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articles du ML1216

du 12 au 18 octobre 2000
Le jeudi 12 octobre 2000.

https://web.archive.org/web/20040506183803/http://www.federation-anarchiste.org/ml/numeros/1216/index.html

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Marche mondiale des femmes de l’an 2000

En avant toutes… et tous pour l’égalité sociale

L’état des lieux de la situation des femmes dans le monde est accablant et a valeur d’universel : partout dans le monde, les femmes sont les premières victimes de violences et de pauvreté. À partir de ce constat, on ne peut qu’être convaincu-e-s de l’urgence d’une mobilisation internationale des féministes et de l’utilité d’un réseau mondial de lutte.

Quelle représentation féministe ?

Les 140 femmes de 65 pays réunies à Montréal en 1998 ont lancé la dynamique d’une Marche Mondiale des Femmes de l’an 2000. Qui représentent ces femmes ? Issues du mouvement féministe des années soixante-dix, pour la France, elles n’ont jamais cherché à entrer en contact avec la base.

Certes, les associations militantes sur le terrain étaient là pour témoigner sur les femmes victimes de violences qu’elles reçoivent. Ainsi, désormais appréhendées comme victimes qu’il faut aider en bonne travailleuses sociales, on prive les femmes d’une expression directe, on décide de la stratégie à adopter et des priorités dans les revendications à leur place, et elles deviennent l’enjeu de cette Marche Mondiale à leur insu. Cette situation est la conséquence de l’évolution institutionnelle du mouvement féministe des dernières décennies.

Le résultat de cette représentation élitaire des femmes est une plate-forme mondiale de revendications sortie clé en main au mois de mars 2000, devant l’OMC à Genève. Les représentantes féministes s’étant auto-désignées représentantes des femmes, elles sont parties discuter régulièrement de la plate-forme, au Canada, sans aucun mandat autre que leurs propres orientations et convictions en matière de féminisme.

Quelles stratégies féministes ?

Les choix sont clairs : à Paris le 15 janvier 2000, les représentantes françaises sont allées à une cocktail party au gouvernement français, en fin de manifestation, pour le remercier sans doute de sa politique révolutionnaire en matière de droits des femmes. À Bruxelles la manifestation passe devant les institutions européennes. À New-York, la délégation mondiale se rendra devant les bâtiments de l’ONU. Dans le même temps, on peut lire dans la plate-forme mondiale : « Nous marcherons donc pour que les États qui se réclament des droits humains condamnent tout pouvoir politique, religieux, économique ou culturel… et dénoncent les régimes qui ne respectent pas leurs droits fondamentaux. » Des États qui font de grandes déclarations on en connaît plein, pourtant cela n’a jusqu’à présent rien changé dans les violations des droits humains. On peut lire dans la plate-forme française qu’il faut exercer un «  contrôle citoyen de l’OMC » et « limiter le pouvoir des entreprises multinationales et des détenteurs de capitaux ». Que pouvons-nous attendre de ces institutions dont la survie dépend justement de l’exploitation d’un plus grand nombre et des femmes en particulier ? Peut-on penser sérieusement qu’une telle stratégie fera le rapport de force nécessaire ?

Quelle solidarité internationale ?

Les négociations ont été âpres au niveau international. Il fallait ménager certaines susceptibilités. Aussi, certaines revendications telles que le droit à l’avortement ou la lutte contre la lesbophobie ont disparu du cahier mondial. Puisqu’il s’agit de demander gentiment aux États de garantir les droits des femmes et à ceux-là même qui sont le plus répressifs en la matière, pas question de nommer la triste réalité de ces millions de femmes qui meurent de grossesses précoces ou d’avortements clandestins. Nous savons pourtant que des femmes, sur les continents africain et asiatique, luttent tous les jours, au péril de leur vie, pour que l’intégrité physique des femmes soit enfin garantie. À quel moment a-t-on pensé mettre en place des solidarités concrètes ? Plus scandaleux encore, pour avoir la garantie que certaines femmes du continent africain pourraient se déplacer (certaines combinant leur présence au jubilé et leur présence à la marche mondiale), il a été précisé que certaines revendications seraient en appui « à la campagne du jubilé 2000 ». Depuis quand le pape favorise-t-il les droits des femmes ?

Mais, la délégation française a trouvé la solution : elle a élaboré une plate-forme spécifiquement française dans laquelle figurent le droit à l’avortement et la lutte contre la lesbophobie. Visiblement, les femmes des continents asiatiques et africains ne sont pas arrivées assez loin pour avoir droit à ces revendications. On aurait pu rêver à des revendications universelles minimum avec, à partir de celles-ci, le respect des stratégies adoptées par les femmes sur le terrain.

Globaliser les luttes pour gagner

L’organisation de la Marche Mondiale aurait tout à gagner à instaurer les passerelles avec le reste du mouvement social. Lutter contre la pauvreté, c’est lutter contre le système capitaliste qui l’engendre. Cela passera par un réel rapport de force à construire sur le terrain avec les acteurs et les actrices sociaux/ales.

Mais bien sûr, on ne peut pas être juge et partie, alors quoi de plus étonnant à ce qu’on ne voit jamais cette fameuse gauche plurielle (la même qui compte dans ses rangs les féministes des années soixante-dix), dans les mouvements sociaux, les mobilisations contre le sommet européen ?

Quoi de plus étonnant aussi à ce qu’on ne les entende pas sur la réforme du PARE (Plan d’aide au retour à l’emploi) véritable remise en cause des droits sociaux des plus précaires. Nous savons que les droits des femmes varient selon les intérêts économiques du pays. Aussi, nous sommes convaincu-e-s que seule une globalisation des luttes garantira les droits des femmes.

Muriel. — groupe Emma-Goldmann (Bordeaux)


Qui va payer les retraites ?

Salaire socialisé contre charité laïcisée

Bernard Friot est économiste à l’université de Nancy et professeur d’économie à l’IUT de Longwy. Il est spécialiste du financement de la protection sociale et auteur de deux ouvrages aux éditions La Dispute : Puissances du salariat et Et la cotisation sociale créera l’emploi. On peut dire que dans le contexte actuel sa réflexion est pour le moins salutaire sinon révolutionnaire

La richesse de son propos est de nous rappeler que l’économie est un discours « politique » sur l’administration des moyens et des ressources de notre environnement. Il nous propose non pas une vérité, mais un discours qui nous permet de nous battre et de gagner contre le discours « politique » des tenants du capital.

Il revisite la place de l’État, du communisme, de la propriété lucrative, du salaire, etc., tous éléments de réflexions indispensables pour donner toute sa dimension à l’action syndicale salariale. Il s’oppose à la fable socialiste que l’on nous raconte dans les milieux dits de gauche, y compris à la « gauche de la gauche ».

Les retraités payés à ne rien faire pour le capital

Le salaire différé repose sur l’idée que ce sont les cotisations versées dans le passé qui nous permettent d’accéder à la protection sociale. Actuellement cet argument vaut justification politique. Or la réalité est que ce sont les cotisations présentes qui financent la protection sociale d’aujourd’hui et ceci au titre de l’appartenance à un « corps » collectif, le salariat, constitué par l’ensemble des salariés, actifs ou non.

Le salaire est à la fois le résultat et la contrepartie d’un travail contraint. Cependant cela n’est pas vrai au niveau individuel mais seulement au niveau collectif (macro-économique). En effet, nul ne peut comptabiliser la part individuelle en force de travail qui serait la contrepartie à son salaire particulier.

La réalité est qu’il n’y a pas de contrepartie à la retraite. Les retraités sont payés pour travailler librement. Cet état de fait est le résultat des luttes passées. Le discours de la solidarité intergénérationnelle que l’on entend trop souvent aujourd’hui fait inévitablement appel, lui, à l’arbitrage de l’État. Et il suppose un autre rapport sociétal. Il faut souligner le bonheur des retraités car au moins 50 % d’entre eux sont payés pour travailler à ne rien faire pour le capital.

Le salaire socialisé

Le salaire socialisé se décompose en deux parties. La première partie va directement au salarié (cela représente 3 000 milliards en France). La deuxième partie, (soit 2 000 milliards de francs) comporte les cotisations salariales : c’est-à-dire la part salariale et la part dite patronale.

Il faut appeler salaire brut l’ensemble versé y compris la part dite patronale, euphémisme pour dire la contribution de l’entreprise, et nous battre pour ce salaire total.

Le salaire n’est pas le prix de la force de travail, mais un barème négocié lors des conventions statutaires, collectives. Il se réfère à des qualifications non mesurables qui sont des attributs politiques. C’est grâce à la solidarité salariale que des droits personnels ont été créés.

Depuis 20 ans et suite à la baisse de combativité la cotisation prise sur la part directe du salaire est vécue comme une charge. Exemple : 5 500 F de salaire net + 1 000 F de cotisations salariales = 6500F de salaire brut + 2 500 F de cotises dites patronales soit 9 000 F de salaire total.

Avec les lois Giraud/Aubry, 1 500 F d’exonération sont accordés. On a donc 5 500 F + 1 000 F + (2 500 — 1 500) F = 7 500 F de salaire total. La différence de 1 500 F est compensée par l’impôt pris en fait sur le net du salaire.

