne ou marxiste qui vérolent l’espoir…

Après une enfance pauvre, « mon père à vingt ans… il était alors clochard, vermineux et en état de désertion… », sa mère « comptait bien parvenir à cette harmonieuse égalité des sexes qui est un des points ­ et pas le plus négligeable ­ des principes libertaires »… quant à lui, il se rappelle au Bar de l’Avenir : « je montais sur les tables, je tenais des discours de révolte aux consommateurs, et je terminais par le cri de Vive l’anarchie ! » …tous trois joindront les deux bouts par quelques fausses monnaie artisanales…

Les promenades aboutissaient parfois à Romainville : «  je vois encore nettement une énorme inscription sur un mur, en lettres noires : “l’anarchie”… Des hommes à chevelures de femmes et des femmes en vêtements masculins se promenaient dans un jardin, d’autres se prélassaient sur l’herbe. Ces gens m’étonnaient. Ils n’en étaient qu’à leur débuts dans la reprise individuelle ; ils ne volaient que des boîtes de conserves ; ils se préparaient à mieux faire, à entrer bruyamment dans l’Histoire. Ils ont payé toute leur dette à la société : de leurs têtes.... Nous fréquentions aussi la Ruche de Sébastien Faure, à Rambouillet. Mon père l’appelait Sébast. »

Pour Calet se sera la ronde des petits métiers puis le rocambolesque : à 25 ans, il part avec la caisse de l’entreprise du moment (près de 2 millions de francs) fuit l’Europe pour l’Amérique du sud où il séjournera un peu moins d’un an, avant de revenir par Berlin puis le Portugal pour échouer aux Açores où il rédige les premiers chapitres de La Belle Lurette. Suivront Le Mérinos, Fièvre des polders.

Le rythme de sa vie sera le pouls de son œuvre : recueillant les graffitis ornant les cellules dans Les murs de Fresnes, suite de treize nouvelles au gré de dix ans d’existence pour Trente à Quarante, frère de son premier roman Le Tout sur le tout, ces vagabondages Rêver la Suisse, L’Italie à la paresseuse, bouleversante lettre à son fils Monsieur Paul, piéton de Paris dans Les Grandes Largeurs, retour sur sa cavale vers le nouveau monde, Un Grand Voyage, et pour finir Le Croquant indiscret. À l’invitation de Pascal Pia, il chroniquera avec talent dans la presse, objets de quelques recueils posthumes.

Au mitan, Le bouquet, qui nous occupe aujourd’hui… « assis entre deux guerres, on devait finir par tomber le cul dedans… » un exode à la bonne franquette « les femmes et les enfants se baladaient comme nous, à l’aventure, sous une mitraille de printemps » ce qui n’exclut pas le tragique « la mort d’acier dégringolait au petit bonheur la chance. Très petit bonheur, toute petite chance… d’un même coup, baptême et extrême-onction… les bombes tombaient en chapelets. »

Croquis sur le vif sans fausse pudeur « un trouffion, ça ne se casse pas la tête, d’autres s’en charge… ça tue, ça meurt… on lui a mis au poignet une plaque de métal pour le reconnaître d’entres les cadavres. Louable précaution, car on diffère si peu… »

Aquarelles aux tons pastels empreintes d’humanité en déroute, « il eût fallu avoir du courage et le prendre à deux mains. On restait agglutinés les uns aux autres, blottis dans notre trac… »

Quelle connerie la guerre, parole de poète… quotidien de lâchetés, cantiques de république qui jette des tombereaux de quidams dans la gueule de l’infamie, et les États charognards insatiables aux basques de la liberté réclamant leurs victimes… « Cela débute à l’école communale où déjà l’on vous prend par la main. Plus tard, l’atelier, le bureau, la caserne… partout la même odeur fadasse de pierre, de poussière et d’ennui. Partout, on inculque la gentillesse et l’obéissance. Et, partout, des chefs pour vous conduire… »

Et d’une banale actualité : « on choisit généralement de vivre en société, d’emprunter le droit chemin, le plus commode, le plus fréquenté aussi. De manière qu’on ne risque pas de se fourvoyer : tout est marqué. Ce qui évite de poser des questions. On suit la foule. Ça sent bon la laine. On se laisse aller. D’ailleurs, le chemin ne mène à rien. N’empêche qu’il y en a qui paraissent pressés d’arriver, qui jouent des coudes. »

La mémoire est une arme en ces temps amnésiques. Et pourtant, v’là t’y pas qu’un ancien gille putschiste, mué coco coupe rosée et pétitionnaire vient de nous pondre, sur un sujet voisin, une mièvrerie où une bourgeoise s’encanaille un été 40 sacrifiant au mythe de la nation, astiquant la patrie, cette pouffiasse pousse-au-crime… Flopées d’articles, flonflon et petits fours.
Au loin, une œuvre chemine dans les limbes des vaincus, clandestine et mutine, porteuse d’outrages aux mœurs autoritaires. En voici un brin, un bouquet à humer profondément, loin des pétards oublieux…

