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articles du ML1210

du 15 au 21 juin 2000
Le jeudi 15 juin 2000.

https://web.archive.org/web/20040506183159/http://www.federation-anarchiste.org/ml/numeros/1210/index.html

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Marche mondiale des femmes…

Une parade de plus ?

Ce 17 juin est le rendez-vous français de la Marche mondiale des femmes, préparant celle qui doit se tenir le 17 octobre à New-York, devant le siège de l’ONU après l’étape européenne de Bruxelles le 14. L’origine de cette marche est une rencontre internationale à Montréal le 17 octobre 1998. Les 140 femmes de 65 pays réunies à cette occasion ont fait un état des lieux accablant et à valeur d’universel : partout dans le monde, les femmes sont les premières victimes de violences et de pauvreté. S’étant auto-proclamées les représentantes des femmes du monde, elles ont rédigé un cahier de revendications mondiales « à la lumière de l’analyse féministe ». Cette plate-forme mondiale doit être complétée et utilisée tout ou partie par les collectifs régionaux, nationaux… Et on a vu fleurir la plate-forme européenne qui gomme certains aspects inacceptables comme le soutien « aux objectifs de la campagne jubilé 2000 », l’absence de référence à la contraception, à l’avortement et aux lesbiennes, ainsi que la plate-forme française et même des locales. Le cahier mondial reste le cadre général et permet un large consensus réformiste qui se résume à dire la nécessité de réduire les inégalités mais non de changer de système économique et social !

Un monde patriarcal

Les signataires constatent les inégalités et discriminations « sexo-spécifiques » que subissent les femmes dans les sociétés patriarcales et capitalistes dans le monde, mais uniquement pour quémander un aménagement de celles-ci. L’infériorisation des femmes est une réalité ici et ailleurs dans tous les aspects de la vie ; mais qu’avons-nous à attendre de ce système « amélioré » ? De qui ce moque-t-on ? Le patriarcat préexistait au capitalisme, mais le capitalisme dans sa logique a intégré le patriarcat comme un des vecteurs de sa domination et ces deux systèmes s’adaptent aux évolutions des sociétés dans le temps et dans l’espace. À noter que les progrès gagnés par les femmes le sont essentiellement dans les domaines politiques et juridiques alors qu’en matière économique et sociale la réforme semble impossible, c’est le cœur même du système qui est en jeu. Il est illusoire de les penser de façon dissociée tant ils sont intrinsèquement liés depuis deux siècles. Toute lutte anticapitaliste ne peut être qu’antipatriarcale, sauf à admettre une société inégalitaire ! De même, toute lutte antipatriarcale ne peut être qu’anticapitaliste sauf à vouloir uniquement l’intégration de certaines femmes dans le groupe de dominants !

À la recherche d’un monde nouveau : le capitalisme à visage humain !

L’autre ennemi c’est le capitalisme néolibéral ou, selon la terminologie à la mode, la mondialisation, c’est-à-dire la dérégulation et la libéralisation des marchés du travail et financier qui accentuent les inégalités à l’échelle nationale et internationale et celles liées au genre. La solution préconisée est un capitalisme à visage humain contrôlé par la « société civile ».

Le capitalisme qu’il soit sauvage, libéral ou social reste un système économique basé sur des rapports sociaux d’exploitation. Dans sa mouture actuelle, il n’est que la réhabilitation des pratiques coloniales et le redéploiement des politiques libérales à l’échelle mondiale.

Quant à la « société civile », son destin passe par l’État et son pouvoir de régulation. L’État serait neutre voire bienveillant pour améliorer la société. Là aussi, qu’il soit État-providence ou libéral, son rôle reste identique, le maintien des privilèges en jouant sur tous les registres allant de la démocratie au nationalisme et en usant de la force si nécessaire.

Mais la « société civile » a d’autres ressources avec l’ONU et les ONG. La première serait l’incarnation potentielle de la démocratie à l’échelle mondiale, et viendrait à la rescousse des individues, voire de certains États. Comment nier le rôle de l’ONU comme vecteur parmi les plus puissants de la diffusion de la mondialisation, via la Banque mondiale, le FMI et l’OMC ? Avec les ONG, dont le but est l’amélioration de la situation, c’est la litanie habituelle de victimisation des femmes qui est entonnée (comme pour les pays du Sud), d’autant plus que l’UNESCO a déclaré les femmes « nouvelles pauvresses de l’an 2000 ».

2 000 raisons d’être antipatriarcales et anticapitalistes

Il ne s’agit pas de réformer ce système d’oppression qui divise et désolidarise l’ensemble des populations, notamment les femmes et les hommes. Il nous faut mettre le monde à l’endroit. L’égalité économique et sociale ne se gagnera que par la destruction du capitalisme et du patriarcat. Il est plus que nécessaire de s’unir au niveau mondial, de se fédérer à la force de nos luttes. Les femmes sont des combattantes au quotidien dans tous les coins de la planète. Dans chaque pays, les « Droits des Femmes » n’ont pas été octroyés mais ont été gagnés par des luttes menées seules ou en mixité. Aussi la Marche mondiale peut être l’occasion de construire un rapport de force afin d’exiger, d’affirmer et d’imposer notre existence comme individues autonomes, d’être ce que nous voulons.

Ici comme ailleurs, ce combat se mène au quotidien et la Marche mondiale peut en être un temps fort. Ici en France, il est plus que surprenant de constater la disparition des revendications sur l’avortement et la contraception des priorités alors que Martine Aubry doit annoncer en juin un « toilettage » de la loi Veil. N’était-il pas possible de structurer une mobilisation pour obtenir la dépénalisation de l’avortement, l’extension des délais, la fin de l’autorisation parentale pour les mineures et des conditions de résidence pour les immigrées.

Pour certaines forces politiques, la Marche mondiale est une occasion de parler des femmes, de montrer qu’elles sont prises en compte pour toutes sortes de raisons, mais non de remettre en cause cette société. Dans de nombreuses villes, des groupes et individues féministes, révolutionnaires et anarchistes ne se sont pas impliqué-e-s dans la marche officielle mais ont pris des initiatives pour faire entendre et structurer une marche anticapitaliste et antipatriarcale, pour préparer et mener les combats aujourd’hui et demain.

Danielle. — groupe Lucia Saornil


Marché mondial de l’éducation à Vancouver

L’Éducation aux pertes et… profits

Dans un livre brûlot (1), paru en 1998, deux auteurs, Gérard de Sélys et Nico Hirtt, respectivement journaliste et enseignant belges, dénonçaient la mainmise des marchés sur les services publics et leur appétit à vouloir s’emparer de tout ce qui n’était pas encore privatisé. Appelant un chat un chat, un riche un riche et un patron un patron, preuves à l’appui car s’appuyant sur des documents officiels, des comptes rendus et diverses déclarations, ils démontraient comment l’OCDE, l’OMC, le FMI et la Commission européenne, tout ce beau monde pris la main dans le sac, préparaient rien moins que la privatisation de l’enseignement. Ce n’était pas la querelle idéologique école publique/école confessionnelle qui était relancée. Non, là c’est du sérieux, le petit Jésus peut aller se rhabiller, c’est de gros sous dont il s’agit. Et encore une fois, de beaux esprits les ont traités d’incurables pessimistes voire de gauchistes paranoïaques. L’enseignement totalement privatisé, impossible, inimaginable ! Les exemples anglo-saxons ? Un cas d’espèce… Pourtant, la réalité va souvent frapper à la porte de ceux qui s’illusionnent et qui s’imaginent que tout ce qui était privatisable l’a été…

Vancouver

C’est au Canada, mais c’est surtout, le hasard fait bien les choses, à moins de 500 km de Seattle, ville qui a défrayé la chronique il n’y a pas longtemps, faut croire que le climat y est favorable… Fin mai, près de 3 000 professionnels de l’éducation et de la formation, représentant 462 organismes publics et privés de 72 pays, s’y sont réunis pour le premier World Éducation Market (WEM), sous la houlette du Reed-Midem Organisation. Ce dernier est organisateur du Milia (nouvelles technologies) et surtout de la grande foire audiovisuelle, le Mip-TV. On l’aura compris, que des philanthropes et des humanistes ne pensant qu’au bien-être de l’humanité. D’ailleurs, que déclare le patron de cet organisme : « [Il s’agit pour le WEM] de dynamiser le marché de l’éducation ». De quoi ont-ils parlé ? Par exemple, comment favoriser les échanges commerciaux dans l’enseignement.

Acheter et vendre tout ce qui permet de transmettre des savoirs et des savoir-faire (CD-Rom, modules de formation, sites Internet, programmes télé etc.). En 2002, selon ces braves gens, le marché de l’éducation devrait peser 90 milliards de dollars (plus de 600 milliards de francs) et générer certainement de juteux profits, mais comme ils sont très pudiques ils n’en n’ont pas parlé. La France, si fière de son grand service public, y était bien représentée : l’ambassadeur en personne, ce qui montre tout l’intérêt qu’on y porte en haut lieu, mais aussi le directeur général d’EduFrance. Ce dernier se lamente : « L’offre française en matière d’enseignement à distance reste confidentielle. On n’est pas à l’échelle du monde. » Ce qui ne l’empêche pas de se réjouir, et abordant la question des ventes de formation, du partenariat privé-public, entreprise-école, il déclare tout de go : « Nous sommes embarqués dans un mouvement inéluctable, de la maternelle à l’université. » On n’est pas plus clair ! Mais, allez-vous dire, qu’est-ce que c’est que cette Edufrance ?

