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Mort d’une librairie alternative

Le vendredi 15 mars 1985.

Les lecteurs assidus du Monde libertaire ont peut-être constaté dans le dernier numéro que le groupe de la Fédération anarchiste d’Angers cessait d’assurer ses permanences hebdomadaires à la librairie La Tête en bas, pour les tenir désormais au Centre d’animation de la Doutre (CAD). L’explication est simple : pas de mauvaise humeur entre nos camarades de La Tête en bas et le groupe FA ; non, aujourd’hui, la librairie alternative ferme définitivement ses portes, c’est tout et c’est déjà beaucoup.

La Tête en bas était née en 1976 ; librairie autogérée, diffusant la littérature et la presse alternative, gauchiste, libertaire. Quelques mois après son ouverture, trois militants fascistes l’incendiaient. La Tête en bas renaissait quelques semaines après, avec tous nos efforts, financiers et militants.

Elle devint au fil des mois et des années ce lieu unique de regroupement de tous les mouvements alternatifs sur Angers : groupe de libération homosexuel, groupe femme, coordination d’objecteurs, groupe FA, etc. La plupart des collectifs de lutte (affichage libre, boycott des Jeux olympiques de Moscou, de la coupe de football en Argentine, défense de
Roger Noël…) y tenaient leurs réunions publiques et privées.

En 1980, de sérieux problèmes financiers apparaissent. Tout ce que la ville compte alors de groupes militants, de sections syndicales ou de comités d’entreprises où les « alternatifs » ont du poids financent le déficit.

Fin 1984 : le collectif gestionnaire décide la fermeture de la librairie. Nouveau trou financier de plus de 300 000 F. Mais aussi, et surtout, La Tête en bas ne correspond plus à sa mission première : être le pôle de regroupement de tout ce qui est un peu différent, parallèle, alternatif, peu importe les mots, sur Angers. Tous ces gens ont disparu ou presque. Le bouillonnement alternatif de l’après-68 a fait place non pas à une organisation de masse fédérant et globalisant toutes ces luttes spécifiques, mais au désert et à la résignation.

La Tête en bas redevenait une simple librairie, plus sympa que les autres, c’est tout. Le dernier groupe à y tenir ses permanences et ses réunions publiques était notre groupe. Le collectif gestionnaire a refusé de devenir une équipe de simples commerçants. La librairie fermera donc ses portes à la mi-mars. Ce fait est symptomatique de
tout ce mouvement de l’après-68 qui avait eu le mérite de remettre au goût du jour toutes ces luttes de transformation de notre quotidien, mais qui s’était perdu dans la parcellisation et le refus, conscient ou inconscient, de globaliser l’ensemble des problèmes au sein d’un même mouvement, d’une même organisation.

Cette fermeture correspond à un recul des luttes, des organisations, que nous constatons hélas ! chaque jour un peu plus ; souvent pour faire place à la résignation et au repli sur soi-même, à la réapparition aussi des thèmes les plus réactionnaires, du libéralisme économique le plus sauvage, à la remise en cause du droit à l’avortement, en passant par le retour aux « saines valeurs » de la pédagogie traditionnelle.

La Tête en bas disparaît. C’est une page du mouvement alternatif et révolutionnaire angevin qui se tourne et avec elle, en ce qui me concerne, dix années de militantisme. Fait révélateur de la période : juste en face de la librairie, qui baissera définitivement ses rideaux le 15 mars, vient de s’ouvrir une boutique d’astrologie qui, elle, ne désemplit pas !

Patrick Gr. d’Angers