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articles du ML1204

du 4 au 10 mai 2000
Le jeudi 4 mai 2000.

https://web.archive.org/web/20031229201212/http://federation-anarchiste.org/ml/numeros/1204/index.html

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Nouvelles régulations économiques

Jospin grand serviteur du capital

L’économie de marché ne manque pas d’adeptes. Au sein du Parti Socialiste français, les partisans de l’économie libérale sont depuis longtemps majoritaires et la récente nomination de Fabius au ministère des Finances en est une brillante illustration. Michelin, Valleo… auront beau licencier à tour de bras, avec les socialistes et la gauche plurielle au gouvernement, les patrons de ces entreprises pourront dormir tranquille. Ce n’est pas le projet de loi sur les "nouvelles régulations économiques" (NRE) qui vient d’être présenté aux députés et qui devait être adopté mardi 2 mai qui fera trembler le Medef. Pourtant, à l’origine de ce projet, c’est bien l’annonce de licenciements massifs de salarié(e)s d’entreprises en pleine expansion, aux profits galopants qui avait motivée Jospin pour l’élaboration d’un texte qui se devait de corriger les effets néfastes de l’économie de marché. Résultat prévisible : le texte est un fourre-tout où la fiscalité des stock-options côtoie des mesures visant à réglementer les offres publiques d’achats (OPA) !

Régulation de la concurrence. Jospin veut « moraliser les pratiques commerciales ». Toute opération de concentration d’activité devra être "notifiée au Conseil de la concurrence". Les sanctions financières à l’encontre des entreprises qui abuseraient de leur position de monopole sont renforcées (« amendes portées de 5 à 10 % du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise hors-taxes »). Une commission sera créée pour améliorer les relations entre fournisseurs et distributeurs. Ainsi, les ministres de l’économie et de l’agriculture « pourront fixer un prix minimum d’achat pour certains produits (fruits et légumes frais…) ». Les grandes surfaces ne pourront plus casser les prix de l’essence. Et, l’étiquetage des produits sera mieux réglementé. La Bourse en tremble déjà…

Pas question que les salariés décident…

Régulation dans l’entreprise. Jospin veut « assurer un meilleur équilibre des pouvoirs ». Les effectifs des conseils d’administration (CA) sont revus à la baisse ! Le nombre maximum d’administrateurs passera de vingt-quatre à dix-huit membres ! Les présidents de CA ne pourront pas cumuler plus de… quatre mandats d’administrateur ou de membre d’un conseil de surveillance. Le droit des actionnaires minoritaires, notamment en matière d’information, est renforcé. Révolutionnaire, ils pourront voter par Internet !

Blanchiment de l’argent sale. Jospin veut « renforcer la lutte ». Il ne précise pas si les spéculations en Bourse relèvent de l’argent sale ou propre, mais de nouvelles professions auront « désormais obligation de déclarer » toute opération financière au Service de renseignement chargé de lutter contre le blanchiment (« le Tracfin »). « Toute personne incapable de justifier l’origine de son train de vie alors qu’elle fréquente des individus se livrant à des activités de blanchiment encourt cinq ans d’emprisonnement et 500 000 francs d’amende. » Les narco-trafiquants n’auront qu’à bien se tenir !

Offre publique d’achat (OPA). Jospin veut « renforcer la transparence ». Une entreprise lançant une OPA devra en informer le comité d’entreprise de la « société cible ». Elle devra, par ailleurs, « indiquer ses orientations en matière d’emploi. » C’est sûr, un futur chômeur averti en vaut deux ! Les Verts, le PCF et le Mouvement des Citoyens qui demandaient qu’une OPA, pour se réaliser ait l’aval d’un ou de plusieurs syndicats représentés au comité d’entreprise, se sont vus essuyer un refus de la part des socialos et de la droite. Pas question que les salarié-e-s décident ! Le rapporteur du projet de loi, le socialiste et secrétaire d’État à l’Industrie, Christian Pierret, a même ajouté : « S’il faut accroître la démocratie dans l’entreprise, il ne faut pas aller jusqu’à la participation des organes syndicaux aux décisions stratégiques fondamentales, qui incombent au conseil d’administration. » Tout est dit !

Enfin cerise sur le gâteau. : les stock-options. Jospin veut « taire la polémique socialo-socialiste ». Ces actions boursières réservées aux cadres et dirigeants ne seront pas supprimées ! Rappelons que ces stock-options sont hautement rémunérateurs. Les actions peuvent passer de 280 FF à 3 000 FF l’une. Bien sûr, il faut être cadre ou super-cadre pour savoir gérer de telles « bombes » ! Elles seront taxées à un taux légèrement supérieur à celui en vigueur aujourd’hui, passant de 40 à 50 %. Le projet de loi est plus explicite. Les 28 000 cadres concernés auront tout le loisir d’étudier attentivement le problème sachant que cette nouvelle fiscalité ne sera effective qu’en avril 2004…

Des stock-options pour tous !

Pour ne pas rester en plan, Jospin nous prépare pour la rentrée de septembre un autre projet de loi sur l’épargne salariale. Dans la continuité des mesures présentées ici, il rêve de transformer les salarié-e-s en petits boursicoteurs. Des stock-options pour tous ! Ce ne sera même plus la peine de réclamer aux patrons des augmentations de salaires. Il suffira de jouer en Bourse ! Vendre, acheter, stocker des actions ! Le cauchemar capitaliste à son paroxysme ! Nous anticipons bien sûr ; mais à lire et écouter les militants de la gauche plurielle, les projets à venir risquent de ressembler aux mesures actuelles dont la philosophie pourrait se résumer à la formule : la gauche plurielle gère consciencieusement l’économie capitaliste.

Après les lois sur les 35 heures, instaurant annualisation du temps de travail et flexibilité, blocage des salaires, dénonciation des conventions collectives…, la loi sur les nouvelles régulations économiques ouvre un nouveau chapitre dans la politique économique de la gauche parlementaire, celui de l’adaptation à la mondialisation. Il ne s’agit plus de redistribuer au sein de l’État-Nation une partie de la richesse produite, mais d’adapter l’ensemble des producteurs aux exigences du marché mondial en réglementant sur les marges les dérives excessives de cette économie.

Alain Dervin. — groupe P. Besnard


Le regard captatif de l’État

James C. Scott, Seeing Like A State. How Certain Schemes to Improve the Human Condition Have Failed. New Haven and London : Yale University, 1998. Yale Agrarian Studies Series. xiv + 445 p.

Savez-vous pourquoi les cités labyrinthiques du Moyen Âge et leurs rues populeuses ont été remplacées par des avenues rectilignes ? Pourquoi les terrains irréguliers ont été aplanis et réduits à des espaces homogènes, hiérarchisés, géométriques ? Pourquoi les forêts domaniales sont nettoyées de leur sous-bois ? Pourquoi vous avez un nom de famille, une adresse postale, et des registres qui suivent fidèlement votre parcours dans la vie ?

La raison en est que l’enrégimentation visuelle des espaces urbain, rural et social permet de mieux cerner leur valeur marchande. Répertorier une population sert à mieux l’administrer, c’est-à-dire d’abord à la ponctionner du point de vue financier et à la mobiliser pour les besoins de la production et de l’armée.

Structurer l’espace pour contrôler la population

Tout l’ouvrage de Scott montre comment les pouvoirs publics, au lieu d’établir des critères qui permettraient de comprendre la complexité naturelle et sociale, préfèrent simplifier la réalité pour la rendre plus « lisible », en fait plus utile à leurs desseins.

Par exemple, pour connaître la quantité de bois qu’une forêt produit par an, il est plus simple d’y planter une seule variété d’arbre. On arrache donc toute les autres variétés de la flore : les herbes, les fleurs, les lichens, les mousses, les buissons, les grimpants. Ainsi disparaîtront aussi les reptiles, les oiseaux, les nombreuses espèces d’insectes, et presque toute la faune, sauf celle qui intéresse l’État.

En Union soviétique, « le rêve des fonctionnaires et des réformateurs agraires… était de transformer le système de champs ouverts en une série de fermes indépendantes… Ils étaient motivés par le désir de briser l’emprise de la communauté sur la maisonnée et de remplacer la taxation collective de la communauté toute entière par une taxe sur les propriétaires individuels » (41).

On peut d’ailleurs ajouter que l’on voit le même phénomène aux États-Unis ou en Australie, où l’État récusait les droits collectifs des peuples Indiens ou Aborigènes, et où les libres associations communistes se virent refuser aussi le droit d’avoir une propriété collective.

Aucun Français n’ignore que les boulevards parisiens furent créés par Haussmann au XIXe siècle pour contrôler les manifestations populaires. Mais pour prendre un exemple plus récent, en mai 68, la police avait bien du mal à poursuivre les agitateurs dans les vieilles rues de Montpellier.