Allègre toujours !

C’est une constante chez les ministres socialistes. De même que Bérégovoy, ancien employé du gaz était fasciné par la bourgeoisie capitaliste, Allègre, le chercheur en géologie, est lui aussi tombé dans le miroir aux alouettes du discours enjôleur et libéral des tenants du Marché. Alors, on a eu droit aux chercheurs et universitaires qui devaient créer leurs entreprises, déposer des brevets, fonder des joint-venture etc. Évidemment les start-up, Internet, la e-économie ne l’ont pas non plus laissé indifférent. Toujours est-il que, à peine nommé, EduFrance est par lui créée. But de cette agence dépendant du ministère de l’Éducation : promouvoir dans le monde le potentiel de formation et d’expertise scientifique de la France. Offrir aux étudiants étrangers une prestation globale d’accueil et de séjour en France. Coordonner l’offre française d’ingénierie éducative.

C’est bien connu, il fallait monter ce bidule d’urgence, il n’y avait pas avant lui d’étudiants étrangers dans notre beau pays, pas d’accords de coopération etc. On sent tout de suite qu’on est bien loin des idées d’échanges, propres à favoriser, comme le dit la langue de bois, l’amitié entre les peuples. C’est plutôt préparer l’éducation à se muter en gigantesque banque de données et de savoirs dont il est question. Et bien comprendre banque en tant que telle, c’est-à-dire vendant des services contre espèces sonnantes et trébuchantes. C’est évidemment plus aisé de commencer par le Supérieur, les gens sont déjà habitués à payer (droits d’inscription, grandes écoles plus ou moins privées et onéreuses). Facile, au nom de la modernité, de la mobilité, de la compétitivité, de déclarer obsolètes certaines formes d’enseignement, certains diplômes. Grâce aux nouvelles technologies, tout est possible : n’est pas loin la méga-université de 100 000 étudiants, réunis par réseaux sur un campus virtuel… Oui, oui, ça a été évoqué !

Et les boîtes à bac, la multiplication des serveurs style révise ton bachot, l’offre exponentielle de cours de rattrapage du CP à la terminale, tout cela va dans le même sens, faire de l’enseignement une marchandise monnayable comme une autre. Comme le dit le directeur d’Edufrance : « Après tout, il existe déjà en France des écoles privées qui délivrent des diplômes d’État nationaux ou qui nouent des conventions avec le service public. Et, ajoute-t-il, [l’éducation] est un produit spécifique, [mais le secteur privé peut] allier profit et éthique. » Au moins, il n’est pas hypocrite !

Hypocrisie

Dans le genre faux-cul, le Allègre il était fort : c’est parce qu’il était effrayé par le modèle anglo-saxon qu’il voulait que la France jouât un rôle sur le marché de l’éducation, pour éviter une privatisation sauvage. Tiens, il y aurait des privatisations civilisées ? Formidable, ce n’est pas la privatisation qui est en cause, mais la façon trop brutale dont elle est faite, trouvons donc une méthode apaisée et avançons masqués ! Toujours dans le même registre, les organisateurs de ce grand raout ne sont pas trop mal : c’est sous un jour humaniste que la mondialisation de l’enseignement y a été présentée. Grâce à Internet (gratuit ?), on peut résoudre les problèmes des pays ravagés par le sida, les ordinateurs suppléant l’absence et le manque d’enseignants ! Ben voyons ! Et c’est valable pour tous les pays en voie de développement, on vous l’a dit plus haut, des philanthropes !

Le cauchemar

Ce qu’il y a en préparation, c’est un bouleversement complet des systèmes éducatifs de par le monde. L’idée même qu’il puisse exister quelque chose qui échappe à la sphère de l’argent et aux rapports marchands est intolérable pour les tenants du système capitaliste. L’enseignement en était une, ça va changer ! Tout d’abord, c’est clair qu’il sera de plus en plus orienté vers la formation de la main-d’œuvre pour satisfaire les besoins immédiats du capital ! C’est déjà commencé ! Ce n’est pas un hasard, si dès l’école élémentaire, on met de plus en plus l’accent sur les compétences (terme de formation professionnelle) et on parle de moins en moins d’instruction. On connaît aussi les exigences de plus en plus fortes du patronat pour disposer de salariés adaptables et flexibles, d’où de plus en plus, l’effort demandé à la formation continue, voire l’autoformation sur le temps de loisirs.

Tout un marché se développe, un système existe déjà en Europe : l’ECTS (European credit transfer system), où ce n’est plus un cursus dans une université qui compte, mais la pioche dans telle ou telle, avec une validation elle aussi en mosaïque : les crédits. Ces derniers pourraient suivre le salarié toute sa vie, pourraient s’accumuler etc. Le tout au gré des besoins des entreprises. Par les temps qui courent, la suppression des diplômes reconnus est une atteinte supplémentaire contre les travailleurs, car il n’y a plus protection par des statuts ou des conventions collectives, et donc une individualisation accrue des salaires, de plus en plus à la tête du client.

Bien entendu, tous ces services de formation initiale ou continue auraient un coût, et pourraient en disposer uniquement ceux qui auraient les moyens de se les payer ou de les offrir à leurs enfants. Quant aux autres, le service public (réduit à la portion congrue) sera là pour leur donner le minimum, ceux qui craignaient un lycée light sont enfoncés, ce sera le RMI éducatif. C’est cet avenir cauchemardesque qui est en gestation, les foires comme ce WEM n’en sont que les préliminaires, mais petit à petit tout se met en place, aussi bien d’un point de vue technique et technologique (Internet, télé, câble etc.), que d’un point de vue politique et idéologique (privatisations, habituation à recourir à l’école privée, consumérisme parental, l’usager devient le client, rentabilisation et mode de fonctionnement des services publics calqués sur le monde de l’entreprise, etc.). Un univers où l’éducation serait cotée en Bourse : les cours de la Maternelle-Incorporated montent, il y a afflux d’enfants de trois ans, ceux de la College-SA diminuent, elle a eu de mauvais résultats aux brevets entreprenariaux (nouveau nom du BEPC)…

Les personnels (du moins ce qui en restera, car on sait pertinemment que le train de la privatisation tire des wagons entiers de licenciements), ne seront pas épargnés. À ce forum, on y pense déjà : on évoque « la question du service et des carrières des enseignants. »

Résister

Aussi bien cette mascarade du WEM que le futur pas radieux qui s’y prépare ne pouvaient laisser indifférents. Selon L’AFP, un contre-WEM s’est tenu, représentant une demi-douzaine d’associations étudiantes et professorales. Elles ont même réussi à interrompre une séance pendant quelques minutes aux cris de l’éducation publique n’est pas à vendre ! Ce contre-WEM paraît pour le moment être très local, puisqu’il était surtout question de luttes contre une loi de l’Ontario qui favorise le Supérieur privé et contre les diminutions des subventions publiques aux universités. Ce n’est pas suffisant, c’est le moins qu’on puisse dire, vu la hauteur des enjeux.

Il va falloir se mobiliser, partout, dans les syndicats, les associations pédagogiques ou parentales. Il faut tirer la sonnette d’alarme et dénoncer tout ce qui se trame. Surtout, ne pas se tromper de combat. Ce n’est pas la querelle des anciens contre les modernes, de la craie contre l’ordinateur, de l’estrade contre Internet. Ça, c’est ce que nos adversaires voudraient nous faire croire. Se parer des habits de la modernité, se cacher derrière des outils dernier cri, bonne tactique pour mieux nous déconsidérer, alors que ce sont eux les archéos, les réactionnaires, les rétrogrades qui veulent revenir en arrière, à cette époque où le Savoir et la Culture étaient réservés à une élite.

Il n’y a pas de fatalité. C’est au mouvement social de crier haut et fort ses exigences d’un service public d’éducation de qualité, libéré des mercantis et autres marchands de soupe. Pour en revenir au livre cité au début, celui-ci disait rien que de le lire, c’est-à-dire connaître ce qui se trame dans l’ombre et donc le mettre en lumière, défendre des valeurs et des principes qui vont à rebours de « leurs visées », c’est déjà entrer en résistance. Alors il n’est pas encore trop tard, entrons en résistance !

Éric Gava. — groupe de Rouen

(1) Tableau noir ; Résister à la privatisation de l’enseignement. par Gérard de Sélys et Nico Hirtt. Éditions EPO ­ 20A, rue Houzeau de Lehaie 1080 Bruxelles ­ Belgique


Refondation sociale : précarité à perpétuité

Le 2 novembre 1999, le conseil exécutif du MEDEF (patronat) adoptait à l’unanimité une déclaration dont la conclusion disait : « Le moment est venu de concevoir la nouvelle constitution sociale de la France. Elle devra tenir compte des besoins et aspirations des salariés, des possibilités et contraintes des entreprises. Elle devra s’inscrire dans la perspective de la construction européenne. Elle devra tenir compte du progrès technologique. »

Il est trop tôt pour savoir précisément ce qui ressortira des négociations en cours avec les organisations syndicales « représentatives », mais la logique et la stratégie patronales sont d’ores et déjà claires : il s’agit de liquider les derniers acquis des salariés et de les condamner à la précarité à perpétuité.

