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Droit en faillite

Le jeudi 15 juin 1995.

L’ordre moral, c’est bien là l’ennemi désigné des droits des femmes et du droit à toute différence. Idéologie rétrograde et liberticides dont les thèses sont reprises invariablement par les intégristes de tous bords et les religions dites modérées, l’extrême-droite et la droite dite traditionnelle aussi… sans oublier le bien-pensant PS ; en effet, qui s’est opposé en tant que Premier Ministre à la diffusion de spots télévisés sur la contraception sinon Pierre Bérégovoy ? Sous le secrétariat d’État de qui, plusieurs pilules n’ont plus été remboursées, sinon celui de Véronique Neiertz ? Sous quelle majorité des Conseils Généraux ont fermé des Centres d’Interruption Volontaires de Grossesse (CIVG), comme celui d’Haubourdin (Nord), sinon une majorité socialiste ? La liste est longue.

Une guerre avec des résistants et des collaborateurs (les médecins brandissant la clause de conscience comme un aussweiss pour le paradis), des opérations
commandos (devant les CIVG), des exodes (en bus vers la Catalogne ou les Pays-Bas, là où on peut avorter en sécurité quand on se retrouve hors délais en France).

Oui, c’est bien à une guerre qu’en nos pays pacifiés les femmes sont livrées.

L’actualité du droit à l’avortement ne peut que nous inquiéter et nous inciter à reprendre les armes. On peut ainsi énumérer comme une longue litanie les villes où les CIVG sont en difficultés — doux euphémisme — : à Nevers, le centre a purement et simplement fermé ses portes, à Grenoble et Chambéry le nombre de postes à été réduit de moitié. La liste n’est pas exhaustive. Les médecins travaillant dans ces centres n’ont toujours pas de statuts propres, ce qui contribue a décourager les éventuels intéressés ou à rebuter les indécis. À part ces critères très objectifs des détériorations des services des CIVG, il faut aussi mentionner les difficultés d’accès à l’avortement dues aux tracasseries administratives diverses, aux délais trop courts (les délais en France sont parmi les plus courts d’Europe), à la limitation de ce droit pour les femmes mineures ou étrangères… Et la loi de 1920 criminalisant l’avortement n’est toujours pas abrogée ! Bref, la petite victoire dont on a soufflé les vingt bougies cet hiver est bien fragile. Le gouvernement actuel ne nous rassure pas sur ce plan. Et l’influence réactionnaire de personnalités telles que Colette Codacionni (chargée de la Solidarité entre les Générations) ou Élisabeth Hubert à la Santé ne peut que nous inciter à la plus grande vigilance.

Les actions commandos devant les CIVG se sont multipliés ces derniers mois. La loi Neiertz qui était censée donner des sanctions pénales à ce type d’action, n’est pas vraiment appliquée. Certes, les responsables sont cités à comparaître, mais les tribunaux sont si indulgents que cela n’a aucun sens.

Même le droit à la contraception chancelle. À ce jour, aucune pilule dite de la troisième génération, n’est remboursée. Les besoins d’information sur la question ne sont toujours pas pris en compte.

Comme symbole de cette régression tous azimuts, citons la fermeture en avril dernier des centres de planification du Nord au terme de deux ans de lutte contre le Conseil Général… Les vingt-cinq mille personnes (essentiellement des jeunes) qui s’y rendaient chaque année, qui pour s’informer qui pour obtenir la pilule gratuitement, n’ont plus qu’à se débrouiller seules maintenant, ou s’en remettre à Dieu… Mais le Conseil Général a tout prévu, et une partie des budgets autrefois alloués au planning, va finir dans les caisses d’associations telle que Couple et Famille ou le CLER. Le nom de la première est assez évocateur et les pratiques de leur membre au cours de entretiens pré-IVG ne viennent pas démentir la première impression. Quant au CLER, organisme catho, il affiche très clairement son opposition à l’avortement. Ses adeptes se sont vus néanmoins confier la conduite d’entretien pré-IVG à Cambrai notamment et eux aussi vont profiter à coup sûr, de la fermeture du Planning et de l’idéologie qui préside au Conseil Général.

Malheureusement, ces attaques contre le Planning ne se limitent pas au département du Nord. Des Plannings d’autres régions ont eu leur part de soucis. Ainsi, les centres de Loire-Atlantique, de l’Isère ont subitement cessé suite à l’incarcération d’Alain Carignon. Dans d’autres département, des Plannings ont eu des difficultés à renouveler les conventions les liant avec les DASS, leur dossier traînant en longueur.

Si l’on ajoute à cela la difficulté croissante des femmes à trouver un emploi (la mentalité ambiante et le salaire parental sont là pour retrouver très vite le chemin du foyer), les différences de salaires entre hommes et femmes pour des compétences équivalentes, le travail à temps partiel, salaire d’appoint imposé aux femmes… Bref tout cela est bien noir.

Et comment se satisfaire des quelques maigres victoires acquises ces dernières décennies sous forme de lois restrictives et mal appliquées le plus souvent. Elles participent de ce paradoxe difficile à supporter : non seulement les femmes ont besoin de lois pour faire valoir leur droits élémentaires alors que les hommes (a fortiori blancs) bénéficient de ce type de droit, naturellement, mais en plus, ces lois ne sont pas respectée…

Alors rien n’est jamais acquis à la femme, mais luttons ! Revendiquons ! Exigeons !, il en restera toujours quelque chose.

Thérèse (Lille)