Le cœur de la ville, que son maire actuel a choisi de renvoyer dans le passé en le baptisant « centre historique », est encore aujourd’hui un dédale complexe ; une photo aérienne montre qu’il ne répond à aucune figure abstraite d’ensemble : il a été créé par la population en fonction de ses besoins. En revanche, le nouveau quartier d’Antigone a la forme élégante d’une guitare quand on le voit d’avion. Malheureusement, ses habitants ne vivent pas en aéroplane et leurs rues sont désespérément mornes. Conçues à des fins commerciales ou ostentatoires, leur caractère abstrait chasse toute envie de se rassembler, de se récréer sans cérémonie, de susciter des relations de voisinage.

Mais pour en revenir à notre ouvrage, on imagine qu’il n’est pas tendre pour les réalisations de Le Corbusier ou d’un grand nombre d’urbanistes contemporains. Leur vision esthétique de l’ordre, leur ségrégation de la ville selon ses diverses fonctions ­ districts résidentiels, services publics, rues commerçantes, quartiers d’affaires, ­ suscitent l’uniformité monotone et ne prennent pas en compte le coût social que représente le déplacement des familles, comme si celles-ci n’étaient que des boules de billard ou des grains de sable. Ce sont les gens qui font la ville, n’en déplaise aux planificateurs : même les enfants préfèrent jouer sur les trottoirs, qui offrent une plus grande sécurité, que dans les parcs qui leur sont destinés.

Le réductionnisme étatique

L’identité individuelle procède aussi désormais de l’État. La création des patronymes apparaît dans la Chine du IVe siècle avant J.-C., au temps de la dynastie Qin, en vue de mieux dénombrer la population en vue de la taxer, la mobiliser, lui imposer un travail forcé. (65) Il faut attendre le XIVe siècle en Europe pour qu’apparaisse le même phénomène. L’État de Florence, en 1427, invente des noms de famille plutôt que d’enregistrer les surnoms existant. En Angleterre ou en France, les gens étaient désignés par leurs parents (« Jean, fils d’André »), leur lieu d’origine (« Maruejols »), leur profession (« Boulanger »). C’est le développement des registres officiels qui suscite le surnom individuel.

On pourrait multiplier les exemples de ce réductionnisme étatique : imposition d’une langue officielle, destruction des cultures locales, centralisation des réseaux de circulation., Les fonctionnaires modernes sont distants du réel ; il leur faut donc des données abstraites pour le saisir : sondages d’opinion, indices divers, nomenclatures des aliments, bref tout un appareillage qui met en place une société panoptique mais irréelle parce que standardisée, où l’on cherche à contrôler directement, sans intermédiaire, les individus et les marchandises.

Cette vision synoptique, réservée aux seules autorités, traduit l’impossible projet de réduire le réel à du perceptible et du quantifiable. Les mesures précises et standardisées sont préférées aux données exactes. Il n’existe pas pour l’État d’autres faits que ceux qui sont contenus dans un document prévu à cet effet : c’est bien ce que savent tous ceux qui sont prisonniers d’un passeport ou d’une identité dont ils aimeraient bien se passer. (80-83) Et les cartes et autres documents n’ont pas pour seule fonction de refléter le monde : elles servent à le façonner.

C’est ici que se mêlent les croyances scientistes et technocratiques de la modernité. Le siècle des Lumières croit en la perfectibilité de l’ordre sociétaire : l’État n’est plus au seul service du souverain, il devient le moteur du progrès moral. Les codes légaux ne peuvent plus se contenter de refléter les mœurs diverses, ils doivent créer une communauté culturelle en généralisant les coutumes les plus rationnelles et en supprimant les plus barbares. (90) De Saint-Simon à Le Corbusier, de Lénine à Jean Monnet, toutes les variantes de la gauche et de la droite politique ont cru en une reconstruction de la société et se sont servies de l’État pour réaliser ces plans.

La société doit donc être séparée de l’État et traitée comme un objet. On peut donc la décrire de manière scientifique. Par exemple, un suicide individuel peut servir à caractériser une population lorsqu’on en établit le pourcentage ; les données statistiques deviennent lois sociales.

Un État-nation progressiste peut améliorer l’ordre sociétal en en modifiant les coutumes. Ainsi s’instaurent des normes d’hygiène, de construction, de structure familiale, de planning social et même de contrôle génétique de la population en vue de purifier la race : en 1926, 23 des 48 États qui formaient les États-Unis avaient des lois qui permettaient la stérilisation. Bien entendu, les travailleurs sont les premiers sujets de la planification sociale ; quant aux sous-populations indésirables ­ indigents, vagabonds, malades mentaux et criminels, ­ elles deviennent l’objet privilégié d’une ingénierie sociale intense.

Bref, la volonté de maîtriser le tumultueux mouvement de l’histoire, que le progrès technique ne fait qu’accélérer, se substitue aux multiples sources d’inventivité et de changement ; une autorité unique se charge de planifier le tout, de figer la plasticité et l’autonomie de la vie collective dans un ordre social fixe où chaque groupe a une place prédéterminée.

Pour une critique fondamentale de l’État

On ne peut ici montrer tous les développements de cet ouvrage majeur, tant par sa réflexion théorique que par le champ couvert. L’auteur se situe dans la tradition de Patrick Geddes, Lewis Mumford, Paul Goodman, et Jane Jacobs et il se réclame de Kropotkine, Bakounine, Malatesta et Proudhon (ce qui est sans doute une première pour un professeur de Yale). Sa recherche sur le terrain l’a mené de la Malaisie à l’Éthiopie, de Chandigarh à Brasilia. Il connaît aussi bien le grand bond en avant de la Chine que les secrets du champ cadastral français. Les illustrations de l’ouvrage sont abondantes et pertinentes ; sa lecture m’a procuré un authentique plaisir.

Naturellement, un ouvrage aussi parfait réclame quelque critique, et je discuterai ici de son présupposé non formulé. L’auteur considère que l’État peut servir nos libertés ou les supprimer. Évitant les généralisations injustifiées, il cite deux situations où l’action de l’État est néfaste : lorsqu’il adopte un planning utopique ou quand il n’a pour ses sujets qu’un mépris autoritaire.

En fait, l’ouvrage n’offre aucun exemple où les pouvoirs publics favorisent les libertés. Cela n’a rien de surprenant puisque, d’après l’auteur, l’État ne tient pas compte de la complexité des choses, il ne retient que ce qui intéresse l’observateur officiel. En outre, loin de se limiter aux régimes despotiques, les exemples montrent que la menace apparaît aussi dans les régimes prétendus démocratiques.

De plus, l’auteur pense que l’État représente la seule alternative au capitalisme, parce qu’il est capable de le contrôler ou de se substituer à lui. Mais n’y a-t-il pas d’autres possibilités, celle de groupes humains agissant selon leurs besoins ? Et si l’État a supprimé toutes les élites indépendantes pour régner sur ses sujets sans intermédiaire, le modèle proposé par l’auteur n’explique pas pourquoi il n’a pu agir de même à l’égard de l’entreprise capitaliste, cet autre Léviathan.

En dépit de ces remarques, le modèle proposé est fort utile parce qu’il est applicable à un grand nombre de situations. Il explique adéquatement l’échec de mainte entreprise globale dans le tiers monde et les effets dévastateurs de la perspective simpliste du nouvel ordre mondial. Si l’État façonne notre inconscient et notre imagination, est-il surprenant que les individus tendent à simplifier à l’extrême leur vision de la nature et du réel ? Bref, après avoir lu ce livre, on ne voit plus le monde comme avant.

Ronald Creagh


Droit de vote des immigrés

30 ans de promesses électorales

Quelles que soient les critiques fondées que le courant anarchiste oppose au système de la démocratie parlementaire et à la délégation de pouvoir, il n’empêche que nous sommes résolument attaché-e-s à défendre les droits démocratiques ainsi qu’à en obtenir de nouveaux, dès lors qu’il ne pas s’agit de droits liés à la propriété. Il en est ainsi du droit d’être inscrit-e sur les listes électorales, ne serait-ce que pour avoir celui de s’abstenir ou de renvoyer sa carte d’électeur.

C’est pourquoi il convient d’observer avec intérêt, mais sans illusion, les débats autour de l’extension du droit de vote et d’éligibilité aux élections locales pour les personnes étrangères résidentes en France (c’est-à-dire titulaires d’une carte de 10 ans). Ce mardi 2 mai auront eu lieu les premières discussions officielles à l’Assemblée nationale sur cette question, sur proposition des député-e-s Verts.

Il s’agit d’appliquer un point du programme commun défini en 1997 par les diverses composantes de la gauche plurielle. En fait, le droit de vote aux élections locales figure dans les brochures électorales des divers partis de gauche depuis plus de 20 ans. Mais dès que la gauche gagnait les élections, ce projet était enterré, comme beaucoup d’autres. Pourtant en 1981, Mitterrand et le PS avaient commencé à appliquer leur programme en régularisant environ 180 000 personnes étrangères (lois du 17 et du 27 octobre 1981).