Il va de soi que ces projets patronaux s’inscrivent dans une logique d’ensemble qu’accompagne bien évidemment le gouvernement Jospin. Il importe donc, en mettant bout à bout les dispositifs gouvernementaux, à commencer par les lois Aubry, et patronaux, de mettre en évidence leur projet global.

L’idée de « formation tout au long de la vie » est très à la mode dans les milieux patronaux et technocratiques. La formule pourrait d’ailleurs paraître séduisante pour certains salariés naïfs ou mal informés. De quoi s’agit-t-il ? Ce qui se passe actuellement à l’Association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) est très éclairant.

L’ancêtre de l’AFPA, l’Association nationale interprofessionnelle pour la formation rationnelle de la main-d’œuvre (ANIFORM) a été créé en 1949 au lendemain de la seconde guerre mondiale, alors qu’il fallait reconstruire le pays et former les salariés.

En 1994, l’État renonce à sa tutelle tout en gardant un droit de regard et décide que l’AFPA sera désormais un client. En 1996 Jacques Barrot, alors ministre du Travail, dénonce le statut des salariés : désormais les nouvelles règles conduisent à l’individualisation des rémunérations en fonction des résultats.

En novembre 1997 enfin, suite au sommet de Luxembourg réunissant les chefs d’État de l’Union européenne, une nouvelle mission est assignée à l’AFPA. Il s’agit désormais pour elle, non plus de dispenser une réelle formation qualifiante, mais de mettre en place simplement des mini programmes adaptés aux besoins immédiats définis par les patrons. Par exemple auparavant l’AFPA préparait à un diplôme de maçon et cela correspondait à une qualification reconnue dans les conventions collectives du bâtiment avec ce que cela signifie, en terme de salaire notamment. Aujourd’hui, l’AFPA prépare le plus souvent, dans l’urgence, des adultes à poser des briques ou à badigeonner les murs d’enduit. Cette « compétence parcellaire » est étroitement liée à la notion patronale, reprise dans toutes les directives européennes, « d’employabilité ».

Prouver son employabilité

En clair, le salarié devra prouver sa compétence pour être employable et le temps de formation dans cette logique n’est plus considéré comme un temps de travail mais comme une responsabilité à la charge du salarié. La fameuse formation tout au long de la vie…

Notons pour la petite histoire que les salariés de l’AFPA (environ 10 000) sont engagés actuellement dans une sévère bagarre contre un accord, type loi Aubry, signé par la seule CFDT, qui les annualise et les flexibilise.

L’« employabilité » conduit à la remise en cause de la notion même de contrat de travail. Ainsi le MEDEF, dans le cadre de son projet de « refondation sociale », au sein de la commission « assurance chômage et précarité », a mis sur la table deux nouveaux contrats de travail. L’un dit de « mission », l’autre d’une durée maximale de cinq ans à la manière des emplois-jeunes mis en place par le gouvernement Jospin…

Et le MEDEF de reprendre aussi l’exemple des Pays-Bas qui, entre autre dispositif d’extrême précarité, ont reconnu le « contrat sur appel ». Celui-ci permet à l’employeur d’appeler le salarié quand il en a besoin et de ne pas le rémunérer en cas contraire.

Cette idée que le patronat qualifie de moderne n’est rien d’autre que ce qui existait au XIXe siècle quand chaque matin, l’ouvrier se présentait à la porte de l’usine pour voir s’il y avait du travail ! D’un point de vue plus général, le MEDEF a proposé aussi, le 9 mai dernier, d’abolir « le principe de faveur » qui protège actuellement les salariés contre tout accord de niveau inférieur moins favorable que les dispositifs existant au-dessus. On retrouve là la logique des lois Aubry qui vise à casser les conventions collectives nationales au profit d’accord locaux beaucoup plus défavorables le plus souvent aux travailleurs.

Dans le même esprit, le patronat développe une idée simple du chômeur : un individu qui n’a pas fait l’effort d’être employable. D’où sa proposition du « contrat d’aide au retour à l’emploi » (CARE).

Le retour du travail obligatoire

Pour le MEDEF, chaque chômeur devrait passer avec « l’Union nationale pour le développement de l’emploi » (qui remplacerait l’UNEDIC) des contrats obligatoires. Finis ainsi les quelques droits qui subsistent pour les salariés privés d’emploi ; il ne reste plus que les devoirs. Le chômeur n’a pas su se vendre, il doit expier son comportement.

Une sorte de Service de Travail Obligatoire s’imposerait donc à lui. Cette logique pétainiste n’est pas nouvelle, mais elle trouverait là cependant un aboutissement gravissime. Notons que sur ce sujet, le 18 mai dernier lors d’une conférence de presse, Nicole Notat, Secrétaire Générale de la CFDT, a répondu au projet patronal du CARE : « chiche ! ». Elle considérait dans cette même conférence de presse, que beaucoup d’idées avancées par les patrons n’étaient que des reprises de propositions CFDTistes !

Concernant les retraites, les patrons ont pour objectif d’individualiser les droits sur la base du slogan « la retraite à la carte ». Tout âge de départ à la retraite deviendrait caduc. Chacun « construirait son avenir » en fonction de son espérance de vie et des fluctuations boursières via les fonds de pension. Il faut préciser à ce sujet que le projet de loi sur l’épargne salariale, même si le terme de fonds de pension est soigneusement évité, est la première étape française de leur mise en place.

On le voit, l’ensemble forme un tout cohérent. Dans leur système il y aurait essentiellement des contrats de travail précaires, d’activité ou de mission. Le salarié entretiendrait son « employabilité » par une formation tout au long de sa vie, alternant petits boulots et périodes de chômage, en attendant une hypothétique retraite.

Nous faire accepter toutes les contraintes

Dans ce tableau, il faut ajouter l’attaque contre la médecine du travail. Le MEDEF se propose de supprimer la visite annuelle obligatoire auprès du médecin du travail et de remplacer ce dernier par un médecin libéral lié à l’employeur par contrat.

Il ne faut pas oublier non plus le projet de décret ministériel de Martine Aubry, visant à soumettre les inspecteurs du travail, jusqu’à maintenant protégés par la convention 81 de l’Organisation internationale du travail (OIT), à l’autorité du préfet. Ils pourraient ainsi, selon le bon vouloir des groupes de pression politiques et économiques, être déplacés voire révoqués à tout moment.

Terminons enfin par le projet de loi de « modernisation sociale » qui doit être étudié fin juin par l’Assemblée Nationale. Ce projet contient, entre autres joyeusetés, la transposition de la directive européenne 92-85 « femmes enceintes » dans le droit français. L’objectif très « moderne » en effet, est de réduire le congé de maternité de 16 semaines à 14 semaines, sans préciser de surcroît le minimum que devra accorder l’employeur pour le pré et le post natal.

Nous l’avons maintes fois analysé dans les colonnes du Monde libertaire, les patrons ne connaissent aujourd’hui plus aucune limite dans leur guerre contre les coûts salariaux. Tout juste se sentent-ils encore obligés de masquer leur idéologie de classe par des formules pseudo-modernes de travail à la carte, de formation tout au long de la vie ou de démocratie participative. Leur programme est clair. Le nôtre aussi. Construisons partout la résistance sociale et virons-les !

Fabrice. — groupe La Commune (Rennes)


Faits d’hiver

Innovation majeure

Elle se prénomme Isabelle. Elle a la cinquantaine fragile. Les traits tirés. Un drôle de halo dans le regard. Et comme chaque jour elle attend avec impatience l’arrivée de l’esthéticienne.

Elle se prénomme Emmanuelle. Elle a la trentaine largement fringante malgré, là encore, des yeux dont on ne voit jamais le fond. Et comme chaque jour, elle aussi, attend avec fébrilité la visite de…

Comme Isabelle et Emmanuelle, elles sont aujourd’hui plusieurs centaines de femmes, clouées à l’hosto pour cause de cancers de tous ordres, à « bénéficier » (dans le cadre d’un programme mis au point par l’Institut Curie), de soins de beauté (massage du visage, maquillage, manucure…), réguliers.

Le jury du congrès Euro cancer qui s’est tenu ces tous derniers mois à Paris a salué l’événement en attribuant à ce programme (qui a concerné 600 femmes en France depuis 1998) le prix Annie d’Avray qui récompense une innovation majeure à l’hôpital.

Est-il besoin de le préciser, pour avoir découvert (après la bombe atomique, l’Internet et le quinquennat) qu’un malade était aussi, et avant tout, un être humain, le capitalisme n’envisage nullement de généraliser cette démarche à tous les hostos et de l’étendre à d’autres institutions comme la prison, l’usine ou l’école.

Faut pas confondre innovation et révolution ! On s’en serait douté !

Jean-Marc Raynaud


Sexualités

Les anarchistes seraient-ils queer sans le savoir ?

