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Femmes …si vous saviez !

Le jeudi 15 juin 1995.

« Partout, l’homme souffre dans la société maudite : mais nulle douleur n’est comparable à celle de la femme » Louise Michel : 1886

Pour mieux comprendre l’actualité de cette phrase, il est nécessaire de donner un aperçu de ce qu’il en est aujourd’hui, de notre « société maudite ».

C’est dans un contexte terrible que devrait se tenir à Pékin en septembre 1995, la quatrième conférence mondiale de l’ONU sur les femmes.

« …devrait » parce que la Chine, craignant des manifestations d’hostilité, multiplie les tracasseries. (C’est un des pays au monde où les femmes sont le plus maltraitées). Si la conférence au sommet (composée par les délégations officielles) est maintenue, il est possible que le forum des ONG ne soit pas accepté.

Selon Amnesty International, qui dans ce cadre a lancé une vaste campagne de sensibilisation sur les violences faites aux femmes et pour le respect de leurs droits : « les gouvernements… laissent même entendre… qu’ils aimeraient limiter, au lieu de promouvoir, les droits civils et politiques des femmes lors de la conférence de Pékin ».

Parallèlement, au sommet mondial de l’ONU pour le développement social de Copenhague de Mars dernier, il a été déclaré : «  l’affranchissement des femmes est essentiel pour assurer l’avenir de l’humanité. »

Nous nageons en pleine contradiction, en pleine mystification.

Sur la planète, l’ensemble des femmes effectue les deux-tiers des heures de travail payées et non payées, ne reçoivent que 10% de la totalité des revenus et ne possèdent que 1% des terres. Le rapport de l’ONU sur le développement humain a établi que dans les pays industrialisés, la discrimination sexuelle se traduit généralement sur le plan de l’emploi et des rémunérations : les femmes n’ont accès qu’aux deux tiers des possibilités d’emploi, emplois le plus souvent sous qualifiés, et elles ne reçoivent que la moitié de la rémunération des hommes. Par ailleurs de nombreuses mesures sont prises pour favoriser soit le temps partiel, soit le retour au foyer.

Dans les pays « en développement », la discrimination est plus étendue : elle se manifeste dans l’emploi, quand emploi il y a, mais aussi dans l’éducation, les soins de santé et dans le soutien institutionnel. (par exemple, cent trente
millions d’enfants dont deux tiers de filles n’ont pas accès à l’instruction primaire, chaque année, cinq cent mille femmes meurent en couche sans compter les morts consécutives aux avortements clandestins.)

L’Assemblée Générale des Nations Unies (contre qui ?) a proclamé 1994 année internationale de la famille avec pour devise : « construire la plus petite démocratie au cœur de la société ». Mais la famille, unité de base de la société dans tous les pays, peut être le lieu de toutes les violences avec sa structure hiérarchique et inégalitaire.

À la conférence de l’ONU sur la population et le développement du Caire, on a souligné que l’enjeu politique fondamental était celui du droit des femmes, en particulier celui de contrôler leur fécondité.

Comment est-ce possible ?

« Quand les femmes sont monnaie d’échange, qu’elles sont vendues et prostituées, négociées en échange d’une dot. Quand on estime à cent vingt millions les femmes dont le sexe est mutilé » quand dans de nombreux pays la religion fait loi, quand les lois et coutumes discriminatoires en font des mineures à vie, enfermées et ignorantes de leurs droits, quand elles ne sont valorisées et soit disant protégées qu’en fonction du nombre d’enfants qu’elles mettent au monde, quand dans tous les actes importants de leur vie, elles sont soumises à l’autorisation du mari (par exemple pour la contraception), quand polygamie et répudiation sont autorisées.

Les violences à l’égard des femmes sont planétaires :
Dans les pays « en développement », une épouse sur trois serait battue, au niveau mondial une femme sur deux mille serait victime d’un viol. Aux USA, comme en Europe, quatre millions de femmes sont chaque année victimes de la violence de leur compagnon.

Les femmes sont également les grandes victimes des guerres et des conflits armés. Les civils représentent 90% des pertes en vies humaines, les camps de réfugiés abritent 80% de femmes et enfants. Les viols sont devenus armes de guerre.

Les femmes sont également victimes d’une répression spécifique de leurs activités militantes : politiques, syndicales, féministes, associatives (meurtres, arrestations arbitraires, tortures, viols, mauvais traitements.)

Ce nouvel ordre mondial dévastateur, il faut le souligner, est décidé sans les femmes, omni-absentes des instances de décisions politiques, économiques, financières et médiatiques.

Ce sont les « nouveaux conquérants » qui décident de l’allocation des ressources mondiales, définissent les valeurs et les enjeux, déterminent les priorités, déstabilisent les institutions et fixent les règles. »

Si tous les sommets initiés par l’ONU de Rio à Copenhague et bientôt à Pékin dressent un état du monde, ils apportent peu de solutions.

Au delà de l’absence d’engagements financiers des États, il n’est toujours, hélas question que de mesures d’assistance et d’attente. Les modèles de développement, les politiques d’ajustement structurel sont peu remis en cause. Comment s’en étonner, l’ONU n’est que l’émanation des grandes puissances. Par contre, inauguré au sommet de Rio, la réunion en même temps et dans la même ville des ONG de femmes, du nord et du sud, montre qu’un immense mouvement international de concertation est en train de naître.

Là, les femmes sont omniprésentes. Ces conférences internationales permirent de briser le contexte d’isolement dans lequel les femmes vivaient.

« Chacune dans son contexte national, communal, ethnique, religieux ou de classe, peut toucher du doigt l’universalité de l’oppression des femmes ». Elles purent réaliser que leurs souffrances n’étaient ni de leur fait, ni de leur faute et donc se libérer de la culpabilité d’en être elles-mêmes la cause (argument patriarcal type). D’autre part, elles prirent conscience qu’aucune justification religieuse ou culturelle n’était recevable puisque les prescriptions ou les interdits fluctuaient dans une même tradition en fonction des circonstances économiques, politiques.

Il s’en est suivi des moyens d’échange permanents : les réseaux inter-nationaux et leurs publications où toutes les formes de luttes sont représentées et considérées comme apportant leur contribution à la lutte commune avec comme postulat de base : l’entière autonomie des groupes gui collaborent.

C est une réponse libertaire : pas de centralisation, pas de soumission à une ligne de parti mais un effort commun pour essayer d’imaginer les conditions d’émergence d’un nouvel ordre mondial plus équitable.

Nelly Trumel