Une xénophobie d’État

Le tournant « réaliste » de la gauche s’est fait vers 1983. Georgina Dufoix devient ministre des Affaires sociales et, à ce titre, entame une politique de stigmatisation des irréguliers, au nom de l’intégration des personnes en situation régulière : « les clandestins gênent l’insertion des étrangers ». Dès lors, de Georgina Dufoix à Pasqua 1, de Pierre Joxe et Philippe Marchand à Pasqua 2, de Debré à Chevènement, il n’y aura plus d’extension des droits des personnes étrangères, qu’elles soient régulièrement installées, primo-arrivantes, demandeuses d’asile ou installées clandestinement : c’est un tour de vis pour tout le monde, avec des restrictions sur le regroupement familial en 1984, le droit d’asile en 1989, l’accès à la nationalité en 1993, avec la généralisation des visas en 1986 pour entrer en France, avec des attaques contre des libertés, comme celle d’héberger.

Ces restrictions sont évidemment accompagnées des discours xénophobes par les responsables de partis « républicains », discours censés servir de contre-feux contre la montée du Front national, mais qui n’ont réussi qu’à légitimer le racisme dans ses expressions les plus obsessionnelles. C’est là que l’octroi de droits politiques aux immigré-e-s aurait pu avoir une efficacité réelle : sans préjuger de leurs choix électoraux, des taux d’inscriptions sur les listes électorales ou d’abstentions, il ne fait aucun doute que les scores du FN auraient été moins élevés dans certaines villes de la région parisienne ou du Sud de la France. En outre, les étrangers auraient moins été l’objet des discours puants des Mitterrand (« le seuil de tolérance »), Chirac (« les bruits et les odeurs »), Giscard (« l’invasion »), Chevènement (« les sauvageons ») parce qu’ayant une toute petite possibilité de sanctionner ces politiciens par un bulletin de vote ou par une abstention. Cependant, il ne fait pas de doute non plus que beaucoup d’immigré-e-s en situation régulière ou ayant acquis la nationalité française souscrivent volontiers à l’affirmation de Rocard et Pasqua (« la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde »).

En tout cas, Mitterrand a une grande part de responsabilité dans ce racisme d’État : d’une part, il s’est servi largement du Front national pour diviser la droite, d’autre part il a prétendu que « les Français ne sont pas mûrs pour accepter le droit de vote des étrangers ». Pourtant, il a aboli la peine de mort judiciaire contre une majorité de l’opinion publique de 1981 : aujourd’hui, assez peu de voix s’élèvent pour réclamer la restauration de la peine de mort. De même, personne ou presque ne s’offusque de voir des personnes étrangères élues à un Comité d’entreprise ou à la présidence d’une association ou des ressortissants européens participer aux élections locales ou européennes, en application du traité de Maastricht.

Le droit de vote : une revendication délaissée

La revendication a été mise en avant à diverses reprises, notamment au moment du bicentenaire de la Révolution française. Cependant, le sujet est resté secondaire lors des luttes de l’immigration. Ce n’était pas le principal enjeu des « marches pour l’égalité » ou « marche des beurs » de 1984. Les jeunes qui ont participé à ces marches avaient une revendication de citoyenneté beaucoup plus large que les simples droits politiques : exigence de respect, exigence d’une reconnaissance sociale dont n’avaient jamais bénéficié leurs parents, une reconnaissance qui se matérialiserait par des droits concrets.

Ce ne fut pas non plus le cheval de bataille des associations, dont les plus dynamiques se sont trouvées happées dans de longs et épuisants combats, suite aux lois xénophobes. Avec les luttes contre la double peine, pour les débouté-e-s du Droit d’asile, pour la régularisation des sans-papiers, on n’a pas chômé dans les associations.

L’heure est aux négociations politiciennes

Ainsi, la revendication du droit de vote a plus été pris en charge par des associations moins engagées dans ces combats, dont l’action se conçoit plus comme du lobbying, ainsi que par des organisations politiques à gauche de la gauche. C’est pourquoi on retrouve les Verts pour défendre ce dossier, qui s’insère dans un de leurs axes politiques : la démocratie locale. Mais pour les Verts, c’est aussi et surtout une manière de faire connaître leur différence au sein de la gauche plurielle, englués qu’ils sont par un PS hégémonique.

Alors qu’à l’automne, l’ensemble des partis de la gauche plurielle était partant pour enfin discuter d’une loi sur ce droit de vote, seuls les Verts ont décidé de l’inscrire à l’ordre du jour de cette session de printemps (2). Il apparaît que le Premier ministre trouve « inopportune » la discussion de ce projet de loi à un an des élections municipales. Heureusement, les Verts disposent avec Dany Cohn-Bendit d’un maître en stratégie politique : « Nous devons aussi avoir un dialogue ouvert avec Jean-Pierre Chevènement. Si nous trouvons un bon compromis avec lui, ce sera un cheval de Troie pour persuader la droite » (sic !). Le droit de vote, même restreint aux élections locales, n’est pas encore gagné pour les millions d’immigré-e-s résidant en France.

La lepénisation des esprits continue

Les socialistes ont déjà réussi à atténuer la portée du texte des Verts : après les amendements du PS, il n’autoriserait le vote des résident-e-s étrangers qu’aux élections municipales et l’éligibilité ne serait pas possible pour les postes de maire ou d’adjoint-e. En outre, il est certain maintenant que la loi ne sera pas applicable aux prochaines élections municipales l’an prochain : il faudra donc attendre 2006 pour que les étrangers non-européens puissent participer aux élections, soit quand même 30 ans après le « programme commun de gauche » des années 70.

Les socialos auraient bien voulu enterrer ce projet. Mais empêcher les Verts d’avoir un espace politique ou éviter d’aborder des sujets qui fâchent n’explique pas tout. La raison majeure, elle est dans l’idéologie du PS, qui, pour toutes ces questions de citoyenneté, préconise l’assimilation comme voie royale d’insertion en France. C’est vrai pour le droit de vote abordé ici. C’est vrai aussi dans la manière du PS d’aborder la problématique des discriminations (3) avec, entre autres, son rejet de la revendication des jeunes immigré-e-s d’accès aux emplois publics : pour le PS, l’accès aux emplois publics doit passer par la nationalité, qui est elle-même soumise à critères. Le PS continue donc de défendre des options basées sur la préférence nationale, chère à l’extrême droite.

Outre de dénoncer ces discriminations, il est donc important pour nous d’exiger partout une égalité réelle entre tout les individus, quelle que soit leur origine : par exemple, dans notre défense du service public, nous devons défendre l’accès aux emplois pour des étrangers et étrangères, et pourquoi pas par les actuels sans-papiers, à titre de réparation des oppressions qu’ils ou elles vivent en France depuis des années.

Hervé. — groupe FA de Nantes

(1) Catherine de Wenden. Citoyenneté, nationalité et immigration. Arcantère éditions, 1987
(2) Le Monde du 27 avril.
(3) Le Monde Libertaire nº 1200


Fait d’hiver

Vive l’armée !

En « général » ils en sont fiers, ils s’en glorifient. Ils en tirent profit et plan de carrière. Jadis ils coupaient les oreilles, les têtes et autre chose. Désormais ils se la jouent (avec néanmoins, souvent, un brin de nostalgie) normes américaines, écrans informatiques, guerre presse bouton, technologie, bombes guidées par laser, tueries satellitaires, gants blancs et « droits de l’homme ».

Mais, tuer, reste leur métier !

Anthony Daviot, 34 ans, caporal au 3e RPIMA de Carcassonne, est, donc, assurément, un drôle de militaire puisqu’il s’est présenté au commissariat de cette ville pour s’accuser d’avoir tué un homme. Il avait, disait-il, quelques jours auparavant, tué, à Pau, un inconnu à coups de pied et affirmait s’être débarrassé du corps en le jetant dans un égout.

Après enquête, mise en examen et mise en prison, il s’avère que cette auto-accusation est sans objet. Après exploration de 150 kilomètres d’égouts, aucun cadavre n’a, en effet, été retrouvé, aucune disparition n’a été signalée, et, tout porte à penser que l’assassiné a juste été mis KO et qu’il a filé sans demander son reste.

En clair, ce militaire qui a eut le courage de la honte de tuer est un mauvais soldat puisqu’au refus d’assumer ce pour quoi il est « programmé » s’ajoute une inefficacité flagrante. Bref, pour tenter d’arranger le coup de cette incongruité, la justice s’est fendue d’un non lieu faisant état des « troubles psychiques » ayant altéré le discernement de notre caporal tueur sans cadavre. Les choses auraient pu en rester là si Anthony Daviot n’avait pas été réintégré dans son corps, l’armée ayant renouvelé son contrat.

