Accueil > Archives > 1993 (nº 896 à 938) > .926 (30 sept.-6 oct. 1993) > [Paris-Galère pour les mal-logés]

Paris-Galère pour les mal-logés

Le jeudi 30 septembre 1993.

Les sans-logis du 41, avenue René-Coty ne sont pas prêts de retrouver un logement. Malgré leurs actions de la semaine passée, ils n’ont pas réussi à faire céder une mairie de Paris qui, parce qu’elle trouve cela « injuste et immoral » (selon son premier adjoint Jean Tibéri), se refuse à « reloger en priorité des squatters ». Drôle de sens de la moralité et de la justice.

Les manifestations de mercredi 22 et du vendredi 24 se sont soldées par des échecs : la mairie campe sur ses positions. Les sans-logis s’étaient pourtant résolus à rappeler le très médiatique abbé Pierre, pour tenter de faire fondre l’âme charitable et chrétienne des responsables. Il aura obtenu une réponse de jésuite de la part du conseiller de Balladur : on leur paye l’hôtel quelques jours, on discute et on voit si on peut envisager éventuellement l’engagement d’une procédure de recherche de logements ! Comprenez : on vous prend pour des cons et disparaissez. Les familles l’ont bien compris, elles, qui continuent d’exiger des propositions de reloge-ment fermes et écrites (la parole de la Ville de Paris ne vaut pas grand-chose. L’expérience le prouve, en pareil cas). Une nouvelle manifestation était prévue mercredi 29 à 18 h, du 41, avenue René-Coty jusqu’à la mairie de Paris.

La politique gouvernementale, en matière de logement, notamment, s’apparente à une bonne vieille recette qui rappelle le XIXe siècle. Elle compte trois éléments fondamentaux : d’abord satisfaire les riches ; ensuite faire la charité aux pauvres ; enfin, pour faire mijoter le tout, calmement, quelques coups de matraques. Évidemment, pour les expulses et les squatteurs ! Le député du quatorzième arrondissement se propose même de criminaliser les occupations illégales, avec des peines de prison à l’appui. Il a annoncé la prochaine proposition d’une loi dans ce sens. En outre, depuis janvier 1993 (merci au gouvernement socialiste), la « trêve hivernale » n’existe plus pour les occupations illégales : les squatteurs peuvent être expulsés à n’importe quelle époque de l’année. Seuls les locataires en titre seront protégés des expulsions à compter du 15 octobre prochain.

Côté charité, le gouvernement Balladur vient d’annoncer son intention d’offrir, d’ici trois ans, dix mille places supplémentaires pour l’hébergement d’urgence des SDF en Ile-de-France. Cela doublera la capacité d’hébergement de la région. Ce sera, malgré tout, fort peu face aux dizaines de milliers de sans-abri de la capitale. Les Restos du Cœur sont plus que jamais d’actualité. Les propriétaires pourront apaiser leur conscience tourmentée chaque hiver par ces reportages télévisés sur les sans-logis.

Ils en auront les moyens, car le gouvernement vient également d’annoncer l’abaissement du seuil d’imposition des SICAV monétaires à 50 000 francs, afin de favoriser l’investissement dans la pierre, défiscalisé il y a quelques mois. En outre, rappelons l’« assouplissement » des hausses de loyers en région parisienne.

La question du logement prouve l’absurdité de la société actuelle : des dizaines de milliers de logements et de bureaux sont vides, interdits d’accès aux dizaines de milliers de sans-logis. Les anarchistes se sont attachés de longue date au combat contre les expulseurs et les propriétaires. Ils ont également proposé des solutions de gestion collective de
l’habitat et de suppression de la propriété privée du patrimoine immobilier.

Aucun doute que l’hiver, comme chaque hiver, sera difficile. La présence sur le terrain des anarchistes pourrait être un peu de ce levain qui, de la détresse, fait naître non pas la pitié des spectateurs impuissants, mais la révolte des insoumis.

Bertrand Dekoninck (gr. Louise-Michel Paris)