Peinard, Calet, ultime pied de nez, dégueulant la Marseillaise, tira sa révérence, comme Ferré, un 14 juillet. Un lit douillet à perpette…
* Henri Calet -­ Le Bouquet ­- éditions Gallimard ­- collection L’Imaginaire nº 428 — 308 p. -­ 48 FF

***

* Le Testament ­- François Villon — éditions Mille et une nuits -­ nº 281 — 112 p. -­ 10 FF.
Le larron, gai luron au détour de sa trentaine, rédige ces mémoires, près de deux mille vers. Des traîtres chiens mâtins qui m’ont fait chier dures crottes… les autres mendient tous nus et pain ne voient qu’aux fenêtres… Mais où sont les neiges d’antan ?

* Mon oncle Benjamin -­ Claude Tillier — éditions Le Serpent à Plumes ­- collection Motifs nº 40 -­ 353 p. ­- 48 FF.
Ce truculent récit picaresque est de ce bois dur et noueux dont sont faits les pauvres qui ne baiseront pas la main des puissants… Contre tous les pouvoirs et d’une areligion joyeuse qui un bon siècle plus tard rencontrera l’adaptation d’Édouard Molinaro où Jacques Brel donna la démesure de son talent… en libertaire paillard.

* Le Déshonneur des poètes -­ Benjamin Péret — éditions Mille et une nuits -­ nº 120 — 64 p. ­- 10 FF.
Quand les mots marchent au pas, la poésie prend le maquis… Nombreux sont les mirlitons embouchant le clairon ou diffusant l’encens interdit ou non…
Par contre « de tout poème authentique s’échappe un souffle de liberté entière et agissante, même si cette liberté n’est pas évoquée sous son aspect politique ou social et, par là, contribue à la libération effective de l’homme ».

* Georges Brassens -­ Florence Trédez — éditions Librio -­ nº 295 — 88 p. ­- 10 FF.
Concis et inédit, cet opuscule lie création et récréation à l’image de l’Ami Georges… Une belle tranche de vie bien troussée… Une discographie commentée et une bonne base bibliographique… Sur la grande mare des canards, il navigue en Père Peinard… chantonnant : Mourir pour des idées ? peut-être, mais de mort lente… Bande à part sacrebleu ! c’est ma règle et j’y tiens… un art de vivre.

* Alma Matrix ­- Léo Ferré — éditions La Mémoire et la mer — 56 p. -­ 59 FF
Ode de Léo à l’éros… incandescence de l’origine du monde… haleur des marées, les houles sont lâchées… le tout sur papier vergé… parsemé des dessins de Serge Arnoux. À déguster sans modération.

Jean-Denis. — Liaison Bas-Rhin de la FA


Cabaret anarchiste à la Belle Époque

À l’occasion de la parution du livre intitulé Au temps de l’anarchie, un théâtre de combat (1880-1914), aux éditions Séguier en mai 2001, il a paru intéressant à la compagnie La Balancelle de mettre en théâtre un certain nombre de textes parus dans ce volume.

Le choix a été difficile, beaucoup de textes présentant un intérêt certain et une résonnance actuelle. Il a pourtant fallu s’y résoudre pour parvenir à dégager un ensemble cohérent à partir de courtes pièces ou d’extraits de pièces anarchistes écrites entre 1890 et 1910 par des écrivains comme Octave Mirbeau, Georges Darien, Lucien Descaves, Poinsot et Normandy ou des militants devenus écrivains pour défendre leurs idées comme Louise Michel, Jean Grave, Nelly Roussel.

Le spectacle réunit des textes dont certains ont été joués, parfois avec des coupures imposées par la censure, comme ceux de Louise Michel (La Grève), et d’autres qui n’ont pu être représentées, comme celui de Jean Grave (Responsabilités). Certains de ces textes sont d’une actualité frappante et ont une grande force de dérision. Ils mettent en évidence les travers de la société et son fonctionnement injuste et pervers aujourd’hui comme hier.

La musique intervient tout au long du spectacle avec une fanfare et des chansons de révolte et d’espoir (La semaine sanglante, Saluez riches heureux, Le Père Lapurge, Elle n’est pas morte, Le Père Peinard, Le Père Duchesne, Le chant des Ouvriers)… qui ajoutent à la force du propos.
L.

Le « Cabaret anarchiste à la Belle Époque » les 26, 27 et 28 avril à l’Espace Louise Michel (42 ter rue des Cascades, Paris 20e). Réservation : 01 45 26 50 89.


Un fait d’État à Lyon : la non-assistance à personnes en danger !