Une armée qui réintègre des tueurs qui non seulement ne tuent pas mais qui, de plus, ont honte de tuer, les bras m’en tombent et contrairement à ceux qui vont hurler au loup d’une institution de brancalous et autres couilles molles, force m’est, et cela m’en coûte, de crier haut et clair « vive l’armée » ! Bon, d’accord, il est trois heures du mat et la p’tite sister Cognac me la joue baba-cool !

Jean-Marc Raynaud


Avant projet de loi sur la valorisation des acquis

Un chantage patronal de plus

Alors qu’on se focalisait dernièrement sur les réformes Allègre du secondaire ou du supérieur (Plan U3M), et surtout sur les manifestations et contestations qu’elles engendraient, le gouvernement préparait pendant ce temps un véritable sabordage de l’Éducation nationale : l’avant projet législatif sur la « reconnaissance de l’expérience tout au long de la vie », préparé par la secrétaire d’État aux droits de la femme et à la formation professionnelle, Nicole Péry vise en effet à autoriser les entreprises à décerner des diplômes au même titre que l’Éducation nationale.

Accepter l’exploitation pour un diplôme

Les diplômes, donnés au nom de l’État, le seront via une modification du cadre juridique de la VAP (Valorisation des acquis professionnels). Gageons que lorsque ce projet de loi sera présenté à l’Assemblée (on parle de juin) nos élu-e-s ne manqueront pas de nous le présenter comme une vraie chance pour les employé-e-s sans diplômes. En effet la VAP permet de prendre en compte l’expérience professionnelle d’un-e employé-e qui veut reprendre des études et non pas seulement les diplômes déjà acquis. Incontestablement cela permet à certain-e-s de ne pas végéter sur un boulot de merde pendant toute leur vie.

Cette VAP repose actuellement dans l’enseignement supérieur sur deux dispositifs :
• Le décret du 23 août 1985 qui permet de dispenser du diplôme ou titre requis pour l’accès aux formations supérieures par validation des acquis.
Exemple : je me suis fait exploiter pendant 5 ans dans une boite, j’ai le droit de valider mon exploitation pour m’inscrire en DEUG même si je n’ai pas le Bac.
• La loi du 20 juillet 1992 et le décret du 27 mars 1993 qui permettent de dispenser d’une partie des épreuves conduisant à la délivrance d’un diplôme par validation des acquis.

Exemple : je me suis fait exploiter pendant 5 ans dans une boite, j’ai le droit de valider mon exploitation pour m’inscrire directement en 2e année de DEUG même si je n’ai pas le Bac.

L’avant projet de loi vise quant à lui à permettre à toute personne d’obtenir la totalité d’un diplôme par validation des acquis. De fait cela revient à permettre aux entreprises de donner des diplômes nationaux ! Le projet vise la quasi-totalité des diplômes délivrés par l’État (niveaux V et IV en particulier), et la durée minimale d’expérience exigée serait ramenée de 5 ans (actuellement) à 3 ans.

Parallèlement il y aurait création d’un répertoire nationale des certifications qui aurait pour but de classer (comment doit-on le comprendre ?) l’ensemble des diplômes et titres professionnels (avec mention du nombre annuel de reçus), et donc ceux délivrés par l’Éducation nationale elle-même. Tout diplôme homologué par ce répertoire, serait accessible juste par la validation des acquis.

Grâce à ce projet de nombreux employé-e-s vont pouvoir valider leur exploitation pour poursuivre des études. Raisonnablement nous pourrions espérer que cette poursuite s’inscrive dans le cadre de la formation continue, mais les informations du ministère nous laissent perplexes !

Un nouveau marché : la valorisation des acquis

Actuellement les établissements d’enseignement supérieur sous tutelle du ministère recueillent environ 400 000 personnes par an en formation continue, ce qui correspond à 3 % des étudiants. Mais le ministère lui-même estime que le chiffre réel de personnes qui relèvent de la formation continue est de 17 % des étudiants (en se basant sur des critères d’âges et d’interruption des études). L’énorme différence s’explique certainement par le fait que beaucoup de personnes font de la formation continue mais sans utiliser le cadre légal, qui est très contraignant pour les entreprises. La loi sur les 35 heures n’a-t-elle pas fait sortir du temps de travail le temps de formation continue (voir ML 1174) ? Ces personnes prennent donc sur leur temps de repos, sur leurs vacances, leurs week-end pour poursuivre des études, en vue d’une hypothétique amélioration de leur vie.

Quel est le sens à donner alors aux diplômes ? Finalement le véritable but de ce projet n’est-il pas de saborder complètement l’Éducation nationale ? En inondant ainsi les organismes de formation de nombreux « étudiant-e-s » que va-t-on obtenir ? D’une part on justifiera la création d’organismes privés type fac Pasqua (financés par des subventions publiques) et d’autre part on transformera la notion de diplôme (qui actuellement est souvent synonyme, reconnaissons le, d’élitisme et de sélection) pour aboutir à une plus grande concurrence des travailleurs-euses (ou candidat-e-s travailleurs-euses) entre eux : il faudra apprendre à se vendre, à vendre les maigres connaissance qu’on aura pu acquérir entre le fromage et la poire et souvent à un prix exorbitant. Déjà ne voit-on pas apparaître des erzats d’ANPE sur Internet, où moyennant finance, vous pouvez mettre votre CV.

Outre que cela participera à la dégradation des conditions de travail des employé-e-s, à ce stade, la vieille Éducation nationale sera obsolète, et le patronat aura enfin obtenu ce qu’il recherche depuis longtemps, le marché de l’éducation.

Certes l’École n’est pas très brillante actuellement, mais elle est aussi un instrument qui bien utilisé, peut être un rempart efficace contre les ravages du capitalisme.

Renaud. — groupe Crabes de Quimper


« Gratouille maire » (1)

Saint-Georges d’Oléron. 45°58’50’’N1°19’55’’W. La plus grande commune de l’île par sa superficie. Son église, ses plages, son école anarchiste (dixit le site Web de la commune) et son maire !

En juin 1999, Madame Collart, employée de mairie est licenciée. Une rupture de contrat dénoncée par un tract syndical de FO et jugée illégale par les prud’hommes. Bref rien de quoi émouvoir le conseil municipal ou les bégnassouts (2). L’affaire est portée devant la justice. Monsieur Proust (ici on dit Prout-prout) porte plainte pour diffamation contre l’UD-FO et 4 syndicalistes.... Même le procureur de la république a critiqué cette démarche et réclamé la relaxe. Cette demande ainsi que les dommages et intérêts réclamés ont été jugés irrecevables par le tribunal de Rochefort. La mairie de Saint-Georges d’Oléron serait-elle un centre de luttes sociales des personnels communaux. Les prud’hommes seraient-ils à l’avant-garde de la défense des travailleurs ?

La vie communale suit son train-train, les personnels opposés à ce licenciement sont gentiment mis au placard. Chacun tourne la tête au passage de madame Collart. Rien ne transparaît si ce n’est quelques graffitis ici ou là sur les bâtiments oléronais. L’oligarchie règne. Après tout à la campagne où la précarité est la norme devenir employée communale c’est « quéque chose » : on échappe au dur travail des champs ou de l’ostréiculture, au rythme infernal des travaux saisonniers : on a les mains blanches, cela vaut bien quelques sacrifices et des épaules baissées.

Mais au fait pourquoi cette dame Collart a-t-elle mis en péril cette sinécure ? Ah pour agression sexuelle du maire ? Une paille : même les élues n’ont pas bronché. La vie continue, qu’est ce que des pressions sexuées, quelques mains au panier ou œillades appuyées en regard du confort statutaire. Pas de quoi ruer dans les brancards !

Avant que les administrées ne s’émeuvent de telles pressions, il y aura quelques élections et repas du troisième âge à abattre !

Thyde Rosell. — chaucrine (3) et non électrice

(1) slogans peints sur le territoire communal.
(2) nom donné aux touristes : ceux qui se baignent et qui ont des sous.
(3) habitante de Chaucre (dérivé de crabe) village rattaché à la commune.


Crise de foi

La pape pride

En plein Jubilé et à Rome de surcroit, il est prévu le premier juillet 2000 une Gay pride où se donneront rendez-vous des centaines de milliers de personnes. Cela irrite fortement le Vatican : certains prélats parlent de provocation. « J’espère que le gouvernement italien est disposé à reconsidérer la date du rassemblement » questionne le cardinal Angelo Sodano, secrétaire d’État du Vatican. C’est que, pendant l’année jubilaire, toute l’Italie doit se préter aux exigences de l’Église, rien ne doit contrecarrer les célébrations religieuses, les syndicats, par exemple, ont promis au pape qu’il n’y aurait pas de grève générale. Ainsi le cardinal Sodano affirme que « Rome est une ville particulière en raison de la présence du pape. » L’archevêque Jean-Louis Tauran, aurait quant à lui protesté officiellement auprès du ministre Dini en s’appuyant sur le Concordat signé par l’Italie.