Dans cette logique là les droits deviennent ceux de pauvres dans une société redistributive et non plus l’action de solidarité entre salariés qui agissent sur le capital. L’objectif de l’action syndicale doit être l’homogénéisation des salaires, « À travail égal, salaire égal ! » Le salaire socialisé est révolutionnaire, en ce sens que les 40 % mutualisés sont sans contrepartie individuelle. Le principe qui resurgit n’est donc pas à chacun selon sa contribution, mais à chacun selon ses besoins. À la notion de revenu universel il faut substituer le salaire universel.

Capital et travail

Pour le capitalisme, le travail est un élément du capital. Notre destin n’est pour lui que notre transformation en capital variable. Pourtant, nous ne sommes pas les petits propriétaires d’une force de travail.

Notre aliénation, c’est aussi l’aliénation de notre temps en temps économique. Prenons l’exemple, cher à Bernard Friot, de la vache. Elle a un cycle lent de production de viande. Ceci ne pose pas de problème dans le temps de l’artisanat, mais en pose dans les rythmes capitalistes. Ce cycle est trop lent ! D’où l’idée de donner à la vache de la nourriture d’origine animale et non plus seulement végétale, pour accélérer ce cycle de production de viande. D’où, la vache folle et les farines animales. Nous ne sommes pas les vaincus du capital. Nous avons déjà gagné sur le paternalisme.

Les retraités devraient soutenir les chômeurs pour être payés par le salaire socialisé, soutenir que les jeunes, y compris ceux scolarisés, soient payés avec un salaire forfaitaire à 80 % du SMIC dés 18 ans, et au moins le SMIC dès qu’il y a salaire contraint. Les retraites représentent un droit né de l’activité. Ce sont 1 100 milliards assumés sans mettre en œuvre le principe cher aux capitalistes de l’accumulation financière puisque prélevés directement du travail des actifs.

Il n’y a pas de frigo du capital !

Si le retraité place ses titres et en attend des dividendes, d’où viendra la rente si ce n’est des richesses produites par le travail ? En 2040, ils ne pourront consommer que des services et des biens produits en 2040, de même pour leurs revenus.
La seule variable entre les deux systèmes, ce n’est pas la richesse à un moment donné mais l’état du rapport de force entre travail et capital. Choisir la retraite par capitalisation, c’est parier sur la victoire du capital contre le salariat, contre le travail ensuite, c’est-à-dire contre la société tout entière.

En effet, il n’y a de richesses réellement produites (je ne parle pas de la rapine, du vol ou des malversations) que celles produites par le travail. La propriété lucrative, celle dont on tire du capital, que l’on doit distinguer de la propriété d’usage, est inutile et nuisible. Elle met en péril le travail et le salaire aujourd’hui au nom de l’épargne pour demain. Pour qu’il y ait du travail demain, créons du travail aujourd’hui.

L’imaginaire du travail socialisé
Le caractère communiste de l’imaginaire du salaire socialisé apparaît avec ces quatre points :
 Le dépérissement de l’État ;
 À chacun selon ses besoins ;
 Le dépassement de notre destin de force de travail ;
 La disparition de la propriété lucrative.

Nous souffrons d’un imaginaire socialiste qui bloque et empêche d’aller vers le communisme :
a) État régulateur : les socialistes sont au pouvoir car ils sont socialistes et non libéraux et pourtant ce n’est pas le dépérissement de l’État qu’ils mettent en œuvre.
b) État-Providence : la fiscalité redistributive ce n’est pas à chacun selon ses besoins.
Cet État défini des jeunes, des vieux (catégorie différente des retraités), des femmes (qui reviennent au travers du temps partiel), des exclus, etc. et attribue à chaque catégorie une quote-part sur des critères arbitraires. Dans ce cadre, le SMIC n’est plus un salaire mais une allocation interdisant de fait l’accès au salaire. Nous sommes dans la charité laïcisée.
c) Mythe de la propriété collective au travers de l’épargne salariale.
Pour Bernard Friot, les citoyens constituent un corps moins puissant que le corps des salariés. Il est donc plus logique de construire un social (de classe) autour du salaire plutôt qu’autour de l’impôt (national).

Nous souffrons d’un imaginaire, qu’il qualifie de mortifère, où l’État fort ferait la révolution. Il nous faut défendre le salaire contre l’accumulation financière. Le salaire c’est le lieu de socialisation des ressources le moins fragile. Comme le statut de fonctionnaire a servi de modèle aux conventions collectives, il nous faut, plutôt que d’accepter sa destruction, chercher à étendre le salaire socialisé.

Bernard Friot est issu du voisinage du Parti communiste. Il traite cependant Robert Hue de social-démocrate. Et quand il parle de l’imaginaire mortifère de l’État fort qui fera la révolution, il inclut les staliniens et les trotskistes avec leur idée d’État ouvrier. Une prose intéressante pour exercer nos neurones à contrer les discours économiques dominants et sortir de notre logique de « vaincus » éternels de l’histoire.

Philippe Arnaud. — groupe Emma Goldman (Bordeaux)

Bernard Friot. Et la cotisation sociale créera l’emploi. Édition La Dispute 155 p -1999- (70 FF). Puissance du Salariat : emploi et protection sociale à la française (tome 1, plutôt technique sur l’historique de l’emploi et la protection sociale à la française depuis la Première Guerre mondiale). Édition La Dispute, Paris, 1998.


Salaire, chômage et baratin patronal

Alors là, non ! Ce n’est pas bien. Vous faites semblant de comprendre et tout de suite après, vous recommencez à déraisonner. Tout, on vous a tout expliqué cent fois déjà. Le chômage par exemple, un coup il est conjoncturel, un coup il est structurel. Les entreprises n’y sont pour rien, leurs actionnaires non plus. C’est la concurrence mondiale. Pour vous, ça veut dire que si la rémunération des capitaux est meilleure dans un autre pays, des investisseurs vont concurrencer votre activité depuis ce pays. Autrement dit, vos actionnaires (parce que ce sont souvent les mêmes) montent des entreprises qui les concurrencent eux-mêmes et les obligent à fermer celle qui vous emploie. Personne n’y peut rien, c’est la dure loi de la nature.

Du jour où vous êtes chômeur, il faut constater et regretter que vous êtes inemployable. Ça, c’est structurel. Mais que vous pouvez faire exactement le même boulot à condition que votre patron reçoive des aides de l’État (CIE, CFS, CEC, EJ). Quand vous n’apportez plus ces aides au patron, il vous met dehors. Ça, c’est conjoncturel.

Cette politique de l’emploi harmonieuse et intelligente a permis à nos entreprises d’être classées dans les premières mondiales quant à leur productivité. Vingt ans de baisse continue (ou presque) de la part des salaires dans le partage des richesses et hop ! ça redémarre. Même les 35 heures vont dans le sens de cette politique. En théorie, elles représentent une hausse des coûts salariaux de 10 %, mais grâce aux négociations mises en place qui ont permis l’annualisation du temps de travail et le gel des salaires, le prix réel de la main-d’œuvre à baissé.

L’année 1999 a vu nos entreprises engranger des profits records : 48 milliards de bénéfices réalisés par trois banques (BNP, Société générale, Crédit Lyonnais). En 2000, il ne leur a fallu que six mois pour égaler cette performance.

La plupart des grands groupes déclarent n’avoir eu besoin que de trois mois pour accumuler les profits de tout l’exercice passé.

Faut être moderne !

Les lois de l’économie sont telles qu’aussitôt une redistribution s’est faite sous forme de création d’emplois. Peut-être un peu précaires et pas très bien rémunérés mais c’est un fait. Sur les vingt ans à venir, on peut penser atteindre un taux entre 4 et 6 % de chômage, à deux conditions. La première : la modération salariale, dans les faits une baisse de votre pouvoir d’achat. La deuxième est aussi d’importance : il faut que vous compreniez qu’une société moderne a déjà du mal à vous rentabiliser jeune. Vieux, vous serez de vrais boulets ! Ça ne peut plus durer. Il convient que vous épargniez pour votre retraite.

Les chiffres sont clairs. Vous êtes trop nombreux, trop exigeants, trop vite à la retraite. Nous avons paré à l’essentiel : 40 ans de cotisations effectives et un calcul sur la base des 20 meilleures années de votre carrière pour toucher une retraite à taux plein. Autant dire que la retraite à 60 ans, vous n’êtes pas prêts de la voir. Mais avec ces pensions de misère vous allez faire éclater les chiffres de l’aide sociale. Parasites !

Effacer les mots salaires différés et solidarité intergénérationnelle de votre tête, nos ordinateurs n’ont pas de prises « Universal Bus » qui les identifient. Épargnez et dépensez. Épargnez pour votre retraite sous forme de fonds de pension déguisés. Placés dans votre entreprise, vous serez actionnaires. Si la boîte coule, vous rejoindrez la cohorte majestueuse des salariés de Maxwell. Placés dans d’autres entreprises et en vue d’un profit maximum, ces fonds seront investis dans des boites concurrentes aux vôtres et de nouveau… chômiste ! Mais c’est le cercle de la raison qui vous l’impose. Dépensez ce qui vous reste. Vous savez bien que la croissance était ralentie par l’épargne trop importante des ménages. Non, ce n’est pas contradictoire.