On assiste depuis les années 1990 à un renouveau militant du mouvement homosexuel. En France, l’année 1994 fut marquée par une marche d’affirmation homosexuelle, organisée par l’association Gay Pride, qui a réuni 20 000 personnes à Paris, ainsi que par la création d’un Centre gai et lesbien dans la même ville, tandis que l’année précédente, à Washington, un million de personnes défilaient pour défendre les droits des homosexuel-le-s et des transsexuel-le-s. Parallèlement, dans les discours populaires ou scientifiques se développe une vaste réflexion sur la construction sociale, historique, politique et culturelle de l’homosexualité, de l’hétérosexualité et des genres. L’accent est mis sur la critique des visions hétérocentrée, opprimantes et réductrices des genres. Utilisé d’abord pour désigner les gais et les lesbiennes et critiquer l’hétéronormativité, le terme queer (qui signifie étrange, bizarre, singulier en anglais) caractérise aujourd’hui l’ensemble des contre-discours et pratiques qui veulent en terminer avec l’enfermement dans des catégories ou des identités sexuelles. Se situant dans une optique résolument différentialiste et transnationale, anti-universaliste et anti-assimilationniste, et refusant les savoirs élitistes et tout ceux et toutes celles qui font leur business sur le dos des lesbiennes et des gais, ce militantisme basé sur une dimension politico-sexuelle ne peut qu’attirer l’attention des libertaires. Quelle est l’originalité et la spécificité du militantisme queer ? N’est-il qu’une mode passagère ou peut-il transformer réellement les relations à l’autre, voire la société ? Les anarchistes seraient-ils queer sans le savoir ?

L’émergence de la théorie et des pratiques queer peut se comprendre à la lumière de l’évolution du mouvement homosexuel. En effet, l’acquisition progressive de droits nouveaux pour les homosexuel-le-s (PACS par exemple) s’est faite au prix de concessions : commercialisation de la culture homosexuelle, hégémonie du mouvement gay et lesbien par les hommes blancs et enfermement dans une identité homosexuelle, celle du gay n’aspirant qu’à s’intégrer à la société hétéronormative. On est loin des années 1970 et des mots d’ordre antipatriarcaux et anticapitalistes du FHAR (Front homosexuel d’action révolutionnaire). La gauche et l’apparition du sida sont passées par là. L’accent mis sur les thèses réformistes pendant les années 1980 a alors marqué un tournant du mouvement homosexuel et a occulté les courants antinormatifs et non identitaires qui réapparaissent actuellement sous le terme queer.

Réappropriation des catégories sexuelles et gender fucking 
Dans le même temps, pour saisir l’apparition des contre-discours sur le genre et les sexualités, il faut prendre en compte l’évolution des notions de sexe et de genre. Rappelons que dans les années 1970, la distinction sexe/genre a permis au mouvement féministe de casser le lien entre le sexe biologique et les caractérisations masculines et féminines. Mais, depuis la seconde moitié des années 1980, ce concept de genre est critiqué par des chercheurs car il a conduit à des généralisations abusives qui expliquaient la domination des femmes dans toutes les sociétés par leur assignation à tout ce qui était dévalorisé socialement. Ainsi, en soulignant les différences entre les sexes, le genre ne prend pas en considération les relations de domination entre femmes, ni les rapports de classe par exemple. D’autre part, il continue à diviser et hiérarchiser les êtres humains en deux catégories distinctes. De ce fait, cette binarité ne remet pas en cause la normalité hétérosexuelle. Le queer ambitionne donc de faire éclater les catégories, les identités afin que chacun-e puisse élaborer les identités qu’il lui plaira, ce qui ne manque pas de susciter de nombreuses interrogations.

En effet, par cette déconstruction permanente, ne risque-t-on pas de miner l’action collective ? L’accent mis sur la façon de jouer avec les genres voir de les « niquer » peut-il aller au-delà de la mise en place de simples modes de vie différents ? En luttant contre le pseudo-universalisme à la française, le queer porte-t-il en germe une transformation globale de la société ou ne se limite-t-il qu’à une redéfinition de la citoyenneté actuellement en œuvre en Europe du fait de la remise en cause des États-nations comme fondement de la citoyenneté ?

L’art de la résistance aux normes sexuelles

Au départ, l’identité naît des normes. Elle peut en cela contribuer pour certains à la prise de conscience d’une oppression spécifique par un reversement de sens, en témoigne les slogans du FAHR : « Nous sommes plus de 343 salopes, nous nous sommes faits enculer par des Arabes. Nous en sommes fiers et nous recommencerons » ou « On n’est jamais trop pédé ». Cependant se réclamer d’une identité conduit à bien des dérives : repli de la lutte sur la défense d’intérêt catégoriels, apparition d’un marché gai où l’acceptation de son identité passe par la consommation (bars, saunas, backroom, agences de voyages, etc.), l’hétérosexualiation des gais et des lesbiennes.

Face à ces impasses, la théorie queer revendique non pas une identité mais des identités. La stratégie consiste alors à résister aux marquages identitaires par un processus perpétuel de déconstruction des normes/construction d’identités multiples. Le militantisme queer fonde la résistance sur mouvement et brouille les cartes en mélangeant aujourd’hui les identités pour ôter toute prise aux normes. Contre l’assimilation républicaine, il vise à établir une articulation entre les minorités sexuelles (bi, trans, pédé, gouin-e, etc.) et les minorités ethniques pour transgresser les normes de n’importe quelle communauté : Être Arabe et devenir pédé français intégré ne saurait satisfaire ce mouvement politico-sexuel.

Dans cette optique, le mouvement queer milite pour la création d’espace critiques, diffuses des alternatives au féminin et masculin par des expos, des projections de films, des tracts, des séminaires ou des ateliers. Il revendique la création d’études lesbiennes et gaies, de queer studies à l’université comme cela se fait aux États-Unis actuellement et leurs objectifs est de créer les conditions pour que chacun puisse parler en son nom.

Les limites de la queer theory

Au total, si ce mouvement peut apparaître sympathique, anarchistes, nous nous contentons pas d’être queer. On ne fait pas sauter les catégories homme-femme par le simple fait d’adopter de nouveaux modes de vie, de se construire soi-même de nouvelles identités (gouin ou pédette par exemple). Elles sont le fruit de constructions sociales de plusieurs millénaires. D’autre part, la multiplicité des identités ne peut être appréhendée uniquement sous un angle créatif ou ludique. Elles génèrent aussi des contradictions ou des violences auxquelles il est difficile de faire face tout seul.

Par ailleurs, un militantisme fondé sur des considérations tactiques privilégiant la mobilité et non sur des valeurs communes, peut vite tourner en rond et n’être qu’une déconstruction sans fin. Dans ce sens, le concept de genre, s’il faut le critiquer pour mettre l’accent sur sa fluidité, ne peut être pour autant jeté à la poubelle.

Surtout, l’importance mise sur l’image, les représentations, le vécu ou les émotions doit nécessairement s’articuler avec les champs économiques et sociaux pour ne pas sombrer dans le nombrilisme, le comportemental ou la performance individuelle. Il faut ainsi inévitablement prendre en compte la capacité du capitalisme à valoriser les identités. L’accroissement des possibilités d’être et de faire sont ainsi perçu par le capitalisme, qu’on le veuille ou non, comme autant d’idées à exploiter pour mettre sur le marché de nouveaux produits. Il faut prendre donc très au sérieux la disposition du capitalisme à marchandiser le désir et l’encadrer. On peut même dire qu’il repose en grande partie sur le désir. La libération du désir n’a pas entraîner la fin du capitalisme comme le prétendaient les freudo-marxistes des années 1930 aux années 1970 car celui-ci n’est plus relié de nos jours à la famille, la religion ou le conservatisme des institutions. Finalement la non normativité sexuelle apparaît peut-être même comme le bien par excellence puisqu’elle permet le remplacement des formes de coercitions de l’appartenance nationale par un plaisir polymorphe s’assouvissant dans la consommation (achat de vêtements, d’ustensiles sexuels, de places de ciné, etc.).

Sur le plan politique, en voulant créer des espaces qui ne soient plus sous l’emprise du républicanisme français, la théorie queer tend vers un modèle multiculturel de la citoyenneté. Elle participe donc à la redéfinition de la citoyenneté au moment où se produit, dans l’Union européenne, une disjonction entre l’État et la nation. Toutefois, on ne saurait nier son apport dans l’émergence d’un militantisme multiethnique refusant l’hétéronormativité.

En fin de compte, si la pensée queer pêche par l’absence d’une remise en cause globale du système, elle fournit néanmoins des pistes intéressantes. À quand ce genre de réflexion dans les syndicats ?

Guillaume. — groupe Durruti (Lyon)


Crise de foi

Lucifer a un chat dans la gorge

Il était une fois une jeune romancière galloise, Joanne Rowling, qui avait inventé un personnage, Harry Potter, onze ans, qui faisait des études dans une école de sorcellerie. Il y suivait des cours de magie, buvait du jus de citrouille et recevait son courrier par un hibou express. Ces romans se vendent comme des petits pains parmi les jeunes et la Warner projette dans tirer un film. Mais seulement voilà, ces simples romans, dérangent certaines personnes aux États-Unis qui tentent de faire interdire ces livres pour « incitation au satanisme ». Récemment dans une école primaire religieuse britannique, la directrice à viré de son établissement le jeune héros sous le prétexte que la bible récuse les sorcières et les démons. D’où les bûchers de sorcières au Moyen Âge. Les chrétiens vont-ils interdire la fête Halloween ?

