Voici l’indispensable complément au riche et passionnant travail effectué par Michel Auvray sur l’institution militaire, à travers le bel ouvrage dont il a été rendu compte ici même, L’Âge des casernes (Le Monde libertaire du jeudi 22 octobre 1998)..
Comme nombre de ses compatriotes, Louis Barthas, qui exerce la profession de tonnelier dans sa région du Minervois, sera mobilisé en 1914 pour la « der des ders », cette fameuse guerre de 14-18 que dans son ironie mordante Georges Brassens disait être sa préférée. Patiemment, méthodiquement, cet ouvrier devenu caporal de l’armée française va décrire avec soin, dans des cahiers, les événements ! Louis Barthas sera en effet de toutes les tueries, de tous les massacres ou presque, de toutes les horreurs accumulées au cours de cette innommable boucherie.
C’est un récit terrible en même temps qu’un témoignage magnifique sur la folie guerrière et la barbarie militaire, écrit dans cette belle langue appliquée des instituteurs d’autrefois.
Et puis on tombe sur des passages comme celui-ci :
« Le lendemain 10 décembre en maints endroits de la première ligne les soldats durent sortir des tranchées pour ne pas s’y noyer ; les Allemands furent contraints d’en faire de même et l’on eut alors ce singulier spectacle : deux armées ennemies face à face sans se tirer un coup de fusil […] Français et Allemands se regardèrent, virent qu’ils étaient des hommes tous pareils. Ils se sourirent, des propos s’échangèrent, des mains se tendirent et s’étreignirent, on se partagea le tabac, un quart de jus ou du pinard. Ah ! si l’on avait parlé la même langue !
Un jour un grand diable d’Allemand monta sur un monticule et fit un discours dont les allemands seuls saisirent les paroles mais dont tout le monde compris le sens, car il brisa sur un tronc d’arbre son fusil en deux tronçons dans un geste de colère. Des applaudissements éclatèrent de part et d’autre et L’Internationale retentit. Ah que n’étiez-vous là, rois déments, généraux sanguinaires, ministres jusqu’au-boutistes, journalistes hurleurs de mort, patriotards de l’arrière, pour contempler ce sublime spectacle ! Mais il ne suffisait pas que les soldats refusaient de se battre, il fallait qu’ils se retournent vers les monstres qui les poussaient les uns contre les autres et les abattre comme des bêtes fauves. Pour ne pas l’avoir fait, combien de temps la tuerie allait-elle durer encore ? »
Oui, vraiment, quel beau livre, et quelle connerie la guerre !
Jean Robin