Depuis, fin janvier, l’Église a annoncé que, finalement, elle ne ferait pas de protestation formelle tout en regrettant publiquement que la Gay pride « va jurer avec l’esprit religieux de l’année sainte ». Mais ce que ne digère pas l’Église, c’est que la mairie de centre gauche de Rome va donner une subvention financière d’un million de francs pour l’organisation de la Gay pride. C’est que l’Église a obtenue de la mairie : « Qu’en aucune manière […] l’argent adressé à la manifestation puisse être utilisé pour des initiatives qui ne soient pas de nature culturelle et civile ». En clair, les provocations directes à l’encontre des autorités vaticanes ne seront pas acceptées. Comment parler de provocation de la part des homos et lesbiennes, quand les religions les traitent comme des « malades », des « dépravés »… Pour le maire de Rome, il s’agit là de se faire de la bonne pub ­ les homos, ça vote ­ tout en interdisant les messages revendicatifs et politiques.

La Gay pride doit-elle se transformer en défouloir commercial apolitique. Notons au passage que certains groupe d’homos ne veulent pas se battre sur ce terrain là non plus. Ainsi les organisateurs de cette Gay pride « n’ont pas l’intention de défier qui que ce soit ». Mieux : « la Gay pride a été déplacée au 1er juillet parce que le 28 juin, jour traditionnel de la Gay pride est aussi celui de la grande fête romaine de saint Pierre et saint Paul »…Les homos et lesbiennes n’ont-ils pas à dire au pape ce que certains, à cause de leur vie sexuelle, ont du subir dans les prisons ou sur les bûchers au nom de l’Eglise catholique ?

Régis Boussières. — groupe Kronstadt (Lyon)



Chronique anarcha-féministe

Triangle noir, triangle rose

Le 30 avril est la journée du Souvenir de la déportation et pendant de trop longues décennies seules les déportations considérées comme « nobles » étaient rappelées : la déportation des personnes de confession juive, celle des politiques et des résistant-e-s.

Depuis quelques années dans le travail de mémoire ont été intégrées les autres déportations. Un des meilleurs marquages de cette évolution est ce qui se passe dans les manuels scolaires : en effet, il devient courant de lire que les nazis et leurs alliés ont déporté aussi les tziganes et les homosexuel-le-s. Dans ce dernier cas, I’Allemagne et l’Autriche ont été « épurées », quant au reste des territoires qu’ils contrôlaient directement ou non cette politique n’a pas été systématique.

Ces déporté-e-s ont été considéré-e-s comme des criminel-le-s, les homosexuels, dans la plupart des cas, se sont retrouvés avec le triangle rose alors que les lesbiennes, quant à elles, portaient le triangle noir, celui des asociales/asociaux. Actuellement, les travaux historiques sont encore peu nombreux, ces femmes et ces hommes ont été nié-e-s par les tortionnaires, puis par les Alliés et d’autre part, les quelques témoins qui ont depuis parlé expliquent qu’il était impossible de le faire à la sortie des camps ! En effet, I’homosexualité restera un délit pendant de longues années après 1945 !

Aujourd’hui, alors que le PACS est présenté comme le symbole de la fin des discriminations envers les gays et les lesbiennes en France, combien de cérémonies officielles du Souvenir intégreront les triangles noirs et les triangles roses au même titre que les autres ! En effet, ces dernières années dans nombre de villes, les associations n’ont été tolérées qu’à la fin de la cérémonie. À croire que les lesbiennes et les homosexuels sont encore interdit-e-s de mémoire !

Danielle. — groupe Lucia Saornil


Chambéry : usagers de transports en lutte

La gratuité pas la charité

Depuis plus de deux ans, le groupe libertaire de Chambéry-FA a participé à des actions sur les transports en commun de la ville de Chambéry notamment avec un collectif de chômeur AC !. Bien qu’il y ait des divergences profondes de perspective (gratuité pour les chômeurs et précaires/gratuité pour tous), le mode d’action nous convenait : investir une ligne de bus, bloquer les composteurs, inciter les gens à ne pas payer, diffuser des tracts pour expliquer notre action. Depuis, des « facilités de transport » ont été gracieusement lâchées par le conseil municipal avec nombre de restriction (quelques carnets de tickets gratuits ou une carte mensuelle pour 50 FF, sur présentation à la mairie, avec les justificatifs prouvant la situation sociale).

Nous avons souhaité continuer cette lutte pour obtenir la gratuité pour tous, ne comptant alors que sur nos propres forces, preuve qu’en satisfaisant les revendications minimales à moindre frais certains s’en contentent… Nous, nous continuerons.

Actuellement, une réflexion c’est engagée sur les transports ferroviaires et notamment les TER. Des actions sont donc prévues en région Rhône-Alpes. Nous retrouvons donc les mêmes positions : les collectifs de chômeurs « minimalistes et urgentistes » veulent obtenir des facilités de transport pour les chômeurs et précaires, puisqu’il s’avère qu’un certain nombre de régions (Limousin, Midi-Pyrénées, Aquitaine) ont instauré des tarifs réduits pour les plus pauvres.

Pour nous, la gratuité pour toutes et tous reste notre objectif : nous refusons de rentrer dans les cases administratives (smicard, chômeurs, Rmistes) qu’on nous impose, qui nous divisent et excluent ceux qui n’ont pas le « profil » : les justes un peu moins dans la misère, les moins de 25 ans, les étudiants, les jeunes en général, les SDF, etc.

Nous refusons de quémander des miettes pour les plus pauvres et d’être redevable de la charité publique alors que la société déborde de richesse. La gratuité pose la question de la nature du service public.

Nous voulons un service pour tous les usagers, donnant la liberté de se déplacer sans contrainte (financière ou autres), sans contrôle et façonné selon les besoins réels de la population et pas uniquement selon les horaires de travail.

La gratuité s’oppose forcément à la logique capitaliste du client et de la discrimination par le fric, de la rentabilité financière au détriment des intérêts de la population mais aussi de ceux des salariés des transports.

F. (Chambéry)


Brésil : 500 ans de résistance indigène, noire et populaire

En l’an 1500, le Brésil comptait près de 4 millions d’indiens. Le 22 avril de cette même année, 13 vaisseaux portugais débarquaient dans le nord du pays et envahissaient une terre habitée par plus de 240 ethnies. Aujourd’hui, il ne reste plus que quelque 300 000 indiens (0,2 % de la population), Une fois la conquête portugaise opérée, les colonisateurs firent venir d’Afrique 1 million d’esclaves déportés au service du pouvoir colonial. En 1888, l’esclavage a été officiellement aboli mais il y a de nombreux endroits où se pratique encore l’esclavage (celui des enfants notamment). Les escadrons de la mort, patrouilles de la police militaire mises en place sous la dictature, de 1964 à 1985 n’ont pas disparu et continuent d’organiser des assassinats d’enfants des rues, de transsexuels (entre 1970 et 1999, on a dénombré 422 assassinats d’homosexuels tués par les policiers), de petits dealers, et de façon générale de toute personne représentant une gène pour « l’ordre public », autant dire que ce genre d’attentat s’adresse principalement aux 30 millions de pauvres qui vivent en dessous du seuil de pauvreté et dont 80 % sont noirs.

L’autre anniversaire : celui des luttes

Pour essayer de faire entendre une voix autre que celle des feux d’artifice et des célébrations patronnées par la chaîne de télé Globo, nº 1 des médias, un collectif s’est créé qui prépare depuis 2 ans déjà les 500 ans de résistance indigène, noire et populaire. Participent à ce collectif de nombreux groupes représentant le mouvement noir, des organisations non gouvernementales, des syndicats, des groupes anarchistes, les paysans sans-terre, de nombreuses coordinations indigènes, le comité de soutien aux communautés zapatistes, des associations caritatives religieuses. etc. En 1998, un manifeste « Brésil, 500 ans de résistance indigène, noire et populaire » est sorti pour dénoncer le génocide des peuples indigènes, l’esclavage et l’exploitation du peuple au profit d’une classe dirigeante et informer le tout venant des objectifs du collectif.

Ce collectif s’est donné comme objectif de rappeler les victoires conquises au long des siècles au travers des luttes collectives, des initiatives populaires, « une lutte de tout temps inégale : d’un côté, la richesse, le pouvoir, les armes, le mépris pour la vie et l’arrogance de classe, d’un autre côté, la vie collective, le travail, les dépossédés de tout, la solidarité de classe, l’humilité et la générosité anonyme, l’espoir. »

Actions radicales et répression policières

Un certain nombre d’actions ont été lancées, dont l’édition d’un calendrier retraçant les différentes luttes qui ont marqué l’histoire des mouvements sociaux, la réalisation d’une contre manifestation sous forme de forum a Porto Séguro, aux alentours du 22 avril, ville près de laquelle ont débarqué les portugais.

