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L’énergie et l’Europe

Le jeudi 21 juin 1979.

Deux débats ont cours actuellement : le débat politique sur l’Europe et celui, non moins politique, de l’énergie. Les deux sont d’ailleurs indissociables sur un certain point : l’évolution industrielle de l’Europe.

Entre 1930 et 1960, la production d’énergie s’est accrue lentement en France à un rythme de 1 % par an ; pendant cette période, la France a pu effacer les suites d’une guerre, instaurer les congés payés et la Sécurité Sociale, et accroître le niveau de vie moyen des Français. À partir de 1960, avec les achats intensifs de pétrole, notre consommation d’énergie s’est brusquement mise à croître de 5 à 6 % par an, doublant en 13 ans environ. Or de cette « grande bouffe » énergétique, on ne peut pas dire que le niveau de vie du Français moyen, quant à lui, ait doublé…



Quel est l’usage de cette énergie ?

En Europe occidentale, plus de la moitié de l’énergie consommée au point de vue de l’utilisation, l’est sous forme de chaleur à basse température, pour usages domestiques, tertiaires et industriels. Plus de 20 % produit de l’énergie mécanique (véhicules de transports, moteurs industriels…). Le pourcentage des usages où l’électricité est réellement nécessaire (éclairage domestique, public, électronique, télécommunication, industries…) est faible, 7 à 10 % environ. Le reste va à la chaleur à haute température et au mouvement des véhicules difficilement électrifiables. Ces dernières années, l’électricité a représenté environ 20 % de la production énergétique française, 30 % de cette électricité étant d’origine hydraulique (soit 6 % de la production totale). Le reste est produit à partir de combustibles fossiles (charbon, gaz et surtout pétrole, enfin nucléaire). Or, si l’on considère l’électricité comme une énergie noble et propre, il ne faut pas oublier que son coût, même plus faible que d’autres énergies, reste la représentation la plus flagrante du gaspillage chronique de nos sociétés capitalistes actuelles. Les deux tiers de l’énergie des combustibles fossiles ou nucléaires sont perdus lors de la transformation en électricité. Le coût de l’électricité ne se mesure pas uniquement à sa production. Entre les sources d’énergie et les usages finaux, il y a en général des systèmes fort complexes pour les conversions d’énergie, son transport, sa distribution, etc. La moitié de la facture d’électricité couvre des coûts fixes de la distribution : lignes à hautes tensions, transformateurs, câbles, compteurs, personnel de maintenance, planificateurs, entres administratifs, ordinateurs, publicité, etc. La même ituation se retrouve d’ailleurs dans le système pétrolier…

La crise pétrolière que l’on connaît depuis 1973 a accentué l’évolution de la production d’électricité. L’ensemble des programmes énergétiques européens se sont d’ailleurs tournés vers la production plus importante d’électricité, notamment à partir du nucléaire. Or ces programmes nucléaires, s’ils se sont conçus dans une période de panique euphorique (plus de pétrole mais des techniciens de génie qui vous trouvent une nouvelle source d’énergie inépuisable : l’atome), panique et euphorie largement entretenues par une presse gouvernementale persuasive, ces programmes se trouvent à l’heure actuelle lentement mais sûrement remis en cause par les populations des États européens. Les derniers évènements des centrales nucléaires américaines n’ayant que confirmé la tendance au doute sur le tout nucléaire. Parallèlement à ce peu d’engouement pour le nucléaire, se développe un intérêt accru sur les énergies nouvelles, essentiellement solaires. Ces dernières offrent des possibilités non négligeables, et dont l’intérêt réside surtout dans leur relative facilité de mise en œuvre, leur capacité à produire suffisamment d’énergie pour réaliser des économies voire même, bien utilisées, la possibilité de rendre autonome l’usager.

Et c’est ici que se fonde le véritable débat sur l’énergie ! Qui produit l’énergie en France ? Pour toute énergie non électrique, les grandes sociétés internationales pétrolières ou charbonnières. Pour l’électricité, l’État-EDF associé aux mêmes sociétés internationales citées plus hauts. En sorte que nous dépendons à la fois du grand capital international et de l’État-providence, qui, chacun, assurent leurs petits profits sur notre besoin légitime d’énergie.