Voilà des perspectives claires, souriantes, raisonnables et équilibrées. Or, et c’est là que décidément vous exagérez, vous feignez de ne pas avoir compris et vous recommencez à demander des augmentations de salaires. Au risque de rompre tous ces beaux équilibres. Vous dites vouloir partager les fruits de la croissance. Vous vous laissez impressionner par les chiffres exorbitants des profits accumulés sans voir combien tout cela est fragile.

Peut-on se contenter des miettes ?

Vous êtes corrompus par l’influence pernicieuse de certains penseurs irresponsables, cryptocommunistes, qui instillent leur poison dans chacun de leur livre : « Le meilleur moyen d’améliorer son niveau de vie, n’est pas de revendiquer des hausses de salaire, mais d’exiger le partage de la valeur […] liée à la rémunération du capital » (Jean-Marie Messier, J6M.com).
Prenons l’exemple d’un grand groupe industriel, dont cet intellectuel n’a absolument pas la maîtrise, Vivendi. Les lois de la nature, le cercle vertueux de la raison, conduisent à répartir les bénéfices de la façon suivante : plus-value potentielle sur stock-options du PDG, 500 millions de francs ; part des salariés du groupe, environ 500 millions de francs. Quoi de plus égalitaire ? Les entreprises n’ont pas attendu monsieur Messier pour répartir leurs bénéfices entre capital, dirigeants et salariés ! Il n’en demeure pas moins vrai qu’il est un peu plus raisonnable que vous en ce que, privilégiant le partage du bénéfice sur le salaire, il évite les énormes charges sociales qui réduisent notre économie à n’être que la cinquième économie mondiale !

Jean Castillo


Épargne salariale

Tous capitalistes ?

Mercredi 4 octobre, les députés ont adopté, en première lecture, le projet de loi sur l’épargne salariale présenté par le ministre de l’Économie, Laurent Fabius. actuellement, les formes d’épargne salariale existent, mais seulement dans les grandes entreprises. Le projet Fabius-Jospin corrige cette injustice ! Désormais, employés des PME, travailleurs précaires… tous pourront devenir actionnaires. Le projet de loi s’adresse aux quelque quinze millions de salarié-e-s du secteur privé. Le machin se nomme « Plan d’épargne salariale volontaire » (PPESV) ! Le principe est simple : tout salarié pourra acquérir, à des « conditions très intéressantes », des parts de son entreprise. Ces actions alimenteront un plan d’épargne à « dix ans au moins ». À l’issue de ces dix années, l’heureux salarié se sera constitué un capital. Comme les socialistes ne font jamais les choses à moitié, il est prévu que la sortie en capital pourra être « fractionnée » ; en d’autres termes, la sortie en capital pourra se faire sous forme de rente.

Fini l’antagonisme capital-travail

Le rêve de la gauche plurielle est à son comble : l’antagonisme capital-travail est réduit à néant : une brèche est ouverte contre le régime de retraite par répartition et les possibles revendications salariales des employés des entreprises concernées seront renvoyés aux cotations boursières ! En effet, les patrons ne vont pas se gêner. Avec l’actionnariat salarié, ils seront encore plus fort pour rejeter toute demande d’augmentation des salariés ; pourquoi réclamer plus ? Vous « participez à la croissance de l’entreprise via vos actions… Dans 10, 20, ou 30 ans vous toucherez votre capital ! » Même discours quant aux retraites. Si l’actionnaire salarié peut fractionner votre capital, pourquoi soutenir le principe de la retraite par répartition.

Le PCF avale encore une couleuvre !

Cette loi sur l’épargne salariale a remporté un tel succès que seul le RPR à l’Assemblée nationale s’y est opposé estimant par la bouche de Jacques Godfrain, député de l’Aveyron, que le texte était « chétif et étriqué »… En résumé, la loi n’est pas assez libérale ! Les autres, des communistes à l’UDF, ils ont tous voté pour. Franchement pluriels, les députés Verts se sont abstenus estimant insuffisantes les « concessions gouvernementales », Yves Cochet précisant : « Plus le PPESV sera un succès, plus notre régime de retraite par répartition sera fragilisé ». De là à voter contre, les Verts ne pouvaient pas se le permettre. On s’attache vite au maroquins !

Les plus comiques dans ce débat resteront les députés communistes. Aucun amendement des rouges n’a été intégré : outre la remise en cause de la retraite par répartition, aucun droit nouveau pour les salariés actionnaires n’accompagne ce projet et la taxation de cet épargne a été revue à la baisse. Grâce aux socialistes, les patrons ont encore obtenu satisfaction et les communistes ont perdu une bonne occasion de se taire !

Quant aux salarié-e-s concerné-e-s, espérons qu’ils ne se laisseront pas tenter par cette nouvelle forme d’oppression économique aux allures alléchantes : jouer aux capitalistes comme les patrons ! L’exploitation, on le sait, n’a guère de limite, l’auto-exploitation non plus !

Alain Dervin. — groupe de Montreuil


Fait d’hiver

« Fils de pécore et de minus »

Le 1er octobre 2000, la prostitution a été légalisée au Pays-Bas. Désormais, toute vitrine, maison close ou club érotique, devra fournir « un permis délivré par la mairie en vertu de critères précis : des chambres de 5 mètres carrés minimum, d’une hygiène optimale, munies d’un système d’alarme et d’un dispositif anti-incendie ». Les « tenanciers » devront avoir un « casier judiciaire vierge, faire travailler uniquement des femmes majeures et issues de l’Union européenne ».

Pas de travail sous la contrainte ni trop d’heures d’affilée. Pas non plus de contacts sexuels non protégées. Les « travailleuses du sexe » pourront choisir entre le statut d’indépendante et de salariée. Elles paieront des impôts et cotiseront pour la retraite.

Bref, à dater de ce 1er octobre, aux Pays-Bas, les prostituées sont devenues des travailleuses comme les autres.

Faut-il se réjouir de l’amélioration incontestable du sort de ces femmes ou s’indigner d’une réforme qui entérine l’insupportable d’une prostitution dont il est patent qu’elle plonge ses racines dans la misère et s’exerce sous la contrainte ?

La question, hélas, vaudra toujours d’être posée, tant il est vrai que même la révolution (1) ne parviendra jamais à éradiquer complètement la misère.

Reste cependant à la poser en évitant de l’habiller des bures du moralisme ou des guenilles du ricanement.

Le camarade Georges Brassens nous y invitait déjà en nous rappelant que « il s’en fallait de peu mon cher que cette putain ne fut ta mère ».

Jean-Marc Raynaud

(1) Pendant la révolution espagnole de 1936-39, il y eut en Catalogne un syndicat des prostituées CNT qui tout en faisant dans l’amélioration des « conditions de travail » des camarades prostituées, batailla bec et ongles pour donner à ces femmes les moyens matériels et culturels de quitter l’intolérable de la prostitution.


Pédagogies alternatives

Une journée pour l’innovation…

Comme nous vous l’avions annoncé dans un récent numéro du Monde libertaire, le 1er octobre se tenait à Montreuil la journée de l’Innovation. Il s’agissait de regrouper les acteurs de l’innovation scolaire : individus et groupes, encartés ou pas ; cela à l’appel de mouvements ou d’individus au fait de la recherche pédagogique : l’Institut de l’École Moderne-Mouvement Freinet, DECLIC, Marie-Danielle Pierrelée et son manifeste, l’Association française pour la lecture, le Cercle de recherches et d’actions pédagogiques, le Groupe français pour l’éducation nouvelle, et le Centre d’entraînement aux méthodes d’éducation active.

Les mouvements pédagogiques dans leur ensemble ont affirmé leur attachement à un service public et certains, comme l’AFL ou le CEMEA ont fait part de leurs craintes d’une voie ouverte à une privatisation de l’enseignement.

Tous les mouvements se sont déclarés prêts à soutenir pédagogiquement les individus et groupes innovants dans le respect de leurs chartes ou plates-formes respectives. Les individus, M.-D. Pierrelée et Gabriel Cohn-Bendit ont lancé un appel à créer un rapport de force avec le ministère.

Cette rencontre a tenu ses promesses

Elle a réuni plus de 150 personnes qui tout au long de la journée ont pu mutualiser leurs recherches et leurs tâtonnements, leurs partis pris pédagogiques et leur énergie débordante. Nous avons aussi largement partagé nos doutes et nos expériences difficiles en matière de portes fermées et de mauvaise volonté hiérarchique… En effet, certaines équipes travaillent depuis 1995 (le projet de l’Aude, DECLICS), sans établissement concret. Ce constat déprimant nous rappelle simplement (mais l’avait-on oublié) que l’État ne sera jamais prêt à accueillir en son sein des établissements scolaires qui chercheraient à rendre les enfants autonomes, curieux, critiques et acteurs de leur propre éducation… On serait loin alors du « formatage » imposé aux collégiens actuels.