La veille du 22 avril, les indiens et les sans-terre (dont certaines branches ont quitté le parti des travailleurs pour se radicaliser) menaçaient de lancer une campagne de 500 invasions de fermes. Une marche devant se rendre jusqu’à Porto-Séguro réunissait près de 4 000 sans-terre. Plus de 3 200 indiens étaient venus installer leurs campements aux abords de la ville dans la réserve des indiens pataxos pour tenir des conférences toute la semaine. De son côté, la municipalité avait mis en place des barrages en dehors de la ville et déployé 8 000 militaires en ville. Le couvre-feu était annoncé pour le samedi 22.

Dans la presse française du lundi 24 avril, on apprenait que les manifestants, étudiants, syndicalistes, noirs, anars, etc.) qui avaient tenté de rejolndre les indiens à 15 km de Porto-Séguro, avaient été attaqués à coups de matraques, de gaz et de balles en caoutchouc. Certains ont pu se réfugier dans la réserve, zone dans laquelle la police ne peut entrer légalement, 140 d’entre eux ont été arrêté, une trentaine ont été blessé. Comble de l’ironie, le président Cardoso devait inaugurer dans la réserve une croix sur le lieu où fut célébrée la première messe catholique au Brésil, en avril 1500. Devant le refus des indiens d’accepter cette inauguration, l’État a interdit la marche des indiens jusqu’à Porto Seguro. Ces derniers y sont quand même allés de façon pacifique et en costume traditionnel et se sont fait pourchassés à coups de matraques et de lacrymos. Leur chef, Wilson Pataxo a été arrêté. Quand aux 4 000 sans-terre qui devaient rejoindre Porto-Seguro pour se joindre aux manifestants, ils se sont faits bloqués à 60 km de la ville.

Bandeira negra

L’État et ses chiens de garde, Cardoso, ses flics, la municipalité ont montré par leur violence que depuis 500 ans, peu de choses avaient changé. Les boucs émissaires d’un système politique et économique injuste sont toujours les mêmes depuis la colonisation : les indiens, les noirs, et tous les miséreux dont l’élite se sert pour garder ses privilèges. Cet événement est passé inaperçu car il n’a pas été médiatisé.

C’est la chape de plomb qui existe depuis si longtemps sur l’histoire des humains en lutte pour conquérir leur liberté qu’ils voulaient dénoncer. J’aurais bien aimé écrire qu’ils avaient comme à Washington, bloqué les réunions officielles, fait la une des journaux au Brésil mais le pouvoir a encore une fois montré son véritable visage… Malgré la dureté de la répression, les populations oppressées et les militants ont montré une volonté de fédérer les différentes luttes.

Des initiatives ont eu lieu tout au long de l’année, (plusieurs groupes anarchistes de l’État de Bahia dont MLPL, NUELCA, APPI, ont sorti un 4 pages du nom de « Bandeira Negra » sur le thème des autres 500 ans). Une solidarité de classe a pu exister face à la classe dirigeante qui aujourd’hui comme partout dans le monde tente d’étouffer toute velléité de révolte organisée. De nombreux groupes anarchistes existent au Brésil éparpillés sur un territoire immense aux réalités sociales et culturelles diverses qui rend difficile la mise en place d’une coordination nationale mais un noyau de résistance est bien là, qu’il nous appartient de soutenir par tous les moyens (envoi et relais d’informations, partage des outils de propagande, soutien financier, etc.).

Cécile. — groupe « Un autre futur » (Montpellier)

Pour d’éventuels contacts :
Movimento Libertario de Pau da Lima MLPL@zipmail. com.br
www.ceca.org.br/edgar/anaKP.html
www.ceca.org.br/500/PRO500.html


Les populations andines refusent la logique capitaliste

L’Équateur et la Bolivie ont un point commun : non seulement, ce sont les pays d’Amérique du Sud où la composante indigène est la plus forte, mais ils sont également aujourd’hui le théâtre de revendications populaires et indigènes qui, si elle ne font pas encore plier les gouvernants, les font au moins vaciller, au mieux reculer… dans leur volonté d’ignorer l’immense majorité des laissés pour compte.

En Équateur, après le putsch militaro-civil confisqué du 21 janvier (voir ML nº1191 et 1193), l’annonce d’un « pacte social » (aides diverses prévues en direction des secteurs défavorisés mais sans financement possible pour l’instant !) par le nouveau président Noboa (libéral), la CONAIE (Confédération des nationalités indigènes d’Équateur) a rompu le dialogue entamé avec l’exécutif et annonçait des marches de protestation (avec les autres secteurs populaires), un soulèvement et une journée d’action et de revendication pour le 1er mai ; Vargas (président de la CONAIE) affirmant que le gouvernement conduisait le pays à la guerre civile.

En Bolivie, enfin, Hugo Banzer (ex-général élu « démocratiquement » en 1997 alors qu’il avait été dictateur de 1971 à 1978, réprimant violemment à cette époque les secteurs populaires) a dû accepter la démission de son gouvernement, après sa gestion désastreuse des soulèvements paysans il y a trois semaines…

Tout a commencé par une grève générale de 6 jours à Cochabamba et à la « prise » de la ville par quelque 20 000 paysans, suite à la vente de la distribution d’eau à une compagnie britannique… et à l’augmentation des tarifs par celle-ci. Soutenus en d’autres endroits du pays, les paysans affrontaient les forces de l’ordre : 6 morts, l’état de siège décrété pour 90 jours, ce qui provoquait des manifestations et grèves d’étudiants et de professeurs. Banzer envoyait l’armée dans les rues mais les soldats exigeaient d’abord des augmentations de soldes ! Le calme règne depuis une semaine en Bolivie : l’état de siège a été levé au bout de 12 jours, l’armée est rentrée dans ses casernes, la distribution de l’eau ne sera pas privatisée. Les secteurs indigènes et populaires de ces pays andins s’organisent de plus en plus et les gouvernants libéraux ne peuvent plus faire l’économie de les écouter.

Quant au Pérou, la « carte indigène » a fonctionné le 9 avril, lors du 1er tour des élections présidentielles. Sur 9 candidats en lice, deux « poids lourds » populistes et libéraux se disputaient les voix : Toledo (dit « el cholo », le métis, cireur de chaussures devenu professeur d’université et économiste) et Fujimori (dit « el chino », le chinois), candidat à sa 2e réélection alors que la Constitution péruvienne l’interdit.

Première surprise : le score de Toledo (40,3 %), face à Fujimori (49,84 %). Deuxième surprise : l’acceptation par Fujimori d’un deuxième tour alors que tout avait été fait pour qu’il n’y en ait pas : muselage de la presse d’opposition, fraude, décompte aléatoire des voix… Les temps changent !

Ima Llumpay


Dans la toile

Exercice de dérive autour d’un auteur tel qu’il est traité par les moteurs de recherche — en passant pudiquement sous silence les bêtises flagrantes — autour du narré en ces pages Bernard Thomas. Hasard du surf sans rime ni raison mais délicieux de hasard. Bon, le Thomas n’est pas vierge dans le domaine de la subversion scribante puisque déjà un certain Alexandre Jacob — ou Marius, si vous préférez ­ l’inspira naguère et fut critiqué (http://www.lmda.net/critiqueold.html#la). The bug is que le nom est déposé au fond d’une tombe déjà puisque Bernard Thomas est un musicien (à vue de partition assez bon, d’ailleurs) dont on parle ici (http://www.cci-oise.fr/classic-news/athomas.htm)… et y a basta sur ce thème.

« Zipons » (de zip.exe (http://pm95.free.fr/InfWinzip.htm), un machin pour compresser les données) et « zappons » de zap, le machin des malheureux qui suivent six émissions de télévision en même temps, histoire de rester dans leur fauteuil au lieu de rencontrer leurs voisins.

Bon… C’est le moment de la pub pour un site associatif qui n’en est qu’à l’état d’embryon. L’idée de ces allumés est double. D’abord c’est un annuaire des sites sans pub (à l’exception d’un malplaisant bandeau sur la page d’accueil qui sautera probablement bientôt)… Une espèce de Yahoo (http://fr.yahoo.com/) non capitaliste, d’une part, et, d’autre part, la volonté de partager le savoir en bâtissant des dossiers sur des thème à la demande. Les vocations désintéressées sont rares (sauf pour Valentin, d’altern.org bien sûr). Donc référencez-vous et venez participer à la confection de ces dossiers sur INFONOVO (néologisme confectionné de deux emprunts, un d’information et l’autre du « novo » cher aux connaisseurs de William S. Burroughs). J’allais oublier l’adresse du site… shame on me (http://www.infonovo.com). euh… « .com » parce que c’est moins cher à déposer ;))))

À bientôt dans la toile.

