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Privatisation de l’enseignement

Facs à vendre

Le jeudi 29 mars 2001.

La crise économique, la croissance du chômage aidant, le patronat se lance depuis le début des années 80 dans une politique internationale de déréglementations et d’accroissements des profits. En 1999 le patronat français (MEDEF) lance une nouvelle offensive, la refondation sociale : ouverture de nouveaux marchés, croissance des taux d’exploitations, gestion de la masse des chômeurs et chômeuses, de précaires (la classe dangereuse !).

L’école, l’enseignement supérieur n’échappe pas à cette donnée. Et la démission d’Allègre (comme l’a été aussi celle de Devaquet et de Monory en 1986) ne fait que freiner (c’est déjà ça…) la privatisation de l’enseignement. Lang a changé de style par rap-port à son prédécesseur autocratique et arrogant, néanmoins sa politique reste la même. L’enseignement, l’université qui normalement devrait avoir comme vocation de permettre de se construire une pensée, une réflexion, qui devrait nous donner les capacités de comprendre « notre » monde se soumet de plus en plus aux intérêts patronaux.

Réduction des dépenses publiques

Cette politique passe d’abord et avant tout par une réduction des investissements publics. D’abord vis-à-vis du personnel de l’Éducation nationale : généralisation de la précarité, maîtres-auxiliaires, CES, emplois-jeunes, contractuels… La seconde source de réduction des coûts publics est celle des frais d’inscriptions. Attali dans son rapport rappelle cette réalité : « Alors que dans les universités, l’enseignement est pratiquement gratuit, il est payant dans certaines écoles ». Et on ne peut ignorer que les frais de certaines écoles peuvent grimper jusqu’à 40 000 F/an. De même la situation européenne peut être préoccupante avec plusieurs universités qui sélectionnent dès l’entrée avec des coûts prohibitifs supérieurs à 20 000 francs par an. Pour financer de tels frais, le rapport Attali prévoit de remplacer les bourses par des prêts bancaires, nécessitant une hypothétique caution avec la dépendance que cela peut engendrer. La réduction des coûts ne pouvant pas s’effectuer sur le seul dos des étudiant-e-s, on envisage aussi d’accroître le financement des entreprises. « Des entreprises devront être incitées à financer des bourses, des bibliothèques, des modules de recherches. » (Allègre 1998).

Rentabilité économique de l’université

Bien évidemment cet investissement n’est pas « gratuit » ! Allègre poursuit : « Mais en contrepartie, les entreprises auront une participation essentielle dans la définition des contenus, dans le choix des filières, et domaines de recherche à valoriser ». Tout est dit ! Quand dans un premier temps, le patronat finance quelques projets « innovants », organise des forums, ce n’est pas pour offrir des emplois mais pour modeler l’université selon ses souhaits. Exit la construction d’une pensée objective, exit la réflexion historique ou philosophique…

Rentabiliser l’université c’est dans un premier temps supprimer les filières
non rentables. C’est ainsi que le rapport Attali retient quatre pôles intéressants : sciences, gestion, droit et médecine. Les autres filières peuvent éventuellement être nécessaires à l’épanouissement de l’individu-e mais sont secondaires, optionnelles. C’est ainsi que sur Nantes comme ailleurs, on a souhaité supprimer la filière Histoire l’art, Portugais…

Quant aux filières dites rentables, leurs programmes sont soumis aux conditions du marché : par le projet de 3 cycles (3, 5 et 8 ans avec suppression du
DEUG et DEA) et la création d’une année de stage en entreprise, une participation croissante du patronat dans les instances universitaires (conseil d’administration, conseil scientifique…).

Des facs poubelles à la fin de la validité permanente des diplômes

Toujours dans une logique de réduction des coûts mais aussi afin de provoquer une concurrence entre les universités ainsi qu’une plus grande sélection, l’objectif est de créer des pôles d’excellences. « Toutes les disciplines ne peuvent être développées sur tous les sites, de même il n’est pas possible de développer des laboratoires de recherches d’excellences dans tous les domaines et sur toutes les implantations » (Allègre 98). Pour autant, les étudiant-e-s ne se déplaceront pas forcément pour suivre la filière de leurs choix (coûts, limite du nombre d’inscriptions…). On est dans une logique de concurrence entre universités avec un accroissement du clivage entre facultés poubelles et facultés d’élites par la création de pôles d’excellences. Les facs de riches recevront plus de moyens financiers et leurs enveloppes financières seront soumises à une évaluation stricte selon des critères non définis mais que l’on imagine aisément… De même « aucun diplôme n’aura plus de légitimité permanente… Il devra être réactualisé par une pratique professionnelle. » Cette mesure est à mettre en parallèle avec ce qu’il se passe dans les négociations autour de la réduction du temps de travail : la formation professionnelle s’effectuera sur son temps libre et permettra des notations, des évaluations très larges et très arbitraires par les patrons… On remet ainsi en cause le diplôme, qui tout aussi inégalitaire et arbitraire qu’il pouvait être, était reconnu par les conventions collectives et assurait ainsi un minimum de droits et de revenus…

Radicalisons et globalisons nos luttes

Face à la privatisation de l’enseignement la stratégie nationale des UNEF (syndicats étudiants) semblent dérisoires par rapport aux enjeux : trop corporatiste (lutte pour le seul maintien de sa filière), absence de volonté de créer un réel rapport de force national et/ou européen, cogestion (présence au sein des instances universitaires sous prétexte d’avoir les informations, de prises de décisions secondaires, les syndicats participent ainsi à un système antidémocratique où les réelles décisions sont prises par l’État et le patronat et non par les étudiant-e-s et salarié-e-s).

Au-delà de vaines luttes corporatistes, et mêmes si nos luttes auraient tout intérêt à se fédérer à l’échelle européenne, à se fédérer avec d’autres secteurs en luttes (salarié-es), nous devons impulser une lutte radicale contre ce projet de privatisation. Et sans attendre demain, au risque de se réveiller trop tard, au risque d’aménager l’accessoire sans toucher à l’essentiel.

groupe F.A. Nantes