Des projets déjà en place (depuis 1982 et les accords Savary) tels le Lycée autogéré de Paris ou le Lycée de Saint-Nazaire étaient venus témoigner de leur expérience et découvrir d’un œil bienveillant les nouvelles initiatives. Une quinzaine d’équipes ont exposé leurs projets ; et de nombreux individus ont témoigné de leur volonté de s’y inscrire voire d’en inventer d’autres.

Des initiatives pour tous les âges

Nous avons entendu des projets divers quant au public visé :
Plusieurs projets sont conçus au niveau du premier degré. C’est le cas du projet de Villiers-le-Bel (95). Marqué par son contexte social (en Zone d’éducation prioritaire), il prendra en charge les enfants du CE2 à la 5e qui sont exclus par le système scolaire traditionnel. Problématique voisine pour le projet de Juvisy-sur-Orge (91) qui accueillera des enfants en difficulté et volontaires sur un projet où le théâtre sera très présent. Cette structure sera également ouverte aux adultes.

Dans le cadre de l’école élémentaire, ces projets rejoignent la volonté de l’ICEM qui poursuit l’objectif d’une école primaire (et d’un collège) Freinet par département.

Deux autres équipes parisiennes étaient présentes : DECLIC 19 (pour une école maternelle et primaire dans le XIXe arrondissement) et un projet d’école dans l’est parisien. Les projets concernant les collèges sont les plus nombreux, naturellement.

En effet, le niveau collège est complètement verrouillé en France. Pour le primaire, il existe quelques cas d’écoles Freinet et d’écoles ouvertes ou expérimentales. Au niveau lycée, il y a les 4 survivants de 1982 (le LAP, Saint-Nazaire, Hérouville-Saint-Clair ­ qui a l’originalité de faire collège et lycée ­, et le CEPMO sur l’île d’Oléron). Mais au niveau des collèges, c’est le désert. Et c’est là que les besoins se font sentir de la façon la plus urgente : sur le terrain des équipes ont envie d’évoluer, et il y a manifestement urgence à faire quelque chose pour les enfants qui au mieux s’ennuient. Étaient représentées les initiatives de Charente-Maritime, du Morbihan (qui revendiquent une organisation autogérée), de Brest, du Cantal (il s’agit de rouvrir un collège qui a fermé en juin 2000 faute d’un nombre suffisant d’enfants), de l’Ille-et-Vilaine, de Lille autour du manifeste de M.-D. Pierrelée, Miramont (Dordogne), Nantes et DECLIC 93.

Des objectifs divers

Nous avons entendu des projets divers dans leurs objectifs :
Certains projets mettent en avant la réparation sociale et pédagogique ;
dans ce cadre ils souhaitent accueillir en priorité des enfants en difficultés voire en rupture (cf Villiers-le-Bel ou Juvisy).
D’autres insistent sur l’innovation pédagogique, notamment autour de la plate-forme des équipes Freinet.

Certains projettent un établissement scolaire comme un lieu de vie et d’apprentissage ouvert à tous, enfants et adultes (cf. le projet de Montbel en Ariège où le collège serait rattaché à l’éco-village local et à un centre de formation de l’autre côté de la frontière espagnole ; les subventions seront demandées à la CEE et au secrétariat d’État à l’Économie sociale). C’est le cas aussi pour Juvisy et d’autres sans doute. Cette volonté de réunir enfants, jeunes et adultes dans un même contexte d’apprentissage n’est pas dénuée d’intérêt.

Des convergences prévisibles

Tous manifestent l’urgence de considérer l’enfant dans sa globalité, d’intégrer la citoyenneté dans la vie quotidienne de la structure scolaire, de favoriser les pratiques coopératives pour briser le piège de l’individualisme et le culte de la compétition.

Tous souhaitent travailler dans le service public au sein de projets qui soient transférables et qui puissent servir de point d’appui pour d’autres. Il ne s’agit pas pour toutes ces équipes de s’enfermer dans leur établissement qui sera dit expérimental ou pionnier, mais bien de témoigner ici et maintenant que l’on peut apprendre autrement, que l’on peut changer les relations adultes-enfants dans l’école. Témoigner que c’est possible, auprès des parents et de la communauté éducative pour transformer l’école en profondeur.

La majorité souhaite bénéficier d’une carte scolaire souple qui permettra d’accueillir les enfants du quartier et d’autres qui le souhaiteraient, pour éviter l’écueil du collège-ghetto ou au contraire de l’établissement-privilège. Cela garantira aussi une implantation dans le quartier et des liens avec les associations locales sociales et culturelles. Tout le travail de mutualisation des informations et des ressources continue après le 1er octobre puisque vous allez bientôt pouvoir consulter ces projets sur plusieurs sites Internet (1).

En janvier, une nouvelle réunion nationale fera le point des travaux en cours. Aux alentours du 10 mars, des rencontres nationales et régionales relanceront le débat au niveau de la société civile. On vous tient au courant.

Élisabeth Aymard. — groupe René Lochu et
Thérèse Preux. — Groupe Bakounine

(1) freinet.org/icem
www.multimania.com/mdpierrelee/ encore sur le site de Bonaventure :
http://perso.wanadoo.fr/bonaventure


Crise de foi

Pédophilie et morale

Cela s’est passé en 1998, le curé Bisset (de Caen et autres lieux) avait été interpellé pour divers viols et agressions sur mineurs. L’évêque du coin, Mgr Pican, qui était au courant de ces affaires protégea le curé, il fut transféré d’église en église… Mgr Pican affirme avoir couvert le curé afin d’aider à terrasser ses démons de chair. Ainsi, le curé fut envoyé par son évêque en maison de repos, tandis que la justice, toujours impartiale, à deux reprises jugea « inopportun » de poursuivre l’évêque pour non dénonciation de crimes et d’atteintes sexuelles.

Il aura fallut attendre la constitution de partie civile pour que l’évêque soit mis en examen par le parquet de Caen. Les victimes ainsi que tous ceux qui sont épris de justice, au sens noble du terme et non en tant qu’institution, apprécieront le rôle joué par l’évêque et la justice.

Nous avons là deux acteurs, l’Église et la Justice, qui sont pour beaucoup de personnes deux institutions représentant la morale et la justice… La réalité est toute autre. La justice défend les intérêts des classes dominantes et l’Église impose ses dogmes moralistes arbitraires par la culpabilisation. Dans un communiqué paru dans La Croix, l’Église se montre très claire : « Le diocèse de Bayeux et Lisieux exprime son soutien à Mgr Pican, Mgr Gaucher et le père Pitel ont exprimé leur soutien à leur évêque Mgr Pican après sa mise en examen : nous tenons à assurer notre évêque de notre confiance et de notre sympathie dans cette lourde épreuve. » Les victimes apprécieront…

L’Église fait corps. Elle défend un des ses éléments sans aucune morale car son but est le contrôle des consciences. Pour nous, la vraie morale, c’est la recherche du bonheur personnel dans l’accomplissement du bonheur de tous. Si tout le monde est heureux, alors je le suis aussi. Cela implique un changement radical de société, où tous les rapports seront fondés sur l’égalité économique et sociale et la liberté. Sans Dieu ni Église, sans maîtres ni tribunaux.

Régis Boussières. — groupe Kronstadt (Lyon)


Sans-papiers

La lutte continue dans l’agglomération rouennaise

« Nous sommes des sans-papiers. On s’habitue a ce mot peu à peu. On entend dire que les sans-papiers sont arrêtés, renvoyés, qu’ils manifestent. On se souvient des portes de Saint-Bernard défoncées à la hache par les CRS et les gardes-mobiles… Le fait d’avoir des papiers est pour vous une chose naturelle. Vous imaginer peut-être difficilement ce que signifie le mot “sans”. Il conditionne notre vie. Notre existence est marquée par la peur et l’attente… »

Chevènement est parti, les sans-papiers sont toujours là (quand ils n’ont pas été expulsés). La circulaire Chevènement de mai 1998 avait permis la régularisation de 60 000 étrangers, mais, de part ses critères limités, 60 000 autres étrangers restaient sur le carreau.

Sur la région Haute Normande, plusieurs collectifs se sont formés, au Havre, à Rouen, Elbeuf, Dieppe et Louviers. Des occupations ont eu lieu, parfois avec grèves de la faim (au Havre), ou sur un très long temps, comme à Grand Quevilly, près de Rouen (ville de Fabius), où l’occupation dura d’octobre 1998 à juillet 1999. Ces mouvements aboutirent à la régularisation d’un certain nombre de personnes, dont les demandes avaient été refusées dans un premier temps. Et encore, quand on parle de « régularisation », ne nous voilons pas la face, ces régularisations ne sont souvent que l’obtention de titres de séjour d’un an, avec tout ce que ça implique : « pas d’emploi déclarés mais du travail au noir. Les licenciements quand nous demandons un contrat de travail. La nécessité d’accepter des conditions de travail très difficiles car le chômage, c’est la chance de renouvellement d’un titre de séjour qui disparaît. Pas de prêt bancaire. Aucun découvert possible. impossible de louer normalement avec un bail de trois ans. Les procédures de renouvellement sont très longues, les convocations aux rendez-vous sont nos seuls papiers officiels et les services sociaux ne reconnaissent pas la validité d’une convocation ou d’un récépissé… » Et même ça, qui est loin d’être la panacée, est refusé à certains.

