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Après le vote, expulsions et bastonnades

Le jeudi 6 juin 1985.

Abdel Aziz Hammouchi a 23 ans. De nationalité marocaine, il vit à Lille avec toute sa famille depuis 1974. En avril 1984, suite à une tentative de vol, il passe devant une commission qui prononce une mesure d’expulsion, ignorant ainsi l’avis favorable du juge d’instruction pour sa mise en liberté conditionnelle.

Abdel Aziz Hammouchi

En juin 1984, le ministère de l’Intérieur confirme la décision de l’expulser. Pendant deux mois et demi, Abdel Aziz est traqué par la police jusqu’au jour de son arrestation le 27 août 1984. Il sera incarcéré à Loos-lez-Lille le 18 mai 1985 en vue d’être expulsé. Aussitôt, ses proches et les antiracistes (dont la Coordination immigré(e)s, le Comité de résistance anti-fasciste et la Fédération anarchiste) se mobilisent. Une cinquantaine de personnes se rassemblent devant le commissariat. En effet, Abdel Aziz a « purgé largement sa peine » et n’aurait le cas échéant aucune difficulté de réinsertion puisqu’il est titulaire d’un CAP de tourneur, qu’il a travaillé pendant trois ans et qu’il est préposé actuellement à un stage d’animateur pris en charge par l’association APECA (ceci n’est pas un argument, mais décrit la situation).

Dans ces conditions, il est intolérable qu’il subisse une double sanction : condamnation et expulsion (rappelons qu’il s’agit là d’une loi votée il y a quelque temps par les socialistes). Depuis le 18 mai, les antiracistes campent nuit et jour devant le commissariat central. Les violences policières n’ont pas tardé. Un jeune immigré, mineur, s’est vu embarqué par les flics qui lui ont tiré les testicules et ont fait mine, ostensiblement, de le sodomiser avec une matraque. Le 21 mai, le ministère de l’Intérieur confirme une nouvelle fois l’arrêté d’expulsion. Abdel Aziz est en grève de la faim depuis deux jours.

Le même jour, les antiracistes décident d’occuper le siège local du Parti socialiste. Un responsable de la fédération socialiste du Nord, adjoint au maire de Lille (M. Windels, moustachu d’une cinquantaine d’années portant des lunettes), s’emploie à les faire dégager. Manifestement, cela ne fait pas l’unanimité parmi les militants socialistes présents. L’un d’entre eux se rebiffe, déclarant son désaccord. Il s’entend répliquer par l’adjoint au maire : « Va plutôt boire ton biberon, petit merdeux ! » Des injures racistes fusent de la bouche des secrétaires. Les militants antiracistes continuent d’occuper calmement les locaux en exposant le cas des deux immigrés lillois en instance d’expulsion (cf. le cas d’Ali Adoul). C’est après un mot de l’adjoint au maire (« Faites le nécessaire ! ») que les flics interviennent. Les occupants s’allongent par terre et la bastonnade commence.

Les camarades se font traîner de flic en flic, claquer la tête contre un mur, recevant coups de pieds, coups de matraques et dévalant les escaliers sur le dos. Un des militants de la Fédération anarchiste en sort avec l’arcade sourcilière ouverte par un coup de pied (trois points de suture). Pendant ce temps, les voisins s’indignent du comportement de la police. Quant à La Voix du Nord, fidèle à son habitude et comme son nom l’indique presque, elle fait le mort et refuse de recevoir les antiracistes.

Abdel Aziz qui, notons le au passage, risque la prison marocaine pour délit d’opinion (il militait à la CGT et son dossier judiciaire le suit), a été expulsé le 22 mai en début de soirée.

Ali Adoul

Jeudi 14 mars, à 6 heures du matin, une vingtaine de policiers font une perquisition au domicile de militants d’extrême gauche lillois. Ceux-ci ne seront par ailleurs nullement inquiétés. Un de leurs voisins, en revanche, totalement étranger au motif de la perquisition, mais muni d’un faux passeport, est embarqué. Il s’agit d’Ali Adoul.

