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Compañero !

Le jeudi 8 octobre 2009.

Il a passé son enfance en Argentine, il y a été à l’école et y a rencontré le mouvement anarchiste. Il y a aussi été emprisonné à plusieurs reprises. Après avoir passé son bac, il a quitté l’Argentine et s’est installé en Allemagne. De l’Argentine, il a gardé sa connaissance de la langue espagnole, mais aussi des contacts avec les anarchistes d’Espagne qu’il a conservés jusqu’à nos jours.

De ce milieu de gauchos libertaires de Patagonie, il lui restait jusqu’à nos jours son goût pour la viande de bœuf et ses blagues sur les végétariens et végétaliens libertaires que je pouvais bien tolérer car elles n’étaient jamais insultantes. La tolérance pour tous les courants libertaires était son style, c’est pour cel que tout le mouvement anarchiste de langue allemande (et ceux qui le connaissaient au niveau international) est en deuil aujourd’hui. Une fois, il m’a raconté comment il a descendu la Canebière avec René Bianco en cherchant un bon restaurant pour savourer une bouillabaisse. Oui, il goutait la vie. Et chaque fois que notre groupe régional de Graswurzelrevolution, situé à Heidelberg, l’invitait pour une conférence, il distribuait tout d’abord quelques amuse-gueule et des petites friandises, au cas où il deviendrait ennuyeux. Ce n’était jamais le cas, bien sûr, puisque Horst Stowasser était l’un des orateurs les plus jouissifs, plein d’humour et de vie que j’ai connu. Il était un bon vivant. Cette année encore, son nouveau livre vient de paraître en langue allemande, Sur les chemins du bonheur : un voyage un peu anarchiste de jouissance à travers la France [1] raconte les spécialités culinaires et les bons restaurants ; et je suis sur que les balades avec René Bianco et la bouillabaisse de Marseille font partie de ce voyage…

Ses publications sont tout d’abord restées sur les rails de son anarchisme argentin. Il a écrit au début des années 1970 d’abord sur les marins de Kronstadt puis sur Makhno — des récits très violents. Le lisant, on pouvait entendre les guerriers de Makhno surleurs chevaux tomber au galop sur les troupes des Blancs et des Rouges. Mais avec le temps il a petit à petit changé ses opinions et depuis plusieurs années il est devenu l’auteur régulier d’articles non-violents dans Graswurzelrevolution et d’autres revues libertaires de langue allemande. Mais il est surtout connu pour ses livres qui racontent l’histoire de l’anarchie dans une langue attirante et concrète, comme Leben ohne Chef und Staat (Vivre sans Chef et sans État). Ce livre a connu 14 éditions et reste à ce jour le livre le plus vendu sur l’anarchisme en langue allemande ! Il est l’auteur également de Freiheit pur et de Anarchie !, sa dernière œuvre majeure, un pavé incontournable, l’une des meilleures histoires de l’anarchie depuis celle de Max Nettlau…

Depuis les années 1980, il a essayé de mettre en pratique sa conception de l’anarchie, qu’il a appelé « l’anarchisme sans adjectifs » ou « anarchisme des projets ». En effet, il a inspiré le Projet A de Neustadt an der Weinstraße, non loin de Strasbourg où il a su rassembler une vingtaine de collectifs autogestionnaires de production pour vivre ensemble et mener des actions culturelles dans cette petite ville. Ce Projet A s’est plutôt soldé par un échec. Mais Horst Stowasser était toujours optimiste et avait déjà sorti son « Plan B », qui était la communauté Eilhardshof à Neustadt, où il voulait vivre avec plusieurs générations, des enfants et de vieux militants des mouvements sociaux.

Dans ce projet Eilhardshof, devait s’insérer la bibliothèque qu’il avait créée au Centre documentaire et anarchiste en 1971 à Wetzlar et qui était devenue AnArchiv à Neustadt. Avec ce projet, il a dès le début cherché à prendre contact avec les autres archives et centres de documentation libertaires, nouant des liens internationaux dans le cadre de la FICEDL (Fédération internationale des centres d’études et de documentation libertaires). Horst fut avant tout l’un des rares anarchistes de langue allemande ayant compris depuis longtemps l’importance des liens transnationaux, la valeur des échanges au-delà des frontières avec les camarades d’autres pays et parlant d’autres langues ainsi que l’interêt de l’échanges d’expériences. Quand je participe à des rencontres internationales, on me demande toujours si je connais le « Horst ». Je le salue notamment pour cela.

Horst, tu vas me manquer pour ton esprit, tes nouvelles idées incessantes, ton sourire, tes blagues, tes livres et ton optimisme envers l’anarchie toujours réalisable, aujourd’hui !

Un dernier salud !

Lou Marin


[1Éditions Strasser, Albersweiler, 2009