Sur Rouen, à la fin de la première occupation, 160 étrangers (déclarés) se trouvaient toujours sans papiers.

Deux occupations, toujours pas de réponse

Un essoufflement du mouvement et des soutiens entraîna même, sur l’agglomération rouennaise, en septembre-octobre 1999, de nombreuses rafles, contrôles au faciès, arrestations musclées et expulsions. La réplique ne fut pas à la hauteur de la répression. Il fallut quelques mois pour que le mouvement des sans-papiers se reforme vraiment.

En mai 2000, un véritable Collectif des sans-papiers s’est recréé, occupant une salle rouennaise, pour montrer une riposte face à la répression policière. La lutte des sans-papiers continue car « nous sommes déterminés à aller jusqu’au bout pour vivre sans la dignité », disent-ils.

Après cette occupation, une seconde a lieu, en juin-juillet, dans les locaux de l’UL-CGT de Rouen. Cette seconde occupation relance la machine et permet de reparler de la situation des sans-papiers. Des AG ont lieu chaque semaine, ainsi que des permanences et des rassemblements. La préfecture semble écouter les doléances des sans-papiers et annonce même des entretiens sans exclusive avec tous les sans-papiers. Une manifestation a lieu sur Rouen, le 16 septembre, et à l’issue de celle-ci, les engagements semblent toujours à l’ordre du jour.

Pourtant, le 27 septembre, le collectif des sans-papiers reçoit une réponse de la préfecture. La stupéfaction est grande de voir qu’aucun des engagements ne sont tenus et que les sans-papiers sont toujours maintenus dans l’attente, l’angoisse et l’incertitude.

Le 2 octobre, le Collectif investit un nouveau lieu, à Saint-Étienne du Rouvray. Il y a encore plus de monde, de nombreux soutiens. Tous ensembles déterminés à lutter jusqu’à la régularisation globale.

Jean-Pierre Levaray. — groupe de Rouen

Collectif des sans-papiers de Rouen et agglomération : 06 17 77 92 05 (UL CGT, 38 rue du Renard, 76000 Rouen)


Vite fait… Bien fait

• Décidément, ça bouge chez les helvètes. Après l’avortement, le gouvernement suisse envisage aussi de dépénaliser la consommation de cannabis.

• Peste brune. Des militants d’extrême droite ont incendié une synagogue à Düsseldorf dans la nuit du lundi au mardi 3 octobre. C’est la deuxième en moins de six mois à être prise pour cible par l’extrême droite allemande.

• Les services publics et bien ça rapporte. Le groupe Suez-Lyonnaise des Eaux, qui se partage le gâteau des marchés publics avec Vivendi (ex-CGE) a vu son bénéfice net grimper de 37,8 % au cours du 1er semestre 2000 pour atteindre 1,268 milliard d’Euros. À ce tarif, ils peuvent se montrer reconnaissant avec les argousins qui leur ont filé pareil filon.

Fernand Raynaud not dead. Un sénégalais a été retenu 36 heures dans la zone d’attente de l’aéroport de Roissy. Sans motif. Si ce n’est que les douaniers refusaient de croire qu’il vienne en France… pour se marier et en plus avec une française.

• Record battu. Le taux d’abstention au dernier référendum a été battu à plate couture la semaine dernière. Et là ça va être dur de faire mieux. Aux élections municipales de New Ashford (USA ­ Massachussetts), aucun électeur n’a en effet été voter.

• Fils à papa, Lachlan Murdoch, 29 ans, vient d’être nommé directeur général du groupe Newscorp, un groupe de presse de 14,2 milliards de dollars. Il restera également PDG de la filiale australienne de Newscorp et continuera à en manager les activités d’éditions aux États-Unis (dont le New York Post). Belle réussite qui ne doit évidemment rien au fait que ce groupe est la propriété de son papounet d’amour : l’ineffable Rupert Murdoch.

• Face à une journée de grève amplement suivie, la direction de la SNCF lâche du leste. Elle propose une augmentation générale des salaires de 0,4 %, une prime exceptionnelle pour tout le monde de 1 000 F, la revalorisation de 1 % du salaire minimum et une augmentation des retraites. Comme quoi la lutte, ça paye et avec une deuxième journée grève, ça pourrait encore mieux payer.

• Financement occulte des partis. Après le PS, le CDS et le Parti républicain (actuelle Démocratie libérale), c’est au tour du PCF de passer en procès pour attributions douteuses de marché public. Reste encore le RPR (en cours d’instruction) et nous aurons à peu près l’ensemble des partis politiques de ce pays, condamnés pour avoir vendues au rabais nos services publics à des groupes privé en échange de pots de vin. Et c’est la justice qui le dit !


Chronique anarcha-féministe

Robert

« Pourquoi qu’a dit rin ?
Pourquoi qu’a fait rin ?
Pourquoi qu’a pense à rin ?
A’xiste pas
 »
Tardieu, La môme néant

Robert Durosoy est morte hier. C’est le journal qui l’a dit. Madame Robert Durosoy. Ça veut dire la madame de Robert est morte. Ça veut dire Robert est veuf. Ça nomme Robert, ça imprime Robert, ça parle de Robert, ça cause Robert : ça tue une deuxième fois. On escamote une femme derrière Robert, on l’efface, on lui vole son passé comme on lui a refusé l’émancipation quand elle pouvait respirer. Ou étouffer. A-t-elle longtemps vécu, Robert Durosoy, qui est morte à 83 ans, a-t-elle vécu un peu. elle qu’on oblige à partager même son linceul ?

Elle a peut-être passé sa vie entre vaisselle et repassage, dans l’horreur quotidienne de la vie à deux avec Robert l’alcoolique. Elle a peut-être été odieuse héritière de l’usine à papa, avec un Robert bonasse partant voir ses potes quand elle voulait recevoir ses amantes et amants. Mais elle n’avait pas une vie pour elle toute seule. Parce qu’elle s’appelait pas Robert, en fait. Parce que les petites filles qui sont nées il y a 83 ans, comme celles qui naissent aujourd’hui, n’auront jamais d’autre choix que d’exister « à travers » d’autres, ou de lutter toute leur vie. Leur vie à elles, pleines de bleus et de peurs sans doute, mais leur vie, pas celle de Robert ou de ses enfants.

Pimprenelle


Répression sanglante des Palestiniens

Alors que bon an mal an les discussions entre Arafat et Barak semblaient reprendre après l’échec de Camp David, populations palestiniennes et armée israélienne s’affrontent violemment depuis le 28 septembre. Mais aux pierres et cocktails Molotov, répondent balles réelles et missiles. Cette réponse disproportionnée est logiquement responsable de plus de 80 morts presque exclusivement arabes (Palestiniens et arabes israéliens, minorité discriminée au sein d’un État défini par la judéité).
À l’origine de cette escalade mortelle, on trouve la visite d’Ariel Sharon, leader du Likoud (droite) sur l’esplanade des mosquées, lieu ô combien symbolique du Jérusalem arabe. Cette venue a été, à juste titre, perçue comme une provocation anti-arabe. Le Likoud et plus encore sa frange dure dont Sharon fait partie, montre en effet une hostilité féroce à l’encontre des Palestiniens et quand on voit l’attitude douteuse des travaillistes au pouvoir, c’est peu de le dire.

Nous ne pouvons donc que condamner fermement cette débauche de violence de la part de la machine d’État israélienne qui nous refait la répression de l’Intifada en plus sanglant. Sa responsabilité est d’autant plus forte que depuis les accords de paix d’Oslo en 1993, les dirigeants israéliens, de Rabin à Barak, n’ont promis que des peccadilles et donné encore moins aux Palestiniens. Ils ont notamment bloqué tout espoir de développement économique acculant ainsi à la misère les habitants de la bande de Gaza.

Cette éruption de violence ne tombe-t-elle pas à pic pour Barak et Arafat ? En effet le Premier ministre israélien voyait sa majorité s’étioler (départ des partis religieux dont le Shas séfarade) et son autorité politique contestée. Il compte donc sur l’étendard du nationalisme borné pour redorer son blason dans un pays où les militaires (le général Barak en tête), les sionistes et les religieux convertis à l’ultra-nationalisme écrasent la société. Quant à Arafat, il était lui aussi en mauvaise posture du fait de ses compromissions avec les dirigeants israéliens qui n’ont rien permis d’obtenir de conséquent. Ces critiques sont d’autant plus légitimes que c’est Arafat lui-même qui fut le fossoyeur de l’Intifada. Ce mouvement de lutte contre l’oppression israélienne prenait en effet trop d’autonomie à son goût. Mais faisant table rase du passé, le vieux chef d’un embryon d’Etat déjà corrompu se refait une virginité politique en envoyant la jeunesse arabe au casse-pipe

À qui profite le massacre ?