Ali Adoul est de nationalité algérienne et est arrivé en France il y a dix ans, à l’âge de 18 ans. Dès 1975, il tente de régulariser sa situation. Devant les difficultés qu’il rencontre, il est obligé de survivre de petits travaux au noir. En mars 1982, il participe à l’occupation de l’église de Wazemmes avec d’autres travailleurs sans papiers pour obtenir une carte de séjour officielle. Il dépose un dossier chez maitre Tillie à Lille et reçoit à plusieurs reprises des promesses encourageantes de M. Le Gal, commissaire de la République (c’est-à-dire préfet) jusqu’en février 1983. Depuis, son dossier, qui a été pourtant suivi par la Ligue des droits de l’homme et le MRAP, n’a jamais reçu de réponses précises.

Pendant ce temps, il est obligé de survivre clandestinement et se voit contraint
d’employer un faux passeport pour se faire soigner les dents. C’est pour ces motifs qu’il est inculpé et détenu (d’abord à Loos-lez-Lille, puis à Fresnes) depuis le 15 mars 1985. Les antiracistes lillois se mobilisent et Ali Adoul est transféré à Fresnes après 30 jours de grève de la faim. Il est immédiatement conduit dans un QIG (quartier des isolés et des grévistes).

Rappelons à ce propos ce que Thierry Maricourt, insoumis au service national, emprisonné à Fresnes. relate des QIG dans le Monde libertaire du 16 mai 1985 : « J’ai été en compagnie d’un gréviste de la faim au QIG qui en était à près de 60 jours. En cellule, la température flirtait avec les 11° ou 12° C. Les grévistes ne sont transférés à l’hôpital que lorsqu’ils sont moribonds. J’ai été en cellule avec des suicidés rescapés. L’un avait avalé des lames de rasoir. Un autre avait avalé des lames de rasoir et de plus tenté de se pendre. Leur état n’était pas jugé suffisamment alarmant pour justifier un transfert à l’hôpital […] ».

Dès son arrivée à Fresnes, Ali Adoul est sommé par les matons de porter lui-même sa valise. Avec sa grève de la faim, il est bien évidemment dans l’impossibilité physique de le faire. C’est alors que les matons s’emparent de lui et le passent à tabac. Le sous-directeur de la prison lui dira « Si tu avais arrêté ta grève de la faim, on t’aurait aidé à porter ta valise » (notons à propos de cette grève de la faim que l’administration pénitentiaire refuse à Ali le droit de se marier avec sa compagne française étant donné son état de santé !). Depuis Ali Adoul refuse toujours de s’alimenter. Il va de soi que, si ce n’est pas déjà fait, Ali doit plus que jamais être soutenu à l’intérieur et à l’extérieur de la prison.

Ali a entamé une grève de la soif depuis le 21 mai au matin. On peut lui écrire à l’adresse suivante : Ali Adoul, numéro d’écrou 746 348, cellule 96, QIG, maison d’arrêt de Fresnes, avenue de la Division-Leclerc, 94261 Fresnes cedex. On peut également demander sa libération en contactant madame le juge Knecht, palais de justice de Lille, avenue du Peuple-Belge, 59000 Lille.

En conclusion

Les cas d’Abdel Aziz et d’Ali Adoul ne sont pas des cas isolés. Neuf mille cinq cents immigrés ont été expulsés en 1984, et aujourd’hui de nombreux immigrés (dont personne ne parle car ils sont coupés de toute forme de soutien) subissent quotidiennement la même détresse, victimes du sadisme, de l’humiliation et de véritables tortures physiques et psychologiques.

Alors qu’à longueur de pages et d’antennes, les dirigeants socialistes affectent de se placer « à la pointe du combat pour les droits de l’homme » (dixit M. Mitterrand), alors que partout on ne dénonce que le Chili ou la Pologne, il importe de balayer devant notre propre porte. Si le fascisme n’est pas encore là, le danger de fascisation est réel. On s’en prenait aux juifs, on s’en prend maintenant aux immigrés projet de création d’un centre de rétention pour faciliter les expulsions à proximité de l’aéroport de Lille-Lesquin, lois contre le regroupement familial, aménagement légal de la double peine (taule et expulsion). Mitterrand, qui enverra le Front national à l’Assemblée, a-t-il déjà abdiqué devant Le Pen ? Non aux expulsions !

Gr. de Lille


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