De fait, les recherches issues de la crise énergétique de ces dernières années se sont tournées essentiellement là où EDF et les sociétés internationales trouvaient leur intérêt. Ainsi, si les recherches sur le solaire ne se sont pas développées très vite, ce n’est pas uniquement pour une raison de coût financier moins rentable par rapport à des énergies classiques. En fait, les recherches sur le solaire se sont développées dès 1967-68, sous la protection de Ste-EDF. Mais ces recherches se sont portées non pas sur une utilisation immédiate de l’énergie solaire, mais sur la capacité de produire de l’électricité à partir du soleil. Si l’utilisation domestique du soleil est possible actuellement, c’est plus le fait de la volonté de quelques personnes privées, que des recherches d’EDF sur les centrales héliothermiques destinées à produire de l’électricité.

Au niveau de la politique énergétique européenne, il en est de même. On voit mal l’État-EDF abandonner son monopole de production-distribution, ni des sociétés internationales se faire nationaliser ou plus exactement européaniser. L’Europe sur le plan énergétique se constituera comme l’Europe industrielle : une concentration-rentabilisation de l’appareil de production !

Ainsi la France maintient-elle son programme nucléaire malgré les pressions des groupements écologiques, alors que d’autres États européens ont ralenti ou stoppé leurs programmes. Ce n’est pas tant que les techniques nucléaires françaises soient plus fiables, mais imaginez les profits réalisables pour les grandes sociétés une fois que l’anti-nucléaire sera réduit à quelques trublions. Non, n’imaginez pas que les industriels français soient en train de réaliser la plus belle affaire du siècle ; en fait la France se présente plus comme un havre paisible où l’ensemble des sociétés européennes qui ont investi dans le nucléaire met au point l’industrie nucléaire, et ce à l’abri des mouvements de contestation. Cela est réalisable non du fait d’une absence des mouvements antinucléaires français, mais du fait des structures de l’État français où même un référendum ne saurait renverser la vapeur, d’autant qu’EDF dispose d’un statut de monopole qui lui confère toute puissance, au point de développer un programme nucléaire qui, financièrement, dépasse de beaucoup ses capacités financières (même compensées par des emprunts publics). Or, pourriez-vous imaginez EDF déposant son bilan pour faillite financière ?

L’Europe au nom d’une union sacrée redéfinit la puissance de chacun : on restructure l’industrie selon l’intérêt des sociétés multinationales, et au détriment des travailleurs européens ; on élabore un parlement européen, mais on renforce le pouvoir exécutif dans chaque État ; on parle d’écologie, de mise en valeur du patrimoine européen, berceau du capitalisme et du socialisme réunis, mais on négocie le capitalisme nucléaire new-look dans les coursives des sur-régénérateurs et des usines de retraitement…

La crise de l’énergie, le plus beau support publicitaire que l’on ait créé depuis l’après-guerre ! L’énergie, il y en a ! Beaucoup même, puisqu’on considère généralement que l’énergie solaire reçue par la terre représente l’équivalent de 180 millions de centrales nucléaires ! Seulement voilà, le soleil tout le monde peut le prendre ! Monsieur, rendez-vous compte ! C’est l’anarchie ! Plus de contrôle possible, plus d’influence sur le comportement du consommateur… Mais Monsieur, et mes appareils ménagers, mes robots-minute à tout hacher, mes téléviseurs… ?… Vous n’y pensez pas… du chômage en perspective… et des profits en moins ! L’installation de capteurs solaires sur une maison, cela ne concerne que la petite entreprise, l’artisanat, l’auto-construction même. Les entreprises multinationales n’y trouvent pas suffisamment de profits à faire. Par contre la création de centrales héliothermiques, utilisant sensiblement la même technologie que les centrales classiques mais « bouffant » plus de terres : 30 hectares environ (de joyeux Larzac en perspective), le développement de l’utilisation des photopiles, etc., autant de recherches auxquelles , s’intéressent les grands groupes industriels européens, les mêmes qui travaillent avec EDF sur le nucléaire.

Là où une technologie nouvelle trouve une possibilité d’autonomie d’utilisation, on s’empresse de créer une nouvelle dépendance à un système !

Coordination Libertaire Nord-Picardie (transmis par liaison FA Valenciennes)