Tout ça pour quoi ? Certes les réunions des leaders israéliens et palestiniens n’ont rien donné tant à Paris qu’en Égypte où Barak ne s’est même pas rendu, mais une fois leur autorité rétablie, un charnier plus tard, il est probable que ces deux croque-morts s’en iront signer un nouveau compromis. Peut-être créeront-ils même un État palestinien, encore que les pays arabes voisins y soient hostiles malgré leurs rodomontades, craignant un précédant tant les frontières de cette région sont arbitraires. De plus la création de structures étatiques peut-elle résoudre la misère généralisée de tout un peuple ? C’est pourtant là qu’il faut chercher la véritable cause de la révolte.

Dernier point enfin, il convient de voir que ce mouvement de lutte est parti de la venue de Sharon dans un espace religieux symbolique. Bref entre d’un côté le mur des lamentations et de l’autre les mosquées, on nous refait le coup de la guerre de religion ponctuée par les cris d’orfraie des barbus avec ou sans papillotes. Une fois de plus, on met une camisole nationaliste et religieuse à une lutte née de la misère économique et sociale pour mieux la détourner. C’est d’autant plus dommage que du côté israélien, les voix se faisaient de plus en plus nombreuses pour dénoncer les dérives d’un Etat qui utilise la sacralisation du génocide juif pour écraser les Palestiniens ainsi que le poids des barbus et partis religieux.

Bref cette explosion profite finalement largement à des politiciens à bout de souffle qui utilisent morts et blessés pour se refaire une santé. Face à ces requins et à leurs appareils d’État, même en devenir, espérons que les populations palestiniennes et israéliennes sauront se prendre elles-mêmes en main. En attendant la répression maintenue laisse planer le risque d’attentats suicides de la part de Palestiniens acculés au désespoir, le tout pouvant embraser toute la région dans une nouvelle guerre.

Romain. — groupe Kronstadt (Lyon)

(1) Voir R. Berthier : Israël Palestine, mondialisation et micro nationalisme. Acratie, 1998.
(2) Le gouvernement Arafat consacre d’ailleurs l’essentiel de ses revenus à la police et aux services secrets, ne se souciant guère du chômage et des conditions de vie déplorables des Palestiniens.


Prague : répression tous azimuts

Pendant les manifestations qui ont eu lieu à Prague entre le 22 et le 26 septembre dernier, les forces de répression tchèques se sont livrées à de nombreuses exactions, voire des tortures, à l’encontre du millier de contestataires qu’elles ont interpellés. Nous vous livrons un résumé de ces actes de violence, de tortures, de viols et d’humiliations qui nous sont parvenus de différentes sources directes et par le biais d’INPEG (principal réseau organisateur de cette initiative contre l’ordre capitaliste). Par ailleurs nous rendons compte de quelques unes des initiatives de solidarité vis-à-vis des interpellés prises dans différentes villes de la planète.

Les détenus auraient été enfermés par groupes de vingt dans des cellules de quatre mètres carrés ! Un groupe d’une trentaine de personnes détenues à la prison de Olsanska a été laissé dans une cour extérieure toute la nuit sans couvertures. Les prisonniers n’ont pu ni dormir, ni boire, ni s’alimenter. Des diabétiques ont particulièrement soufferts de l’absence de nourriture, des gens ayant besoin de médicaments ne les ont pas eu, l’ambassade britannique a même du intervenir pour faire entrer des médicaments en prison.

Plusieurs personnes libérées ont rapportés qu’avant d’arriver aux stations de polices, des agents ont amené des individus dans des zones isolées et les ont tabassés. Un communiqué de presse de l’INPEG de Prague révèle que des femmes ont été fouillées à nu par des officiers de police masculins et ont été forcé de faire des exercices physiques pour leur bon plaisir.

Deux norvégiens qui étaient venu à une station de police sur la rue Trisparni Street près de Vlatavska pour signaler le vol d’un téléphone mobile ont été témoins, derrière une porte brièvement ouverte, que des gens qui étaient menottés à un mur étaient tabassés.

Des néo-nazis dans les commissariats

Cela a également été confirmé par plusieurs personnes relâchées racontant que, dans la salle d’attente, les policiers frappaient les prisonniers et que certains hommes se faisaient tordre les parties génitales et y recevaient des coups. Des personnes menottées auraient été jetés dans les escaliers. Une norvégienne emprisonnée a vu une femme allemande avec la jambe sévèrement blessée et qui s’est fait refusée un médecin.

Deux femmes, ne supportant plus les conditions concentrationnaires de leur détention, ont sauté du deuxième étage et sont actuellement gravement blessées.

Plus grave, on rapporte que les policiers auraient appelé des militants néo-nazis pour les aider à torturer les détenus ! La république tchèque est-elle devenue un État fasciste ? Ou n’a-t-elle jamais cessé de l’être, après quarante ans de fascisme rouge ?

C’est ainsi que des militants néo-nazis ont été invités dans les commissariats, en ayant directement accès aux cellules pour torturer « des Juifs et des gauchistes » ! Cela n’est d’ailleurs pas très étonnant quand on sait qu’un tiers des policiers tchèques ont des sympathies néo-nazis.

On signale que les personnes d’origine juives ont été particulièrement tabassées, notamment à Lupacova, Praha 3, où un Israélien avait de la difficulté à marcher, un œil au beurre noir, et une côte cassée. On lui a évidemment refusé tout attention médicale.

Plusieurs détenu-e-s, hommes et femmes, ont été violé-e-s par des policiers ! Les témoignages sont de plus en plus accablants. Dans ces conditions, le pire est à craindre pour les personnes encore retenues.


Protestation et solidarité avec les emprisonnés de Prague

Rome : Une cinquantaine de manifestants anarchistes ont accroché une banderole de protestation et de solidarité sur l’ambassade de la République Tchèque
Athènes : Une quinzaine de militants anarchistes ont investi les locaux d’Amnesty International, suspendu une banderole et faxé des messages à l’ambassade, à Vaclav Havel, etc.
Barcelone : Une vingtaine de manifestants ont occupé le consulat de la République Tchèque pendant trois heures avant d’être évacués par la police.
Dublin : 1500 personnes à un meeting organisé par différents groupes anarchistes, environnementalistes et d’extrême gauche. Une vidéo sur les événements de Prague à été projeté. Le meeting est parti en manif dans les rues de la capitale irlandaise.
Berne (Suisse) : Une douzaine de militants de la Coordination anti-OMC et le groupe anarcho-syndicaliste FAUCH ont occupé l’ambassade tchèque. L’ambassadeur et son personnel ont été virés et la façade pavoisée de drapeaux noirs et rouge.
Amsterdam : 150 manifestants ont tenté de forcer les cordons de police devant une église où le président de la Banque Mondiale, James Wolfensohn participait à une conférence sur la pauvreté dans le monde. Trois arrestations.
Poznan (Pologne) : Quatre membres de la Fédération anarchiste de Poznan ont occupé brièvement le consulat tchèque, pendant qu’une douzaine d’anarchistes tenaient un piquet de protestation devant l’ambassade.
France : Différentes structures libertaires ont tenu des rassemblements de protestation à Paris, Lyon, Dijon, Lille, etc. avec occupation de consulats tchèques et envoi de fax.


Yougoslavie : Ce n’est qu’un début…

Nous avons gagné ! Les mots me manquent pour vous décrire l’état d’esprit qui règne ici, en Yougoslavie. La nuit dernière après l’incendie du Parlement et de la télévision nationale, la fête a commencé. Les gens s’embrassaient et s’étreignaient et l’on pouvait voir sur tous les visages des sourires et des larmes de joie.

Au cours de la nuit, de petits groupes des opposants les plus violents étaient descendus en ville détruire le quartier général du parti de Milosevic, le Parti socialiste de Serbie. Quelques cas de pillages ont été rapportés, mais seulement de façon isolée. La musique avait envahie les rues et les gens dansaient sur « Let the sun shine in ».

L’Université aussi est libérée. Nous n’avions plus besoin de dormir sur place puisque plus personne ne voulait nous reprendre les lieux. Aujourd’hui et dans les jours qui viennent, nous les étudiants allons reprendre possession de toutes les institutions et des locaux qui nous avaient été confisquées par l’État.

Milosevic ne pouvait pas partir sans verser un peu de sang, deux morts sont à déplorer et de nombreux blessés.
Nous devons à présent comprendre que nous avons un autre ennemi auquel nous confronter. Le nouveau président est aussi nationaliste, tendance dure, avec un programme économique néo-libéral.

Nous, anarchistes, allons devoir nous organiser pour leur résister. Nous avions soutenu la grève générale contre Milosevic parce que nous pensions que nous aurons plus de marge de manœuvre dans nos actions.

Qu’a montré cette grève ? Que l’idée d’une grève générale n’est pas d’un autre temps comme certains le disent. Elle a montré que lorsque le peuple est uni derrière un même but (cette fois ci, chasser Milosevic du pouvoir), il peut tout. Il est temps à présent que nous travaillions à une grève sociale générale et internationale qui stopperait le capitalisme et détruirait l’État.