En tous cas, un simple roman pour enfants suffit à provoquer les foudres de ses empêcheurs d’écrire ce que l’on veut. Mais qui a inventé ces mythes autour des sorcières, qui a parlé des démons et de Satan, sinon des religieux eux-mêmes ? L’Église chrétienne anglicane tiendra d’ailleurs son synode général en juillet sur le sujet des « exorcismes sauvages » pratiqués par des prêtres au cours de cérémonies religieuses spectaculaires. Car cela leur pose des problèmes, des consignes de prudence ont été adressées aux prêtres exorcistes par leur hiérarchie religieuse. Et pour cause… Par exemple, un des prêtres les plus actifs rattaché aux diocèse de Worcester a failli confondre les hurlements de Lucifer avec un chat coincé dans un tuyau de cheminée.

Ironie, voilà des religieux qui veulent faire interdire un roman de sorcier qui ne se prends pas au sérieux alors qu’eux chassent les démons sérieusement.

Régis Boussières. — groupe Kronstadt (Lyon)


Je ne voulais pas tuer d’autres Yougoslaves

Quatre ans, plus de quatre ans déjà que j’ai quitté mon pays, la Yougoslavie, pour arriver « Serbe déserteur » au pays des droits de l’homme. Quand vous manifestiez pour la Bosnie, vous autres intellectuels français, moi « le Serbe » soumis au régime de Milosevic, j’ai décidé de quitter mon pays, ma famille, mes amis, le Danube et de demander l’asile politique en France.

Je ne voulais pas tuer, je ne voulais pas être militaire dans un pays en guerre et tuer d’autres Yougoslaves. Après avoir été arrêté et « tabassé » par la police militaire, j’ai finalement été relâché en raison des graves problèmes de santé de ma mère et j’ai obtenu un sursis de trois mois. C’est à ce moment là que j’ai décidé de partir.

À vingt ans je suis parti. Depuis quatre ans, de démarche en démarche, je tente en vain d’obtenir le statut de réfugié politique que l’OFPRA me refuse. Pendant que vous criiez au scandale pour les exactions commises « à deux heures de Paris », moi j’arrivais dans un pays à deux heures de Belgrade, qui forcément, me comprendrait et m’aiderait à retrouver une dignité d’être humain.

Pourtant, aujourd’hui, je suis toujours sans papiers et sans autorisation de travail. Votre pays a condamné la guerre en Bosnie puis au Kosovo mais refuse protection à ceux-là même qui ont lutté pour ne pas la faire. Sans-papiers en France, sans liberté en Yougoslavie, où reconquérir une dignité d’homme fier de ses choix, fier de s’être battu et de se battre encore pour ne pas participer à l’infamie ?

Au début du mois de mars, l’OFPRA a rejeté ma demande d’asile politique pour la deuxième fois. J’ai donc engagé un recours contre cette décision. Si ce recours n’aboutit pas, je devrai soit fuir, soir devenir clandestin en espérant que la police française ne me mettra pas dans un train à destination des prisons serbes.

Aujourd’hui, j’ai décidé de sortir du silence et de faire connaître ma situation, je lutte, pour ne pas perdre tout espoir de retrouver un jour une vie à peu près « normale » mais j’ai besoin de soutien et c’est la raison pour laquelle j’ai décidé de vous interpeller.

Si j’en crois un article du journal Le Monde en date des 18-19 avril 1999, le gouvernement français n’est pas du tout prêt à reconnaître le statut de réfugié politique pour les jeunes serbes déserteurs. Alors, voilà la réalité de ma situation en France : je suis toléré à condition de me contenter de conditions de survie. Je ne peux ni travailler ni étudier. J’appartiens à l’immense cohorte des « sans » : sans-papiers, sans travail, sans domicile, difficile alors de garder l’espoir ! Les petites humiliations quotidiennes s’accumulent au fil des années et j’ai l’impression que ma vie se « bousille » un peu plus de jour en jour.

Que faire ? Prouver que ma vie est en danger si je retourne dans mon pays ? Comment ? En retournant là-bas ? Alors oui dans ce cas j’aurai fait la preuve que je suis réellement en danger mais je ne serais plus là pour en témoigner ! Formidable, non ?

Je paye cher la guerre civile que je n’ai pas voulu faire. Alors quand je parcours les journaux français des dernières années, qui unanimement condamnent la Serbie, j’avoue que j’ai le sentiment de payer deux fois pour une « faute » que je n’ai pas commise : exilé de mon pays et de mes proches, je paye par la souffrance de l’absence, par la rupture cruelle de tous les liens ; sans statut en France, je paye pour mon identité de serbe déserteur !

Voilà pourquoi je vous écris : je ne veux plus me taire parce que je n’en peux plus d’attendre et de me sentir constamment rejeté de la société.

David R

Comité de soutien à David R.
c/o J-L Pfimlin, 10 rue Homberg,
68510 Koetzingue.


Un hôtel de ville brûle en Bolivie

Le 29 mai 2000, à 7 heures du matin, dans la ville d’Alto, des milliers de manifestants ont bloqué l’autoroute la plus importante du pays. Les trois principaux groupes de gens qui ont participé à cette manifestation étaient des jeunes gens et leurs familles qui demandaient la création d’une université autonome pour cette ville d’un million d’habitants, des syndicalistes qui protestaient contre les réformes draconiennes de l’impôt, et des résidents locaux qui protestaient contre les augmentations des tarifs pour l’électricité, l’eau d’égout et le combustible. Il y avait aussi des syndicalistes qui protestaient contre les politiques fascisantes de l’ex-dictateur génocidaire, maintenant président, Hugo Banzer.

Les trois groupes principaux ont commencé à marcher de points séparés et ont convergé sur l’hôtel de ville vers 11 heures du matin. La police qui gardait le bâtiment se mit à arroser les manifestants de gaz lacrymogène. Les manifestants ont réagi en jetant des pierres et de grands pétards. Après un temps, ils sont entrés dans le bâtiment où ils ont cassés ordinateurs, meubles et fenêtres, et mis le feu à l’ensemble à partir d’une image réactionnaire de la vierge-Marie que le maire avait dans un bureau. Finalement, ils ont mis le feu à des parties du bâtiment lui-même.

Un mouvement sans hiérarchie

À peu près 20 000 personnes ont participé à la protestation, chantants des slogans de dénonciations du maire démagogique et du président, l’assassin et général, Hugo Banzer. La police s’est retirée dans peur de la fureur populaire. Alors, ils sont revenus pour attaquer les contestataires à 1 heure de l’après-midi. Plusieurs personnes ont été blessées, et six personnes ont été arrêtées et ont été accusés d’avoir causer des dommages à la propriété publique.

Le jour suivant, le gouvernement a accusé des anarchistes d’inciter à la rébellion.

Les gens qui ont participé à ces événements sont résidents de la ville la plus pauvre de Bolivie. Et la Bolivie a été classée par l’ONU à la fin de mars comme la deuxième économie la plus pauvre du monde ; seulement l’économie de Bangladesh est plus pauvre. La Bolivie est un pays qui est actuellement gouverné par un assassin qui, dans les années 1970, était à la tête d’une dictature militaire brutale responsable de nombreuses disparitions, de centaines de meurtres, de milliers de cas de torture et a envoyé des milliers de gens en exil. Il a incarcéré des milliers de gens dans des camps de concentration.

Pendant les mois de février et d’avril de cette année, les gens de Cochabamba ont entrepris l’action directe et ont créé une situation ouvertement pré-insurrectionnelle pour expulser les entreprises multinationales Eau Internationale et Abengoa qui avaient augmenté de 300 % les tarifs d’eau.

Aussi cette année, à Sucre, Potosi, Santa Cruz et La Paz les universitaires ont affronté les forces répressives avec de la dynamite. Dans quelques cas, ils ont été capables d’arrêter les plans pour la privatisation de l’éducation.

Pendant les années 1940, les manifestations populaires ont culminé quand une foule énorme a accablé l’armée et la police, est entrée dans le palais du gouvernement et ensuite a pendu le président Villarroel à un réverbère.

Pendant les années 1950, les milices d’ouvriers urbains et ruraux ont battu l’armée, bien que plus tard les sections ascendantes de la bourgeoisie aient volé la révolution sociale.

Aujourd’hui l’État Bolivien a été affaibli par un mouvement de base sans hiérarchie. En plusieurs occasions ce mouvement est allé au-delà la tutelle des bureaucraties des syndicats et des partis léninistes. La spontanéité de masse et l’initiative populaire ont été de grande importance dans le mouvement, bien qu’il y ait eu très peu d’anarchistes locaux engagés. La faiblesse de base des organisations anarchistes leur a rendu difficile de s’engager autant qu’ils devraient. Encore, il y a beaucoup de raisons d’espoir dans ce soi-disant coin oublié du monde.