Blue Eyed Keyboard
alain@minitelorama.com


La Parenthèse enchantée , Michel Spinosa ; Beau travail, Claire Denis

Des mutations s’opèrent : de plus en plus de réalisatrices font des films sur les hommes et leurs étrangetés : cohabitation militaire volontaire (légion étrangère) pour Beau travail, stage de conducteurs d’excaveuses-pelleteuses pour Peau neuve de Émilie Deleuze. Peu continuent à faire une réflexion en profondeur sur l’évolution des relations entre les hommes et les femmes. Produit par la télévision, Victoire ou la douleur des femmes de Nadine Trintignant reconstruit 50 ans de combats de femmes à partir du vécu de plusieurs en passant par la singularité d’une femme-médecin-gynéco (attention, ils ont en train de les supprimer !). Guettez la rediffusion ! Peu de réalisatrices/réalisateurs évoquent le mouvement des femmes. C’est plus simple ­ en apparence ­ de parler des luttes pour l’avortement et la contraception. Spinosa est un jeune réalisateur qui s’attache à faire revivre cette « parenthèse » heureuse où tout semblait possible, la liberté sexuelle a portée de mains. En fait, il s’agissait d’arracher les droits les plus élémentaires « Nous aurons les enfants que nous voulons ! Notre corps nous appartient ! »

Pour créer l’émotion, Michel Spinosa utilise avec bonheur des documents d’archives (l’intervention de Simone Veil à l’Assemblée), croque l’excitation des garçons quand ils disent bien haut : Alice prend la pilule, son amie ne la prend pas… et il montre la détresse de l’avortement-curetage-à-vif tout comme les cars remplis de femmes partant en l’Angleterre pour avorter dans une cIinique (il fallait de l’argent). Son film montre des jeunes femmes aussi paumées que leurs compagnons face à cette « liberté » conquise dont semble toujours profiter l’autre. « Jouir sans entraves » est consideré avec humour, malmenant au passage les pratiques thérapeutiques effectivement aussi inefficaces que hilarantes. La bande musicale est un bijou et l’évocation sans faille des promesses de bonheur d’avant le sida.

Le cinéma de Claire Denis travaille en deux directions : comment montrer l’Afrique coloniale qu’elle a connue petite (Chocolat), aller toujours plus loin dans l’approche de l’autre, montrer le désir à l’œuvre (Nénette et Boni, J’ai pas sommeil)… Beau travail (sortie le 3 mai) se passe à Djibouti écrasé sous le soleil : la légion étrangère. Des légionnaires en mal de guerre, en mal d’occupation. L’intrigue, un conflit d’autorité, elle la trouve dans Melville. L’enjeu, montrer l’obscure désir de puissance à l’œuvre, dénoncer l’abus lié à une fonction, c’est ce qu’elle met en scène. Antimilitaristes rassurez-vous : le film est clair là-dessus. Le sadisme du chef s’exerce à l’encontre d’un homme de couleur. La tentation de la beauté, la tentation du pouvoir passe par la fascination pour les corps dressés pour obéir, donc, en apparence, dociles. Mais ce n’est pas si simple. Claire Denis n’est pas Leni Riefenstahl aux ordres de son Führer. Le désir d’agir en âme et conscience est plus fort que tout. Se laisser commander et obéir aux ordres est ici le piège majeur. C’est dans cette épreuve que l’homme se dresse. Debout. Tout est réglé comme une chorégraphie. Impressionnant.

Heike Hurst (« Fondu au Noir »)


Pikachu pique mes sous

Pikachu est un Pokémon. Si vous êtes parent d’un enfant de 4 à12 ans, instituteur, animateur, vendeur en grande surface… vous ne serez pas passé à coté du phénomène. L’opération est rondement menée, le marchandising hyper développé : Carte du jeu, film, vidéo, console de jeux, Internet, vêtements, matraquage télévisuel sur TF1, etc. Walt Disney et son vieux « Picsou » peut aller se rhabiller, les marchands du pays du Soleil Levant ont fait très fort.

Jacques Attali qui est un homme drôlement cultivé et qui a écrit (presque) tout seul « Verbatim » nous apprend, dans sa chronique de L’Express (13 avril 2000), qu’avec ce jeu, « l’enfant fait aussi l’apprentissage des qualités essentielles à la survie dans le monde de demain : L’art du réseau, de l’échange, de la négociation, le bon usage de l’échec, l’importance de la ténacité, l’utilité de la mémoire, la pratique des labyrinthes… » Au départ, moi qui croyais que ce n’était qu’une vulgaire affaire d’argent ! Me voici rassuré. Je ne sais si les Pokemons aideront l’enfant à faire l’apprentissage des qualités essentielles à la survie du monde de demain, mais une rapide observation de surface fait apparaître quelques informations enrichissantes :
• Un jeu de carte, présente un principe très ludique : on augmente ses chances de gagner si l’on a plus que son adversaire : tu es plus riche, tu achètes plus de cartes, tu as plus de chances, c’est simple la vie chez les Pokemons et ça ressemble à chez nous. Et en même temps pour couronner le tout, il y a une pénurie de carte Pokemon qu’on croirait taillée sur mesure… on crée un besoin, on crée du manque… n’a t-on pas déjà vu cela ailleurs ?
• L’histoire de base est une quête réalisée par un garçon qui veut devenir « dresseur de Pokemon » (évidemment, le dresseur ne peut être qu’un garçon). Il est accompagné d’une fille : évidemment, le rôle d’une fille c’est d’accompagner, de soutenir, de regarder, c’est simple la vie chez les Pokemons et ça ressemble à chez nous.
• Pour gagner, le dresseur doit vaincre avec l’aide de ses Pokemons : comment ? Eh bien dans un combat. Puisque les combats de coqs ou de chiens sont interdits, créer des personnages qui se battent entre eux est une bonne idée : ne vous y détrompez pas, le principe reste toujours le même : pas d’entraide, mais un nécessaire vaincu. Pas de sang, mais la violence est présente, tout autant présente. Dans un des épisodes, la fille doit aussi faire combat de Pokemon. Grand seigneur notre héros lui prête ses Pokemons : en effet, l’enjeu est de taille, la fille veut gagner… des poupées Pokemon. Tout un programme.

Dernière info : à l’école du coin, ils envisagent d’interdire les Pokemons dans la cour de l’école pour cause de racket : la résistance au racket : la voilà la qualité essentielle à la survie dans le monde de demain !

Question : Pokemon et Pique Pocket sont dans un bateau, mon enfant dépense tout ses sous pour les beaux yeux de Pikatchu : qu’est-ce qui reste ? Certainement le premier apprentissage de l’art de la dépense, certainement le culte de la réussite par l’écrasement de l’autre, certainement la transmission de valeurs très utiles à l’univers marchand et surtout, beaucoup d’argent dans les poches de « Pikachu ».

Parents, à défaut de tenter de construire une ligne « Maginot » autour de vos gosses pour leur éviter cette déferlante si bien orchestrée : parlez, expliquez, montrez les mécanismes de la manipulation. On espère qu’il en restera quelque chose.

Éric Zolla. — liaison Corbeil


J’y suis, J’y reste !

Mogniss H. Abdallah, réalisateur de films documentaires (dont « La Ballade des Sans-papiers ») et animateur de l’agence IM’média, et le réseau No Pasaran, viennent de sortir un petit livre, fort instructif sur Les luttes de l’immigration en France depuis les années soixante jusqu’aux luttes actuelles des sans-papiers. Cet ouvrage fournit l’avantage d’une bonne synthèse des luttes d’hier et d’aujourd’hui à travers un point de vue résolument libertaire.

De la participation aux grèves ouvrières et aux campagnes contre les expulsions de travailleurs immigrés après Mai 68, au mouvement contre les circulaires Marcellin-Fontanet, aux grèves des foyers Sonacotra, au mouvement « deuxième génération » face aux violences policières, aux crimes racistes et aux expulsions dès la fin des années soixante-dix, en passant par les marches pour l’Égalité du début des années quatre-vingt, les luttes contre Pasqua et la double peine (prison + expulsion) et enfin le mouvement toujours actuel des sans-papiers, c’est toute la diversité des luttes liées à l’immigration qui est retracée et dont les enseignements sont mis en avant. Au fil des chapitres, quatre thématiques, que seuls les libertaires peuvent revendiquer, apparaissent comme les idées centrales de l’argumentation et transversales aux différentes luttes : l’analyse des solidarités français-immigrés, la recherche permanente de l’auto-organisation et de l’autonomie des luttes, le constat que lorsque la gauche est au pouvoir rien ne s’arrange sur les questions d’immigration et du délire sécuritaire et enfin la recherche de l’inscription de ces luttes dans un mouvement d’émancipation sociale plus global.

Pour terminer, ce livre s’arrête sur le mouvement actuel des sans-papiers, en esquisse un premier bilan et tente surtout d’ouvrir des perspectives notamment en replaçant la lutte au niveau et dans le contexte européen.