Rata


Lumumba , Raoul Peck

« Le premier passager à quitter l’avion a été un Africain bien habillé, il a été suivi par trois autres Africains dont les yeux étaient bandés et les mains liées derrière le dos. Le premier d’entre eux avait une petite barbe. Au moment ou ils descendaient les marches les gendarmes les ont frappés, ont donné des coups de crosse de fusil et les ont jetés dans la jeep… à ce moment-la, un des prisonniers a poussé des cris perçants ». Témoignage du chef de la garde suédoise de l’ONU, a l’aéroport d’Élisabethville, Congo belge (aujourd’hui Zaïre), le sous-officier Lindgren.

L’homme à la petite barbe est Patrice Émery Lumumba, le Premier ministre du Congo. Six heures plus tard, il recevra le coup de grâce de la main d’un officier belge.

Les images de cette descente d’avion où Lumumba se fait brutaliser sont passées sur les écrans du monde entier. Dans la mémoire collective, Lumumba n’est pas représenté par d’autres images.

Pour qu’il ne soit réduit a cette image de l’homme martyrisé, Raoul Peck tourne Lumumba, film de fiction, en complément de son documentaire au titre évocateur Lumumba, la mort d’un prophète, réalisé en 1991.

Raoul Peck : « C’est un projet vieux de dix ans, une histoire compliquée, personnelle. Mon père travaillait au Congo en 1961. Les Haitiens étaient cadres (enseignants, ingénieurs). C’était une situation chaotique. Cette histoire se confond avec mon enfance.

 » Le documentaire que j’ai réalisé est presque une confession intime, je parlais de ce qui m’était proche. La fiction, Lumumba, permet la distance nécessaire pour permettre un accès plus large, plus universel. Si je vivais en Afrique aujourd’hui, j’aimerais qu’on me raconte l’histoire de Lumumba. Mon film est une tentative de sauver cette mémoire, car en Afrique plus personne ne se souvient de lui, plus personne ne sait qui il était. C’est pourquoi j’ai fait ce film ! Quand j’avais douze ans, ça m’aurait aidé à comprendre beaucoup de choses, y compris la nécessité de cette mémoire ».

Raoul Peck a douze ans quand il arrive au Congo en 1962. Sa mère est secrétaire au gouvernorat de Léopoldville (aujourd’hui Kinshasa). Elle quitte son emploi quand son supérieur commande du drap noir, des cordes et des planches pour « les cagoules, la potence et le cercueil » d’opposants politiques. Elle ramenait à ses enfants des photos de Patrice Lumumba, disparu en 1960, dont on ne retrouva jamais le corps. L’engagement de Raoul Peck remonte à ce moment. Il fallait comprendre, retrouver la dimension historique de ces événements Patrice Lumumba fut livré par Mobutu, son ancien compagnon d’armes, à Moise Tschombé, secéssionniste du Katanga, torturé, exécuté dans la brousse, grâce à l’appui actif et la complicité du KGB, de la CIA, de l’ONU et des parachutistes envoyés par les Belges.

Le film repose sur un travail sérieux d’enquête et de recherche : pour écrire le scénario, Raoul Peck et Pascal Bonitzer sont allés chercher les documents, ont épluché des archives. Leur travail d’investigation basé sur un capital-sympathie indéniable pour Lumumba, ne montre que les trois derniers mois de sa vie, les trois mois qu’il passe au pouvoir. Lumumba, l’homme politique est de plus en plus isolé, trahi et finalement assassiné. Ériq Ebouaney est Lumumba. Alex Descas est Mobutu. Le film travaille pour la mémoire des faits et contre l’oubli.

Quand Raoul Peck montre le film dans son pays, à Haiti, ou il a été lui même ministre de la culture pendant dix-huit mois, « dix huit mois d’une lutte politique dure et impitoyable… une expérience douloureuse et l’apprentissage des limites de l’action politique », les parallèles avec la dictature de papa doc (Duvalier) sont évidents. Lumumba fait émerger une vérité sur toutes les dictatures qu’elles soient installées par la colonisation ou issues de la décolonisation.

Mobutu disait « la démocratie est la mort de l’Afrique », alors qu’en renonçant seulement à la moitié de sa fortune personnelle, Mobutu aurait pu rembourser la dette extérieure de son pays.

Heike Hurst (« Fondu au Noir »-Radio libertaire)


Dans le fond des poches

A bas toutes les prisons !

Loin de tout charabia, rond de jambe et trémolo, voici enfin disponible le remarquable ouvrage de Serge Livrozet. Le bougre récidive, enrichit les premières éditions de nouvelles réflexions, persiste et signe dans sa lutte quotidienne contre toutes les prisons.

Miroir de la morale des maquignons de tous les pouvoirs qui organisent l’exploitation sociale, la prison, lieu de l’arbitraire par excellence, perdure de royautés en républiques, de dictatures en démocraties…

Aux avant-postes de la répression, fidèle auxiliaire d’une injustice patente, elle est prête à se travestir en bracelets électroniques et autres boulets high tech… Itinéraire d’un embastillé ordinaire qui, à la force de sa lucidité, atteint la révolte, démonte la logique pénitentiaire et tend à l’anarchie.
Serge Livrozet — De la prison à la révolte —éditions L’Esprit Frappeur, nº 54 — 182 p — 20 FF

Police et droits de l’homme — Maurice Rajsfus — éditions L’Esprit Frappeur, nº 68 — 238 p — 25 FF.
Gros plan sur la flicaille estampillée citoyenne… bac + 2 et tutti frutti. À coup de code de déontologie les descendants rafleurs ont perdu… leurs vélos mais pas l’essentiel : maintenir coûte que coûte le désordre des nantis… Une flopée de témoignages et en prime « le chant des CRS » !

Les Droits de l’Homme — Jean-Jacques Gandini — éditions Librio. nº 250 — 158 p — 10 FF.
Les déclarations se sont succédées, laissant leurs lots de répudiés… Annonçant sans encombre la poursuite de l’assujettissement des uns par d’autres… au nom de… rayer la mention inutile.... Mais le combat continue ! Cette anthologie de textes puisés à travers le monde et l’histoire nous y invite.

Un Monde sans prisons ? — Albert Jacquard — éditions du Seuil — Collection Point Virgule — nº 124 — 222 p — 39 FF.
Riche de ses connaissances, le fameux généticien questionne l’enfermement à la lumière d’un humanisme qui fera fuir les préjugés et les raisonnements simplistes. Au cœur des réflexions : les conditions d’un rapport égalitaire des individus à la société qu’ils composent.

Extermination à la française — Alexandre Jacob — éditions L’Insomniaque — collection À Couteaux Tirés — 160 p — 30 FF.
Plus de vingt cinq ans de prison et de bagne pour le travailleur de la nuit… peu en sont revenus. Témoignage de l’intérieur au travers de sa correspondance avec sa mère sur la transportation, la relégation. Mémoire de l’infamie. À lire d’urgence.

À bas les prisons, toutes les prisons !­ — Alexandre Jacob — éditions L’Insomniaque ­ collection À Couteaux Tirés — 80 p — 20 F.
Sa plume noire épinglera bien des pudibonderies à l’occasion de énièmes réformes pénitentiaires… Son grand âge le gardera lucide et toujours anarchiste. Le titre de ce recueil est la conclusion d’une profonde analyse donnée in extenso qu’il signe « ex-professeur de droit criminel à la faculté des îles du Salut. » Il tirera sa révérence en faisant la nique à toutes les infirmités : « j’ai vécu, je puis mourir »… La veille, il aura organisé un banquet pour neuf gamins de 20 mois à 12 ans… Un grand bonhomme à découvrir.

Prisons : un état des lieux — Observatoire International des Prisons (section française) — éditions L’Esprit Frappeur — nº 72 — 315 p — 30 FF.
De l’allongement des peines à l’alimentation, de la promiscuité au suivi médical, c’est un vaste panorama des conditions actuelles et réelles de détention qui nous est présenté. La valse des régimes dérogatoires, le déni de sexualité, l’oligarchie pénitentiaire : autant de crapuleries documentées et épinglées parmi tant d’autres.

Les prisons — Cvc & Genepi — éditions Milan — collection Les Essentiels — nº 137 — 64 p — 25 FF.
Didactique, cet opuscule s’offre le luxe de la lisibilité… et l’originalité de traiter des pauvretés et des décès en prison. Le glossaire n’oublie pas de signaler le CAP… malgré un tour d’horizon quelque peu citoyen.

Le Trou — José Giovanni — éditions Gallimard — collection Folio — nº 318 — 256 p — 36 FF.
Prison de la Santé… Dans la 11e division, cellule 6 du quartier de haute surveillance, se préparait une évasion. Roland, Georges, Monseigneur, Willaume et José, unis par le risque d’une lourde condamnation, entendaient creuser un trou depuis leur cellule pour accéder aux grands sous-sols… puis aux égouts de Jean Valjean… Rédigée par l’un des protagonistes, l’histoire vraie est devenue roman.

La Cerise — Alphonse Boudard — éditions Gallimard — collection Folio — nº 403 ? 506 p — 29 FF.
Ce livre est écrit à la fiente, d’une plume dégueulasse qui brave l’honnêteté, les usages courants… Alphonse au gnouf… Qui vole un œuf… Un bœuf ! Qu’est-ce que tu veux qu’on foute d’un bœuf ? On ne fait des chefs-d’œuvre qu’à l’arsenic et l’étron fumant. Bon appétit !