Juventudes libertarias
juventudes_libertarias@latinmail.com


Chronique anarcha-féministe

« Tiens, j’ai pensé à toi… »

Comme d’autres personnes engagées, j’évolue aussi dans un milieu où les autres le sont peu ou pas. En intervenant dans les conversations ou en explicitant des choix liés à ma pratique professionnelle, j’ai laissé apparaître mon engagement, notamment féministe. Régulièrement, un-e collègue me dit « tiens, j’ai pensé à toi : à la télé, ils ont dit… »

En soi, j’estime cela constructif : la lutte est identifiée, les enjeux compris. La personne a réagi à ce qui lui était proposé et me communique une forme de soutien.

En ce faisant, elle prend l’initiative d’ouvrir le débat, occasion trop importante pour qu’on la dédaigne.
Pourtant, ce « tiens, j’ai pensé à toi » introductif me désespère. Je pressens par expérience, (c’est pas dur) le rapport avec une facette de mon engagement. Mais, si cet engagement constitue un choix personnel, ce choix peut être fait par l’autre. Pourquoi cette personne a-t-elle pensé à moi et pas à elle ? Elle et moi vivons dans le même monde, subissons la même oppression. Tout se passe comme si les opprimé-e-s étaient toujours les autres. Comme s’il existait des militant-e-s professionnel-le-s comme d’autres sont philatélistes. Si une personne humaine vit quelque chose, elle ouvre à l’ensemble de l’humanité la capacité de vivre la même chose. La liberté ne se demande pas, elle se prend : occupons-nous de nos affaires !

Ménie


Prisons espagnoles

En finir avec le FIES

Le FIES, (littéralement Fichier intérieur de suivi spécial) est un régime de détention que l’État espagnol a institué en 1991 sous l’impulsion d’Antonio Asuncion ­ directeur général des prisons et actuel chef du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol d’Alicante ­, afin d’isoler du reste de la population carcérale les prisonniers considérés comme les plus « dangereux » (accusés de tentatives d’évasion, de prises d’otages de matons, de meurtres de policiers, de rébellion en prison, de « bande armée », etc.).

Des anarchistes, des membres de l’ETA et de GRAPO, des antimilitaristes, des révoltés sociaux figurent sur la liste des prisonniers FlES. (environ 80 personnes) et sont contraints de passer une partie de leur détention ­ pour une période qui peut aller jusqu’à plusieurs années ­ dans un isolement presque total, dans des divisions à part. Pendant cette période, ils subissent toutes sortes d’humiliations et de mauvais traitements du refus des parloirs à la censure et à la limitation du courrier ; des fouilles corporelles intégrales (jusqu’aux rayons X) aux passages à tabac ; des tortures physiques a celles psychologiques (avec la collaboration totale des médecins). Le FlES ­ instaure progressivement comme riposte aux luttes très dures menées contre la prison à la fin des années 70 ­ est un programme scientifique d’observation et d’anéantissement divisé en cinq degrés, dont le premier ressemble à un mitard sans fin. Depuis 1991, onze personnes soumises a ces conditions infâmes sont mortes (dont trois depuis le début de cette année).

Si la prison représente la face sombre de cette société, le FIES ­ issu d’une simple circulaire administrative et légalement « suspendu » ­ est l’ombre de la prison, son coin le plus noir. Le spectre du châtiment — chantage exercé sur les individus qui, « dehors », ne veulent pas se soumettre — se double de l’existence même du FlES Son institution a été la confirmation concrète au vieux principe selon lequel au pire il n’y a pas de fin. Et pourtant…

Pendant ces années, les luttes des prisonniers n’ont pas manqué, ainsi que les initiatives de solidarité avec eux, de soutien à leurs combats et de protestation contre les institutions espagnoles.

Depuis le mois de mars, les prisonniers eux-mêmes ont commencé plusieurs formes de luttes (grève de plateaux-repas, de « promenades », de la faim) et sont décidés à obtenir :
 la fermeture des divisions FIES ;
 la libération des malades ;
 la fin de l’éloignement et des transferts continuels.
Ce n’est que l’action solidaire qui peut pousser l’État espagnol à céder Pour cela, les prisonniers demandent un appui extérieur international.

Dans ce cadre, une proposition a été faite d’une mobilisation en Italie, ouverte à tous ceux auxquels cette question tient à cœur, à l’exclusion des politiciens, des journalistes et des différents représentants des institutions.
Nous pensons qu’une telle lutte mérite d’être élargie et soutenue partout. Une invitation a tous les mutinés de la prison sociale…

Les quartiers d’isolement existent également ici.
Briser les frontières nationales pourrait représenter le premier pas pour briser, de ce côté ci des Pyrénées, la frontière sociale par excellence : les murs des prisons.

Tout le monde dehors
passemuraille@free.fr


Le premier festival anarchiste de Montréal

Un grand succès !

C’est fin mars que les nouvelles internautiques nous ont appris l’initiative d’un festival anarchiste à Montréal. Ce festival s’est déroulé du 29 avril au 6 mai : des concerts, une exposition de peinture, la manifestation du 1er Mai, des projections de films et de vidéos, des débats, le lancement de journaux, et même un match de soccer (du foot québécois) ! toutes ces réalisations, avec le point fort du salon du livre le 6 mai, ont rencontré un grand succès dans les milieux libertaires canadiens et ont permis aux militantEs de se rencontrer, d’échanger leurs opinions ou leur presse.

Nous avons pu participer aux travaux à partir du vendredi 5 mai : ce soir-là, entre les deux parties d’un concert, un débat sur l’évolution de l’État s’engage. Une cinquantaine de personnes ont pu constater que les évolutions sont similaires d’un côté et de l’autre de l’Océan Atlantique : dans les domaines de l’éducation, de la santé ou de la culture, l’État abandonne peu à peu la notion de services publics pour les laisser au secteur privé, à la loi du profit et à l’accès payant et à plusieurs vitesses. En revanche, dans les domaines de la police et de la justice ­ comprenez répression ­ la criminalisation des militantEs se renforce, les amendes ou les gardes à vue pleuvent… L’ambiance dans la salle est détendue, le public interpelle les intervenantEs et leur évite de tenir un cours magistral : la vie québécoise est là !

Le concert nous a fait découvrir Landriault, chanteur engagé et le groupe des Psynoportuns, entartistes à leurs heures.

La soirée a permis aussi de lancer le numéro 8 du mensuel Le Couac, journal satirique, s’inspirant du Canard enchaîné et de Charlie hebdo.

Quant au salon du livre anarchiste, pour une « première », c’est une belle réussite : ce sont environ 1 500 personnes qui se sont pressées devant les tables de presse, anglophones et francophones. Il faut dire que la couverture médiatique a été correcte : les radios communautaires (entendez : radios locales), des journaux gratuits et la presse militante ­ et même la radio officielle ­ ont annoncé le festival. Tous les éditeurs étaient ravis en fin de journée : c’était leur meilleur chiffre d’affaires de tous les temps ! Et pourtant, nous avons constaté, comme ici, les faibles revenus des sympathisantEs et militantEs au succès des brochures et des documents gratuits, à quelques calculs savants ou négociations…

Un point fort : le salon du livre anarchiste

La liste des participants est longue : AK Press (San Francisco), Black and Red Books (Detroit), La Sociale (Montréal), Les éditions Ecosociété (Montréal), Planète rebelle (Montréal), Marginal Distribution (Peterborough), Wired on Words (Montréal), Arson Records (Kingston), Kerozen (Montréal), Groupe Emile-Henri (Québec), Les pages noires (Montréal), EDAM — Editions et Diffusions l’Aide Mutuelle (Montréal), Get to the Point Publishing (Vancouver), Espaces de la parole (Drummondville), Who’s Emma (Toronto), La librairie alternative Bookshop (Montréal), Conundrum Press (Montréal), Critical Mess Media (Syracuse), South End Press (Boston), Editions Comeau — Nadeau (Montréal), Books to Prisoners, Food Not Bombs, Les anarcho-pâtissiers / les entartistes, Tao Montréal, Anarchist Black Cross (ABC), Riot Grrrls, CitoyenNEs opposéEs à la brutalité policière (COBP), Action Anti-Raciste (AAR), Bloodsisters, Les sorcières, Anti-Colonial Working Group, Rebelles, La Main Noire, Anarchist Study Group (Concordia), Poing d’exclamation, Le chat noir, le Groupe libertaire Frayhayt, Le musée anarchiste, DIY, exposition d’art engagé et la Fédération anarchiste francophone.

Dès 9 h 30, livres, brochures, journaux, fanzines, tee-shirts, pin’s sont sortis des cartons et mis sur les tables disposées dans la salle ; le musée anarchiste regroupe affiches, unes de journaux, photos ou tracts réalisés et diffusés depuis plus de vingt ans au Québec et retraçant certains moments importants de l’histoire de l’anarchisme du Québec.

Seule organisation européenne représentée, la FA est relativement connue, son journal aussi. En revanche, la radio l’est moins : et bien sûr, si on pouvait l’entendre sur Internet, que d’auditeurices en plus ! En raison de l’éloignement, de nombreuses personnes sont surprises de notre participation et la considèrent comme une reconnaissance. Nos publications ont rencontré un certain succès, notamment les hors série du Monde libertaire, les brochures sur Bakounine et Louise Michel, Les anarchistes des origines à hier soir, Avortement contraception, La série Increvables anarchistes, ainsi que les textes traitant du travail et de la mondialisation de l’économie.