Un petit ouvrage indispensable donc, pour tous ceux et celles qui veulent cerner, d’un point de vue libertaire, les enjeux des luttes liées à l’immigration et mieux s’armer pour se jeter dans la bataille de la solidarité et de l’émancipation sociale !

David. — groupe Durruti (Lyon)

Mogniss H.Abdallah et le Réseau No Pasaran, J’y suis, J’y reste ! : les luttes de l’immigration en France depuis les années soixante, éditions Reflex, 158 pages, 45 FF (+10 % de port, disponible à la librairie du Monde libertaire, 145, rue Amelot, 75011 Paris).


Lucio l’irréductible

C’est la vie de Lucio Urtubia. Il avait cinq ans lorsque la révolution espagnole éclata. Ça le poursuivra toute sa vie.

Dès tout petit, après la victoire de Franco et de ses sbires, il voit ce que c’est que l’oppression et le fascisme. Il voit le pouvoir, la domination, la violence brutale, toutes ces saloperies.
Il vivra la pauvreté, la misère, le mépris des riches.
Il en sera dégoûté à jamais.
Il volera, très jeune, sans honte, sans gêne, pour vivre.
Plus tard, il arrivera en France. Il se fera maçon, se découvrira anarchiste.

Et il fera la rencontre, déterminante, de Francisco Sabaté, en cavale, qu’il hébergera chez lui. Il verra en lui un modèle et un exemple à suivre. Il passera alors sa vie à voler des banques, d’abord, puis à fabriquer des faux, faux papiers, faux billets, faux traveller’s chèques, pour aider à la lutte contre Franco et le fascisme, menée par les copains restés en Espagne qui nourrissaient des projets plus dingues les uns que les autres, de renverser ce régime barbare et inique, n’oubliant pas qu’on avait été si près de la réussir cette révolution, n’étaient la pourriture fasciste d’un côté et la racaille stalinienne de l’autre.

Bernard Thomas nous livre là une épopée formidable, l’épopée d’un homme qui conchie les injustices, un ouvrier du bâtiment amoureux de la liberté, la rage de vivre au ventre, prêt à tout pour voir son idéal anarchiste aboutir.

Un livre plein d’espoir, d’amour, de liberté, qui nous prouve qu’avec un peu de volonté, avec un peu de folie aussi (mais pas trop quand même), on peut tout ou presque.

Cédric. — groupe de la Villette

Lucio l’irréductible. Bernard Thomas. Flammarion. 139 FF. En vente à la librairie du Monde libertaire, 145, rue Amelot, 75011 Paris.


La prison rend fou

Voici un texte du « groupe de détenus » de la maison centrale de Poissy (78), adressé à son directeur, afin d’attirer son attention sur la santé mentale et les risques de suicide d’un détenu qui a déjà passé 29 ans en prison.
transmis par « Ras-les-murs »

Monsieur le directeur,
Notre courrier qui a dénoncé les conditions du suicide de nos deux compagnons est resté sans suite. Vous n’avez pas parlé aux détenus pour les rassurer sur leur détention dans votre établissement. Nous avions hélas raison de ne pas nous illusionner sur votre attitude à l’égard de la « population pénale ». Nous espérons pourtant que cette seconde lettre rencontre plus d’humanité de votre part.

Nous reprenons contact avec vous pour dire cette fois notre sentiment d’indignation et de honte à propos d’un détenu qui vient de passer 29 ans dans les prisons françaises : Monsieur Serge Lebon ! Il est depuis quelques années dans votre établissement pour une peine qui aurait du prendre fin il y a déjà dix à quinze, puisqu’étant condamné à perpétuité, pour un crime qu’il a largement payé. Mais la perpétuité comme vous le savez ne signifie pas mourir dans les murs d’une prison. La prison ayant contribué à déclencher et aggraver sa maladie mentale, il est trop facile maintenant de faire le constat de l’inconséquence d’une politique carcérale, et invoquer votre impuissance à le libérer. Un homme ne se réduit pas à de la chair humaine.

Chaque matin en le voyant dans la cour, dans sa tour d’ivoire personnelle, nous avons honte pour cette administration que vous représentez dans l’établissement.

Il vous est difficile aussi dans son cas, dans des propos administratifs de regretter la longueur des peines. L’enjeu dans ce cas n’est pas celui d’un « dossier » à gérer, mais de la fin de la vie d’un homme déjà largement diminué mentalement et physiquement. Il s’agit aussi de vous désolidariser du caractère inhumain d’une langue de bois des juges qui se débarrassent de détenus dans les prisons pour de très très longues années, sans se donner les moyens d’en évaluer les effets.

Au-delà des mots, et plus sérieusement, le cas de Monsieur Lebon fait franchement honte à ce qui nous reste d’humanité dans notre société.

Vous comprendrez donc que vos déclarations faites aux médias à propos d’une supposée « réinsertion sociale problématique » n’est qu’une patate chaude que vous repassez à des fonctionnaires éloignés du terrain, et donc objectivement irresponsables. Vous devriez, sans coup férir, commencer par résoudre la situation de ce détenu. Cela prouverait a minima que les mots de notre justice ne sont pas vidés de leur contenu. Car 29 ans est simplement un nombre indécent dans une démocratie telle que la France. Il s’agit dans ce cas d’une mise à mort tranquille de bonne conscience, et donc particulièrement lâche.

Pourriez-vous nous donner la preuve que vous faites ce qui est nécessaire pour mettre fin à la mascarade inhumaine qui garde encore ce prisonnier dans vos geôles ?

Car cet homme risque comme vous le savez clairement d’être retrouvé « suicidé » lui aussi, un beau matin. C’est une affaire de simple prévention donc, pour laquelle, nous n’en doutons pas, vous travaillez.

Dans l’espoir que vous entendrez ce nouvel appel à raison humaine, nous vous prions d’accepter nos salutations encore teintées d’espoir.

groupe de détenus


Grève des éboueurs dijonnais

Les ordures ne sont pas que ménagères

Voilà cinq semaines maintenant que les 140 éboueurs salariés de la Société franco-suisse (filiale de la Sita, du groupe Lyonnaise des eaux) sont en grève. Leur détermination ne faiblit pas car, bien soudés par une solidarité interne et externe (25 000 FF versés à ce jour en solidarité).

À travers leur lutte, les éboueurs (chauffeurs et rippeurs) entendent dénoncer les sous-effectifs qui leur sont imposés par la direction depuis plusieurs années, alors que, parallèlement, le volume d’ordures ménagères ne cesse d’augmenter. Encore cette logique infernale de profit.

Cette situation intolérable se traduit par 7 000 jours de repos hebdomadaires non récupérés (les éboueurs travaillent tous les jours sauf le dimanche !) s’accumulent au fil des années avec le stress, la fatigue, les maladies et la dignité qui en prend un coup.

Aujourd’hui, les grévistes disent non a cette logique de profit qui n’est pas la leur et qu’ils combattent fièrement. Et ce n’est pas un hasard si, dès le départ du conflit, ils ont posé la question suivante : « Quel service public pour le ramassage des ordures ménagères ? »

La Lyonnaise des eaux n’a elle qu’un seul but, gérer sa société pour dégager un maximum de bénéfices sur le dos des contribuables (taxe des ordures ménagères) et sur le dos des salariés (économie sur la masse salariale), dans le seul intérêt des actionnaires. On le voit, les ordures ne sont pas que ménagères ! C’est donc en toute logique que les grévistes (syndiqués CGt ou non syndiqués) revendiquent fermement la récupération de leur 7 000 jours de repos hebdomadaires, l’embauche de six CDI et le remplacement anticipé des départs en retraite d’ici 2005 (soit 20 personnes). Le président de la Communauté d’agglomération ne veut pas s’impliquer dans ce conflit, il renvoie les grévistes vers leur patron de la Franco-suisse. Il fait la sourde oreille, joue de sa mauvaise foi et de l’intox en faisant passer les éboueurs pour des privilégiés…

Toutes les tentatives de négociation ont échoué. Pendant ce temps les poubelles sont ramassées par les municipaux réquisitionnés ou par des éboueurs venant d’autres villes.

Ce que les grévistes condamnent à double titre. Atteinte grave au libre exercice du droit de grève et non respect de certaines règles sanitaires au moment du ramassage et de l’enterrement des déchets.

Dernièrement, les grévistes ont décidé de traduire la direction devant un référé judiciaire pour non respect de la loi en matière de jours de repos, estimant que c’est bien la situation qui est responsable de ce conflit et de son enlisement.

Quant au groupe libertaire dijonnais, il est présent lors des manifestations des éboueurs et a récolté 450 FF en solidarité financière. Nous avons également diffusé des autocollants « Solidarité avec les éboueurs en grève, les patrons à la benne ! » à coller sur les sacs poubelles dans les rues.

groupe libertaire de Dijon