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La régularisation selon la gauche

100 000 expulsés en avril ?

octobre 1997.

Ça y est : le 1er novembre passé, plus de demande de régularisation possible. Les cent vingt mille sans-papiers qui avaient fourni leur adresse aux préfectures à la date du 3 octobre doivent maintenant être quelques milliers de plus à avoir fait confiance à un gouvernement de gauche. Sans avoir vraiment le choix, il est vrai : c’était ça ou continuer à croupir dans la clandestinité et la précarité. Pour beaucoup d’entre eux, il y a fort à craindre que ce sera maintenant ou croupir ou faire partie des prochains charters.

Au 3 octobre, selon le ministère de I’lntérieur, il y avait donc cent vingt mille demandes et seulement cinq mille régularisations. Soit très exactement 4,16 % de régularisés. On est encore très loin d’une régularisation globale ou même « généreuse ». Sachant que ces cinq mille premières régularisations sont les plus faciles à obtenir (des familles, des dossiers en béton…), combien y en aura-t-il, en avril, date butoir que se propose Chevènement pour boucler I’ensemble de la procédure ?

Certains sans-papiers de Lille sont maintenant à plus d’une dizaine de convocations à la préfecture du Nord dans le cadre de cette procédure. ll n’est pas injuste de penser que c’est là une manière de faire attendre ceux pour lesquels on sait déjà qu’on va prononcer un refus, afin que tout se passe sans trop de vagues.

Pourquoi en est-on là l Parce que la circulaire Chevènement s’inscrivait scrupuleusement dans le cadre des lois existantes, c’est-à-dire Pasqua, Joxe et Debré. Parce que le gouvernement s’est refusé depuis le début à abroger ces lois et à garantir au minimum une plus grande liberté de circulation et d’installation. Parce que la philosophie publique du gouvernement en la matière est la même que celle de Debré : « Tout ce qui renforcera la lutte contre I’immigration irrégulière facilitera I’intégration des réguliers », déclarait ce dernier au Parisien le 17 décembre 1996. « Si l’on facilite l’entrée aux quatre ving cinq millions d’étrangers qui visitent la France chaque année et si on rend la vie plus facile aux immigrés installés de longue date, il faut que tous ceux qui veulent se maintenir à toute force en situation irrégulière sur notre sol ne puissent le faire », trouve-t-on dans I’exposé des motifs de I’avant projet Chevènement.

Quant à une régularisation globale, les membres des partis au gouvernement ne cessent de décliner sur tous les tons que c’est absolument impossible. ll est d’ailleurs frappant de constater à quel point le discours de la gauche a changé depuis le printemps. De I’expression de la solidarité sans réserve avec un mouvement, on est passé à la vitesse de l’éclair au discours de gouvernants « responsables » et timorés.

En s’en tenant au statu quo actuel, ce seront des dizaines de milliers de personnes, voire cent mille qu’il faudra expulser à partir du printemps. Le risque est grand que la circulaire Chevènement devienne non pas une circulaire de régularisation mais la plus importante mesure d’expulsion de ces dernières années. Grandeur et décadence de la social-démocratie !

Lors d’une interview au Parisien paru le 13 octobre 1997, Lionel Jospin I’affirmait haut et fort : « Le gouvernement n’a pas choisi de donner des papiers à tous […] Les personnes dont la demande sera rejetée devront quitter le territoire. » On aurait préféré entendre ce discours-là en avril dernier plutôt qu’un unique et démagogique engagement à abroger les lois Pasqua-Debré prononcé dans la fougue d’un meeting électoral à Paris ! Les choses auraient été plus claires pour tous.

Déjà, le gouvernement, qui se soucie de son image, se demande ce qu’il fera des dizaines de milliers de refus : les forcer à retourner dans Ia clandestinité ou les expulser. Déjà, il parle « d’aide au retour ». Déjà, il négocie avec les pays d’origine des sans-papiers leur rapatriement.

Voilà comment la gauche, à partir d’un mouvement qui pouvait laisser il y a un an les plus grands espoirs d’en finir avec les lois racistes, va réussir à renforcer le bourbier des lois scélérates !

Bertrand Dekoninck, groupe Humeurs noires (Lille)