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Élections municipales

Gérons la ville nous-mêmes

Le jeudi 8 juin 1995.

Les professions de foi et les promesses de bien gérer demain les communes fleurissent sur les panneaux électoraux en cette veille d’élections municipales, apportant aux décors urbains et ruraux une touche de poésie derrière laquelle sont occultés bien des scandales.

Tout en réaffirmant notre refus du cirque électoral, et sans vouloir sembler prendre partie à une joute aux règles truquées par définition où dominent les intérêts personnels et les vanités politiciennes, il nous a semblé important de vous présenter des analyses de situations locales.



LILLE — « Gérons la ville nous-mêmes », c’est le thème de la campagne anti-électorale que mènent la Fédération anarchiste et le Centre culturel libertaire Benoît-Broutchoux pour les municipales des 11 et 18 juin. « Une nuit des abstentionnistes » a déjà eu lieu le 26 mai dernier sur Radio Campus. Celle-ci sera complétée le 10 juin, veille du premier tour, par une conférence-débat à 14 h 30 au CCL (1).

Cette conférence a pour but de définir une autre manière de gérer la ville. Eh oui, nous n’irons pas voter. C’est pourquoi nous tenterons de confronter nos expériences sur la métropole, sur la gestion directe des problèmes urbains. Nous débattrons avec des acteurs de cette action au quotidien, issus ou non de nos rangs, des militants associatifs dans le domaine du logement, de l’éducation, de la communication (Radio Campus), des droits des femmes, de l’action sociale… Nous essayerons de démontrer que l’autogestion d’un quartier, d’une ville, c’est possible.

Nous ne faisons pas confiance aux élus pour régler nos problèmes. Par contre, nous leur faisons confiance pour tirer parti du pouvoir que leur donne la mascarade électorale.

Celle-ci se jouera sur Lille entre Pierre Mauroy, pour le PS et l’union de la gauche, et Alex Türk, pour la droite, avec comme trouble fête Carl Lang, pour le Front national. S’il y a peu de chance, vu le score de Le Pen à l’élection présidentielle à Lille (un des plus faibles de la région, avec environ 10 %), que celui-ci parvienne à se maintenir au second tour, nul doute que les thèmes qu’il développe seront repris par l’un et l’autre des candidats concurrents. C’est déjà le cas de la toxicomanie qui, d’après certains commentateurs, sera l’un des thèmes centraux de la campagne.

Ils rasent gratis

Quant à la situation économique et sociale, gageons que Pierre Mauroy tirera un parti maximum de sa grande réalisation : le complexe économico-financier EuraLille. Lille a bien changé depuis une vingtaine d’années. Comme la plupart des grands centres urbains, la ville s’est débarrassée de son substrat populaire, renvoyé dans les banlieues environnantes. EuraLille est une touche finale qui doit achever de faire de la ville une métropole « moderne », une capitale européenne : commerces, banques, gare TGV… Rien n’y manque, si ce n’est l’affluence. Le centre commercial et la galerie ainsi créés sur les modèles couplés des Halles et de la Défense à Paris n’attirent pas la foule et semblent connaître des débuts très difficiles, ainsi que la location des appartements de standing…

Mais la ville est fière. Elle a son quartier d’affaires, surplombé par l’immeuble mégalo-ridicule d’une banque, construit en forme de L, comme Lille (le chauvinisme n’a pas de limites).

Autre grand projet, l’implantation de la fac de droit à la rentrée dans le quartier Moulins, au sud de la ville. Comme vous l’aurez deviné, c’était l’un des derniers quartiers populaires de la ville, mi-faubourg, mi-banlieue à la Vaulx-en-Velin. Quartier à forte population immigrée, évidemment. Cette implantation provoque une vague de spéculations immobilières qui est en train de vider le quartier de ses habitants. Bien sûr, les tours HLM qui le constituent en partie méritaient depuis longtemps d’être détruites. Mais que dire, lorsque ces destructions se font sans aucune concertation avec les premiers concernés, les habitants qui vont devoir se reloger ailleurs, et surtout pas à Lille où les loyers sont trop élevés.

Alex Türk n’est pas un inconnu sur la métropole : il était candidat RPR-UDF aux dernières municipales, et aurait bien remporté cette municipalité sans l’union de la gauche. Il aurait sans doute pu appliquer une politique semblable (pôle européen, gare TGV, police municipale…) à celle de la gauche, tout en l’assaisonnant des charmes de celle menée actuellement par le Conseil général du Nord et dont le Planning familial a fait les frais.

L’union de la gauche est donc toujours de rigueur à Lille : PS et PC font cause commune. C’est que le match est encore une fois serré, et Pierre Mauroy n’est pas du tout assuré de la victoire. Il a donc ouvert au maximum la liste de sa majorité, faisant ainsi appel à l’ex-président de l’université catholique de Lille. Toutefois les Verts, intégrés dans la précédente majorité municipale, s’en retirent en ordre dispersé. Si l’un d’entre eux reste sur la liste Mauroy et a quitté le parti écologiste, les autres présentent une liste soutenue par l’Alliance rouge et verte (AREV) et la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), conduite par l’un des dirigeants de la Ligue des droits de l’Homme, Pascal Cobert. Mais Marie-Christine Blandin, encore présidente du Conseil régional, se présente en numéro deux sur la liste du socialiste Bernard Carton à Roubaix. Ceci nous laisse rêveurs quant aux critiques qu’ont pu adresser communistes et écologistes au candidat Jospin, il y a quelques semaines encore.

Carl Lang reviendra une nouvelle fois, lui qui avait été parachuté par le FN lors des dernières municipales, après la défection de Pierre Ceyrac (entre autres président de CAUSA, bras droit de Moon en Europe), soutenir les thèses fascisantes du parti de la haine.

Mais la véritable nouveauté de cette élection, c’est l’arrivée en force de Martine Aubry, deuxième sur la liste Mauroy. Elle aussi parachutée, elle semble un des atouts majeurs du candidat, courant d’inauguration en réunion de quartier apporter la bonne parole de la démocratie « participative » et de la gauche responsable. Le programme de Mauroy s’en ressent, qui parle à qui mieux-mieux de comités de quartier, de consultations, d’élus proches du citoyen… sans toujours aucun contrôle du mandat ni révocabilité du maire par ceux qui l’ont élu.

Bertrand Dekoninck (grouope Humeurs Noires : Lille)


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