Des débats aux thèmes variés

Quant aux débats organisés toute la journée, ils ont rassemblé de nombreuses personnes qui désiraient échanger idées et pratiques sur les sujets proposés. Les thèmes sont variés :
 L’histoire de l’anarchisme au Québec et ailleurs, avec Normand Baillargeon (auteur d’un livre sur l’anarchisme, vendu en trois mois à 2 000 exemplaires), Mathieu Houle-Courcelles et Nicolas Phébus
 Les entartistes, ou comment bien réussir son entartage
 Le sexisme et les attitudes sexistes dans le milieu militant. Le groupe des « Sorcières », a proposé plusieurs thèmes à la réflexion des participantEs : le langage macho, la dynamique des groupes mixtes, la non-féminisation, les bases politiques de l’autonomie des groupes de femmes, comment les pratiques féministes peuvent transformer le militantisme. Nous avons participé à cet atelier et constaté de nombreuses similitudes quant à l’influence du patriarcat, aux difficultés de la nommer et de la combattre !

Le 3 mai, elles avaient organisé une soirée de présentation du premier numéro de leur journal Les Sorcières, féministes contre l’État, le capital et le patriarcat, qui avait rassemblé de nombreuses personnes sensibilisées aux questions de l’oppression spécifique des femmes.
 Abandonner le mouvement anarchiste (le texte de présentation est en anglais)
 L’anarchie, Internet et la technologie
 Les perspectives anarchistes au Québec. Nous avons regretté de ne pas avoir participé à ce débat. Notre expérience aurait pu montrer l’utilité d’une coordination des groupes, la possibilité des échanges, des actions communes, sans nier les difficultés à faire vivre un fédéralisme respectueux de chacunE. Nous avons à plusieurs reprises montré l’utilité de notre fédération, notamment par l’exemple concret du voyage pris en charge. Une déclaration avait été préparée, identique à celle prévue en Suisse et en Italie mais elle n’a pas pu être communiquée, aucune prise de parole générale n’ayant été prévue.
 L’édition autonome : publier par soi-même
 L’anarchie et le punk : est-ce que l’anarchie c’est punk ? ou le punk est-il anarchiste ? Perspectives critiques, historiques et contemporaines
 Blood sisters — Zone rouge proposent une réflexion face à la consommation de produits d’hygiène menstruelle toxiques, questionnent les effets néfastes de l’industrie sur la santé des femmes, l’environnement et l’économie et discutent d’options réutilisables et plus saines
 La longue saga du Commando Bouffe. Le 3 décembre 1997, quelques personnes ont investi le riche buffet d’un restaurant de luxe de Montréal, pour réquisitionner symboliquement ce qui est dû aux pauvres. La police a arrêté 108 personnes alors que la direction du restaurant ne portait pas plainte. Les procès se suivent, le débat porte sur le caractère légal de l’action et illustre les tactiques policières de surveillance et de harcèlement.

À noter que les enfants n’ont pas été oubliés : une garderie a fonctionné toute la journée ! Un spectacle de rue par le « Théâtre entre ses jambes » les a distrait l’après-midi.

La journée se termine par un « show bénéfice » (un concert de soutien) organisé par « Spirit of Resistance » en faveur de Nuh Washington, ancien Black Panther, et Mohawk Warrior Joe David, avec Critical Mass, Landriault, Chilan, Debbie Young.

Les bénéfices financiers des activités seront partagés entre :
 Books of prisoners / livres aux prisonniers et prisonnières : collectif d’activistes locaux qui tentent d’améliorer la vie des gens qui se retrouvent derrière les barreaux au Québec en leur envoyant des livres par courrier, sans frais.
 et la Bibliotheca Social Reconstruir à Mexico, qui contient la plus vaste collection de livres anarchistes du Mexique et sert de lieu de convergence pour tous les activistes antiautoritaires de la région de Mexico.

Bravo au petit groupe des huit organisateurs ­ Benoît, Fran, Jaggi, Jay, Jean-François, Karim, Mathieu et Monique ­ qui ont eu cette initiative et pris en charge tous les aspects pratiques de l’organisation, qui nous ont accueillies et hébergées. Forts de cette première expérience, ils renouvelleront le festival en 2001 : y être présents est une façon de les encourager.

On peut les contacter : lombrenoire@tao.ca ou http://tao.ca/~lombrenoire/
Rendez-vous l’année prochaine, autour du 5 mai 2001, pour un deuxième festival !
En ces temps de mondialisation de l’économie, et donc de l’exploitation sous toutes ses formes, il serait souhaitable de développer la mondialisation des idées libertaires : pour cela, poursuivre les contacts et inviter d’autres composantes du mouvement libertaire européen à se rendre à Montréal en 2001 s’avère indispensable.

Claude Rua et Élisabeth Claude. — groupe Pierre-Besnard


Dans la toile

Mes préférences de la quinzaine vont à l’information et, plus particulièrement à des sites qui, s’ils ne sont pas toujours proches de notre sensibilité ont du moins le mérite de constituer de puissantes bases de données :
 la commission Immigration du réseau No Pasaran
(http://www.samizdat.net/sansfrontieres/) ;
 les pages de l’OIT. contre l’exploitation des enfants (http://www.ilo.org/public/french/standards/ipec/publ/ipec99/index.htm) ;
 Protesta, une radio virtuelle bruxelloise (http://www.multimania.com/protesta/) ;
 l’Association Contre le Harcèlement Professionnel (http://www.ifrance.com/achp/) ;
 Science,Liberté, Éthique et Société (http://www.multimania.com/virtuel2/) ;
 AO et son espace de parole (http://WWW.AO.QC.CA/) ;
 L’Association Mondiale des Radiodiffuseurs Communautaires (http://www.amarc.org/) ;
 Le ZPAJOL des sans-papiers (http://atlas.bok.net/zpajol/) ;
 Le Courrier des Balkans (http://atlas.bok.net/balkans-site/) ;
 La revue des jeunes chercheuses et chercheurs en communication, COMMposite (http://commposite.uqam.ca/) avec plus particulièrement un article sur la querelle entre Pierre Bourdieu et Daniel Schneidermann, deux articles sur les aspects sociaux de l’Internet et une note de lecture sur la communication, la mondialisation et la démocratie ; Information de dernière minute : pour des problèmes techniques indépendants de sa volonté, Ondes Sans Frontières, une des plus ancienne des télévision associatives parisiennes (aujourd’hui pirate), change l’adresse de son site et en profite pour le dépoussiérer (http://www.infonovo.com/osf/).

À bientôt dans la toile.

Blue Eyed Keyboard
alain@minitelorama.com


Comme un aimant , Kamel Saleh et Akhenaton

Un jeune, un homme, né a Marseille, crie sa douleur. Sa mère est morte. Son hurlement nous rappelle les quelques plans où nous l’avions entrevue, dans la porte entrebâillée, campant sur le palier de son pauvre escalier. Sa robe kabyle, son foulard, son port majestueux, sa gentillesse au-delà d’une patience ordinaire, son attente poignante : que son fils vienne manger, dormir, vienne ! Il préfère trainer chez les copains. Il préfère la fuir, car que pourrait-il lui raconter ? Dans ce cri et l’action démente qu’il entreprend (les copains commentent, désolés pour lui, « il n’a pas attaqué une bijouterie, non, une banque sous surveillance électronique ! ») tout cela surgit. Il ne pouvait pas affronter son regard, ni vider son assiette, assis en face, non pas parce qu’il était trop minable, tout au contraire parce qu’il avait une trop haute opinion d’elle et qu’il savait fort bien ce qu’elle attendait de lui.

L’attitude non violente de sa mère ne faisait aucune place à sa détresse, car elle n’avait pas les moyens de la détecter. Hanté par les reproches qu’elle ne lui faisait pas, par tout ce que sous-entendait son silence, il s’éclipsait. Dans son for intérieur, ces paroles non dites existaient et vivaient. À sa mort, il déjante, perd sa colonne vertébrale, sa raison : être un jour digne de sa mère n’est plus un pari, ni un rêve, c’est fini. Dans Comme un aimant, les portraits de plusieurs jeunes aux coups minables sont tirés avec cette justesse profonde. Le trait n’est jamais forcé, le cœur et le sentiment sont toujours à l’ouvrage.

Voici un premier film où il ne faut pas trop écouter les « putain, tu divagues, t’inquiète, pas de souci, connard… » qui fusent à tour de bras. Pas d’esbroufe ni de démagogie. Des moments drôles sont fréquents. Une image très juste d’une certaine jeunesse en roue libre. Marseille et sa beauté tantôt tranquille, tantôt violente est vue de l’intérieur, admirée de loin, dans une vue panoramique nocturne qui apaise les âmes en peine. La ville est le cadre du film, le quartier du Panier cadre les personnages. La mafia tue et les flics sont des pauvres types. De la compassion à la pelle. Les garçons entre eux, leur errance, leurs plans foireux. Un groupe de huit jeunes de Marseille, d’origine très diverses, leurs copains et les filles dont ils rêvent. Leurs répliques font mouche, ça nous touche.

