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L’Autogestion, un antidote au parlementarisme

décembre 2006.

Si le mot "autogestion" n’est arrivé que tardivement dans notre vocabulaire, il recouvre pourtant une histoire riche et ancienne et représente un ensemble de pratiques populaires actuelles et d’horizons culturels bien différents.

Le mot qui signifie littéralement "gestion par soi même" a surtout circulé dans les années 60. Il désigne des formes d’organisation, souvent à grande échelle, dont l’objectif est de permettre à des travailleurs, des usagers, des consommateurs, ou n’importe quel autre groupe social, de s’organiser eux-mêmes pour gérer directement : production, consommation, biens ou services en commun, habitat, luttes sociales…

Des travailleurs redémarrent l’entreprise abandonnée par les patrons, des consommateurs se rassemblent et créent une coopérative de produits alimentaires, des citadins se regroupent et se mettent en relation directe avec un agriculteur, des parents créent une association pour ouvrir une crèche parentale ou une école associative, des habitants créent une association de quartier… L’autogestion trouve la place qu’on lui accorde.

Il n’existe aucun modèle d’autogestion, ce qui est un signe de profond pluralisme. Mais ses caractéristiques sont de conjuguer démocratie directe, refus des rapports hiérarchiques, recherche de l’égalité économique et sociale, partage des savoirs et des responsabilités voire des biens, autonomie et transparence des décisions. L’autogestion est à la fois un outil d’organisation et une éthique, un but à atteindre et la méthode employée pour y parvenir.

En partant de la Commune de Paris de 1871 où les Parisien-nes insurgé-es et assiégé-es s’approprient et organisent la vie quotidienne dans la capitale, en passant par les épisodes révolutionnaires et les insurrections populaires de divers pays dont l’Espagne et son formidable mouvement autogestionnaire de 1936 à 1939… en arrivant aujourd’hui aux entreprises sans patrons d’Argentine et d’ailleurs… les aspirations les plus profondes pour s’émanciper se sont souvent exprimées à travers des épisodes autogestionnaires.

L’autogestion, comment ?

L’autogestion, organisée sur un plan fédéral (communal, régional, par branche d’activités…) est une proposition d’organisation, où personne — homme ou femme, français ou non, salarié ou chômeur… — n’est écarté. Elle part d’une démarche simple qui est de rassembler des personnes concernées par un centre d’intérêt et qui souhaitent produire leurs modes de décision, contrôler leur expression, leurs revendications, sans récupérations. Elle n’empêche pas la délégation mais la contrôle strictement : rotation des fonctions, transparence et accès aux informations, contrôle de l’application des décisions, assemblées souveraines, refus de professionnaliser la fonction de représentant…

Cette proposition autogestionnaire trouve déjà un écho concret et quotidien si l’on songe aux dizaines de milliers d’associations en France, aux centaines d’entreprises coopératives, aux systèmes d’échanges locaux (SEL), aux coopératives de consommateurs (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne, coops bios…), aux comités de lutte (sans papiers, mouvements contre le CPE…)… Ces formes d’autogestion partielle sont autant d’affirmations de nos capacités et de nos désirs à décider nous mêmes, voire à gérer directement tout ou partie de la société.

L’autogestion, pourquoi ?

La démocratie parlementaire repose sur une prétendue égalité des droits qui fait bon ménage avec l’injustice sociale ; son fonctionnement repose sur une délégation des pouvoirs vers les élu-es. Nous n’avons aucun moyen de contrôler voire révoquer ces carriéristes de la politique qui défendent trop souvent des intérêts qui ne sont pas les nôtres (financements occultes, détournements de biens publics, privatisations des services publics, lois anti sociales, soumission à l’oligarchie capitaliste…). En démocratie parlementaire, il y a bien un clivage entre riche et pauvre, entre élu et électeur.

Pendant que les trahisons, l’exploitation, l’injustice de classe, le racisme, l’expression brutale du Pouvoir… sont légitimées par ces élites, qu’elles soient politiques, patronales ou économiques, l’autogestion propose à tous un formidable antidote collectif qui peut permettre une émancipation de ces tutelles. La réapropriation de nos outils de travail, de notre cadre de vie, de nos méthodes de lutte collective, de nos modes de décision… sont un apprentissage quotidien vers l’autonomie et la liberté, contre le capital et les politiciens, qu’ils soient fascistes ou d’extrême gauche. Quand nous nous regroupons et que nous trouvons les moyens d’exprimer nous-mêmes l’injustice, les politicards ne servent plus à rien.

Pour les anarchistes, l’autogestion généralisée, que nous qualifions de "libertaire" (c’est à dire associée aux valeurs d’égalité, d’entraide, d’émancipation politique et économique), est le plus sûr chemin vers la responsabilisation et l’intérêt collectif, la démocratie directe, l’abolition du patronat, à la recherche d’une cohésion sociale qui échappe aux règles capitalistes de la concurrence et aux lois autoritaires d’organismes pourtant censés nous représenter.

Si nous appelons à s’abstenir aux élections, c’est parce que nous pensons que les systèmes de représentation parlementaire ne sont pas émancipés du capital, et pérennisent un système politique qui s’est délégitimé. Notre proposition alternative est une société d’égaux où chacun-e doit avoir le droit de s’associer aux autres, pour participer, décider, et mandater — autrement qu’avec un bulletin de vote, tous les cinq ans — des représentants qui doivent rendre compte devant leurs mandataires. Si nous nous abstenons, c’est que nous assumons nos responsabilités en appelant à ne pas se reposer sur le personnel politique ; c’est surtout pour appeler à construire quotidiennement l’autogestion, depuis nos lieux de travail jusque dans nos quartiers ou associations. C’est un plus sûr chemin vers la liberté que la dépendance aux politiciens offerte par la représentation parlementaire !

Daniel — groupe Gard Vaucluse