Jean-Denis. — Liaison Bas-Rhin de la FA

Les ouvrages cités sont disponibles à la librairie du Monde libertaire.


Expo

Maximilien Luce

Maximilien Luce (1858-1941) « Artiste contemporain de l’impressionnisme, du post-impressionnisme, du siège de Paris et de l’agonie de la Commune, de la montée de l’anarchie à mesure que vieillit le siècle, témoin du triomphe de la bourgeoisie absolue de 1900, il a connu trois guerres… Trois guerres et une révolution écrasée, c’est beaucoup pour un même homme. ». Ami de Seurat, de Signac et de Pissaro. Par solidarité, Luce illustra de nombreux journaux libertaires dont le Le Père Peinard, La Révolte, L’En Dehors, Les Temps Nouveaux. En 1894, suite aux attentats de Ravachol, Vaillant, il fut un des condamnés du procès des trente, ses dessins sont jugés alors « inciter le peuple à la révolte ». Beau compliment qui lui valut de connaître la prison.

Deux cent cinquante œuvres de ce peintre social ont été rassemblées à Mantes-La-jolie dont le fameux tableau « Rue de Paris pendant la Commune » exposé habituellement au musée d’Orsay et représentant des corps immobiles sur le pavé de la capitale après la répression du sinistre Thiers. Les peintures, dessins, lithographies, journaux, affiches et manuscrits qui sont présentés proviennent des réserves du musée de Mantes, mais également du Musée d’Orsay et de collections privées venant de Belgique, de France, des Pays-Bas et de Genève. Les thèmes les plus particulièrement abordés sont les petits métiers, la Commune et la guerre, les chantiers parisiens et le monde ouvrier entre 1890 et 1920.

Jimma

Musée de l’Hôtel-Dieu, 1 Rue Thiers (!) à Mantes-la-Jolie, jusqu’au 31 octobre. Exposition ouverte en semaine (sauf mardi) de 12 à 18 heures, et le week-end de 12 à 19 heures.


Ariège : procès des OGM à Foix

Coupons leur l’herbe sous les pieds !

Le 12 juin 1999, 300 personnes fauchèrent 1 hectare et demi de colza transgénique croisé à une herbe sauvage, la ravenelle, à Gaudiès, Le CETIOM (1) porta plainte et la justice préféra mettre en examen quatre militant-e-s associatifs occupant des charges de présidence, pratique que le Collectif danger OGM et la Ligue des droits de l’homme comparèrent aux procédures de la « loi anti-casseur » de Marcellin. La mise en examen de la Confédération paysanne en juin 2000 en tant que « personne morale » confirmait la volonté de criminaliser l’action associative et syndicale.

La « destruction de récolte en réunion » passible de 500 000 francs d’amende et de cinq ans de prison se transforma le 5 septembre dernier, lors du procès à Foix, en une amende de 5 000 francs pour chaque condamné, dont un pour complicité. Ce 3 octobre, vers 14 heures, le tribunal de Foix rendait son verdict : amende de 10 000 francs sous forme solidaire et individuellement, 8 000 francs avec sursis. Soulignons que le 5 septembre, lors du premier jugement, au verdict, le CETIOM ne demande qu’un franc de dommages et intérêts et qu’un jury populaire en Angleterre, au tribunal de Norwich acquitta le 20 septembre dernier 28 militants de Greenpeace qui détruisirent en juillet 1999 un champ de maïs transgénique près de Norfolk. (2)

À la sortie du tribunal, dans la cour de l’enceinte judiciaire, le débat se poursuivait sur l’attitude à adopter face à cette condamnation sursitaire visant, selon certains, à « laisser pourrir la situation » pour étouffer le mouvement de contestation. L’avocate des condamné-e-s rappela que pour les amendes individuelles appel devrait être déposé individuellement. L’un des 300 faucheurs de Gaudiès non inculpé proposa de donner les 300 noms afin de relancer l’affaire et de continuer d’agir a découvert en refusant d’entrer dans une logique « terroriste » qui aboutirait à la casse d’une serre par un commando masqué. D’autres étaient sceptiques quant à l’intention de faire appel. Si le Collectif demanda la relaxe pour « légitime défense » et la suppression de la peine, une personne fit remarquer que pour accréditer la « légitime défense, il aurait fallut attaquer le CETIOM pour empoisonnement ». De nouvelles réunions du Collectif furent prévues pour discuter des suites de ce combat contre les OGM. L’appel devant être déposé dans les 10 jours, une réunion fut prévue pour le 12 octobre à la Bastide de Sérou.

Chacun reconnut que lors du procès du 5 septembre, le débat sur le fond avait été obtenu.
Rappelons que le Collectif, face a ces attaques visant l’ensemble des mouvements associatifs et syndicaux, décida lors de ses réunions antérieures au 5 septembre, d’élargir la contestation au-delà même de la question des OGM. Si des dizaines de stands informaient sur le danger environnemental provoqué par les recherches génétiques, les forums firent le lien entre les différents actes de désobéissance civile, seule arme et seul recours des individus ou des collectifs à la machinerie administrative, judiciaire et policière qui les muselle ou les criminalise. Le thème principal du forum pour la désobéissance civile qui se répercuta lors du procès du 5 septembre visait à légitimer moralement l’acte que la loi juge illégal lorsque cet acte s’effectue en défense face aux dangers de certaines décisions politiques en matière de recherche, de santé, d’environnement ou de société.

Les intervenants invités par le forum sur la désobéissance civile (3) donnèrent à cette journée de protestation et d’appel vif à la désobéissance une tonalité plus radicale dans sa critique du capitalisme et de l’État que celle entendue à Millau. Le fait que le CETIOM ait redéposé plainte pour un autre fauchage en avril 2000 et que plus de 4 500 hectares de maïs transgénique restent en croissance sur 23 départements français renforcent l’idée de continuer ce combat.

Le forum sur la criminalisation sociale qui se tenait le 5 septembre près du stand de la CNT dénonça la justice de classe, les répressions syndicales et associatives et réaffirma que le gouvernement criminalise les mouvements sociaux lorsqu’il ne peut plus les contrôler.

Les organisateurs/trices de cette journée de protestation qui mobilisa près de 3 000 personnes ont atteint leur but en jumelant à cette lutte contre les OGM et les marchés financiers de la recherche la dimension festive (happenings théâtraux et musique) qui refléta l’aspect non-violent de la société civile ce qui ne retire rien à la détermination plus radicale imposée aux militant-e-s par la répression de l’État.

Un CD 2 titres, chansons sur le fauchage de Gaudiès destiné à couvrir les frais de procès est envoyé pour tout achat du bon de soutien (100 FF) par l’association ADAGIO. (4)
Joaquim et Olivier. — FA d’Ariège

(1) Centre d’étude technique interprofessionnel des oléagineux
(2) Le Monde du 22 septembre 2000.
(3) sans-papiers, MIB, ouvrier de Cellatex, inculpés Fumel, No pasaran, Collectif Chiapas Jeunes du mirail, Act-up, famille des détenus, caravane anticapitaliste, co-prévenu-e-s de Foix et José Bové
(4) Association ADAGIO, Brouilh 09420 Rimont. Titre de l’album : « Faucher le transgénique ».


Saint-Étienne : action antimilitariste

Depuis quelques années, Saint-Étienne se voit doté d’un festival de musique militaire et pour la cinquième fois, le samedi 30 septembre, un défilé de troufions mélomanes venant d’un peu tous les pays était organisé au centre-ville sous l’œil approbateur de quelques passants. Il est vrai que les Stéphanois ne sont pas des pacifistes effrénés, leur ville abritant depuis des années, d’abord la manufacture d’armes, rentrée dans le giron de GIAT et la Manufacture d’armes et cycles de Saint-Étienne, plus connue sous le nom de Manufrance.

Quelques individus (une centaines de personnes) issues du mouvement alternatif, cénétistes ou sympathisants FA ont choisi de protester en manifestant contre ces grotesques parades guerrières. La spontanéité de ce mouvement contestataire a surpris les forces de répression, apparemment très nerveuses. Face à notre présence dans la rue jugée agressive, les policiers se sont mis à nous provoquer à leur manière (coups de matraques, propos belliqueux et machistes) puis ils ont réussi à isoler un militant très connu du milieu associatif et alternatif et l’ont arrêté pour une garde à vue d’à peu près cinq heures.

Bien qu’innocent, celui-ci est accusé de coups et blessures sur un policier bénéficiant d’une ITT de moins de huit jours. La prochaine convocation de notre camarade au commissariat est le 4 janvier. La conclusion que tiraient les personnes venues attendre sa libération était de tisser des liens et de s’organiser pour ne pas bêtement se jeter dans la gueule du loup, loup qui préconise aujourd’hui de réprimer un mouvement en faisant souvent porter le chapeau à une seule personne, un peu leader ou responsable et en le condamnant à de fortes amendes. Espérons que les discussions et les ébauches d’idées que l’on a échangé lors de cette action ne seront pas que des paroles en l’air et que le milieu libertaire stéphanois puisse être uni et fort pour les actions futures.

Didier. — sympathisant FA