Heike Hurst (« Fondu au Noir »-Radio libertaire)


Passeport pour Londres

Il est de bon ton d’aller à Londres ; l’image communément véhiculée de cette ville, capitale de l’Angleterre, étant celle d’une ville exotique et excentrique. Exotique puisqu’on y trouve des communautés issues de l’ex-empire colonial britannique ; chacun au gré de ses désirs peut manger indien, pakistanais ou encore jamaïquain… Excentrique parce que chacun peut s’habiller, se vêtir comme il l’entend. La mode devient alors un individu, en ce sens que chacun fait la mode, ce qui donne à penser que le regard de l’autre n’a rien d’un regard de voyeur, ce regard qui vous déshabille. Un regard neutre et « libéral » où chacun fait ce qui lui plaît, un monde dans lequel règne un doux parfum d’acceptation, une sorte de melting-pot régénérant, où le Gay, l’Indien, le Pakis, le Jamaïquain, que sais-je encore…, vivraient dans une communauté d’harmonie, sous l’égide de Tony Blair, la nouvelle égérie des années quatre vingt dix !

Et l’Anglais dans tout çà, où est-il ?

Dans son dernier roman, La meute, John King nous parle de l’Anglais Londonien, de cet homme banal, indistinct, que le touriste ne remarque même pas, cet homme qui peut être, au gré des horaires, golden boy ou pilier de pub, bref, de ces hommes ou femmes qui sont l’armature de cette ville, une ville qui, contrairement à Paris, dégorge ou regorge de « banlieues ». John King, dans la mouvance de ces jeunes auteurs, Irène Welsh, Krissy Kays…, nous parle du quotidien, du quotidien de la « débrouille », du quotidien de l’ennui dans un univers sans espoir, dans une ville où le statut social définit le passage des poubelles.

« À Londres, on n’avait besoin que d’un peu d’argent en poche et d’un minimum de considération. Dieu était au chômage, ces derniers temps. Il pointait comme les copains. […] Il ne pensait pas que ce serait si long, de trouver du boulot. Il s’ennuyait. Il en avait ras-le-bol. Rien faire de la journée, ça te forçait à penser. Et penser, ça te déprimait. Sa motivation s’était évanouie. »

Balti est l’archétype de cette jeunesse silencieuse dans ce Londres néo-libéral. Heureusement pour lui, il va découvrir que ses quatre « potes » sont des amis. Dans un univers qui ne fait pas dans la dentelle, l’amitié fait partie de ces possibilités. Ce monde dont nous parle John King, c’est celui des pubs, où plutôt celui du pub de quartier, dans lequel une bande de « joyeux drilles » se retrouve, une bande dont le seul sujet de conversation n’est pas le football, même s’il est omniprésent, une bande qui découvre le sexe, le pouvoir et l’argent. La « working class » a disparu ; pléonasme… Elle est là, et John King sait en être le chantre.

L’architecture, mélange de tubulures d’usines désaffectées et de cités ouvrières, dans les marais glissants de la City, ne peut que nous renvoyer à cette réalité : dans une ville où l’argent et les clivages qu’ils génèrent, règnent en maîtres, que nous reste-t-il, si ce n’est de se défoncer et vivre à cent à l’heure pour trouver l’argent de sa défonce ?

C’est là, la deuxième réalité du grand Londres d’aujourd’hui. Dans cet univers, mieux vaut vivre dans la défonce qu’être dans celui du « dole » ou et des manutentionnaires à la Ken Loach. « L’héro a ses esclaves. Des gens qui n’ont rien d’autre dans leur vie, rien qui mérite leur intérêt. Des vies monotones et sans saveur dans la crasse des bas-fonds, le souci des factures à payer, voire de la simple survie, les enfants qui pleurent et l’avenir bouché. » Lorsque Krissy Kays écrit ces mots, on pourrait croire qu’elle cherche à nous provoquer. Pourtant ce n’est qu’un moyen de nous faire comprendre que l’ecstasy ou l’héroïne ne sont même plus considérées comme des drogues, puisqu’elles sont l’élément clé du quotidien.

Seule porte de sortie pour aller au-delà du quotidien, parler d’humour ; humour British s’entend ! C’est avec Will Self qu’il se perpétue. Il nous plonge au travers de ses nouvelles, La théorie quantitative de la démence, dans la défonce hallucinatoire de son imagination. Le lecteur s’engouffre dans un univers où le banal côtoie l’horreur, où le quotidien s’affole. Parmi ces nouvelles, À la découverte des Ur-Bororos, où le narrateur anthropologue nous fait découvrir une tribu amazonienne : « Tout ce qui se rapporte aux différences sexuelles, et à la sexualité en général, est très flou chez eux. En théorie, les relations sexuelles avant le mariage, l’homosexualité et l’infidélité sont mal vues mais, en pratique, tout le monde se fout éperdument de ce que fait le voisin. En réalité, la seule chose qui les étonne, c’est que tu aies trouvé l’énergie de le faire. » Un univers dans lequel nous sommes absorbés.

La littérature a toujours été le moyen pour les Anglais de lever le voile de ce puritanisme qui les caractérise. En voici les meilleures preuves. La littérature française saura-t-elle faire de même ?

Boris Beyssi (« Le Manège »-Radio libertaire)

La Meute, John King, éditions L’Olivier.
Défonce, Krissy Kays, éditions Alpha bleue étrangère.
La Théorie quantitative de la démence, Will Self, éditions de l’Olivier.


CD

Lave-toi la bouche

Les amis de ta femme sortent leur deuxième album « Lave-toi la bouche ». Ce groupe nancéen est composé de trois compères : David Vincent (chant et guitare), Kraspeck (contrebasse et chant) et Frankoue (guitare). Leur musique est un mélange subtil de java, punk, rock et musette en symbiose parfaite avec leurs textes ; textes qui parlent d’anarchisme, d’amour, de boisson, de la médiocrité de notre monde ; et oui, pour eux rien ne va dans le plus laid des mondes.

Ils ont l’art et la manière de dénoncer le racisme, la religion, le capital avec humour et allégresse. Ils savent faire rire avec intelligence et réfléchir dans la bonne humeur. Le collectif libertaire de Metz a eu la chance de les avoir deux fois dans ses concerts en soutien au Centre culturel libertaire autogéré.

Maxime

Le CD « Lave-toi la bouche » est disponible chez tous les bons disquaires ou bien a AND, 12 avenue du 20e corps, 54000 Nancy (88 FF). À cette même adresse vous pourrez obtenir plus de renseignements sur ce « boys band » libertaire.


Non aux déportations

Mardi 30 mai, le groupe de Rennes de la FA est alerté par un sans-papiers sénégalais, A.L. Celui-ci vient de se faire arrêter sur la route, non loin de Saint-Brieuc. Il est conduit au centre de rétention. Roissy, 9 heures du matin : nous ne voyons pas les Bretons. Saisissant les portables dont sont pourvus les trotskistes anglais, nous apprenons qu’il va embarquer à Orly-Ouest. Nous prévenons une deuxième équipe pour assister les soutiens bretons et informer les passagers. La manœuvre a réussi. Le commandant de la compagnie Iberia n’a d’abord rien voulu savoir, mais les forces de police se sont inclinées devant la détermination des passagers à qui certains s’étaient adressés en espagnol, l’avion faisant escale à Madrid.

A.L. est présenté le 2 juin à 16 heures au tribunal de Créteil, 12e chambre correctionnelle. Maître Irène Terrel a brillamment plaidé et obtenu la libération immédiate du sans-papier. Son procès est reporté au 15 décembre 2000, ce qui lui permettra de poursuivre les démarches qu’il a d’ores et déjà entreprises pour obtenir sa carte de séjour. Il est père d’un enfant français.

Nous avons remarqué qu’A.L. avait été le seul sans-papiers dont le juge n’a pas demandé la reconduite vers son pays d’origine. Cinq autres « clandestins » n’ont pas obtenu le droit de séjourner sur le sol français. Avant de réclamer le droit de vote pour les étrangers, demandons l’abrogation des lois racistes.

CAE Ile-de-France


Sans-papiers toulousains

Voici les suites de l’affaire concernant les cinq sans-papiers toulousains dont nous nous sommes fait l’écho dans le Monde libertaire de la semaine dernière. Deux ont leur cas reporté car annulation du pays de destination (Algérie). Une expulsion annulée. Deux expulsés.

Les deux sans-papiers expulsés sont :
 Meliani Abdelsadoc, expulsé vers l’Algérie. (mardi matin)
 Cherif Mamhdi, expulsé vers la Tunisie.

Pour ce dernier, qui est en France depuis 20 ans et qui a quitté son pays pour des raisons politiques, même si l’État français ne lui a pas accordé le statut de réfugié politique, (militant communiste), a le soutien de nombreux artistes et intellectuels (Taoufik Benbrik (qui n’a pu être au tribunal administratif mais s’est fait représenté), Noir Désir (présence lors de l’audience de Bertrand Cantat (chanteur du groupe)), KDD, Zebda, etc.). Vu la situation actuelle de la Tunisie et notamment les risques qu’encourent les intllectuels opposants, ce dernier craint véritablement pour sa vie… La solidarité s’impose

Nono. — groupe Albert-Camus (Toulouse)