Plus d’un mois de grève de la faim pour les 7 sans-papiers lyonnais : Tania, Maïssa, Saïd, Mohamed, Lakdhar, Adil et Mourad. Voilà le résultat des promesses de la « gauche plurielle » concernant l’abrogation des lois Pasqua, Chevènement, Toubon…

Deux des grévistes ont déjà été hospitalisés, mais la détermination reste entière pour faire plier la préfecture… qui est naturellement aux ordres du gouvernement pluriel. Il faut dire que notre cher ministre de l’Intérieur (tout aussi pluriel) a nommé un médiateur au bout d’un mois de grève. Lequel a gentiment retransmis les ordres du gouvernement et de la préfecture.

• Proposition de retourner dans leur pays d’origine pour Adil et Mourad (Maroc, Tunisie) et ensuite de demander un visa long séjour pour revenir en France. On imagine très bien l’accueil chaleureux dans le pays d’origine suite à leur lutte en France. Et quand on sait la difficulté pour les Tunisiens et les Marocains pour sortir de leur pays avec un visa, il est normal de refuser cette proposition meurtrière. D’ailleurs, Adil et Mourad préfèrent plutôt se battre ici plutôt que de retourner là-bas !
• Proposition de faire une demande d’asile territorial pour Saïd, Lakhdar, et Maissa (Algérie, Maroc). Plaisanterie digne d’une préfecture ! Certains l’ont déjà fait cette demande d’asile et elle avait été refusée à l’époque. Alors quoi, la loi aurait changé depuis ?
• Proposition de cartes de un an pour Tania et Mohammed. Cela fait des années qu’ils galèrent à cause de ces maudits papiers et on leur jette à la figure une petite aumône républicaine d’une année. Provocation ! Mais les charognards savent ce qu’ils font. Ils veulent préserver ce réservoir de sans-papiers bien utile pour appeurer le populo votant et qui sert de main-d’œuvre bon marché au patronat.

Se jeter vers la mort pour vivre humainement

Le Collectif solidaire des sans-papiers de Lyon poursuit le soutien à cette grève de la faim sans oublier néanmoins les milliers d’autres personnes sans-papiers qui doivent aussi être régularisées. Des actions « enchaînement aux grilles de la mairie et de la préfecture » ont été organisées. Et une nouvelle manifestation a encore eu lieu samedi dernier. À noter l’absence des « grandes » centrales syndicales et des partis de la gauche plurielle récemment élue à la municipalité lyonnaise. Pourtant, tous sont signataires des tracts des sans-papiers. Il paraît que les paroles s’envolent et que les écrits restent. Eh bien avec tous ces signataires fantômes, il ne reste rien ! Si ! Une déclaration sur TF1 d’un médiateur bien-pensant : « je comprends les grévistes […] mais il faut un État de droit avec des lois ». Une autre manière de dire : les lois vichystes de Pasqua-Debré-Chevènement-Toubon et cie ne seront ni outrepassées ni modifiées.

À l’heure ou nous écrivons, les grévistes restent soudés, maintiennent leur mouvement et refusent ces vagues propositions de bouts de ficelle qui ne parlent même pas du minimum pour commencer à négocier : la carte de dix ans. Ils ont décidé de durcir leur grève de la faim en ne prenant plus de sel ni de sucre. Voilà où ils en sont : se jeter vers la mort pour vivre humainement et dignement dans la chère République française.

N’en déplaise aux juridico-médiateurs et à tous les autres ventriloques du gouvernement, les sans-papiers ne sont que le résultat de la machine à fabriquer des précaires qui se nomme la loi. Des papiers pour les sept grévistes de la faim et pour tous les sans-papiers !

Manu. — groupe Déjacque (Lyon)


Chers lecteurs et lectrices

Aujourd’hui, le traitement de l’actualité par la grande presse mobilise l’appui public pour les intérêts particuliers que les gouvernements mettent au service du secteur privé. Pour dispenser des informations qui échappent aux manipulations des gouvernements et des dirigeants des sociétés industrielles et financières, le premier pas vers cette libération est la constitution et la préservation d’une presse indépendante par rapport à ces intérêts particuliers. Or, il est de plus en plus difficile de faire vivre cette presse qui défend le principe de l’autonomie. Votre journal — Le Monde libertaire — connaît des difficultés financières qui mettent en péril sa survie économique. Pour l’année 2000, le compte de résultats dégage une perte de 82 000 FF, et cela engendre un manque structurel de trésorerie. Si vous êtes attachés à notre journal et que vous souhaitez la pérennité de la presse indépendante, vous pouvez soutenir financièrement le Monde libertaire en adressant vos dons à : Publico-Le Monde libertaire, soutien ML, 145 rue Amelot, 75011 Paris. Merci de votre soutien à la presse anarchiste et de votre fidélité à notre journal.

L’administrateur du Monde libertaire